F. LES " CHANTIERS " LÉGISLATIFS

1. Un chantier interrompu : le texte sur la qualité sanitaire des denrées destinées à l'alimentation humaine ou animale.

La Commission des affaires économiques a proposé l'adoption de ce projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale les 18 et 19 février dernier, le 26 mars 1997 14( * ) . La dissolution de l'Assemblée nationale a suspendu l'examen de ce texte par le Sénat.

Votre rapporteur pour avis tient à en rappeler les grandes lignes.

Ce projet de loi était relatif à la qualité et à la salubrité des denrées destinées à l'alimentation humaine ou animale. Ces notions de qualité et de salubrité ne concernent ni la loyauté des transactions, qui relève du code de la consommation, ni les garanties officielles de qualité et d'origine, inscrites dans le projet de loi de codification du livre VI (nouveau) du code rural. Elles recouvrent, en fait, toutes les caractéristiques, tant physiques qu'organaleptiques, qui permettent d'assurer la sécurité alimentaire des consommateurs.

Ce texte, conçu avant le déclenchement de la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), intéressait ainsi l'ensemble de la chaîne alimentaire et portait sur tous les produits destinés à l'alimentation humaine ou animale, qu'ils soient d'origine animale ou végétale.

Parce que la qualité sanitaire de notre alimentation est d'ores et déjà reconnue, la France est, aujourd'hui, capable d'exporter ses produits dans le monde entier. Pour autant, c'est un domaine dans lequel s'impose une vigilance permanente, les filières étant de plus en plus longues, la circulation des produits s'effectuant à un rythme toujours plus rapide et leur hétérogénéité s'accentuant. Ainsi l'hygiène est l'affaire de tous : des pouvoirs publics, qui doivent contrôler les produits et les opérateurs ; mais aussi des professionnels, qui doivent être responsabilisés et placer l'hygiène en tête de leurs priorités.

Or, le dispositif législatif actuel ne permet pas une approche globale et coordonnée dans ce domaine. Par exemple, le contrôle de la qualité et de la salubrité alimentaire relève du code rural pour les produits animaux et du code de la consommation pur les produits végétaux, l'utilisation de médicaments vétérinaires du code de la santé publique, celle des matières fertilisantes de la loi du 13 juillet 1979.

Afin d'assurer cette sécurité alimentaire et de donner des moyens d'action supplémentaires pour intervenir encore plus rapidement en cas de risque, ce texte tendait d'abord à mettre en place un dispositif de contrôle unifié, cohérent et plus opérationnel. Il mettait en place, ensuite, un dispositif de contrôle de l'hygiène proprement dit par des mécanismes plus efficaces et mieux coordonnés en amont de la production, ainsi qu'à l'entrée de nos frontières.

Tout en reconnaissant au Gouvernement le droit de ne plus considérer ce texte comme une priorité, votre rapporteur pour avis n'en regrette pas moins son abandon, compte tenu de la nécessité d'assurer une qualité irréprochable en matière de denrées alimentaires.

2. La loi relative à la sécurité des produits

La proposition de loi présentée par MM. Charles Descours, Claude Huriet et plusieurs de leurs collègues avait pour objet de donner un prolongement législatif aux conclusions de la mission d'information de la commission des affaires sociales consacrées aux conditions du renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme 15( * ) .

L'état des lieux réalisé par la mission d'information de la commission des affaires sociales avait montré que " la multiplication des structures, la confusion des missions de contrôle et de gestion, la complexité de l'organisation, l'insuffisance de la réglementation et la dispersion des travaux nuisent à l'efficacité de l'organisation de sécurité et de veille sanitaire en France 16( * ) ".

Au terme de ce constat, la commission des affaires sociales a formulé des conclusions destinées à réformer l'action de l'Etat en matière sanitaire.

Votre commission avait émis au mois de septembre 1997 un avis 17( * ) favorable à l'adoption des conclusions de la commission des affaires sociales du Sénat.

Le texte a été adopté définitivement au mois de juin dernier après de longues discussions.

Il présente, sur le plan alimentaire, deux éléments importants. D'une part, la création d'une agence dédiée spécifiquement aux aliments sous la triple tutelle des ministères de l'agriculture, de la santé et de la consommation. Cet organisme peut demander au ministre de saisir les corps d'inspection de l'Etat. D'autre part, la publicité donnée à ses avis devrait ainsi éviter, comme le souhaitaient nos collègues Charles Descours et Claude Huriet, que ces demandes restent sans effet. En revanche, l'agence de sécurité sanitaire des aliments n'aura pas de contrôle direct sur les laboratoires publics intervenant dans son domaine. Elle pourra néanmoins demander le concours des laboratoires de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

Des laboratoires publics exerçant leur activité dans son domaine de compétence pourront lui être transférés par décret, ce qui lui donnera sur eux une autorité directe.

Comme l'a souligné notre collègue M. Claude Huriet, l'agence dispose d'une arme puissante : la publicité. Elle sera consultée sur tous les projets de texte législatifs et réglementaires de son domaine et ses avis seront eux aussi rendus publics. L'avenir de cette agence dépend donc de sa capacité à s'imposer, et donc éventuellement à réclamer un élargissement de ses tutelles .

Enfin, c'est le directeur de l'agence du médicament vétérinaire, et non le ministre, qui délivrera toutes les autorisations de mise sur le marché des médicaments vétérinaires. Ce qui signifie que ces autorisations seront données sur les seuls critères techniques d'innocuité du produit. Mais le ministre peut être amené à intervenir pour en restreindre l'utilisation pour des raisons commerciales, ou pour éviter des excès.

Gageons que la mise en oeuvre rapide de cette agence contribuera au renforcement de la qualité des produits alimentaires.

3. La loi sur les " 35 heures " en agriculture

Le projet de loi d'orientation et d'incitation à la réduction du temps de travail a été adopté définitivement par les députés le 19 mai dernier. Les modalités de mise en oeuvre restent à fixer par une deuxième loi avant la fin 1999. Il est, en effet, prévu par les Pouvoirs publics de donner la définition de l'environnement légal dans lequel s'inscrira le passage aux 35 heures fin 1999, après avoir réalisé un bilan des négociations engagées.

Au niveau du calendrier, les entreprises de plus de vingt salariés devront passer aux 35 heures dès le 1er janvier 2000. Les PME dont les effectifs ne dépassent pas 20 salariés ont jusqu'au 1er janvier 2002 pour le faire. Des aides sont prévues. Elles prendront la forme d'allégements de charges sociales. Si une entreprise réduit de 10% la durée du travail, embauche 6 % de salariés supplémentaires ou préserve 6 % des effectifs dans le cadre d'un plan social, elle aura droit à 9.000 francs par an pour chaque salarié en 1998, puis 8.000 francs courant 1999. Dégressive de 1.000 francs par an, cette aide se stabilisera à 5.000 francs la cinquième année. Si la réduction est de 15 % et les embauches de 9 %, l'aide sera portée à 13.000 francs.

Toutes les entreprises sont concernées par la baisse du temps de travail. Les entreprises agricoles aussi.

Votre rapporteur pour avis considère qu'il reste des zones d'ombre importantes à éclaircir pour les PME.

C'est le cas du SMIC. Jusqu'en 2000, il ne sera pas modifié. Les salariés dont l'entreprise passera aux 35 heures avant cette date continueront à toucher le SMIC. Cette compensation salariale intégrale pour les salariés payés au SMIC correspond en réalité à une augmentation du taux horaire de leur rémunération de 11,4 %. Qu'en sera-t-il pour les nouveaux embauchés sur la base des 35 heures ? Quelle sera l'évolution de cette garantie mensuelle ? Quels seront ses effets sur la rémunération des salariés à temps partiel et sur les paiements des heures supplémentaires entre la 36ème et 39ème ? Quid de l'annualisation du temps de travail et de la modulation du temps de travail ? 18( * )

Ces questions sont cruciales pour le secteur agricole qui embauche près de 90% des salariés agricoles au SMIC. En maraîchage, l'actualité récente a montré que la concurrence espagnole était particulièrement vive. L'augmentation des coûts dans ce contexte est difficilement supportable.

Le nombre de salariés agricoles s'élève à 140.700 et les employeurs de main d'oeuvre totalisent 66.000 personnes, soit un peu plus de deux permanents par chef d'exploitation. Un rapide calcul s'impose. En prenant pour hypothèse la moyenne de deux personnes par exploitation, la perception de l'aide financière liée au passage aux 35 heures suppose d'augmenter l'effectif de 6 % avec une baisse de 10 % de la durée du travail. Il s'agit donc d'engager une personne pour 4,2 heures de travail hebdomadaire ou 12 % de la durée légale du travail fixé à 35 heures. Même si la loi permet d'avoir recours aux groupements d'employeurs, cette arithmétique va singulièrement compliquer la situation des employeurs.

Pour répondre à ces interrogations, il est prévu une période de négociations dont les accords inspireront la deuxième loi prévue fin 1999. Déjà, la situation des entreprises est disparate.

Dans le secteur agricole, depuis le 15 octobre 1997, la FNSEA a décidé de rompre le dialogue à la suite de la conférence nationale sur l'emploi, qui s'est déroulée le 10 octobre 1997. S'il faut payer 35 heures 39, " tous nos producteurs de fruits et légumes devront fermer leurs portes " estimait la FNSEA au lendemain de la conférence. La Fédération ne voyait pas, dans ces conditions, l'intérêt de participer à des discussions ultérieures sur le sujet avec le ministre de l'agriculture. La position de la Confédération nationale de la mutualité, de la coopération et de crédit agricoles (CNMCCA), participant également à la conférence était de regretter que " les pouvoirs publics aient décidé d'imposer des mesures qui ne tiennent pas compter des réalités économiques " tout en affirmant son " attachement à des démarches concertées de long terme et son refus de brusques changements imposés, perturbants pour les organisations et défavorables à l'emploi ".

Malgré les réticences de la profession agricole, certaines coopératives ont déjà franchi le cap des 35 heures. Préférant devancer des mesures qui bientôt allaient devenir obligatoires, elles ont décidé d'appliquer les dispositifs prévus dans la loi Robien.

Rappelons que tous secteurs confondus, la loi Robien aurait permis la création de 25.000 emplois et 17.000 suppressions de postes auraient été évitées. Loin d'être une solution miracle comme elle l'a été souvent présentée, la diminution du temps de travail est une solution parmi d'autres. Reste à tenir compte des spécificités de chaque entreprise. L'organisation du travail dans l'agriculture comme dans le commerce nécessite plus de souplesse que dans l'industrie. Le passage de la loi sur les 35 heures ne peut pas se faire en force . Il reste du temps pour négocier. La deuxième loi donnant le cadre juridique aux 35 heures reposera sur le bilan de ces avancées.

4. La nouvelle responsabilité sans faute en matière de produits défectueux

L'adoption de la loi du 19 mai 1998, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux était urgente. La France s'était engagée à intégrer la directive communautaire. Conformément aux recommandations de la directive européenne, cette loi du 19 mai introduit en droit français un régime spécial de responsabilité du producteur pour les dommages causés par un produit défectueux 19( * ) .

Cette nouvelle responsabilité du producteur pour les dommages causés par un produit défectueux est une responsabilité objective, sans faute prouvée, dont la mise en oeuvre est par conséquent simplifiée. Ce nouveau régime se cumule avec les régimes de responsabilités existants, laissant ainsi à la victime le plus large choix pour intenter une action en réparation. Plus précisément, concernant la garantie des défauts de la chose vendue, ce nouveau régime de réparation s'ajouter à celui de la garantie des vices cachés qui demeure inchangé.

a) Le producteur responsable

Est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première et le fabricant d'une partie composante. Lorsque le dommage a pour origine le défaut d'un produit incorporé dans un autre, le producteur de la partie composante et celui ayant réalisé l'incorporation sont solidairement responsables. Cette solution est favorable à la victime car le fabricant de la partie composante et celui qui a réalisé l'incorporation étant tenus pour le tout à son égard, elle n'a pas à rechercher la part de responsabilité de chacun afin d'obtenir réparation intégrale.

Afin de faciliter l'identification du responsable par la victime, sont assimilés à des producteurs :

- le professionnel qui se présente comme un producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou tout autre signe distinctif ;

- le professionnel qui importe un produit dans la Communauté européenne en vue d'une vente, d'une location avec ou sans promesse de vente ou de toute autre forme de distribution.

La responsabilité du fait des produits défectueux est étendue au vendeur, au loueur et à tout autre fournisseur professionnel. Il appartient à la victime d'assigner indifféremment le producteur ou le fournisseur sur le fondement de la responsabilité du fait du défaut du produit. En ne retenant aucune hiérarchisation des responsabilités, on évite à la victime de rechercher la personne qu'elle doit assigner. Cette absence de hiérarchisation des responsabilités est toutefois tempérée par la possibilité offerte aux fournisseurs d'exercer un recours en garantie contre le producteur, sans avoir à prouver une faute de celui-ci.

b) Le produit défectueux

L'application du nouveau régime de responsabilité du producteur suppose un produit présentant un défaut de sécurité lors de sa mise en circulation. Le nouvel article 1386-3 du Code civil retient une définition large du terme " produit ". Un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Cette sécurité s'apprécie compte tenu de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation. Mais un produit ne saurait être considéré comme défectueux du seul fait qu'un produit, plus perfectionné, a été mis en circulation postérieurement à sa propre mise en circulation.

Le défaut de sécurité du produit s'apprécie au moment de sa mise en circulation.

c) Le dommage réparable et l'action en réparation de la victime

Il s'agit des dommages qui résultent d'une atteinte à la personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même. S'agissant du dommage causé à un bien, le texte n'opère aucune distinction selon que ce bien est destiné à un usage privé ou professionnel.

Sauf faute du producteur, la responsabilité de celui-ci du fait du défaut de son produit est éteinte dix ans après la mise en circulation du produit même qui a causé le dommage, à moins que, durant cette période, la victime n'ait engagé une action en justice.

La victime est dispensée de rapporter la preuve d'une faute imputable au producteur. Celui-ci est présumé responsable du défaut de sécurité de son produit. Néanmoins, en sa qualité de demandeur à l'action en réparation, il appartient à la victime d'établir le dommage, le défaut de sécurité du produit et le lien de causalité entre le défaut et le dommage. L'action fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.

Le loi refuse toute dérogation en ce qui concerne ces produits et écarte l'exception envisagée par la directive européenne pour les matières premières agricoles et les produits de la chasse.

L'application du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux aux produits de l'agriculture, de la chasse et de la pêche est conforme à la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation, laquelle étend les règles strictes de la garantie du vendeur professionnel aux défauts de tous les produits, qu'ils soient naturels ou manufacturés. Cette solution présente de nombreux avantages. Elle rend inutile toute distinction entre les matières premières agricoles selon qu'elles ont fait ou non l'objet de transformation et évite d'avoir à résoudre les problèmes qui pourraient résulter d'une rupture de la chaîne d'élaboration des produits agro-alimentaires.

5. Le projet de loi d'orientation agricole

Composé de plus de 60 articles, ce texte a pour ambition, d'une part, de redéfinir les objectifs de la politique agricole française en consacrant ses fonctions économique, sociale et environnementale dans le cadre d'un développement durable et équilibré et, d'autre part, de mettre en oeuvre " des moyens modernes de gestion de l'intervention publique ".

Il fait suite au projet de loi 20( * ) présenté par le précédent ministre de l'agriculture, M. Philippe Vasseur, lequel souhaitait doter l'agriculture française pour les vingt prochaines années des instruments appropriés pour répondre aux défis du XXIe siècle en établissant un nouveau " pacte entre la Nation et ses paysans ".

Le Président de la République avait annoncé, lors du cinquantenaire de la FNSEA le 14 mars 1996, l'élaboration d'un projet de loi d'orientation agricole.

Le 19 juin 1997, M. Lionel Jospin, Premier Ministre, avait souhaité, dans son discours de politique générale, conduire les travaux nécessaires à l'élaboration d'une loi d'orientation. M. Louis Le Pensec avait d'ailleurs, à cette époque, exprimé " son souhait de valoriser le travail réalisé par les organisations professionnelles, s'inscrivant ainsi dans une certaine continuité ". Ce texte a été soumis à concertation avec les professionnels depuis le mois de septembre 1997. Une chose est en effet d'exposer les indispensables évolutions de la politique agricole qu'imposent les modifications profondes de l'environnement international et communautaire, une autre chose est de leur trouver une traduction législative.

Ayant présenté son avant-projet en janvier 1998, le Gouvernement a transmis pour avis ce texte au Conseil économique et social, qui s'est prononcé le 27 mai dernier sur le rapport de Mme Christiane Lambert. La Commission de la Production et des Echanges a examiné ce projet de loi en juillet dernier 21( * ) . L'Assemblée nationale en a débattu en octobre dernier.

La Commission des affaires économiques procède actuellement à des auditions sur ce texte qui devrait être examiné dans les semaines à venir par votre Haute Assemblée.

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