CHAPITRE 1ER -
OÙ VA LA POLITIQUE DE LA
VILLE ?
Depuis
son entrée en fonction, le Gouvernement présidé par
M. Lionel Jospin, a, à plusieurs reprises, critiqué la
politique de la ville menée par ses devanciers. Il a mis en cause la
logique de " discrimination positive " du Pacte de relance,
lancé en 1996 par MM. Alain Juppé et Jean-Claude Gaudin, ainsi
que les " zonages " qui en procèdent. En deux ans, cependant,
le Gouvernement actuel a davantage parlé qu'il n'a agi. Après
avoir commandé de nombreux rapports, organisé bien des colloques,
que n'a-t-il réformé les dispositifs existants s'ils ne donnent
pas satisfaction ?
Que d'encre et de salive se sont déversées depuis deux ans au
sujet de la politique de la ville ! Avec quels résultats ? Le
premier chapitre du présent rapport pour avis s'attachera à
apporter quelques éléments de réponse à cette
question, avant d'examiner les crédits affectés à cette
politique dans le projet de loi de finances 2000.
I. UNE POLITIQUE CONFUSE OSCILLANT ENTRE VÉLLÉITÉ ET IMMOBILISME
A défaut d'instituer des dispositifs réellement novateurs, le Gouvernement a commandé plusieurs rapports au cours de ces deux dernières années, et organisé divers colloques. Cependant, ces réflexions nombreuses et parfois approfondies n'ont pas débouché sur des innovations vraiment significatives.
A. ENTRE UN RAPPORT ET UN COLLOQUE
Quatre rapports en deux ans
Voici deux ans, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la
solidarité, demandait à M. Jean-Pierre Sueur de préparer
un rapport afin de montrer "
comment, en partant de l'existant, aller
vers des villes équilibrées, harmonieuses à dimension
humaine et qui seront aussi tournées vers le futur, l'innovation,
accueillantes aux formations, aux emplois et aux activités de
demain
"
1(
*
)
.
Répondant à cette demande, qui ne manquait pas d'ambition,
M. Jean-Pierre Sueur, remettait, le 13 février 1998, son rapport
intitulé
" Demain la ville ".
Dans celui-ci, il
formulait non moins de cinquante propositions reposant sur une
appréciation sévère du bilan de la politique d'aide aux
quartiers en difficulté conduite depuis vingt ans et, en
particulier, depuis 1995. La "
géographie
prioritaire
", qui avait inspiré le Pacte de relance pour la
ville de 1996 et la création des zones franches urbaines était,
selon lui, "
inflationniste
",
" complexe et
incohérente "
2(
*
)
.
Elle provoquait une
"
stigmatisation préjudiciable
" des zones prioritaires.
Au-delà de ces appréciations, M. Jean-Pierre Sueur proposait des
modifications institutionnelles et, en particulier, un renforcement des
agglomérations. Il n'allait cependant pas jusqu'au bout de la logique
démocratique qui aurait voulu qu'il préconise, comme l'avait fait
votre rapporteur voici quelques années, l'élection au suffrage
universel d'une autorité d'agglomération. M. Sueur recommandait
également de renforcer l'implication des habitants dans la
décision par l'institutionnalisation de conseils de quartier
3(
*
)
.
Afin d'engager "
une mobilisation nationale de grande ampleur sur une
longue durée
", M. Jean-Pierre Sueur préconisait
l'adoption d'une
loi de programmation décennale
ainsi que la
conclusion de
contrats d'agglomération
fixant notamment les
objectifs de développement urbain, les opérations de
rénovation et/ou de réfection, en intégrant
également les orientations définies dans les schémas
directeurs, les plans de déplacement urbain, les chartes de
l'environnement et les programmes locaux de l'habitat.
S'agissant de
l'habitat
, il recommandait notamment de favoriser
l'immobilier de logements à usage locatif et l'immobilier commercial,
afin de "
mobiliser significativement les capacités
d'investissement privé qui font aujourd'hui défaut dans les
copropriétés dégradées et dans les centres
commerciaux à restructurer "
4(
*
)
,
grâce à l'octroi
d'avantages fiscaux.
En ce qui concerne la
sécurité
, M. Jean-Pierre Sueur
estimait que "
la police doit voir ses effectifs et ses moyens
adaptés aux réalités des espaces urbains "
,
notamment par la généralisation de l'îlotage, et qu'un
"
effort exceptionnel
" devrait permettre de porter le nombre
de maisons de justice à 200 en deux ans.
S'agissant enfin des
associations,
le rapport précité
recommandait de
pérenniser leur financement
en
développant les possibilités d'engagement
pluriannuel, en
raccourcissant les délais de paiement et en organisant des
systèmes d'avance de trésorerie.
Les rapports des inspections générales des Finances, de
l'Administration et des Affaires sociales
En
juillet 1998, le Gouvernement demandait aux inspections
générales des Finances, de l'Administration et des Affaires
sociales de réaliser, avant le 30 novembre 1998, un bilan des
dix-huit premiers mois d'application des zones franches urbaines (ZFU) et des
zones de redynamisation urbaines (ZRU),
créées par la loi du
4 novembre 1996 portant pacte de relance pour la ville. Ce bilan
devait notamment apprécier le coût et les effets de ces
dispositifs sur l'emploi, le développement économique et social
des zones et des agglomérations concernées.
Les inspections générales précitées remirent deux
rapports distincts, en décembre 1998.
Dans le premier, les inspections des Finances et l'Administration se
déclarent favorables à la suppression "
partielle et
aménagée "
des ZRU et au maintien des ZFU. Elles
envisagent en outre les modalités de sortie du dispositif ZFU
5(
*
)
.
Fort de ces conclusions, le Premier Ministre choisit de confier à deux
parlementaires un rapport pour faire suite aux rapports des inspections
générales : la mise en abîme administrative prenait le
relais de la décision politique.
En juin 1999,
Mme Chantal Robin-Rodrigo et M. Pierre Bourguignon,
députés, remettaient au Premier Ministre un nouveau rapport
intitulé
" Le territoire de la cité au service de
l'emploi ".
Ce document propose notamment de créer un
contrat de
développement local urbain
(CDLU) destiné à remplacer
le "
développement social urbain
" par le
"
développement local urbain
", associant l'Etat, les
collectivités locales et les entreprises. La mise en oeuvre de ce
" CDLU " pourrait être confiée au Plan local pour
l'insertion et l'emploi (PLIE) "
repositionné sur cette mission
d'ingénierie, et chargé de gérer les fonds et les
conventions [et] d'animer les partenariats et les
réseaux "
6(
*
)
.
[
sic
]
.
Le même rapport propose également de créer des
sociétés d'investissement régional (SIR), une
société financière pour le renouvellement urbain (SOFIRU)
et de voter une loi d'incitation à l'investissement urbain (LIRU). En
pratique, les SIR achèteraient des terrains pour aider au financement
d'investissements immobiliers, la SOFIRU pallierait l'absence d'investisseur,
avant que la LIRU ne favorise le montage d'opérations de promotion
immobilière.
Le même document suggère également de :
- renforcer les aides accordées aux projets (en donnant un statut
aux entrepreneurs, en prenant en charges les premiers frais d'installation et
en favorisant l'aide des banques) ;
- lutter contre le racisme à l'embauche ;
- faciliter l'accès des habitants des quartiers en
difficulté à un service public de l'emploi doté de moyens
renforcés ;
- valoriser le monde du travail aux yeux des jeunes.
On notera également que le Gouvernement a désigné, en
1999, deux "
missions nationales
" respectivement
consacrées :
- aux métiers de la ville et à la question des chefs de
projet ;
- à la transformation des organisations municipales, aux formes
nouvelles de concertation et de participation des habitants, à
"
l'amélioration de la territorialisation de l'action
publique
" [
sic
] et aux perspectives offertes par le
développement de l'intercommunalité, qui rendront leurs
conclusions avant le 1
er
mars 2000.
Votre Commission des Affaires économiques estime qu'il est temps de
traduire en actes les idées -parfois intéressantes- des rapports
élaborés au cours de ces dernières années, d'autant
que la multiplication des opérations médiatiques sur la politique
de la ville ne débouche, pour sa part, que sur de biens modestes
résultats.
Paroles... Paroles !
Ces derniers temps les rencontres relatives à la politique de la ville
organisés par le Gouvernement se sont multipliés. Citons, pour ne
retenir que les plus importants, les colloques nationaux intitulés :
Rencontres nationales des acteurs de la prévention de la
délinquance (mars1998) ;
Rencontres nationales des acteurs de l'éducation (mars 1998) ;
Rencontres nationales des acteurs de l'économie et de l'emploi
(jun1999). Ces dernières étaient, d'ailleurs, jugées
sévèrement dans la presse, le
Monde
estimant que :
"
En deux jours de débats confus, les rencontres de Nantes ont
esquivé les vraies questions, et le ministre
délégué à la ville n'a apporté aucune
réponse sur un sujet qui, selon lui, doit pourtant
"
impérativement
"
constituer un volet
"
essentiel
"
des futurs contrats de ville (2000-2006).
L'absence, lors des débats, des représentants du monde
économique et des chefs d'entreprise -mis à part quelques
promoteurs patentés du
"
mécénat
"
ou du
"
parrainage
"
- n'a troublé personne.
Enfin, la question pendante de
l'avenir des zones franches urbaines
défendues par de nombreux élus
et, au-delà, celle,
plus générale de
l'incitation à l'implantation
d'activités par des exonérations fiscales n'ont pas
été tranchées
. ".
7(
*
)
On n'omettra pas, en outre, de rappeler le " Premier festival
international de la ville " organisé par le ministère de la
ville et la commune de Créteil du 24 au 26 septembre dernier.
Au total, votre Commission des Affaires économiques regrette que le
Gouvernement n'ait pas déterminé de façon claire
l'orientation de sa politique, ni même suivi les recommandations des
auteurs des rapports qu'il avait commandés.
Votre rapporteur pour avis reviendra sur ce point, de façon
détaillée, dans les chapitres deux et trois du
présent rapport.
B. QUELLE POLITIQUE LE GOUVERNEMENT POURSUIT-IL ?
En 1997,
lors de la constitution du Gouvernement de M. Lionel Jospin, votre
Commission des Affaires économiques avait regretté que le
portefeuille de ministre de la ville ne soit pas individualisé dans
l'organigramme gouvernemental. Cette remarque était si fondée que
l'année suivante, le Premier Ministre désignait M. Claude
Bartolone pour occuper cette fonction.
Depuis lors, le Gouvernement a plus critiqué l'oeuvre de ses
prédécesseurs qu'il n'a proposé une alternative
réelle. Le rapport au Parlement sur le bilan des ZFU et des ZRU
publié en 1999, offre un intéressant exemple de cette attitude
qui manifeste des velléités réformatrices et pourtant
stériles. Le ministre délégué à la ville y
conclut, en effet, à la nécessité de "
moraliser
le dispositif des ZFU pour en limiter les effets d'aubaine
", tout en
soulignant qu' "
aucun scénario ne prévoit la suppression
pure et simple du dispositif, la gravité des problèmes d'emploi
dans les quartiers en difficulté justifiant le maintien et
l'accentuation des efforts de l'Etat "
8(
*
)
.
Les deux derniers comités interministériels des villes (CIV)
n'ont d'ailleurs pas apporté d'éclaircissements sur les
intentions réelles du Gouvernement, préférant s'en tenir
à des décisions purement techniques et administratives.
Le CIV du 2 décembre 1998 a fixé comme objectif de la
nouvelle génération des contrats de plan de :
-
" donner le temps aux acteurs locaux d'élaborer de
véritables projets de territoire, partenariaux et participatifs,
à l'échelle des quartiers, des villes et des
agglomérations " ;
- d'améliorer les outils financiers et de simplifier les
procédures.
Compte tenu de leur caractère général, qui ne saurait
être d'accord avec ces objectifs ?
Outre la répartition de l'enveloppe des contrats de ville, le CIV du
2 septembre 1999 a décidé :
- l'élaboration d'un guide des financements des contrats de ville
intégrant les simplifications financières déjà
engagées ;
- la modification de la réglementation nécessaire pour
adapter les GIP à la gestion partenariale de la politique de la
ville ;
- la définition du champ d'intervention de la politique de la ville
hors des contrats de ville ;
- la prise en compte des dispositions spécifiques à
l'outre-mer ;
- la création d'un groupe de travail interministériel
chargé de proposer des mesures concrètes de mise en oeuvre du
rapport Rodrigo-Bourguignon.
Votre Commission des Affaires économiques regrette que les CIV
n'aient pas débouché sur des mesures réellement
opérationnelles, alors même que, voici deux ans, Mme Martine Aubry
nous annonçait dans la presse son intention de "
repenser la
politique de la ville
".
Les observateurs ne se sont d'ailleurs pas trompés sur le bilan
gouvernemental qu'un grand journal du soir qualifiait de "
Rendez-vous
manqué de la politique de la ville
" :
"
Le Gouvernement promet depuis deux ans, une
"
vraie
"
relance de la politique de la ville, une
"
mobilisation générale
"
pour le
sauvetage des banlieues. Mais, tandis que des incidents, spectaculaires,
violents, continuent à émailler le quotidien des grands quartiers
d'habitat social, agissant comme autant de signaux d'alerte et d'appels
à la vigilance,
il semble réduit au ressassement des
mêmes discours sur
"
la
solidarité
"
, la
"
mixité
sociale
"
et le
"
renouvellement
urbain
"
.
Dix-huit mois se sont écoulés, un temps raisonnable pour
l'analyse, mais la stratégie ne s'est pas éclaircie. Le
"
changement de logique
"
,
présenté par Mme Martine Aubry comme un tournant
historique -du
"
ciblage
"
sur les quartiers à
une politique
"
globale
"
, du traitement des
"
handicaps
"
au
"
retour dans le droit
commun
"
-, n'est encore qu'une idée dont il n'est même
pas sûr qu'elle soit comprise sur le terrain. Pire,
le
"
travail
"
gouvernemental se perd dans
un fouillis d'initiatives ministérielles, concernant l'habitat, la
prévention de la délinquance, l'emploi des jeunes, prises en
ordre dispersé.
Il se dilue aussi dans un ensemble de lois et
de projets de loi -sur l'aménagement du territoire,
l'intercommunalité, l'habitat et l'urbanisme, les transports- dont
personne ne risque la synthèse ni n'assure la cohérence
[...]
Depuis deux ans, le Gouvernement multiplie les rendez-vous manqués,
s'empresse d'oublier les pistes tracées ou les ambitions
invoquées. "
9(
*
)
Si votre rapporteur pour avis avait porté un tel jugement sur la
politique gouvernementale, d'aucuns ne l'auraient-ils pas taxé de parti
pris ?