CHAPITRE I - LES LIGNES DIRECTRICES DU BUDGET DE LA DEFENSE POUR 1996
I. UN BUDGET DE TRANSITION
A. VERS UNE NOUVELLE LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE
Le budget de la Défense pour 1996 s'inscrit dans un contexte très particulier puisque le nouveau gouvernement a annoncé, dès le mois de juin dernier, l'élaboration d'une loi de programmation « rénovée » qui serait déposée au printemps 1996. Le budget 1996 constitue donc chronologiquement un budget de transition entre la loi de programmation pour les années 1995-2000 , votée en juin 1994, dont il aurait dû constituer -et dont il constitue théoriquement- la deuxième annuité, et la future loi de programmation qui couvrira une période s'ouvrant le 1er janvier 1997.
1. Les objectifs poursuivis
En dépit de la profondeur et de la proximité des réflexions qui avaient précédé l'élaboration du Livre blanc sur la défense et de la loi de programmation qui devait couvrir les années 1995 à 2000, malgré aussi les propos tenus par le Premier Ministre dans sa déclaration de politique générale qui avaient donné à penser que les orientations fixées un an plus tôt pour la période 1995-2000 pourraient être respectées, le gouvernement a rapidement jugé indispensable d'effectuer de nouveaux choix et de prendre de nouvelles décisions justifiés par les bouleversements internationaux et, surtout, rendus indispensables par les très fortes contraintes budgétaires actuelles.
Trois objectifs principaux sont ainsi poursuivis par le gouvernement dans la nouvelle réflexion qu'il vient d'engager et qui doit se traduire dans une nouvelle loi de programmation.
- Premier objectif : préparer des choix, jusqu'ici différés, concernant l'avenir de nos forces armées.
Le gouvernement estime -non sans quelques raisons- qu'en dépit des efforts accomplis, la période de cohabitation a engendré des compromis qui n'ont pas permis de tirer toutes les conclusions nécessaires pour l'avenir de nos forces armées dans le nouveau contexte international. Des choix ont été ajournés, qui ne peuvent plus être différés. Trois questions majeures appellent ainsi des décisions inéluctables :
- l'avenir de la dissuasion nucléaire, d'abord, dont la pérennité et la crédibilité doivent naturellement être assurées dans le monde troublé de l'après-guerre froide -d'où la décision relative aux essais- mais qui suppose des choix rapides et essentiels : choix des composantes nucléaires futures, avenir des sites, et développement de la simulation après l'ultime campagne de tirs actuelle ;
- la détermination précise des capacités prioritaires pour nous donner les moyens de notre indépendance en tenant compte de la dimension européenne, en particulier : les capacités d'intervention et de projection de forces, les moyens spatiaux, de renseignement et de communications... ;
- enfin, la professionnalisation accrue de nos armées, dont la nécessité est généralement admise, mais dont les modalités doivent être précisées, ainsi que la définition du format des armées, avant de prendre les décisions concernant l'avenir du service national.
- Deuxième objectif : participer à l'effort nécessaire de maîtrise des dépenses publiques, sans compromettre la modernisation de notre défense.
Il s'agit, dans la conjoncture financière actuelle, d'éviter une réduction indifférenciée des crédits militaires qui conduirait inévitablement à un affaiblissement de notre système de forces. Il faut en revanche bâtir, à partir d'une utilisation plus ciblée des ressources, une défense efficace et ramassée autour de priorités clairement établies. Dans cette optique, les réflexions initiées par le gouvernement visent :
- un « réexamen critique » des programmes d'équipement engagés au titre de la loi de programmation votée en 1994,
- l'engagement d'une réforme de la politique d'acquisition des équipements et l'amplification des mesures visant à la réduction du coût des programmes,
- et, sur ces bases, la définition des ressources que la nation compte allouer à sa défense, compte tenu de la gravité des contraintes financières qui pèsent sur le budget de l'Etat.
- Enfin, un troisième objectif tend, plus généralement, à redéfinir les responsabilités, l'organisation et les méthodes de l'Etat en matière de défense.
Le gouvernement souhaite dans cet esprit :
- définir une nouvelle politique industrielle de défense, plus compétitive, donnant la priorité à la recherche, à la synergie civile-militaire, à la dimension européenne et à l'accompagnement des restructurations industrielles nécessaires ;
- tirer parti de toutes les méthodes modernes de gestion pour parvenir à une plus grande efficacité dans la consommation des crédits,
- et moderniser l'organisation de la Défense.
2. La méthode retenue : les travaux du comité stratégique
La méthode retenue pour procéder à cette véritable « remise à plat » de la politique de défense française et pour préparer les nouveaux choix -annoncés « draconiens »- qui seront présentés par le gouvernement au Parlement dans le prochain projet de loi de programmation a pris la forme de la constitution d'un « comité stratégique », mis en place le 11 juillet dernier par le ministre de la Défense qui le présidera et dont la coordination avec les travaux interministériels pour le Conseil de défense sera assurée par le Secrétaire général de la Défense nationale.
Chargé de préparer les décisions gouvernementales dans chacun des domaines précités, le comité stratégique s'appuiera sur cinq groupes de travail consacrés respectivement à :
-l'avenir de la dissuasion nucléaire,
- l'adaptation des forces classiques,
- l'accroissement de la professionnalisation et le format des armées,
- la nouvelle politique industrielle de défense,
- et la modernisation de la gestion de la Défense.
Le processus de décision retenu est le suivant : après les consultations interministérielles nécessaires, le Conseil de Défense -présidé par le Chef de l'Etat- devrait, avant la fin de l'année 1995 , retenir les grandes orientations relatives à l'évolution des forces armées et à la future programmation militaire -sur lesquelles notre commission sera naturellement informée et consultée.
Puis, au premier semestre 1996, les travaux se poursuivront, sur la base des directives du Président de la République, en vue de la présentation, prévue en juin 1996, d'un projet de loi de programmation révisée dont le budget 1997 constituera la première annuité -alors que la loi adopée en 1994 ne prévoyait son actualisation qu'un an plus tard, pour la période 1998-2003.
B. UN PROJET DE BUDGET POUR 1996 EN RÉDUCTION PAR RAPPORT A LA PROGRAMMATION ET AU BUDGET INITIAL POUR 1995 ET GLOBALEMENT STABLE PAR RAPPORT AU DERNIER COLLECTIF
1. Données générales
Dans le cadre de cette réflexion d'ensemble sur notre politique de défense, le projet de budget de la défense pour 1996 manifeste le souci du gouvernement de ne pas anticiper sur les décisions de fond qui seront prises dans les mois qui viennent et se caractérise par une légère progression en francs courants par rapport au budget 1995 modifié par le dernier collectif et par une très forte réduction par rapport aux prévisions de la loi de programmation.
Le projet de budget du ministère de la défense pour 1996 s'élève, pensions comprises, à 241,4 milliards de francs, soit une légère diminution de 0,8 % par rapport au projet de loi de finances initiale pour 1995, mais une augmentation de + 1,5 % par comparaison au budget résultant du collectif budgétaire du printemps dernier.
Hors pensions, les crédits militaires nouveaux inscrits dans le projet de loi de finances s'établissent à 189,6 milliards de francs :
- 100,6 milliards pour le titre III,
- et 89 milliards pour le titre V.
Les crédits du titre V seront toutefois -grâce aux mêmes pratiques budgétaires discutables que l'an dernier- abondés de deux catégories de crédits supplémentaires :
- 5,2 milliards de crédits de report,
- et 0,8 milliard de fonds de concours .
Ainsi, en termes de crédits disponibles -notion juridiquement peu satisfaisante mais qui correspond à la réalité des financements dont doit disposer le ministère de la Défense-, les moyens de ce ministère en 1996 devraient atteindre, hors pensions, 195,6 milliards de francs , dont 100,6 milliards pour les crédits de fonctionnement et 95 milliards pour les crédits d'équipement.
2. Les observations de votre rapporteur
Ces données générales appellent deux observations essentielles de votre rapporteur pour avis :
- Première observation : bon gré, mal gré, la loi de programmation pour les années 1995-2000 devait nécessairement être revue.
Les deux premières annuités de cette loi devaient en effet s'élever, pour les crédits d'équipement militaire, à 100,9 et 101,4 milliards de francs 1994, soit 102,4 milliards en 1995 et 105,7 milliards en 1996.
Le dernier collectif budgétaire, en amputant les crédits du titre V pour 1995 de 8,4 milliards, avait déjà -ainsi que notre commission l'avait déploré- creusé un écart substantiel avec la loi de programmation en ramenant les crédits d'équipement disponibles cette année à 94,5 milliards (86,5 milliards de crédits budgétaires nouveaux et 8 milliards en crédits de report et fonds de concours).
Le projet de budget pour 1996 accroît encore ce fossé par rapport à une exécution intégrale de la loi de programmation : avec à peine 95 milliards de crédits d'équipement disponibles pour 1996, pas moins de 10,7 milliards de différence apparaissent par rapport aux prévisions arrêtées en 1994 (- 10,1%) .
Au total, sur les deux années -1995 et 1996- d'application théorique de la loi de programmation, plus de 19 milliards manquent à l'appel par rapport à une application intégrale de la loi votée en 1994. Le constat est clair : la programmation militaire 1995-2000 doit, de ce fait, faire l'objet d'une révision complète , sous peine de voir cette dérive s'accentuer sans que des choix indispensables au niveau des programmes permettent de prendre les décisions qui s'imposent.
Telle est la démarche aujourd'hui suivie par le gouvernement à travers les travaux du comité stratégique et l'élaboration d'une nouvelle loi de programmation. Même si ce n'est pas de gaieté de coeur -et si notre commission aurait naturellement préféré voir la programmation votée en 1994 appliquée de manière satisfaisante-, il n'y a pas aujourd'hui , aux yeux de votre rapporteur, d'autre solution : seule une nouvelle programmation permettra d'effectuer de nouveaux choix, de mettre les programmes retenus en phase avec les financements disponibles, et de disposer à nouveau de la "visibilité" à moyen terme indispensable à nos forces armées comme aux industriels.
- Seconde observation : le budget de la Défense ne saurait constituer la variable d'ajustement du budget de l'Etat dans une conjoncture financière extrêmement contraignante.
Si le "décrochage" entre les prévisions de la loi de programmation et la réalité des crédits militaires était, en quelque sorte, devenu inévitable depuis le dernier collectif budgétaire, pire encore pouvait être craint pour le budget 1996 dès lors qu'une nouvelle programmation était annoncée sans que les nouvelles décisions soient encore prises. Le ministère de la Défense peut légitimement, par rapport à ces craintes, estimer avoir évité d'anticiper sur les décisions de fond qui seront prises prochainement.
Deux comparaisons peuvent justifier cette appréciation relativement positive dans un contexte financier d'ensemble extrêmement difficile :
- si les crédits de fonctionnement restent globalement stables, les crédits d'équipement disponibles en 1996 (95 milliards) seront légèrement supérieurs à ce qu'ils étaient en 1995 après le collectif budgétaire (94,5 milliards) soit une progression de 0,4 %; la progression est même plus élevée en termes de crédits budgétaires proprement dits : 86,5 milliards en 1995, 89 milliards en 1996, soit une augmentation de 2,8% ;
- cette relative satisfaction se réfère aussi aux rumeurs les plus alarmistes qui ont couru durant la période d'élaboration du budget ; la presse s'est ainsi fait l'écho -à tort ou à raison- d'une position du ministère des Finances tendant à réduire les crédits d'équipement disponibles en 1996 à 86,5 milliards de francs ...
Des choix extrêmement difficiles et particulièrement douloureux devront, en tout état de cause, être pris. Le ministère de la Défense estime avoir évité que le budget militaire ne soit considéré , en 1996, comme la "variable d'ajustement" du budget de l'Etat . Il est impératif qu'il en soit de même dans les années qui viennent pour redonner à la prochaine loi de programmation une cohérence sans laquelle cet exercice perdrait toute crédibilité et sans laquelle l'affaiblissement de notre système de défense serait inéluctable.