AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Cette année, l'examen du budget de l'outre-mer intervient, pour votre commission, dans un contexte tout à fait particulier.

D'une part, votre commission a effectué, du 23 au 30 juillet dernier, une mission d'information 1( * ) en Guyane afin d'étudier la situation sanitaire et sociale de ce département. Cette mission, témoignant de l'attention toute particulière que votre commission porte à nos compatriotes d'outre-mer, visait à mieux cerner le contexte local, mais surtout à analyser les difficultés sociales de ce département et à étudier les voies d'une amélioration de l'action publique. La délégation de votre commission a tiré de cette mission un enseignement central. L'outre-mer est confronté à des difficultés sociales d'une telle ampleur et de nature bien spécifique qu'il exige des réponses particulières. L'application uniforme de la législation nationale peut parfois conduire à des aberrations. Dès lors, il importe d'adapter non seulement la réglementation, mais aussi l'ensemble de l'action publique -notamment sous sa forme budgétaire- aux particularités de l'outre-mer afin de pouvoir résoudre avec pertinence les difficultés locales.

D'autre part, ce projet de budget est soumis au Parlement avant l'examen du futur projet de loi d'orientation relatif aux départements d'outre-mer . Annoncé par M. Jean-Jack Queyranne le 23 octobre 1998, ce projet de loi serait " axé en priorité sur le développement économique et social des départements d'outre-mer " 2( * ) . Devant être initialement déposé à l'automne 1999, ce projet de loi ne sera finalement présenté au Parlement qu'au premier semestre 2000. Votre commission ne peut que regretter ce retard dans l'examen de ce projet de loi, tant la situation des départements d'outre-mer relève de l'urgence sociale.

La préparation de ce projet de loi d'orientation a cependant été l'occasion de la publication de plusieurs rapports (le rapport " Mossé ", le rapport " Lise-Tamaya ", le rapport " Fragonard ") qui apportent des éclairages souvent pertinents et qui constituent, à ce titre, une utile grille d'évaluation de l'action publique en faveur de l'outre-mer.

C'est donc au regard des enseignements de sa récente mission d'information et dans la perspective du prochain projet de loi d'orientation que votre commission s'est attachée cette année à examiner les crédits budgétaires relatifs à l'outre-mer.

En outre, afin d'intégrer l'indispensable éclairage qu'apportent les acteurs locaux à ses conclusions, votre rapporteur a tenu à consulter l'ensemble de ses collègues d'outre-mer pour la préparation du présent rapport. Il tient ici à les remercier tout particulièrement pour leurs contributions.

Un budget en très légère augmentation

En 2000, le budget de l'outre-mer progresse en apparence, dans le " bleu budgétaire ", de 13,6 % pour atteindre 6,36 milliards de francs.

Evolution du budget de l'outre-mer
(selon le " bleu budgétaire ")

 

LFI 1999

PLF 2000

Evolution en %

Dépenses ordinaires (titres III et IV)

3.936

4.718

+ 19,9 %

Dépenses en capital (titres V et VI)

1.668

1.647

- 1,3 %

Total

5.604

6.365

+ 13,6 %

En dépenses ordinaires et crédits de paiement (en millions de francs)

En réalité, cette forte progression tient de l'effet d'optique. Elle s'explique en effet avant tout par une modification du périmètre budgétaire du secrétariat d'Etat à l'outre-mer. Ainsi, sur les 760 millions de francs de crédits supplémentaires, 662 proviennent d'un simple transfert, les crédits étant auparavant inscrits au budget d'autres ministères. Ils ne peuvent donc pas être considérés comme un effort supplémentaire de l'Etat en faveur de l'outre-mer.

Ces transferts ont une double origine :

- d'une part, du fait du transfert de certaines compétences à la Nouvelle-Calédonie en application de la loi organique de 19 mars 1999, un nouveau chapitre budgétaire 41-56 " Dotations globales pour la Nouvelle-Calédonie " a été créé. Il regroupe différents crédits jusqu'alors inscrits sur le budget d'autres ministères (éducation nationale, emploi et solidarité, jeunesse et sports) à hauteur de 326 millions de francs ;

- d'autre part, le regroupement des crédits en faveur de l'emploi dans les départements d'outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Mayotte se poursuit. Ainsi, sont transférés au secrétariat d'Etat à l'outre-mer, le financement des contrats emplois consolidés dans les départements d'outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon et le financement des contrats emplois solidarité et contrats emplois consolidés à Mayotte. Ces transferts en provenance du ministère de l'emploi et de la solidarité atteignent 336 millions de francs.

En définitive, à structure constante, le budget de l'outre-mer n'augmente que de 1,7 % en 2000, après une hausse de 7,3 % en 1998 et de 7 % en 1999.

Evolution du budget de l'outre-mer
à structure constante (1)

LFI 1999

PLF 2000

Evolution en %

5.604

5.702

+ 1,7 %

(1) Le périmètre retenu est celui du budget pour 1999.

(en millions de francs)

Néanmoins, les crédits du secrétariat d'Etat à l'outre-mer ne représentent qu'environ 11 % des dotations budgétaires en faveur de l'outre-mer, le budget du secrétariat d'Etat ne peut résumer à lui seul l'ensemble de l'effort budgétaire en faveur de l'outre-mer. Celui-ci, analysé dans le " jaune budgétaire ", augmente de 2,8 % en 2000, soit plus que l'évolution moyenne des dépenses de l'Etat qui est de 0,9 %.

Evolution de l'ensemble des dépenses budgétaires (1)
en faveur de l'outre-mer

 

LFI 1999

PLF 2000

Evolution en %

DOM et collectivités territoriales

45.244

46.341

+ 2,4

TOM et Nouvelle-Calédonie

10.976

11.461

+ 4,4

Total

56.220

57.802

+ 2,8

(1) en dépenses ordinaires et crédits de paiement (en millions de francs)

Un budget très concentré sur les questions sociales

Le budget du secrétariat d'Etat continue de se recentrer sur le secteur social.

Le secteur social (emploi et insertion, logement social) regroupe 64 % des crédits en 2000, contre 63 % en 1999.

A lui seul, le Fonds pour l'emploi dans les départements d'outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon (FEDOM) représente 33 % des crédits.

Une nécessaire poursuite de la rationalisation budgétaire

En dépit de cette " concentration sociale ", les crédits du secrétariat d'Etat ne permettent pas d'apprécier dans sa globalité l'action de l'Etat en matière sociale outre-mer. Ces crédits ne regroupent en effet que les dispositifs relatifs à la politique de l'emploi, à l'insertion et au logement social.

Les dépenses relatives à la solidarité, à la santé, à la formation professionnelle, à la politique de la ville restent en effet, pour la plupart, inscrits au budget du ministère de l'emploi et de la solidarité. Or, en 2000, ces crédits s'élèvent à 5,5 milliards de francs, soit presque autant que les crédits du secrétariat d'Etat 3( * ) .

Votre commission estime que le mouvement de transfert de crédits vers le secrétariat d'Etat à l'outre-mer doit se poursuivre.

Elle y voit en effet un triple avantage :

- une plus grande lisibilité des documents budgétaires,

- un meilleur ciblage de l'effort budgétaire en faveur de l'outre-mer,

- une plus grande adaptation aux besoins locaux.

L'expérience en matière de politique de l'emploi, avec la création du FEDOM, et de politique du logement social, avec la création de la Ligne budgétaire unique (LBU), a montré que l'évolution de la nomenclature budgétaire avait permis de repositionner ces politiques pour les adapter aux spécificités locales.

A cet égard, deux domaines apparaissent prioritaires. Le transfert des crédits relatifs à la formation professionnelle est sans doute le plus urgent, l'effort de formation étant actuellement très insuffisant et les dispositifs applicables en métropole, notamment la formation en alternance, n'y étant visiblement pas adaptés. Le transfert des crédits relatifs à la santé est également nécessaire à court terme, l'état et l'équipement sanitaires de l'outre-mer restant en retard par rapport à ceux de la métropole.

I. UNE SITUATION SOCIALE QUI CONTINUE À SE DÉGRADER

L'année passée, votre rapporteur avait insisté, dans son avis budgétaire, sur le contexte social très préoccupant de l'outre-mer. Or, force est de constater que la situation sociale s'est encore dégradée en dépit d'une relative amélioration de la conjoncture économique.

L'outre-mer connaît une situation d'urgence sociale qui tend à devenir hélas structurelle, notamment du fait de sa structure démographique, à laquelle le Gouvernement ne répond que par un soutien budgétaire d'ordre conjoncturel qui est alors largement inadapté.

A. UN MARCHÉ DU TRAVAIL EXTRÊMEMENT FRAGILISÉ

Le chômage dont l'évolution reste très préoccupante constitue à l'évidence le défi social majeur de toute politique de l'outre-mer.

Mais, si la persistance d'un sous-emploi durable fragilise la cohésion sociale, le marché du travail est également déstabilisé par la détérioration inquiétante du climat social.

1. La persistance d'un sous-emploi très important

a) Le poids toujours considérable du chômage...

Les départements d'outre-mer (DOM)

La progression du chômage se ralentit régulièrement, mais l'écart avec la métropole a tendance à s'amplifier. Ainsi, en 1998, le nombre de chômeurs a augmenté de 2 % dans les DOM alors qu'il diminuait de 5 % en métropole.


L'analyse des dernières statistiques disponibles montre cependant, malgré la prudence qu'elle impose ( cf. encadré ) une très légère diminution du nombre de chômeurs en août 1999. Mais rien n'indique que cette amélioration soit durable. Il est à craindre au contraire qu'il ne s'agisse d'une simple rémission.

La difficile évaluation du chômage dans les DOM

Votre commission souligne que les statistiques relatives à l'emploi ne permettent de saisir qu'imparfaitement la réalité du chômage outre-mer. Ils sont en effet affectés par deux biais, l'un tendant à surestimer le taux de chômage, l'autre tendant à le sous-estimer.

D'une part, l'importance du travail informel reste conséquente dans les DOM. Une étude de l'INSEE des Antilles-Guyane de septembre 1998 avance par exemple que 30 % des allocataires du RMI exerceraient un travail informel. Une autre enquête menée à la Réunion en 1995 a évalué à 27.000 le nombre de personnes concernées par le travail illégal pour une population active de 175.000 personnes.

D'autre part, le nombre de demandeurs d'emplois inscrits à l'ANPE ne permet pas de comptabiliser tous les chômeurs. Il semble en effet que le nombre de " chômeurs découragés " soit plus important outre-mer qu'en métropole. Cela tiendrait à la conjonction de deux phénomènes : la pénurie des offres d'emplois proposées par le service public de l'emploi et la faible indemnisation du chômage.

En outre, les chiffres donnés par l'ANPE reposent sur une évaluation de la population active en 1997 et non sur les résultats du recensement de 1999.

Votre commission recommande donc d'interpréter toutes ces données avec la plus extrême prudence.

Le chômage en 1999

 

Demandeurs d'emplois en fin de mois (1)

Evolution sur 12 mois (en %)

Indicateur de chômage (en %) (2)

Guadeloupe

52.857

+ 2,9 %

29,0 %

Martinique

48.960

+ 0,3 %

29,5 %

Guyane

13.296

- 1,6 %

21,6 %

Réunion

97.663

- 2,5 %

36,3 %

Total DOM

212.706

- 0,5 %

31,4 %

(1) Chiffres au 31 août 1999 Source : ANPE

(2) Taux de chômage estimé en se fondant sur la population active au 31.03.97.


Cette très légère diminution du nombre de chômeurs s'explique en effet avant tout par le recrutement de nombreux emplois-jeunes en Guyane mais surtout à la Réunion, recrutement qui réduit alors mécaniquement le nombre de demandeurs d'emplois.

En outre, le chômage outre-mer conserve ses caractéristiques propres, distinctes du chômage métropolitain et qui constituent finalement autant de circonstances aggravantes :

- le chômage est principalement un chômage de longue durée, qui a de plus tendance à s'accroître alors qu'il diminue en métropole. Ainsi, en août 1999, 51,6 % des demandeurs d'emploi des DOM recherchaient un emploi depuis plus d'un an contre 38 % en métropole ;

- le chômage des jeunes est tout particulièrement préoccupant. Il avoisinerait les 50 % ;

- seuls 40 % des chômeurs sont indemnisés dans les DOM (contre 75 % en métropole), ce qui les fragilise plus encore. Au chômage, s'ajoute donc la précarité.

Les autres collectivités d'outre-mer

En Nouvelle-Calédonie , le nombre de demandeurs d'emploi a augmenté de 7,7 % en 1998. Au premier trimestre 1999, cette tendance se poursuivait à un rythme annuel de 5,8 %.

En Polynésie française, le taux de chômage atteignait 13,2 % en 1998. Le nombre de demandeurs d'emploi augmente régulièrement, de l'ordre de 10 % par an depuis trois ans.

A Wallis et Futuna, en l'absence de créations d'emplois liée à l'inexistence de toute activité industrielle, le taux de chômage est passé de 24 % en 1997 à 40,7 % en juin 1999.

La situation de Mayotte est tout aussi inquiétante, même si le nombre de demandeurs d'emploi a diminué en 1998. 28,4 % de la population active est à la recherche d'un emploi.

A Saint-Pierre-et-Miquelon, le taux de chômage était d'environ 16 % en mars 1999, mais la situation de l'emploi reste très difficile à appréhender en raison des importantes variations saisonnières liées à la pêche et au bâtiment et travaux publics.

b) ... en dépit de fortes créations d'emplois

Cette persistance d'un chômage élevé est d'autant plus préoccupante que les économies ultra-marines créent des emplois à un rythme soutenu.

Ces créations d'emplois relèvent très largement du secteur privé . Ainsi, de 1992 à 1998, les effectifs salariés du secteur privé ont augmenté de plus de 25 %. En 1998, l'emploi privé a augmenté de 5,5 %.

Evolution des effectifs salariés du secteur privé

 

Guadeloupe

Martinique

Guyane

Réunion

Total DOM

1992

48.675

43.381

13.296

81.087

186.439

1993

52.136

50.988

13.176

77.196

193.496

1994

53.724

50.346

14.450

82.637

201.157

1995

55.866

56.202

15.303

89.918

217.289

1996

62.324

58.378

16.352

83.925

220.979

1997

63.156

55.929

16.266

86.632

221.983

1998

66.285

60.647

16.574

90.749

234.255

Source : secrétariat d'Etat à l'outre-mer.

Une analyse sectorielle montre qu'en 1998, les secteurs les plus fortement créateurs d'emplois ont été :

- l'industrie et l'hôtellerie en Guadeloupe,

- l'industrie, le BTP et les services en Martinique,

- le tertiaire et l'intérim à la Réunion.

2. L'inquiétante détérioration du climat social

a) L'importance des conflits collectifs du travail

Alors que la conflictualité a tendance à diminuer progressivement en métropole, les relations du travail restent largement marquées par la grève outre-mer.

Ainsi, en 1998, le nombre de journées individuelles non travaillées a triplé dans les DOM.

Nombre de journées individuelles non travaillées

 

1995

1996

1997

1998

Guadeloupe

NC

NC

5.044

13.650

Guyane

2.578

6.243

3.116

2.650

Martinique

NC

3.824

2.541

22.691

Réunion

20.199

19.704

3.853

4.744

Total

NC

NC

14.554

43.735

Source : IEDOM

Les conflits sociaux apparaissent particulièrement longs et difficiles dans les DOM, ce qui est d'autant plus dommageable qu'ils se traduisent fréquemment par la paralysie des économies locales du fait du blocage des ports et aéroports dans des départements insulaires ou enclavés.

b) La faiblesse du dialogue social

Cette forte conflictualité s'explique largement par l'absence de culture de compromis social et par le choix délibéré de stratégies de rupture, retenues aussi bien par le patronat, souvent figé dans une conception archaïque des relations du travail, que par les syndicats pour qui les revendications professionnelles ne constituent pas toujours le seul fondement à leur action.

Votre commission estime très préoccupante cette faiblesse du dialogue social. Elle considère qu'elle ne peut contribuer qu'à fragiliser plus encore un marché du travail miné par le sous-emploi.

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