CHAPITRE PREMIER - LES LIGNES DIRECTRICES DU BUDGET DE LA DÉFENSE POUR 1997
Présenté devant le Parlement moins de trois mois après l'adoption de la loi du 2 juillet 1996 relative à la programmation militaire pour les années 1997 à 2002, le projet de budget de la Défense pour 1997 s'inscrit très exactement dans le cadre défini par cette loi. Il se conforme, pour la première année d'application, à la programmation de l'ensemble des moyens humains et financiers des armées telle qu'elle a été arrêtée pour les six prochaines années.
Aussi les mesures contenues dans ce projet de budget ne sont-elles que la conséquence des choix effectués lors de la loi de programmation afin d'adapter notre défense à l'évolution stratégique et à la situation des finances publiques.
Après avoir présenté les grandes lignes du budget de la défense, votre rapporteur retracera l'évolution générale des crédits des services communs, c'est-à-dire de ceux qui ne relèvent pas des trois armées ni de la gendarmerie.
I. UN BUDGET QUI DÉCOULE DE LA LOI DE PROGRAMMATION
Par rapport aux budgets précédents, le projet de budget de la défense pour 1997 s'inscrit dans un contexte profondément modifié. Doté de crédits sensiblement équivalents à ceux prévus, en loi de finances initiale, pour 1996, il met en oeuvre la première étape des grandes transformations qui doivent aboutir à un nouveau modèle d'armée : la professionnalisation, la réduction du format, les restructurations militaires et industrielles.
A. UN BUDGET ÉLABORÉ SUR DES BASES NOUVELLES
1. Les orientations : une réforme globale et planifiée de notre système de défense
Les réflexions engagées depuis juillet 1995 au sein du comité stratégique puis de différents conseils de défense ont débouché, au cours de l'année 1996, sur une révision d'ensemble de notre politique de défense.
La loi de programmation adoptée en juillet dernier se distingue des précédentes parce qu'elle s'appuie sur une planification à long terme des mutations profondes qui seront nécessaires pour atteindre à l'horizon 2015 un nouveau modèle d'armée. Elle ne constitue donc que la première étape d'une refonte très importante de l'appareil de défense qui touchera aussi bien les forces nucléaires que les forces classiques, les personnels des armées que les équipements et les industries de défense.
On peut donc considérer que sauf à s'écarter de l'objectif, les budgets de la défense des prochaines années seront très largement conditionnés par les grandes orientations définies par cette planification à long terme :
. la dissuasion demeure un élément fondamental de notre système de défense mais sera adaptée au nouveau contexte stratégique, la composante terrestre étant abandonnée et les programmes de simulation devant permettre de faire face à l'arrêt définitif des essais,
. les armées seront professionnalisées, leur format réduit de 25 % environ et leurs capacités de prévention et de projection seront privilégiées
. les équipements militaires seront modernisés dans le respect des contraintes financières,
. les industries de défense seront restructurées.
Sur le plan des moyens de fonctionnement, ces orientations se traduisent par la suppression du service militaire sous sa forme actuelle et par la réduction progressive du nombre d'appelés, le recrutement de militaires du rang engagés et de personnels civils et la déflation du nombre de sous-officiers. Les budgets successifs devront donc mettre en oeuvre une nouvelle politique de recrutement tout en favorisant le départ de certains personnels et en accompagnant les restructurations d'unités.
En ce qui concerne les crédits d'équipement, il s'agira de réussir l'adaptation des industries d'armement afin de dégager des économies sur les programmes et de respecter les échéanciers.
2. Une enveloppe financière programmée pour les six prochaines années
La loi de programmation fixe à 185 milliards de francs 1995 par an le montant des crédits, hors pensions, affectés à la Défense pour les six prochaines années.
Cette enveloppe sera actualisée chaque année en fonction de l'indice des prix hors tabac retenu pour l'élaboration du budget de l'Etat. Elle s'entend en termes de crédits budgétaires, c'est-à-dire de crédits votés lors de lois de finances initiales, et non de crédits disponibles qui incluent les recettes de fonds de concours et les reports.
L'enveloppe englobe l'ensemble des crédits de fonctionnement et d'équipement des armées, hors pensions et à l'exception du financement des formes civiles du volontariat, de la contribution du ministère de la défense au budget civil de recherche et du développement, des crédits de reconversion des bassins d'emploi et des sommes nécessaires à la recapitalisation des entreprises publiques de défense.
Le niveau des crédits (185 milliards de francs 1995) représente une réduction de l'ordre de 20 milliards de francs par rapport aux prévisions de la précédente programmation. Cette réduction porte essentiellement sur les crédits d'équipement, fixés à 86 milliards de francs 1995 pour toute la durée de la programmation, alors que les crédits de fonctionnement, fixés à 99 milliards de francs 1995 restent quasiment inchangés.
Ce sont ainsi l'ensemble des crédits de la défense, tant en autorisations de programme qu'en crédits de paiement, ainsi que l'évolution précise des effectifs, qui sont programmés durant les six prochaines années selon un schéma global et cohérent .
B. LE PROJET DE BUDGET DE LA DÉFENSE POUR 1997
1. Les évolutions générales
Le projet de budget de la défense pour 1997 s'élève, pensions comprises, à 243,3 milliards de francs, soit une progression de 0,8 % par rapport au budget voté de 1996, identique à l'évolution de l'ensemble des budgets civils.
Hors pensions (52,4 milliards de francs), le budget s'établit à 190,9 milliards de francs, soit une augmentation de 0,7 % par rapport à 1996. Cette enveloppe correspond au montant de 185 milliards de francs 1995 actualisé par l'application de l'indice des prix hors tabac pour 1996 (1,6 %) et 1997 (1,6 %).
Conformément à la loi de programmation, ces 190,9 milliards de francs se répartissent entre le titre III à hauteur de 102,2 milliards de francs (+ 1,6 %) et les titres V et VI à hauteur de 88,7 milliards de francs (- 0,3 %).
Les effectifs du ministère diminuent de 4,3 % en 1997, passant de 573 081 à 548 508 (- 24 573), la réduction du nombre d'appelés (- 31 973), de sous-officiers (- 1 459) et de civils (- 872) étant en partie compensée par l'augmentation du nombre d'officiers (+ 67) et surtout de militaires du rang engagés (+ 7 664), dont la solde sera fortement revalorisée au 1er juin 1997.
L'évolution des crédits du titre III traduit les conséquences financières de cette politique de recrutement et des mesures d'aide au départ et à la mobilité des personnels civils et militaires, les crédits consacrés au paiement des rémunérations et charges sociales progressant de 3,9 % pour atteindre 77,7 milliards de francs alors que les moyens de fonctionnement diminueront de 5,3 % pour s'établir à 24,5 milliards de francs, en raison principalement de la dissolution d'unités et de la fermeture d'établissements liées à la réduction du format des armées.
Les dépenses en capital se montent à 88,7 milliards de francs pour 1997 et diminuent de 0,3 % par rapport à la loi de finances initiale pour 1996. Alors que le titre V bénéficie d'un transfert de plus de 1 milliard de francs du titre III pour les crédits d'entretien programmé du matériel et, pour plus de 700 millions de francs, de mesures d'accompagnement économique et social des restructurations militaires industrielles (646 millions de francs au titre du fonds pour l'adaptation industrielle et augmentation de 91 millions de francs des dotations du fonds pour les restructurations de la défense), les crédits consacrés aux programmes diminuent tout en permettant d'assurer la continuité de la dissuasion nucléaire, d'améliorer les capacités de cohérence interarmées (renseignement, commandement, communications) et de poursuivre la modernisation des forces classiques selon le calendrier arrêté par la loi de programmation.
2. Les observations de votre rapporteur : la nécessité de préserver la cohérence de la loi de programmation
Votre rapporteur observe tout d'abord que tant en matière de crédits que d'effectifs, le projet de budget pour 1997 respecte très exactement la première annuité de la loi de programmation. Il faut s'en féliciter même s'il n'était guère imaginable qu'il en soit autrement, trois mois à peine après l'adoption de cette loi. Ce projet de budget doit donc permettre d'entamer dans de bonnes conditions la première étape de la vaste réforme en profondeur définie au printemps dernier.
La transition entre deux modèles d'armée profondément différents nécessite une parfaite synchronisation entre la réalisation de la professionnalisation, la réduction du format et l'exécution des programmes d'équipement. La réussite de cette réforme repose donc sur le strict respect de la programmation , faute de quoi sa cohérence d'ensemble serait mise en péril.
Deux types d'aléas peuvent compromettre le bon déroulement dans le temps de cette entreprise :
. les aléas liés aux programmes
. les aléas liés à la variation des ressources budgétaires.
Les aléas liés aux programmes sont souvent considérés comme inévitables pour des raisons techniques. On peut seulement observer que compte tenu de l'importance des crédits du titre III, liée notamment à la mise en oeuvre la professionnalisation, la réduction des crédits du titre V a déjà nécessité des réductions de cibles et des échelonnements si bien que les dotations réservées aux programmes ont été calculées au plus juste. Les ajustements nécessaires ne pourront donc intervenir que grâce à une compression des coûts d'acquisition et aux gains de productivité dont on sait que le gouvernement attend une économie de 30 % à l'horizon 2002.
Les aléas liés à la variation des ressources budgétaires peuvent résulter quant à eux soit de charges nouvelles imputées au budget de la défense, soit de réductions de crédits dans le cadre de la régulation budgétaire.
S'agissant des charges supplémentaires , la question du financement des opérations extérieures fait l'objet d'un début de réponse sans que les incertitudes soient entièrement levées. Jusqu'à présent, le surcoût des opérations extérieures dans lesquelles nos armées étaient engagées était pour l'essentiel supporté par le budget du ministère de la défense, un remboursement intervenant en cours de gestion par décret d'avance ou loi de finances rectificative.
Dorénavant, et compte tenu des indications fournies par le gouvernement lors du débat sur la loi de programmation militaire, les opérations extérieures exceptionnelles obtiendront un financement spécifique, alors que les opérations extérieures normales resteront financées par les crédits destinés aux activités courantes des armées. La distinction entre opérations normales et opérations exceptionnelles sera effectuée au cas par cas par le gouvernement avec l'accord du Président de la République sans pour autant que les critères de classement et les modalités précises de financement ne soient pour le moment arrêtés.
D'après les indications fournies à votre rapporteur, le principe de la prise en charge par une source de financement extérieure d'une partie de ces opérations aurait été admis en contrepartie d'un effort en vue de réduire leur coût global et de l'affectation des recettes de fonds de concours.
Quoi qu'il en soit, la prise en charge des opérations extérieures , dont le surcoût pour 1996 est estimé à plus de 5 milliards de francs, devra nécessairement trouver une solution satisfaisante si l'on souhaite éviter qu'elle affecte gravement le déroulement de la loi de programmation.
Le projet de budget pour 1997 offre malheureusement un autre exemple de charges nouvelles imputées au budget de la défense puisque le titre III doit prendre en charge une dépense supplémentaire de 1 milliard de francs, non prévue par la loi de programmation et représentant une augmentation de 706 millions de F de la contribution du ministère à la part patronale des cotisations sociales (soit une augmentation de près de 17 % de la dotation de 1996) et un transfert de 293 millions de F, en provenance du budget des charges communes, correspondant aux frais d'affranchissement du courrier interadministratif précédemment admis en franchise postale.
Sans contester le bien-fondé de la prise en charge, par le budget de la défense, de ces dépenses, on doit constater que cette opération a déjà légèrement mis à mal l'exécution de la loi de programmation puisque l'enveloppe prévue pour le titre III étant constante, il a fallu opérer du titre III vers le titre V un transfert de charge de 1 milliard de F de dépenses d'entretien programmé des matériels , transfert qui s'est concrètement traduit par une réduction à due concurrence des crédits destinés aux études, aux développements et aux fabrications, c'est-à-dire en définitive à la poursuite des programmes.
Il est évident que tout transfert de charges de même type qui interviendrait ultérieurement, sans que le niveau des crédits prévus par la loi de programmation soit revu, se traduirait par une réduction des crédits d'équipement et un affaiblissement de la cohérence de la réforme.
On ne peut enfin que rappeler le risque que laissent planer sur le bon déroulement de la réforme les régulations budgétaires.
Dans son rapport sur l'exécution de la loi de finances pour 1995, la Cour des comptes a relevé la part prépondérante du budget d'investissement de la défense dans la régulation budgétaire de 1995.
Le budget de la défense a représenté les 2/5e des annulations de crédits, le budget d'investissement remplissant donc de fait, observe la Cour des comptes, « une fonction d'ajustement pour la réalisation de l'objectif de solde budgétaire que se fixe le gouvernement ».
En 1995, les annulations en crédits sur les titres V et VI (11,9 milliards de francs) ont dépassé de 7 milliards de francs les ouvertures de crédits de fonctionnement décidées en cours d'année au titre des opérations extérieures.
De plus, les crédits considérables de reports de la gestion 1994 ont été mis à la disposition du ministère de la défense si tardivement qu'ils étaient inemployables dans les faits.
Enfin, on estime à plus de 400 millions de francs le montant des intérêts moratoires à la charge de la défense en 1995 du fait de l'étalement des paiements provoqué par la régulation budgétaire. Une telle dérive ne peut évidemment être tolérée.
La gestion 1996 sedéroule elle aussi dans des conditions préoccupantes.
Les annulations de crédits se sont élevées à 6,4 milliards de francs dont 3,7 milliards de francs en début d'année (recapitalisation de GIAT-Industries) qui ont pu être pris en compte dans la préparation de la loi de programmation militaire, 2,7 milliards de francs étant consacrés au remboursement des frais relatifs aux opérations extérieures. Les crédits de report en provenance de la gestion 1995 ont été rattachés dès le mois de juillet au budget de la défense, mais ils ne pourront pour autant être totalement consommés avant la fin de l'exercice.
D'autre part, un prélèvement de 2 milliards de francs doit être opéré en faveur de la recherche duale sur les reports qui seront constatés sur la gestion 1996.
Au total, votre rapporteur considère qu'il est essentiel que la gestion de l'exercice 1996 puisse s'achever dans de bonnes conditions, c'est-à-dire sans nouvelle annulation de crédits, afin qu'aucun report de charges ne vienne fausser les bases du budget 1997.
Pour 1997, on ne saurait accepter que se renouvelle ce que la Cour des comptes, en référence à la gestion de 1995, a qualifié de « mise sous tutelle tout au long de l'année de la gestion budgétaire du ministère de la défense », avec toutes les perturbations que cela entraîne : remise en cause des calendriers des programmes, désorganisation de la gestion, intérêts moratoires.
On voit mal par ailleurs comment l'adaptation indispensable de notre système de défense pourrait être menée à bien si, à partir de 1997, les dotations d'équipement de la défense restent considérées comme de simples variables d'ajustement du budget de l'Etat.
Le Sénat avait obtenu sur ce point, lors du débat de programmation, des assurances très claires du ministre de la Défense, ce dernier ayant insisté sur le soin avec lequel la Présidence de la République entend veiller au respect de la loi de programmation.