III. L'ACTION EN FAVEUR DES PERSONNELS PÉNITENTIAIRES

A. LES PROBLÈMES LIES AUX PERSONNELS

1. Un taux d'encadrement insuffisant

Le tableau précédent décrit la répartition des effectifs du personnel pénitentiaire au 1er août dernier.

Compte tenu des 102 254 condamnés pris en charge par le milieu ouvert au 1er janvier 1995, chaque agent de probation suivait en moyenne 114 personnes.

En milieu fermé, compte tenu des 58 170 détenus au 1er juillet 1995, chaque agent surveillait en moyenne 2,5 personnes, soit un taux d'encadrement de 32,4 surveillants pour 100 détenus. Or, selon une étude menée en juin 1994, ce taux place la France parmi les pays à faible encadrement, juste devant des pays comme l'Estonie (25,2) ou la République Tchèque (21,7).

Les pays à taux moyen d'encadrement sont l'Autriche (41,5), l'Allemagne (43,5) et le Royaume-Uni (55,6).

Enfin, parmi les pays à fort taux d'encadrement, on citera notamment les Pays-Bas (64), la Suède (69,8), l'Italie (74,1) et l'Irlande (110,7).

2. Les conflits sociaux

L'administration pénitentiaire a connu 6 conflits sociaux depuis 1988.

Ces conflits expriment pour l'essentiel le malaise du personnel pénitentiaire face à un métier difficile à exercer sans pour autant bénéficier d'une reconnaissance sociale suffisante.

Les revendications des organisations syndicales portent sur la demande d'alignement des mesures statutaires, indiciaires, indemnitaires et de régime de retraite sur celles dont bénéficient les fonctionnaires de la police nationale ainsi que sur la création d'emplois en nombre suffisant.

Le dernier conflit, l'un des plus longs qu'ait connu l'administration pénitentiaire, s'est déroulé entre le 7 novembre 1994 et le 9 janvier 1995.

Dès l'automne 1994, les organisations syndicales ont fait savoir qu'elles attendaient avec intérêt l'annonce du projet de loi de finances pour 1995. Son contenu, pourtant significatif en période de récession budgétaire (création de 550 emplois, mesures indemnitaires et statutaires non négligeables), n'a pas paru satisfaisant.

Groupés en une entente syndicale, 12 syndicats pénitentiaires ont diffusé le 19 octobre 1994 une plate-forme de revendications qui portent notamment sur la création d'emplois supplémentaires, l'amélioration des régimes de retraite, des revalorisations indiciaires et indemnitaires, le cadre actif pour tous et un régime indemnitaire identique à celui des autres personnels pénitentiaires pour les personnels administratifs.

B. LA RECHERCHE DE SOLUTIONS PAR L'ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

1. La politique active de recrutement

Dans le cadre de la mise en oeuvre du programme pluriannuel pour la justice, le projet de loi de finances prévoit la création de 500 emplois répartis comme suit :

- 370 pour le renforcement de l'encadrement des détenus ;

- 130 pour l'accroissement des capacités de prise en charge en milieu ouvert.

Doivent s'y ajouter 230 emplois pour l'ouverture des établissements de Baie Mahault (Guadeloupe) et de Ducos (Martinique).

En outre, compte tenu de la prise en charge de la santé des détenus par le secteur hospitalier, des infirmiers sont détachés, auprès des services de soins au fur et à mesure de la passation des protocoles d'accord entre chaque établissement pénitentiaire et son hôpital de rattachement.

2. Des efforts financiers en faveur du personnel pénitentiaire

Le conflit de la fin de l'année 1994 a conduit à l'adoption d'un protocole d'accord que sept organisations syndicales ont accepté de signer le 18 janvier 1995.

Outre des recrutements nouveaux, ce protocole prévoit notamment :

- la revalorisation de l'indemnité horaire pour travail des dimanches et jours fériés. Celle-ci passe donc de 14,62 F à 17,30 F ;

- l'augmentation de la prime de surveillance de nuit ;

- la création d'une nouvelle indemnité pour charges pénitentiaires qui sera servie selon deux taux : soit un taux de base (800 F) à l'ensemble des membres des personnels de surveillance, administratif et technique de l'administration pénitentiaire, soit un taux majoré (2 400 F) lorsque ces mêmes personnels occupent un des emplois figurant sur arrêté conjoint du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, du Ministre de la Fonction Publique et du Ministre de l'Économie et des Finances.

Au-delà de ce protocole, le Gouvernement a souhaité répondre à une très ancienne revendication des personnels de surveillance. Ceux-ci demandaient en effet à bénéficier de la « bonification du cinquième » dont jouissent depuis 1957 d'autres corps, à l'instar des policiers ou des gendarmes. Cette mesure vise à tenir compte des conditions particulièrement difficiles de l'exercice de certaines missions en accordant une bonification d'une annuité pour cinq années de service effectif, dans la limite de cinq annuités. Ce mécanisme permet d'abaisser la limite d'âge de 60 à 55 ans et le droit d'ouverture à pension avec bénéfice immédiat de 55 à 50 ans.

Le bénéfice de la « bonification du cinquième » entrera en vigueur progressivement et fonctionnera pleinement au 1er janvier 2000.

Les conséquences financières de cette mesure sont assez difficiles à évaluer avec précision car au coût brut (que le Garde des Sceaux a estimé devant votre commission des Lois à environ 100 millions de francs sur la période 1996-2000) doivent être retranchées certaines sommes, et notamment les économies liées à l'évolution du GVT (glissement-vieillesse-technicité). Le remplacement de personnels de plus de 50 ans par des effectifs plus jeunes devrait en effet entraîner une réduction de la masse salariale. Nos excellents collègues Robert Badinter et Michel Dreyfus-Schmidt ont légitimement souhaité connaître avec précision le coût réel de cette bonification. Selon les informations fournies à votre rapporteur pour avis, le coût net supplémentaire pour le budget de l'État de cette mesure serait de l'ordre de 2 millions de francs pour 1996, de 2,3 millions pour 1997, de 4,9 millions pour 1998, de 7,3 millions pour 1999 et de 9,9 millions pour l'an 2000. Votre rapporteur pour avis demandera au Gouvernement de lui confirmer ces évaluations en séance publique.

Lors de l'audition du Garde des Sceaux par votre commission des Lois, M. le Président Jacques Larché s'est interrogé sur l'opportunité d'abaisser de cinq années l'âge du départ à la retraite de certains personnels dans un contexte de recherche d'une réduction des déficits sociaux. M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice, a estimé que l'extension de la « bonification du cinquième » aurait dû être décidée depuis longtemps, dans la mesure où elle traduit un souci déjà ancien du législateur de tenir compte des difficultés d'exercice de certaines missions.

Votre commission des Lois se félicite des efforts entrepris en faveur de l'administration pénitentiaire, non seulement sur le plan financier -dans un contexte de réduction du déficit budgétaire- mais également par l'adoption de mesures législatives ou réglementaires destinées à assurer une meilleure prise en charge des délinquants.

Elle constate néanmoins que ces efforts, quoique substantiels, ne suffisent pas à répondre aux défis auxquels est confronté le service public pénitentiaire et doivent en conséquence être poursuivis, voire renforcés.

A cette fin, certaines réflexions lui paraissent devoir être approfondies. Elles concernent notamment les mesures alternatives à l'emprisonnement. Dans la loi de programme du 6 janvier 1995, le législateur a expressément souligné que « pour prévenir la récidive, la politique pénale ne peut pas être uniquement fondée sur la mise en détention ». Dans son rapport de mission précité, notre excellent collègue Guy Cabanel a bien noté que, « à l'exception du sursis, dont le caractère de sanction n'est que fort rarement perçu comme tel par le condamné, le prononcé des alternatives à l'incarcération demeure encore trop rare en comparaison avec d'autres pays européens. Ainsi, (...) pour 100 peines d'emprisonnement ferme, les juridictions françaises n'ont prononcé en 1990 que 14 TIG (69 en Angleterre, 37 en Ecosse), 4 peines de jour-amende (751 en Autriche, 451 en Finlande, 143 en Suède, 110 au Portugal) et 12 dispenses de peine (223 en Irlande du Nord, 205 en Angleterre). L'indice relatif à l'ajournement du prononcé de la peine est quasiment nul alors qu'il s'élève à 78 en République tchèque, à 33 au Danemark et à 15 en Autriche. ».

Sans se prononcer sur le fond, votre commission des Lois appelle de ses voeux la poursuite de la réflexion de notre collègue Cabanel, notamment sur les points suivants.

1. L'extension de la panoplie des mesures alternatives à l'emprisonnement.

Sur ce point, votre commission des Lois apporte une attention toute particulière aux suites susceptibles d'être données aux développements sur l'assignation à domicile sous surveillance électronique.

2. L'extension du champ d'application de mesures existantes.

Votre commission des Lois regrette notamment une sous-utilisation de l'article D 49-1 du code de procédure pénale prévoyant la communication par le ministère public au juge de l'application des peines (JAP) d'un extrait de la décision de condamnation lorsque la peine inférieure ou égale à six mois d'emprisonnement, concerne une personne non incarcérée. Cette disposition, qui permet à ce magistrat de déterminer les modalités d'exécution de la peine en considération de la situation du condamné, n'est en effet utilisée que dans 13 % des cas.

3. La restauration de la crédibilité des mesures de substitution à emprisonnement afin d'inciter les magistrats à prononcer davantage de telles mesures.

Ainsi, les réflexions engagées par M. Cabanel sur l'organisation des CPAL méritent d'être poursuivies afin d'assurer une meilleure prise en charge des condamnés en milieu ouvert.

4. L'extension des compétences du juge de l'application des peines.

Sur ce point, deux questions évoquées par notre collègue Cabanel ont particulièrement retenu l'attention de votre commission des Lois :

- consacrer la faculté pour le JAP de mettre fin à un sursis avec mise à l'épreuve à l'issue d'une certaine durée d'exécution (fixée à un an par l'Inspection Générale des Services Judiciaires) lorsque le reclassement du probationnaire paraît acquis. Elle permettrait d'une part, d'alléger sensiblement la tâche des CPAL (pour lesquels le suivi des 95 000 délinquants condamnés à un sursis avec mise à l'épreuve représente 75 % des interventions) et, d'autre part, d'inciter le condamné à des efforts dans l'exécution de sa peine ;

- confier au JAP le soin de dispenser de peine une personne ayant bénéficié d'une décision d'ajournement du prononcé de la peine. L'ajournement du prononcé de la peine ne représente que 0,5 % des dossiers suivis par les CPAL (574 personnes au 1er janvier 1993) et ce, alors même qu'il apparaît comme bien adapté à la petite délinquance dans la mesure où, tout en permettant d'éviter l'incarcération, il génère chez le condamné la prise de conscience d'avoir violé la loi et peut contribuer à assurer la réparation du dommage subi par la victime. Une raison essentielle du recours exceptionnel à cette solution tient à la nécessité, pour la juridiction de jugement, de tenir deux audiences : l'une pour les décisions sur la culpabilité et l'autre, après mise à l'épreuve du délinquant, pour la décision sur la peine ou sur sa dispense. La voie explorée par M. Cabanel, consistant à permettre au JAP de prononcer la dispense de peine si le probationnaire a satisfait à ses obligations, et donc à éviter cette double audience pour une même affaire, serait de nature à inciter les juridictions de jugement à prononcer davantage cette mesure.

Votre commission des Lois observe néanmoins que tout débat sur l'extension des compétences du JAP poserait inéluctablement le problème de la nature de ses décisions, lesquelles sont en principe des mesures d'administration judiciaire (article 733-1 du code de procédure pénale). La « judiciarisation » de leurs décisions figure d'ailleurs en première place parmi les revendications de l'association nationale des JAP.

5. Les limitations du recours à la détention provisoire.

Votre commission des Lois approuve le souci du Garde des Sceaux de limiter, autant que faire se peut, le recours à la détention provisoire. Sur ce point, certaines pistes évoquées par celui-ci lors de son audition par votre commission ont retenu toute son attention. Il en est par exemple ainsi des améliorations du mécanisme du « référé-liberté », notamment en permettant au président de la chambre d'accusation de prononcer dans ce cadre une mesure de contrôle judiciaire, lui permettant dès lors de sortir de l'alternative maintien en détention-mise en liberté.

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des Lois a émis un avis favorable aux crédits consacrés à l'administration pénitentiaire par le projet de loi de finances pour 1996.

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