DEUXIEME CHAPITRE :
LE NON FINANCEMENT DES 35 HEURES PÈSE SUR
L'ENSEMBLE DU PROJET DE LOI DE FINANCEMENT
Les 35 heures ont fait une entrée fracassante lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale à l'Assemblée nationale. Cinq prélèvements obligatoires et le budget de l'Etat sont en effet nécessaires pour assurer un non financement d'une mesure dangereuse qui " pollue " le débat de la loi de financement et l'éloigne de son véritable objectif.
I. LA LOI DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE CONFISQUÉE PAR LE DÉBAT SUR LE NON-FINANCEMENT DES 35 HEURES
L'article 2 du projet de loi de financement constitue le coeur de ce texte. Il propose en effet de créer un fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, destiné à financer les mesures d'allégement de charges sociales, ainsi que les aides à la réduction du temps de travail.
A. DE L'ERREUR DES 35 HEURES À LA CRÉATION DU FONDS
1. La création du fonds de financement est le fruit de la seconde loi des " 35 heures "
Le
présent article vise à créer un
fonds de financement de
la réforme des cotisations patronales de sécurité
sociale
, dont l'objet est de financer :
- d'une part,
les allégements de charges sociales patronales
, qui
sont prétendument " réformées " ;
- et, d'autre part,
les aides à la réduction du temps de
travail.
En effet,
la création de ce fonds est étroitement liée
au projet de loi relatif à la réduction négociée du
temps de travail
, qui s'y réfère dans son article 2, qui
détermine le régime des heures supplémentaires, et dans
son article 11, relatif au dispositif d'allégement de cotisations
sociales (son paragraphe XVI précise que le financement de cet
allégement de charges est assuré par le fonds de financement dont
la création est prévue par le présent article).
a) Le ralliement tardif du Gouvernement à l'allégement des charges sociales
Le
Gouvernement est aujourd'hui favorable à l'allégement des charges
sociales sur les bas salaires
, à tel point qu'il propose de
créer un fonds de financement destiné à prendre en charge
les mesures d'allégement du coût du travail peu qualifié.
Il n'en a pas toujours été ainsi
, les responsables des
partis politiques de gauche ayant souvent manifesté, par le
passé, leur hostilité à cette orientation nouvelle de la
politique de l'emploi.
L'allégement de charges sociales sur les bas salaires s'est fait par
étapes, après le changement de majorité intervenu en 1993.
La loi n° 93-353 du 27 juillet 1993 relative au développement de
l'emploi et de l'apprentissage a instauré une exonération des
cotisations patronales d'allocations familiales pour les salaires
jusqu'à 1,1 SMIC et une réduction de moitié pour ceux
compris entre 1,1 et 1,2 SMIC. Cette exonération était
intégralement compensée par l'Etat.
La loi quinquennale n° 93-1313 du 20 décembre 1993 sur l'emploi et
la formation professionnelle a repris les dispositions d'exonération de
cotisations famille sur les bas salaires en les intégrant dans un
programme pluriannuel sur cinq ans, qui a porté progressivement le seuil
à 1,5 SMIC pour l'exonération complète et 1,6 SMIC pour
l'exonération de moitié.
La loi n° 95-943 du 4 août 1995 portant diverses mesures d'urgence
pour l'emploi et la sécurité sociale a ajouté au
dispositif précédent une réduction dégressive des
cotisations patronales au titre des assurances sociales, des accidents du
travail et des allocations familiales, pour les salaires compris entre le SMIC
et 1,2 SMIC.
Ces dispositifs tendaient à alléger le coût du travail
des emplois peu qualifiés.
La loi n° 95-1346 du 30 décembre 1995 de finances pour 1996 a
fusionné
, à titre expérimental, jusqu'au 31
décembre 1997,
les deux dispositifs précédents. La
réduction dégressive était alors comprise entre le SMIC et
1,33 SMIC.
La loi de finances pour 1996 prévoyait que, à partir du
1
er
janvier 1998, l'exonération des cotisations d'allocations
familiales définie par la loi quinquennale, serait reprise, avec un
calendrier décalé. Les seuils de 1,5 et 1,6 SMIC
seraient atteints au 1
er
janvier 2000, tandis que la
réduction dégressive définie par la loi du 25 août
1995 serait à nouveau en vigueur.
Toutefois, le Gouvernement actuel a souhaité pérenniser le
dispositif de réduction dégressive de cotisations patronales de
sécurité sociale sur les bas salaires applicables depuis le
1
er
octobre 1996, en y apportant plusieurs modifications, et ne pas
revenir au système précédemment en vigueur.
Ainsi, l'article 115 de loi n° 97-1269 du 30 décembre 1997 de
finances pour 1998 a-t-il abaissé le montant maximum de salaire ouvrant
droit à l'exonération de 1,33 SMIC à 1,3 SMIC. Par
ailleurs, a été annoncé le gel du montant maximal de la
réduction à son niveau actuel.
Face à cette situation, l'adoption de la proposition de loi
déposée par M. Christian Poncelet aurait permis de donner
plus d'ampleur aux créations d'emplois résultant de
l'allégement des charges sociales pesant sur les bas salaires.
L'effet sur l'emploi d'une mesure telle que la " ristourne
dégressive " est en effet incontestable.
Les industries de main
d'oeuvre du textile, du cuir et de l'habillement constituent une bonne
illustration de résultats positifs des allégements de charges.
Alors que ce secteur traversait une crise majeure - 40 % des effectifs
perdus en 15 ans, avec une accélération des pertes d'emplois
à partir de 1992, et 60.000 suppressions de postes envisagées
pour 1996 et 1997 - le plan d'exonérations sociales mis en place en mars
1996 a permis de stabiliser ces suppressions et même d'augmenter les
effectifs. Le dispositif a permis de sauvegarder 10 % des emplois dans ce
secteur, soit environ 35.000.
L'effet positif sur l'emploi de la réduction des charges sociales
fait aujourd'hui l'objet d'un très large accord, comme en
témoigne la publication, au cours de l'été 1998, du
rapport de M. Edmond Malinvaud sur cette question
24(
*
)
Le Gouvernement lui-même en convient. Ainsi, les documents
préparatoires à la conférence nationale sur l'emploi et
les salaires du 10 octobre 1997, au cours de laquelle fut annoncée
la mise en place des " 35 heures ", précisaient :
" après avoir augmenté sur la période 1970-1984,
le coût relatif du travail peu qualifié a retrouvé, au
cours des années récentes, son niveau de 1970, sous l'effet
notamment de la réduction des charges sociales pesant sur les bas
salaires ".
Ils poursuivaient :
" la relative bonne
résistance de l'emploi, dans une conjoncture peu favorable,
résulte pour partie des premiers effets de la baisse du coût du
travail au voisinage du salaire minimum ".
Sans doute faut-il voir dans la création d'un fonds de financement
des allégements de charges sociales un ralliement, malgré tout
fort tardif, du Gouvernement aux thèses défendues par le
Sénat depuis de nombreuses années.
A cet égard, il convient de souligner que les cotisations patronales ne
font pas l'objet d'une véritable " réforme " comme le
laisse entendre l'intitulé du fonds de financement, leur assiette
n'étant pas modifiée.
b) Le financement des aides à la réduction du temps de travail
Notre
collègue Louis Souvet, rapporteur pour la commission des affaires
sociales du projet de loi relatif à la réduction
négociée du temps de travail, a estimé, dans son
rapport
25(
*
)
, que ce ralliement
tardif du Gouvernement aux allégements de charges sociales
résultait pour lui de la nécessité de
" sauver les
35 heures "
.
On ne saurait mieux dire !
La réduction autoritaire du temps de travail a en effet des
conséquences négatives sur la compétitivité des
entreprises.
Le coût de la loi du 13 juin 1998 (la " première " loi)
s'élève à
11,15 milliards de francs
sur
trois ans
, en prenant en considération les crédits inscrits
au budget de l'emploi au titre des aides accordées aux entreprises pour
les inciter à passer aux 35 heures, mais aussi des aides au conseil
à la réduction du temps de travail : 3 milliards de francs
en 1998, 3,7 milliards de francs en 1999 et 4,45 milliards de francs en
2000.
Notre collègue Louis Souvet, dans son rapport précité,
estimait qu'
" on peut seulement estimer que le coût d'un
emploi créé ou préservé est égal à
146.000 francs la première année ".
Il ajoute :
" ces estimations représentent un coût
élevé, compte tenu notamment de la nature des emplois
créés (75 % des emplois créés sont des emplois
d'ouvriers ou d'employés) ".
Or, la réduction du temps de travail va pénaliser la
compétitivité des entreprises.
Le Gouvernement le reconnaît d'ailleurs lui-même. Il écrit,
dans le rapport qu'il a déposé lors du débat d'orientation
budgétaire pour 2000 :
" un maintien du salaire mensuel
lors du passage de 39 heures à 35 heures pourrait conduire à une
hausse du coût horaire de 11,4 %. Pour préserver la
compétitivité des entreprises, des contreparties salariales sont
négociées dans le cadre de la réduction du temps de
travail ".
Face à cette situation, le Gouvernement a décidé
d'étendre le dispositif d'allégement des charges sociales
,
l'article 12 du projet de loi relatif à la réduction
négociée du temps de travail proposant un nouveau barème
d'exonérations de cotisations sociales, qui fusionne la " ristourne
dégressive " et les aides forfaitaires.
Il s'agit
d'étendre le dispositif d'allégement des charges sociales de 1,3
à 1,8 SMIC.
Le fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de
sécurité sociale
, dont la création est proposée
par le présent article,
prendra en charge cette extension de
l'allégement des charges sociales.
2. Un fonds de financement qui s'apparente à une débudgétisation
Le fonds
de financement de la réforme des cotisations patronales de
sécurité sociale aura un
statut d'établissement public
national à caractère administratif.
Il pourra donc faire
l'objet de contrôles par la Cour des comptes.
Ses règles de fonctionnement comme ses personnels relèveront d'un
statut de droit public.
Un décret en Conseil d'Etat doit fixer :
- la composition du conseil d'administration, qui sera constitué de
représentants de l'Etat ;
- la composition du conseil de surveillance, qui comprendra, notamment, des
membres du Parlement et des représentants des organisations syndicales
de salariés et des organisations d'employeurs les plus
représentatives au plan national ;
- les conditions de fonctionnement et de gestion du fonds.
Le statut du fonds de financement est semblable à celui du fonds de
solidarité vieillesse et à celui du fonds de financement de la
protection complémentaire de la couverture universelle du risque
maladie. En effet, comme ces deux fonds, le fonds de financement dont la
création est proposée par le présent article doit
gérer des transferts financiers entre l'Etat et les organismes sociaux.
Il est prévu que les frais d'assiette et de recouvrement des
impôts, droits, taxes et contributions mentionnés à
l'article qu'il est proposé d'insérer dans le code de la
sécurité sociale concernant les recettes du fonds, sont à
la charge dudit fonds, en proportion du produit qui lui est affecté.
Leur montant est fixé par arrêté conjoint des ministres
chargés du budget et de la sécurité sociale.
Par ailleurs, sont prévues des conventions entre le fonds de financement
et les organismes de protection sociale, d'une part, et le fonds de financement
et l'Etat, d'autre part, afin de régler leurs relations
financières respectives.
Ces conventions sont notamment destinées à garantir la
neutralité en trésorerie des flux financiers pour les organismes
de sécurité sociale. Il s'agit en effet d'éviter un
éventuel décalage entre le bénéfice de
l'exonération de cotisations patronales et sa compensation par le fonds.
Enfin, à titre transitoire, et jusqu'à la création
effective du fonds de financement, les ressources dudit fonds sont
versées à l'Agence centrale des organismes de
sécurité sociale (ACOSS) et centralisées par elle.