III. UN BUDGET QUI TRADUIT LE SUIVI DES DÉCISIONS PRISES EN FAVEUR DES RAPATRIES EXERÇANT UNE ACTIVITÉ INDÉPENDANTE ET DES ANCIENS MEMBRES DES FORMATIONS SUPPLÉTIVES EN ALGÉRIE
Le renforcement de l'activité des commissions départementales d'aide aux rapatriés réinstallés (CODAIR) ainsi que la mise en application de la loi du 11 juin 1994 en faveur des anciens supplétifs et de leur famille constituent les éléments nouveaux de l'action du Gouvernement.
A. L'ACTION DES CODAIR EN FAVEUR DES RAPATRIES NON SALARIES
Pour permettre aux agriculteurs, aux commerçants et aux artisans rapatriés d'Algérie de reconstituer en France des entreprises ou des exploitations comparables à celles qu'ils avaient dû abandonner, les prêts dits de reclassement ou de réinstallation, à taux bonifié, ont été mis en place par la loi du 26 décembre 1961 et le décret du 10 mars 1962.
Toutefois, les rapatriés ont été dans l'obligation, notamment pour pouvoir acquérir des exploitations agricoles dans les zones d'accueil qui leur étaient réservées, de contracter des prêts complémentaires importants aux conditions du marché.
Les mesures prises depuis 1977 pour remédier à la situation de surendettement de nombreux rapatriés exerçant une activité indépendante n'ont pu apporter de réponse aux cas les plus complexes qui appellent maintenant un traitement plus individualisé.
1. Les mesures prises depuis 1977 pour faire face aux situations de surendettement
Tout d'abord, le Gouvernement a mis en place des opérations partielles de remise des dettes de réinstallation. Ainsi, le décret du 26 septembre 1977 a-t-il permis d'effacer 62 millions de francs de dettes et la loi du 6 janvier 1982 de porter annulation de prêts à hauteur de 500 millions de francs. La loi du 16 juillet 1987 a ouvert une procédure d'effacement des prêts de réinstallation consentis par des établissements conventionnés par l'État et des prêts complémentaires à la réinstallation en intégrant les prêts à l'amélioration de l'habitat principal situé sur l'exploitation. Ces mesures de remise de prêt n'ont toutefois porté que sur une partie de l'endettement total des rapatriés concernés.
Ensuite, pour faire face à la situation des rapatriés dont l'exploitation se heurtait à de graves difficultés économiques et financières, la loi du 16 juillet 1987 a prévu une mesure d'aide à la consolidation des dettes contractées avant le 31 décembre 1985. Après examen du dossier par les commissions départementales du passif des rapatriés (CODEPRA), des prêts bonifiés sur 15 ou 20 ans, garantis le cas échéant par l'État, ont été consentis pour consolider les arriérés de cotisations sociales, les dettes aux fournisseurs et les encours bancaires non éligibles aux mesures de remise de prêts, à l'exclusion des dettes fiscales.
Enfin, pour conforter le dispositif, diverses mesures de suspension des poursuites ont été reconduites depuis le décret du 6 septembre 1977 et la loi du 6 janvier 1982, afin de laisser notamment aux CODEPRA le temps d'examiner les dossiers et de protéger les rapatriés contre d'éventuelles poursuites de leurs créanciers durant la période transitoire.
Le texte de référence en la matière est l'article 67 de la loi du 13 janvier 1989 qui institue la suspension de plein droit de toutes les poursuites dont les rapatriés réinstallés étaient susceptibles d'être l'objet dès lors qu'ils ont déposé un dossier de demande de prêt de consolidation dans le cadre de la loi du 16 juillet 1987.
La dernière mesure applicable en ce domaine résulte de l'article 22 de la loi du 31 décembre 1993 relative à la Banque de France, à l'assurance, au crédit et aux marchés financiers qui proroge jusqu'au 31 décembre 1995 le dispositif de suspension des poursuites pour les rapatriés qui ont déposé un dossier en vue de la consolidation de leurs dettes en l'étendant, de surcroît, aux rapatriés pour lesquels une demande de remise de dettes n'a pas fait l'objet de décision définitive au 31 octobre 1993.
Les procédures judiciaires suspendues sont les actions en justice, les voies d'exécution (ventes adjudicataires), les mesures conservatoires (saisies) et les procédures collectives (règlement judiciaire).
2. L'action individualisée des CODAIR
Malgré les diverses mesures déjà prises, un recensement effectué en mai 1993 a fait apparaître qu'il subsistait un nombre non négligeable de rapatriés réinstallées, recensés au nombre de 800 à 1 000, en grande difficulté et n'ayant pu bénéficier pleinement des mesures antérieurement prises en leur faveur.
C'est pourquoi ont été mises en place, par décret et circulaire du 28 mars 1994, les commissions départementales d'aide aux rapatriés réinstallés (CODAIR) qui visent à assurer l'examen, au cas par cas, des dossiers des rapatriés réinstallés encore en difficulté, en vue de parvenir à un désendettement professionnel définitif des intéressés dans la majorité des cas.
Actuellement opérationnelles dans 45 départements, les CODAIR se sont vues chargées, outre l'examen des demandes de prêts de consolidation, d'une mission nouvelle et complémentaire devant conduire à l'élaboration d'un plan d'apurement des dettes librement négocié avec les créanciers.
Sur environ mille dossiers enregistrés auprès des secrétariats des CODAIR, 600 dossiers ont été examinés dont 245 ont été déclarés éligibles et dont une centaine font l'objet d'un complément d'instruction pour statuer sur la recevabilité de la requête.
Il est à noter que suivant les engagements du Président de la République au cours de la campagne électorale, les préfets, en 1995, ont été spécialement mobilisés sur les opérations des CODAIR qui sont l'une des priorités d'action en faveur des rapatriés : il leur a été demandé de prendre toutes dispositions pour accélérer la vitesse de traitement des dossiers et pour que des « solutions humaines et équitables » soient trouvées pour l'ensemble des dossiers en instance et ce, avant le 31 décembre 1995, date d'expiration du dispositif de suspension des poursuites.
3. Les aspects budgétaires
Sur le plan budgétaire enfin, les crédits relatifs aux rapatriés réinstallés, s'ils n'ont pas été augmentés pour 1996, dans la perspective de l'arrivée à échéance de la période de suspension des poursuites et de la clôture du bilan d'activité des CODAIR, devraient connaître néanmoins une revalorisation significative dans le cadre du collectif de fin d'année pour l'exercice 1995.
Ces crédits portent sur deux chapitres :
- Le chapitre 46-91 du budget des charges communes assure le financement du moratoire des dettes, de la remise des prêts de réinstallation et du financement des prêts de consolidation. Cette dotation qui correspond au reliquat des engagements des anciennes mesures d'allégements de dettes passe de 150 millions de francs en 1995 à 120 millions de francs en 1996.
- Le chapitre 46-03 (article 50) dit « Action Sociale » du budget des services du Premier Ministre ne prévoit aucun crédit au titre de la procédure des CODAIR en 1996. En revanche, ces crédits fixés à 15 millions de francs en 1995, ont été abondes de 90 millions de francs supplémentaires par la loi de finances rectificative du 4 août 1995 en vue de financer les mesures d'accélération du règlement des dossiers et devraient encore faire l'objet d'une régularisation supplémentaire dans le collectif de fin d'année pour tenir compte de l'effort demandé.
B. LES IMPLICATIONS BUDGÉTAIRES DE LA LOI DU 11 JUIN 1994 RELATIVE AUX ANCIENS SUPPLÉTIFS
Lancée sous l'impulsion de M. Roger Romani alors ministre délégué aux relations avec le Sénat, chargé des rapatriés, la loi n° 94-488 du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie est un véritable plan d'action global sur cinq ans en faveur des harkis qui, trop longtemps, sont demeurés les « oubliés de l'histoire ».
Ce plan comprend un volet législatif fondé sur la reconnaissance par la Nation de la dette contractée à l'égard des anciens membres des formations supplétives tant en raison des services rendus que des sacrifices consentis. Il est assorti d'un volet réglementaire destiné à faciliter l'insertion économique et sociale des enfants de harkis notamment par des mesures en matière d'emploi et de formation.
1. La mise en oeuvre du dispositif législatif en faveur des harkis
La loi du 11 juin 1994 précitée institue une allocation forfaitaire complémentaire, une aide pour l'accession à la propriété ou pour l'amélioration de l'habitat et un dispositif de résorption du surendettement.
La loi instaure également une aide en faveur des conjoints survivants et un statut des victimes de la captivité en Algérie.
•
l'allocation forfaitaire de 110 000 francs
(chapitre 46-91 du budget des charges communes)
vient en
complément de l'allocation de 60 000 francs instituée par
l'article 9 de la loi du 16 juillet 1987.
14 500 dossiers avaient donné lieu au paiement de l'allocation forfaitaire, prévue par la loi du 16 juillet 1987, ce qui permet d'évaluer à 1,6 milliard de francs le coût direct de la nouvelle allocation réparti sur trois années de 1995 à 1997, compte tenu de la prise en compte des tranches d'âge retenues pour le versement.
A ce jour, 11 636 dossiers ont été instruits au titre de l'allocation forfaitaire complémentaire, dont 4 777 dossiers pour la tranche 1995 qui ont été mis en paiement à la date du 1er février 1995.
Il est à noter que 1 200 dossiers, concernant surtout des bénéficiaires de la tranche à régler en 1997 n'ont encore fait l'objet d'aucune demande. Les demandes sont recevables jusqu'au 31 décembre 1997.
•
l'aide spécifique pour l'acquisition
de la résidence principale
(chapitre 46-03 du budget du Premier ministre, article 60), dont le montant est fixé forfaitairement à 80 000 francs connaît une nette montée en charge qui s'explique par l'opportunité qui est offerte aux anciens supplétifs et assimilés de cumuler cette aide avec l'allocation forfaitaire complémentaire : 6 millions de francs avaient été délégués au titre de cette mesure sur l'ensemble de l'exercice 1994, alors qu'au 30 septembre 1995, 21 millions de francs ont déjà été requis par les services préfectoraux chargés de sa mise en oeuvre.
•
l'aide à l'amélioration de
l'habitat
(chapitre 46-03 du budget du Premier ministre),
destinée aux propriétaires occupants de leur
résidence principale non imposables à l'impôt sur le
revenu, a fait l'objet d'une délégation de crédits
déconcentrés d'un montant de 10,3 millions de francs pour
1995.
•
les secours exceptionnels de
résorption du surendettement
(SERS) sont accordés pour permettre de faire face au surendettement consécutif à une opération d'accession à la propriété d'une résidence principale réalisée avant le 1er janvier 1994. Au cours des 9 premiers mois de 1995, 67 décisions d'octroi du SERS ont été notifiées pour un montant total de 2,4 millions de francs.
Pour l'ensemble des trois mesures précitées en matière de logement des anciens harkis, la date de clôture des dossiers est fixée au 30 juin 1999.
•
Les
conjoints survivants
des anciens membres de formations supplétives
bénéficient d'un complément de ressources
dès l'âge de 50 ans pour leur permettre de vivre dans des
conditions décentes.
Au 30 septembre 1995, 7 millions de francs ont été délégués à ce titre dans 61 départements (chapitre 46-03 précité, article 70)
• Le
statut des victimes de la
captivité en Algérie
donne accès aux divers
droits qui s'attachent aux pensions d'invalidité. Il relève du
ministère des anciens combattants.
Il a été recensé 779 anciens captifs susceptibles de bénéficier de cette mesure dont le coût a été estimé pour 1995 à 56,2 millions de francs.
2. Le volet réglementaire en faveur des enfants de harkis
Le plan destiné à l'amélioration de l'insertion économique et sociale des descendants des anciens membres de formations supplétives en Algérie a fait l'objet de la circulaire du 25 octobre 1995 (Journal officiel du 20 novembre 1995).
Les aides interviennent, le plus souvent, en complément de celles déjà existantes, dans les domaines de l'emploi, de la formation et de la réservation de logements. Elles sont complétées par des mesures à caractère social et culturel.
• Concernant
l'emploi,
un effort
particulier est engagé sur trois axes :
- dans le cadre de la convention-emploi, une subvention de 50.000 francs est proposée aux entreprises pour les engager à conclure des contrats à durée indéterminée en faveur des français musulmans rapatriés 3 ( * ) .
- une aide à la création ou à la reprise d'entreprise sous la forme d'une subvention limitée à 50% du coût de projet et plafonnée à60.000 francs donne lieu aux services de conseil et de suivi de gestion assurée par un organisme agréé dont la rémunération est prise en charge directement par l'État (dans la limite de 20.000 francs).
- une aide à la mobilité des jeunes d'un montant unitaire de 10.000 francs augmenté de 1.000 francs par personne à charge est accordée lorsqu'un changement d'emploi entraîne un changement de résidence.
• S'agissant de
la formation,
trois
catégories de moyens sont mises en oeuvre :
- une aide dégressive à l'embauche versée à l'employeur qui recrute sous certaines conditions de durée du contrat, un jeune harki dans le cadre d'un dispositif de qualification ou d'apprentissage. Cette aide est complétée par une aide à l'entrée dans la vie professionnelle d'un montant de 5.000 francs versée au jeune stagiaire ;
- par ailleurs, un accès prioritaire est réservé aux jeunes harkis à divers établissements de formation professionnelle tels que le centre militaire de Fontenay-le-Comte, l'École de Dieppe et les écoles professionnelles de l'Office national des Anciens Combattants (ONAC) ;
- enfin, un financement privilégié est accordé en matière de stage de formation en particulier en matière de conduite de poids lourds.
ï En matière de logement, une aide à la réservation de logement, versée à l'organisme bailleur, d'un montant moyen de 50.000 francs et de 80.000 francs en région d'Ile de France, est destinée aux français musulmans rapatriés et à leurs enfants qui résident dans des secteurs à forte concentration ou qui sont locataires de logements inadaptés à leurs besoins et qui souhaitent se loger en secteur diffus ou améliorer leurs conditions de logement.
ï Sur le plan social et culturel, des subventions spécifiques peuvent être accordées aux collectivités locales (ville ou département) dans le cadre des contrats d'action sociale, éducative et culturelle (CASEC) ainsi qu'aux associations de dimension locale et nationale dont les activités intéressent la vie de la communauté.
Par ailleurs, à la demande des préfets, des appelés du contingent peuvent être affectés sur des postes spécifiques dans les départements caractérisés par une forte proportion de français musulmans rapatriés : ainsi 72 agents de coordination chargés de l'emploi (ACCE) interviennent sur 45 départements pour assurer la liaison avec les familles et apporter une aide en vue de trouver une solution aux problèmes rencontrés en matière d'emploi et 155 éducateurs du contingent implantés sur 43 départements, mènent une action spécifique en matière de soutien scolaire et d'animation socioculturelle.
• Les crédits destinés à
financer les mesures prises en faveur du logement, de la promotion et de
l'emploi sont inscrits sur le budget des services généraux du
Premier Ministre à l'article 60 du chapitre 46-03. Ces crédits
sont déconcentrés auprès des préfets chargés
d'assurer l'instruction des demandes. Ces crédits
s'élèveront en 1996, comme en 1995, à
15,48
millions de francs.
La progression très soutenue des crédits relatifs aux rapatriés, inscrits au budget des différents ministères concernés, témoigne de la volonté du Gouvernement de maintenir à un excellent niveau l'effort financier consenti envers ceux de nos compatriotes qui ont subi le plus durement cette période de notre histoire où les déchirements ont succédé aux affrontements.
Cet effort méritait d'autant plus d'être maintenu que ce budget marque une transition avant que soit dressé en 1996 le bilan de la loi d'indemnisation du 16 juillet 1987 sur laquelle M. Jacques Chirac, alors Premier Ministre, avait particulièrement veillé. Ce bilan devrait permettre de déterminer si plus de 30 ans après que se soient tournées ces pages douloureuses de notre histoire, la communauté rapatriée peut s'estimer légitimement quitte des préjudices matériels et humains dont elle a été la victime.
Les temps semblent venus aussi de reconsidérer avec un oeil plus juste l'oeuvre de la France outre-mer et de lui redonner toute la place qu'elle mérite.
A cet égard, qu'il soit permis d'exprimer un regret : aucune nouvelle autorisation de programme n'a été inscrite cette année au chapitre 66-04 du budget des services généraux du Premier Ministre pour la réalisation du Mémorial de la France d'Outre-mer dont l'implantation est envisagée sur le site prestigieux de l'enceinte du Fort Saint-Jean à Marseille.
Alors que dans le budget 1995, 3 millions de francs avaient été engagés pour que débutent les travaux de ce projet ambitieux, qui devrait être à la fois un musée et un espace d'expression de la mémoire vivante, l'opération semble marquer le pas. Les négociations semblent s'allonger excessivement autour des questions de la libération du Fort Saint-Jean par la Direction des recherches archéologiques sous marine (DRASM) du ministère de la culture, du statut juridique du Fort, de la convention-cadre qui associera l'État, le conseil régional, le conseil général et la ville pour la réalisation du Mémorial ainsi que de la structure juridique adaptée pour la gestion quotidienne du Mémorial.
Votre commission ne peut que souhaiter que l'absence d'inscription de crédits d'investissement ne soit pas le signe du renoncement ou d'un manque de volonté politique mais simplement un geste de bonne gestion.
Il importe que la politique en faveur des rapatriés dépasse les enjeux de la réparation matérielle des dommages subis pour redonner sa pleine dimension morale et historique au rôle des Français en outre-mer.
Sous réserve de ces observations, votre commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs aux rapatriés dans le projet de loi de finances pour 1996.
ANNEXE
Tableau récapitulatif des crédits ouverts dans le projet de loi de finances pour 1996
pour les rapatriés
(en millions de francs)
* 3 Cette aide n'est pas cumulable avec les aides de droit commun