B. UNE DYNAMIQUE DES FINANCES SOCIALES À L'ENCONTRE DE CELLE DES FINANCES DE L'ETAT
Présentant le projet de loi de finances pour 2000, le
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, Monsieur
Dominique Strauss-Kahn, a indiqué que ce budget reposait, notamment, sur
un choix :
" la maîtrise des dépenses va permettre de
procéder à la plus forte baisse d'impôts depuis dix
ans "
2(
*
)
. Le budget de
l'Etat augmente ainsi de 0,9 % en dépenses à
périmètre constant, soit le niveau attendu des prix pour 2000.
Parallèlement, le champ de la loi de financement de la
sécurité sociale montre des prévisions de recettes en
hausse de 3,45 % et des objectifs de dépenses qui augmentent de 2,75 %
dans le projet initial.
Plus encore, la dynamique des finances sociales est déconnectée
de celle de l'Etat. En l'absence de mesures fortement correctrices des
dépenses, la politique menée en matière de finances
sociales aboutit à ce paradoxe qui veut que la France
prélève toujours plus, pour toujours plus de dépenses mais
toujours moins de satisfaction des attentes des Français envers leur
système de protection sociale.
1. Des dépenses et prélèvements en hausse constante
Qu'il s'agisse des dépenses et des recettes, la part de la protection sociale croît sans cesse en France à un rythme supérieur à celui de l'inflation comme de l'activité (sauf pour les dépenses de 1998). Cette tendance est plus particulièrement à l'oeuvre dans le champ du régime général.
Variation des recettes et des dépenses (consolidées) du régime général et du PIB (en %)
|
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000** |
2001** |
2002** |
Recettes |
4,6 |
4,7 |
4,4 |
4,9 |
3,3 |
3,4 |
3,7 |
Dépenses |
3,1 |
2,9 |
2,8* |
3,8* |
2,9 |
3,1 |
3,1 |
Inflation hors tabac |
1,7 |
1,1 |
0,6 |
0,5 |
0,9 |
|
|
Consommation des ménages |
3,2 |
1,6 |
3,2 |
2,4 |
2,7 |
|
|
Croissance du PIB |
1,1 |
2 |
3,2 |
2,3 |
2,6 / 3 |
|
|
* La
mise sous condition de ressources des allocations familiales entre le
1
er
avril et le 31 décembre 1998 a pour effet
de réduire le taux de croissance des dépenses de 0,3 point
en 1998 et de l'augmenter d'autant en 1999.
** prévisions
Sources : Commission des comptes de la sécurité sociale,
projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000,
rapport économique social et financier annexé au projet de loi de
finances pour 2000.
Il pourrait paraître paradoxal de critiquer l'évolution à
la hausse des dépenses et des recettes publiques affectées
à la protection sociale dans un contexte où les administrations
de sécurité sociale redressent leur solde.
Besoin/capacité de financement des administrations publiques
(% PIB)
|
|
|
|
|
Hypothèse prudente (4) |
Hypothèse favorable (5) |
||
|
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
2001 |
2002 |
Etat |
- 3,3 |
- 3,0 |
- 2,7 |
- 2,4 |
- 2,2 |
- 2,0 |
- |
- |
ODAC (1) |
+ 0,7 |
+ 0,15 |
+ 0,1 |
+ 0,15 |
+ 0,2 |
+ 0,2 |
- |
|
APUL (2) |
+ 0,2 |
+ 0,15 |
+ 0,15 |
+ 0,2 |
+ 0,2 |
+ 0,3 |
- |
- |
ASSO (3) |
- 0,6 |
- 0,2 |
+ 0,15 |
+ 0,25 |
+ 0,2 |
+ 0,3 |
- |
- |
Total |
- 3,0 |
- 2,9 |
- 2,3 |
- 1,8 |
- 1,6 |
- 1,2 |
- 1,2 |
- 0,8 |
(1)
Organismes divers d'administration centrale.
(2) Administrations publiques locales.
(3) Administrations de sécurité sociale.
(4) Croissance du PIB = 2,5 % par an.
(5) Croissance du PIB = 3,0
%
par an. Le Gouvernement ne décompose
pas par secteur car il y aurait, dans cette hypothèse, des baisses de
prélèvements obligatoires différenciées.
Source : débat d'orientation budgétaire pour 2000 et projet
de loi de finances pour 2000.
Votre rapporteur pour avis estime cependant qu'il ne faut pas seulement
raisonner en terme de solde s'agissant des finances publiques.
Les niveaux
absolus atteints par notre pays pour la place de la sphère publique dans
l'économie, le poids des prélèvements obligatoires et
celui des dépenses publiques handicapent sérieusement notre
économie pour affronter l'avenir.
Il estime plus que jamais
indispensable de progresser à une réduction du bilan de la
sphère publique, de son passif comme de son actif, des dépenses,
prestations et transferts qui le composent, comme des impôts, taxes et
cotisations qui le financent.
Nouveaux prélèvements obligatoires en matière sociale depuis 1997
12
mesures sont intervenues depuis 1997 pour augmenter ou élargir un
prélèvement obligatoire social :
1. substitution de la CSG aux cotisations sociales maladies qui s'est
traduite par une hausse des prélèvements sur les revenus du
patrimoine (4,5 milliards de francs) (LFSS 1998) ;
2. passage de 6 à 8 % du taux de la taxe sur les contrats de
prévoyance supplémentaire (LFSS 1998) ;
3. déplafonnement des cotisations d'allocations familiales des non
salariés (LFSS 1998) ;
4. augmentation de la taxe sur la publicité pharmaceutique (LFSS
1998) ;
5. création de la taxe sur les ventes directes de médicaments
(LFSS 1998) ;
6. création de la taxe de santé publique sur les tabacs (LFSS
1998) ;
7. extension de l'assiette des prélèvements sur les revenus du
patrimoine et les produits de placement (LFSS 1998) ;
8. reversement sanction sur le chiffre d'affaires des entreprises
pharmaceutiques n'ayant pas signé d'accord de limitation (LFSS
1999) ;
9. contribution assise sur le chiffre d'affaires santé des organismes
de protection sociale complémentaire (loi CMU de mai 1999) ;
10. taxation des heures supplémentaires des entreprises n'ayant pas
signé d'accords de réduction du temps de travail (seconde loi 35
heures) ;
11. projet de création d'une cotisation sociale sur les
bénéfices des entreprises (PLFSS 2000) ;
12. projet d'élargissement de la taxe générale sur les
activités polluantes (PLFSS 2000).
A ces 12 créations ou extensions, se sont ajoutés les
excédents de recettes tirés de la croissance économique.
2. Une dynamique que vient renforcer le présent projet de loi de financement
Dans une
vision pluriannuelle des finances publiques, le projet de loi de financement de
la sécurité sociale pour 2000 révèle une tendance
à la hausse des dépenses comme des prélèvements qui
paraît peu conforme au programme pluriannuel adopté par la France
pour l'horizon 2002 de diminution des dépenses publiques et de
maîtrise des prélèvements obligatoires.
Le rapport économique, social et financier annexé au projet de
loi de finances pour 2000 le reconnaît lui-même :
" Pour l'année 1999, les prestations sociales des
administrations de sécurité sociale sont plus dynamiques que
celles prévues dans le programme pluriannuel de finances publiques.
Cette progression traduit pour partie les effets de la revalorisation des
pensions (1,2 %) qui avaient été calibrés au
1
er
janvier sur les prévisions d'inflation de l'automne
dernier et d'autre part le dépassement de l'objectif national de
dépenses d'assurance maladie. Dans le même temps, les allocations
chômage servies par les régimes sociaux ne
bénéficient pas pleinement de l'amélioration sur le
marché du travail, en raison de la hausse du montant de l'indemnisation
moyenne et de la montée en charge de l'allocation de remplacement. L'an
prochain, les prestations sociales devraient progresser à un rythme
équivalent à celui proposé dans la programmation (2,2 %).
L'objectif de dépense maladie est légèrement revu à
la hausse pour 2000 (+ 1,6 % contre + 1,3 %). "
3(
*
)
4(
*
)
Dépenses des administrations publiques et programme pluriannuel de finances publiques
(en %)
|
1999 |
2000 |
||
|
Programme pluriannuel |
PLF et PLFSS |
Programme pluriannuel |
PLF et PLFSS |
Dépenses de l'Etat |
1 |
1 |
0,3 |
0 |
ONDAM (2) |
1,4 |
2,6 |
1,3 |
1,6 |
Prestations sociales des ASSO |
1,3 |
2,7 |
2,3 |
2,2 |
(2)
Calculé en valeur et non en volume comme dans le PLFSS.
Source : rapport économique, social et financier annexé au
projet de loi de finances pour 2000
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale initial
présentait ainsi une hausse de périmètre de 3,45 % pour
les recettes et de 2,75 % pour les dépenses ; le passage à
l'Assemblée nationale a ramené ces chiffres à 3,15 %
et 2,5 %.
Tableau du périmètre du PLFSS 1999 / 2000
(en milliards de francs)
|
LFSS 1999 |
PLFSS 2000(*) |
Ecart |
Variation |
Objectif de dépenses |
1 806,6 |
1 851,4 |
44,8 |
+ 2,5 % |
Prévision de recettes |
1 810,9 |
1 867,7 |
56,8 |
+ 3,15 % |
(*)
Après première lecture à l'Assemblée nationale.
Source : projet de loi de financement pour 2000.
Les dépenses augmentent ainsi en partie sous le coup des
évolutions spontanées, en partie par les mesures nouvelles qui
viennent dégrader le solde du régime général. Aux 4
milliards de francs de mesures nouvelles annoncées par le Gouvernement,
il convient d'ajouter diverses mesures qu'il a négligées.
Conséquences annoncées du projet de loi de
financement de la sécurité sociale 2000
sur le solde du
régime général
(en millions de francs)
|
Maladie |
Accidents du travail |
Vieillesse |
Famille |
Total |
Solde du compte tendanciel |
- 3.700 |
650 |
6.500 |
2.550 |
6.000 |
Mesures |
1.050 |
- 60 |
- 3.850 |
- 1.140 |
- 4.000 |
- " Coup de pouce " de 0,3 % sur la BMAF |
|
|
|
- 340 |
- 340 |
- Versement des aides au logement jusqu'à 21 ans |
|
|
|
- 220 |
- 220 |
- Versement du complément familial jusqu'à 21 ans |
|
|
|
- 330 |
- 330 |
- Fonds d'action sociale CNAF |
|
|
|
- 250 |
- 250 |
- " Coup de pouce " de 0,3 % aux pensions |
- 50 |
- 60 |
- 950 |
|
- 1.060 |
- Contribution exceptionnelle des laboratoires |
1.200 |
|
|
|
1.200 |
- Fonds de modernisation des cliniques privées |
- 100 |
|
|
|
- 100 |
- Versement au fonds de réserve des retraites |
|
|
- 2.900 |
|
- 2.900 |
Solde après mesures |
- 2.650 |
590 |
2.650 |
1.410 |
2.000 |
Source :Projet de loi de financement de la sécurité sociale 2000
Autres mesures du projet de loi de financement
Mesure |
Coût |
Organisme le supportant |
Transferts de charges de l'Etat vers la CNAMTS |
102,7 millions de francs en 2000 ? |
CNAMTS |
Extension des aides au logement |
135
millions de francs en 2000
|
Etat |
De même, le projet de loi de financement crée ou reçoit le bénéfice de 60 milliards de francs : 15,4 milliards de francs de nouveaux prélèvements obligatoires qui viennent s'ajouter aux 44,6 milliards de francs transférés par la loi de finances.
Les nouvelles impositions sociales en 2000
(en milliards de francs)
Impositions transférées depuis le budget de l'Etat |
44,6 |
Droits sur les tabacs 35 heures |
39,5 |
Droits sur les tabacs CMU |
3,5 |
Droits sur les tabacs amiante |
0,2 |
Taxe générale sur les activités polluantes |
2 |
Impositions créées |
15,4 |
Cotisation sociale sur les bénéfices |
4,3 |
Extension de la taxe générale sur les activités polluantes |
|
Contribution de 1,75 % sur le chiffre d'affaires santé des organismes complémentaires |
|
Taxation des heures supplémentaires dans les entreprises n'ayant pas signé d'accords de réduction du temps de travail |
|
Total |
60 |
De plus,
le texte est porteur d'une dynamique qui tend à la fois à
augmenter les dépenses par des guichets ouverts, à augmenter les
prélèvements et donc la part d'incertitude à la charge du
budget de l'Etat.
En effet, les deux mesures d'âge en faveur des familles présentent
un coût de 665 millions de francs la première année mais de
1,5 milliard de francs en année pleine. Quant au fonds en faveur du
retrait anticipé d'activité des victimes de l'amiante, il devrait
représenter une charge d'un milliard de francs en année pleine.
Sans parler du non-financement des 35 heures, au total, le projet de loi
de financement grève déjà de 2 milliards de francs avec
ces simples mesures le solde du régime général à
partir de 2001.
Par ailleurs, l'instauration de la couverture maladie universelle, nouveau
minimum social, comme les mécanismes de la loi 35 heures constituent des
dispositifs dont il est impossible d'évaluer avec précision la
montée en charge alors même que tout indique qu'il susciteront des
dépenses plus importantes dans l'avenir.
Or le mécanisme de non régulation de ces dépenses fait
reposer sur l'Etat et sur les prélèvements obligatoires la charge
de leur incertitude
. En effet, l'Etat accorde une subvention
d'équilibre au fonds de financement de la couverture maladie universelle
dont le reste des ressources est assuré par une contribution-taxe
versée par les organismes de protection complémentaire. La
première comme la seconde sont donc destinées à
croître. C'est d'autant plus vrai pour le prélèvement
obligatoire que celui est calé sur le coût prévisionnel de
1.500 francs par assuré complémentaire CMU, alors que tout porte
à croire que ce chiffre est sous-estimé.
Le raisonnement vaut aussi pour le fonds de financement des 35 heures.
Dorénavant celui -ci est abondé par un prélèvement
sur le Fonds de solidarité vieillesse, des prélèvements
obligatoires et une contribution de l'Etat. Cette fois, le Gouvernement a
annoncé lui-même que chacune des parts serait amenée
à augmenter, dans des proportions très importantes qui viendront
vider le fonds de réserve pour les retraites pour le premier
(contribution du FSV passant de 5,6 à 12 milliards de francs, alors que
le fonds de réserve pour les retraites est alimenté en partie par
les excédents du FSV aux 35 heures), accroître les
prélèvements obligatoires d'au moins 10 milliards de francs
pour les seconds (la TGAP et la CSB devront rapporter 25 milliards de
francs au lieu de 7,5 milliards en 2000, mais la taxation des heures
supplémentaires, destinée à rapporter 7,5 milliards de
francs, aura disparu) et les dépenses de l'Etat pour la troisième
(de 4,3 milliards de francs en 2000 à 8 milliards de francs).
Nouvelles impositions et dépenses en germe dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale
Mesures |
Surcoût par rapport à 2000 |
Organismes le supportant |
Extension des conditions d'âge des prestations familiales |
535
millions de francs
|
CNAF
|
Cessation anticipée d'activité des victimes de l'amiante |
800 millions de francs |
Branche accidents du travail |
Contribution de l'Etat au fonds de financement de la CMU |
? |
Etat |
Contribution des organismes complémentaires pour le financement de la CMU |
? |
Prélèvements obligatoires |
Droits sur les alcools |
6,4 milliards de francs |
FSV / fonds de réserve pour les retraites |
TGAP |
9,3 milliards de francs |
Prélèvements obligatoires |
CSB |
8,2 milliards de francs |
Prélèvements obligatoires |
Contribution au fonds de financement des 35 heures |
3,2 milliards de francs |
Etat |
Incertitude du financement des 35 heures |
20 milliards de francs |
Prélèvements obligatoires |
Total |
au moins 48,7 milliards de francs |
Source : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000
*
La
vision consolidée comme la vision pluriannuelle des finances publiques
montrent que des tendances lourdes sont en oeuvre, notamment celle de
l'augmentation du champ de la sphère sociale publique et donc de
l'augmentation à venir de ses dépenses comme de ses recettes. La
présence d'un solde équilibré ne saurait justifier une
telle progression qui ne pourra que se heurter au caractère
insupportable des prélèvements nécessaires à son
maintien.
Votre rapporteur pour avis considère ainsi indispensables une
maîtrise des prélèvements sociaux et une maîtrise des
dépenses sociales, les faisant correspondre à des choix de
priorités d'avenir qui aujourd'hui ne sont pas faits.