CHAPITRE II -
BILAN D'APPLICATION DES DISPOSITIONS
D'ORDRE
ÉCONOMIQUE
DU PACTE DE RELANCE POUR LA VILLE
Les lois
n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour
l'aménagement et le développement du territoire, et
n° 96-937 du 14 novembre 1996 relative à la mise en
oeuvre du pacte de relance pour la ville, ont institué un dispositif
d'exonérations fiscales et sociales dans les 44 zones franches
urbaines (ZFU) et les 350 zones de redynamisation urbaine (ZRU). Ces
exonérations de taxe professionnelle, de taxe foncière,
d'impôt sur les bénéfices et d'impôt sur le revenu se
combinent avec des allégements de charges sociales (applicables à
l'assurance maladie des commerçants et artisans et aux charges
patronales).
Conformément aux engagements pris en 1997, le Gouvernement a fait
procéder à une évaluation du " Pacte de
relance " dont il présente, cette année, les premiers
résultats.
Dans son rapport au Parlement sur le bilan des ZFU et des ZRU, le ministre
délégué à la ville établit un
sévère état des lieux, qui paraît quelque peu
teinté d'a priori. Il est révélateur que ce document
commence par juger les mesures d'exonérations "
puissantes mais
complexes et cumulables avec d'autres dispositifs, à l'origine d'effets
d'aubaine
"
10(
*
)
,
avant même d'évaluer leurs résultats quantifiés.
Votre rapporteur pour avis souhaite, tout au contraire, présenter les
résultats obtenus -et analyser les controverses auxquelles ils donnent
lieu- avant d'évoquer le coût des dispositifs existants -lequel
est d'ailleurs loin de faire l'unanimité-. Il évoquera enfin les
améliorations susceptibles d'y être apportées.
I. BILAN DES ZFU ET DES ZRU
L'appréciation des résultats obtenus grâce aux ZFU et aux ZRU est très variable selon que l'on retient les statistiques établies par l'Association des villes zones franches urbaines ou celles présentées par le Gouvernement dans son rapport au Parlement.
A. EFFETS SUR L'ACTIVITÉ ET L'EMPLOI
1. L'évaluation de l'association nationale des villes zones franches urbaines
Selon
une étude publiée par l'Association nationale des villes ZFU, en
octobre 1999, la création des zones précitées dans 44
quartiers extrêmement défavorisés
11(
*
)
a permis d'y accroître
très sensiblement l'activité :
le nombre d'entreprises y
a augmenté de 70 % en trente mois, passant de 10.000 à
17.335 unités.
Au 1
er
juillet 1999, près de
33 % des
installations d'entreprises résultaient de créations et non de
transferts.
En outre, l'institution des ZFU a permis d'enrayer
l'hémorragie
chronique
des emplois qui a atteint ces quartiers depuis vingt ans :
les emplois salariés
y sont passés de
35.000 à
57.000 environ
. Cette observation est d'ailleurs parfaitement
corroborée par celle qu'a faite votre rapporteur lors d'une visite de la
ZFU de Roubaix où, pour la première fois depuis la crise, le taux
de chômage a diminué de 4,3 % en 1997-1998 par rapport au
maximum atteint antérieurement. Il s'en est suivi une
amélioration de l'image des quartiers,
au rebours de la
" stigmatisation " que M. Jean-Pierre Sueur disait craindre dans son
rapport précité.
Concrètement
, 26.700 emplois nouveaux ont été
créés
dans les 44 quartiers concernés dont
près de 52% résultent de créations nettes. Compte tenu du
fait que 35.000 emplois y existaient en 1996, la hausse du nombre
d'emplois est de 76 % en moyenne.
On constate, en outre, que la clause prévoyant l'embauche d'au moins
1/5
e
d'habitants des quartiers dans les entreprises situées
en ZFU est largement respectée et même dépassée
puisque ce pourcentage atteint en moyenne environ 30%.
Votre rapporteur
pour avis a d'ailleurs constaté qu'à Roubaix, 40 % des
emplois étaient occupés par des habitants de la ZFU, le double du
minimum légal, ce qui concorde avec les observations
réalisées au plan national.
La création de la ZFU a eu un rôle de catalyseur de la politique
de la ville, comme le montre l'exemple de Roubaix où la
combinaison
de plusieurs politiques
(grand projet urbain, zone franche, aides
européennes dites " PIC URBAN ") sous-tend la réussite
de la ZFU.
2. L'évaluation du Gouvernement
Dans son
bilan des ZFU et des ZRU pour l'année 1997, le Gouvernement dresse un
bilan beaucoup plus modeste et plus pessimiste de ce dispositif.
Il estime que son effet aurait été
" peu
perceptible "
dans les ZRU où le nombre d'établissements
créés ne s'est établi qu'à 1785 sur un total
initial de 25.885. En outre, le nombre d'emplois créés dans ces
zones ne se serait élevé qu'à 2.345 en 1997.
Quant à l'effet de la création des ZFU, le bilan
précité l'évalue entre + 10 et + 30 % en
termes de créations d'entreprises, indiquant que selon la plus fiable
des études réalisées grâce à l'UNEDIC, il
atteint 28 % pour les établissements employant des salariés.
Le même bilan note que "
la ventilation entre création
nette d'activités et implantations suite à un transfert
d'entreprise ou d'établissement reste difficile à vérifier
précisément
"
12(
*
)
. Selon la même source,
l'impact sur l'augmentation de l'emploi serait
"
limité
", la tendance à la hausse étant
modérée : 9.000 emplois auraient été
créés en 1997 contre 6.500 en 1996. En outre, il y avait eu
"
un dynamisme antérieur aux mesures d'incitation "
[
sic
]
dans certaines ZFU qui comprenaient une zone
d'activité économique.
Votre commission des Affaires économiques estime que
l'appréciation rétrospective du " dynamisme " -s'il est
possible d'utiliser ce terme pour les quartiers où ont été
créées des ZFU- existant en 1996 dans les futures ZFU est
abusive !
A l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la mise en oeuvre du
Pacte de relance pour la ville, en septembre 1996, la Commission
spéciale du Sénat, dont votre rapporteur pour avis était
également le rapporteur, avait procédé à plusieurs
auditions qui n'indiquaient nullement qu'à cette époque les
acteurs de terrains observaient une amélioration de la situation
économique.
Loin de là ! C'est ainsi que M. René Vandierendonck, le
maire de Roubaix, approuvait, devant la Commission spéciale
précitée, le 4 septembre 1996, la dimension
économique du projet de loi en indiquant qu'elle répondait
à une nécessité impérieuse et précisait
qu'en cinq ans, 20.000 mètres carrés de surfaces
commerciales avaient disparu
13(
*
)
dans sa commune. Le même jour,
M. Joël Hermange, président de l'Association des commerçants
de Garges-lès-Gonesse, indiquait qu'entre 1985 et 1996 le nombre de
commerces traditionnels y était passé de 300 à 100, avant
d'estimer que le projet de zone franche apparaissait
" providentiel
" pour les commerçants locaux encore en
place qui ne pouvaient rembourser les arriérés accumulés
au titre des cotisations sociales, des impôts ou des loyers.
Votre Commission des Affaires économiques regrette que le parti pris
paraisse avoir brouillé certains des rapports commandés par le
Gouvernement.
Enfin, le
nombre des emplois créés
ne dépasserait
pas 50% dans la meilleure des hypothèses pour l'année 1997 et la
part de l'emploi local varierait de 15 à 50%.
Votre Commission des Affaires économiques tient à exprimer son
scepticisme face aux conclusions présentées par le
Gouvernement.
Le bilan du Gouvernement note d'ailleurs que l'"
on peut faire
l'hypothèse que les effets en termes d'emplois vont se renforcer dans
l'avenir, de nombreuses collectivités locales ayant
réalisé des aménagements permettant d'attendre de
nouvelles activités et emplois
.
14(
*
)
B. EVALUATION DU COÛT DU DISPOSITIF
Selon le
Gouvernement, le coût des dispositifs d'exonération est
"
en moyenne relativement élevé, en particulier au regard
des implantations d'emplois dans les quartiers concernés, de l'ordre de
220.000 francs par emploi créé en ZRU et 200.000 francs
par emploi créé en ZFU. "
Le
coût budgétaire total des ZFU serait de 651 millions de
francs en 1997
et
1,424 milliard de francs en 1998.
Quant au
coût des ZRU, il se monterait à 517 millions de francs en 1997 et
639 millions en 1998. Les investissements réalisés devant
produire leur plein effet en 2000-2002, le coût global des ZFU serait
appelé à s'alourdir, tandis que celui des ZRU se stabiliserait
dans les années à venir. Enfin "
l'augmentation des
recettes fiscales des collectivités locales aujourd'hui compensée
par l'Etat pourrait également être prise en compte. On peut
considérer qu'une partie significative des implantations par
créations nettes d'entreprises se maintiendra en ZFU, y compris
après l'extinction du régime de faveur et sera source de recettes
fiscales supplémentaires durables pour les communes
concernées "
15(
*
)
.
Il apparaît, en outre, que la réussite des ZFU est fonction de
facteurs exogènes qui ont un rôle déterminant, à
commencer par :
- le dynamisme économique de l'agglomération et du bassin
d'emploi environnant ;
- l'existence d'un projet de développement du quartier et de la
ville ;
- l'existence de disponibilités foncières ;
- les capacités locales d'accueil des entreprises (création
d'un " guichet unique ", aide émanant d'associations ou
d'organismes consulaires notamment).
Votre commission des Affaires économiques considère, pour sa
part, que le coût des mesures contenues dans le Pacte de Relance doit
être rapporté à l'enjeu que représente la
dégradation subie par les plus pauvres des quartiers des grandes
agglomérations françaises. Elle estime que le coût
d'opportunité d'une aggravation de cette dégradation aurait
été sans commune mesure avec le coût réellement
observé du fait de l'application du Pacte de relance pour la ville.