- L'ESSENTIEL
- I. MISE EN CONFORMITÉ DU CHAMP D'APPLICATION
DU MARCHÉ DE PARTENARIAT D'INNOVATION
- II. LA NÉCESSAIRE TRANSPOSITION DE LA
DIRECTIVE « ACTIONS REPRÉSENTATIVES », OCCASION
D'UNE REFONTE PERFECTIBLE DU RÉGIME JURIDIQUE DES ACTIONS DE
GROUPE
- A. L'ACTION DE GROUPE CONNAÎT UN
ÉCLATEMENT ENTRE SEPT RÉGIMES QUI MÉCONNAISSENT DEPUIS
DÉCEMBRE 2022 PLUSIEURS DISPOSITIONS DE LA DIRECTIVE
« ACTIONS REPRÉSENTATIVES »
- B. PLUTÔT QUE DE PROCÉDER À UNE
TRANSPOSITION STRICTE, L'ASSEMBLÉE NATIONALE A RÉINTRODUIT SA
VERSION DE LA PROPOSITION DE LOI RELATIVE AU RÉGIME JURIDIQUE
DES ACTIONS DE GROUPE
- C. LE RÉGIME JURIDIQUE ADOPTÉ PAR
L'ASSEMBLÉE NATIONALE SOULÈVE PLUSIEURS DIFFICULTÉS
JURIDIQUES AUXQUELLES LA COMMISSION A REMÉDIÉ
- A. L'ACTION DE GROUPE CONNAÎT UN
ÉCLATEMENT ENTRE SEPT RÉGIMES QUI MÉCONNAISSENT DEPUIS
DÉCEMBRE 2022 PLUSIEURS DISPOSITIONS DE LA DIRECTIVE
« ACTIONS REPRÉSENTATIVES »
- III. TITRES DE SÉJOUR EN FAVEUR DES
TRAVAILLEURS QUALIFIÉS : DES DISPOSITIFS À PROMOUVOIR ET
À ENCADRER
- I. MISE EN CONFORMITÉ DU CHAMP D'APPLICATION
DU MARCHÉ DE PARTENARIAT D'INNOVATION
- EXAMEN DES ARTICLES
- Article 13
Mise en conformité du champ d'application du partenariat d'innovation avec le droit de l'Union européenne
- Articles 14 et 15 à 19
(supprimés)
Institution d'un régime unifié de l'action de groupe conforme à la directive du 25 novembre 2020 relative aux actions représentatives
- Article 42
Transposition de la directive (UE) 2021/1883 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2021 établissant les conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d'un emploi hautement qualifié
- Article 43
Dispositions relatives à la carte de séjour pluriannuelle « talent - profession médicale et de la pharmacie »
- Article 13
- EXAMEN EN COMMISSION
- RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE
L'ARTICLE 45 DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS DU RÈGLEMENT DU
SÉNAT
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET CONTRIBUTIONS ÉCRITES
- LA LOI EN CONSTRUCTION
N° 389
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 mars 2025
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des lois constitutionnelles,
de législation, du suffrage universel, du Règlement et
d'administration générale (1) sur le projet de loi,
adopté par l'Assemblée nationale après engagement
de la procédure accélérée,
portant diverses
dispositions d'adaptation
au droit de l'Union
européenne
en matière
économique, financière,
environnementale,
énergétique, de
transport,
de
santé et de
circulation des
personnes,
Par M. Christophe-André FRASSA,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.
Voir les numéros :
Assemblée nationale (17ème législ.) : |
529, 631 et T.A. 53 |
|
Sénat : |
352 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
Le projet de loi n° 352 (2024-2025) portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (Ddadue) a, du fait de sa nature même, un caractère composite. Parmi les quarante-trois articles qu'il contient, neuf ont été délégués au fond à la commission des lois par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Ils concernent la commande publique, la procédure de l'action de groupe et certains titres de séjour.
Le présent projet de loi apporte en son article 13 une modification au régime du partenariat d'innovation, contraire au droit de l'Union européenne à raison d'une modification apportée par la loi de finances pour 2024. Ayant constaté son bien-fondé juridique, la commission l'a accepté sans modification.
L'action de groupe repose en droit français sur sept cadres procéduraux, que le projet de loi, dans sa rédaction initiale, avait pour objet de modifier afin d'en assurer la conformité à la directive « actions représentatives » qui s'impose à la France depuis décembre 2022. L'Assemblée nationale a toutefois écarté la solution d'une transposition stricte au profit de l'adoption d'un régime unifié de l'action de groupe. Elle a en conséquence substitué sa version de la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe, en navette depuis mars 2023, au dispositif de l'article 14 et a supprimé par coordination les articles 15 à 19. L'article 14 institue donc désormais un régime nouveau, qui soulève de nombreuses difficultés juridiques déjà identifiées par le Sénat lors de l'examen de cette proposition de loi - et dont l'Assemblée nationale n'a pas tenu compte. Si la commission a suivi le choix de l'Assemblée nationale de profiter de ce texte pour faire advenir un régime unifié d'action de groupe, elle n'en a pas moins souhaité modifier son champ d'application matériel comme personnel afin de lever les problèmes qu'elle avait déjà soulignés l'année passée.
Les articles 42 et 43 apportent certaines modifications à deux titres de séjour en faveur des travailleurs qualifiés. La commission a souscrit à celles relatives à la « carte bleue européenne », en se saisissant néanmoins de la marge d'appréciation laissée par le droit de l'Union européenne au législateur, notamment pour prévenir le dévoiement de ce dispositif. Elle a accepté sans modification les dispositions prévoyant des mesures de coordination nécessaires à l'effectivité d'un titre dédié aux professionnels de la santé.
En conséquence, la commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'adopter les articles 13, 14, 42 et 43 dans leur rédaction issue de ses travaux, et de supprimer les articles 15 à 19.
I. MISE EN CONFORMITÉ DU CHAMP D'APPLICATION DU MARCHÉ DE PARTENARIAT D'INNOVATION
L'article 13 du projet de loi révise les conditions de recours au partenariat d'innovation afin de les rendre conforme au droit de l'Union européenne. Le partenariat d'innovation, introduit par la directive 2014/24/UE du 26 février 2014, est un marché public visant à inciter les acheteurs publics à stimuler l'innovation par leurs achats, en permettant le recours à une procédure de passation unique pour les phases de recherche, de développement et d'acquisition de solutions innovantes.
Le champ d'application de ce type de marché est encadré par la directive 2014/25/UE qui limite son recours au cas où l'acheteur ne peut satisfaire son besoin par une solution déjà existante sur le marché et doit en conséquence se tourner vers l'innovation. L'acception européenne de l'innovation, permettant le recours à ce type de marché, est large : sont en effet considérés comme nouveaux les travaux, produits ou services nouveaux ou sensiblement améliorés, notamment au regard des procédés de production ou de construction, des méthodes de commercialisation ou des méthodes organisationnelles dans les pratiques, l'organisation du lieu de travail ou les relations extérieures de l'entreprise.
Initialement fidèlement transposée en droit interne à l'article L. 2172-3 du code de la commande publique, cette définition a néanmoins été élargie par la loi de finances pour 2024, dont l'article 44 a qualifié d'innovants tous les travaux, fournitures, ou services proposés par de « jeunes entreprises innovantes ».
L'inclusion automatique des jeunes entreprises innovantes dans le champ d'application de l'article L. 2172-3 du code de la commande publique, et la possibilité de retenir leur offre indépendamment du respect des critères d'innovation définis par le droit de l'Union européenne, contreviennent aux principes d'égalité et de non-discrimination prévus par la Constitution ainsi que par les traités européens, et pourraient dès lors conduire la France à être condamnée pour manquement au regard du droit de l'Union européenne.
En conséquence, l'article 13 supprime les dispositions introduites par l'article 44 de la loi de finances pour 2024, afin de rendre les conditions de recours au partenariat d'innovation conformes au cadre posé par les directives. Au regard des risques juridiques induits par la rédaction actuelle de l'article L. 2172-3, la commission propose en conséquence d'adopter l'article sans modification.
II. LA NÉCESSAIRE TRANSPOSITION DE LA DIRECTIVE « ACTIONS REPRÉSENTATIVES », OCCASION D'UNE REFONTE PERFECTIBLE DU RÉGIME JURIDIQUE DES ACTIONS DE GROUPE
A. L'ACTION DE GROUPE CONNAÎT UN ÉCLATEMENT ENTRE SEPT RÉGIMES QUI MÉCONNAISSENT DEPUIS DÉCEMBRE 2022 PLUSIEURS DISPOSITIONS DE LA DIRECTIVE « ACTIONS REPRÉSENTATIVES »
L'action de groupe n'a été introduite que tardivement en droit français, lors de l'adoption de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, qui a instauré une procédure spécifique à ce champ du droit. D'autres régimes ont été créés par la suite, d'abord en matière de produits de santé, par la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016, puis dans différents domaines, tels que le droit du travail, l'environnement ou les données personnelles, lors de l'établissement d'un régime de droit commun par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.
Les sept cadres procéduraux de l'action de groupe existants se distinguent par des champs d'application matérielle, des qualités pour agir, des finalités ou des modalités de liquidation des préjudices différents. Un rapport d'information de l'Assemblée nationale sur le bilan et les perspectives des actions de groupe adopté en 2020 imputait le bilan « décevant » de cette procédure à cette atomisation des régimes. De fait, seules 35 actions de groupe ont été intentées en dix ans.
Or, le droit français de l'action de groupe méconnaît au surplus plusieurs dispositions de la directive du 25 novembre 2020, dite « actions représentatives », qui devaient être transposées avant le 25 décembre 2022. Il s'agit par exemple de la nécessité d'instituer une procédure d'action de groupe transfrontière dont la directive définit les modalités, d'attribuer au juge les moyens nécessaires à la prévention des conflits d'intérêts et de développer les dispositifs d'information des justiciables quant aux actions de groupe en cours et à venir.
Une proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe avait été déposée à l'Assemblée nationale en décembre 2022 par Laurence Vichnievsky et Philippe Gosselin pour remédier tant à la complexité du droit français de l'action de groupe, qu'à son incompatibilité avec la directive « actions représentatives ». Cette proposition de loi, qui avait ensuite été largement amendée en première lecture au Sénat en février 2024, reste encore en navette n'a toujours pas fait l'objet d'une commission mixte paritaire.
B. PLUTÔT QUE DE PROCÉDER À UNE TRANSPOSITION STRICTE, L'ASSEMBLÉE NATIONALE A RÉINTRODUIT SA VERSION DE LA PROPOSITION DE LOI RELATIVE AU RÉGIME JURIDIQUE DES ACTIONS DE GROUPE
Le gouvernement a décidé de procéder à une transposition stricte de la directive, à régimes constants, au lieu de poursuivre la procédure parlementaire de la proposition de loi précitée - et en dépit d'une analyse partagée avec le Sénat au sujet du régime qu'elle vise à introduire. Cette transposition stricte nécessitait la modification des trois codes et deux lois qui contiennent les fondements juridiques actuels des régimes de l'action de groupe.
Les articles 14 à 19 du projet de loi, dans leur rédaction initiale, apportaient donc les modifications exigées par la directive à ces différents cadres procéduraux. L'article 14 modifiait le socle procédural commun, l'article 15, le code de justice administrative, l'article 16, la loi « informatique et libertés », les articles 17 et 18, le code de la consommation et l'article 19, le code de la santé publique.
Or, l'Assemblée nationale a intégré à l'article 14, par amendement de son rapporteur pour avis, Philippe Gosselin, la version de la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe qu'elle avait adoptée en première lecture, en la substituant aux dispositions de transposition stricte du gouvernement et sans prendre en considération l'essentiel des difficultés juridiques identifiées par le Sénat. En conséquence, elle a supprimé les articles 15 à 19 par coordination.
Cette reprise sans modification majeure de la mouture de la proposition de loi adoptée en mars 2023 par l'Assemblée nationale a pour effet que l'article 14 prévoit désormais un champ d'application universel de l'action de groupe et des modalités d'octroi de l'intérêt à agir excessivement ouvertes. En outre, il comporte deux dispositifs que le Sénat avait supprimés : la sanction civile en cas de faute dolosive ayant entraîné des dommages sériels et l'attestation sur l'honneur, que devraient produire les demandeurs lors de l'introduction d'une action de groupe.
Au-delà, l'Assemblée nationale a écarté les différents apports du Sénat, qu'il s'agisse de l'extension de la procédure de mise en demeure préalable, de dispositions spécifiques à la prévention des conflits d'intérêts, de la procédure d'action de groupe simplifiée ou des conditions d'entrée en vigueur du texte.
Le régime de l'action de groupe adopté par l'Assemblée nationale a toutefois fait l'objet de certaines modifications rédactionnelles et de transposition de la directive « actions représentatives ». Il a ainsi été prévu, conformément à ce qu'exige la directive, que le juge puisse rejeter une action manifestement infondée dès l'introduction de l'instance.
De la même manière, les définitions des actions de groupe en cessation du manquement et en réparation des préjudices ont été modifiées pour assurer la bonne transposition de la directive.
C. LE RÉGIME JURIDIQUE ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE SOULÈVE PLUSIEURS DIFFICULTÉS JURIDIQUES AUXQUELLES LA COMMISSION A REMÉDIÉ
Si la commission n'a pas souhaité revenir à la version initiale des articles 14 à 19, compte tenu des travaux parlementaires consacrés au régime juridique des actions de groupe, elle a toutefois regretté que l'Assemblée nationale n'ait pas remédié aux difficultés juridiques identifiées par le Sénat lors de l'examen de la proposition de loi précitée.
L'universalisation du champ matériel de l'action de groupe connaît en effet deux limites principales, qui tiennent à l'élargissement des acteurs économiques soumis au risque réputationnel significatif qu'entraîne l'engagement d'une action de groupe et à l'instrumentalisation vraisemblable de cette procédure, qui détournerait les justiciables, à leur détriment, des voies de droit commun. La commission a donc maintenu le champ actuel de l'action de groupe en matière de droit du travail et de la santé. Les modalités d'octroi de la qualité pour agir ont également été restreintes pour garantir la crédibilité, la fiabilité et la probité des personnes morales susceptibles d'intenter une action de groupe.
La commission a par ailleurs restauré les dispositifs qu'elle juge utiles à l'amélioration du régime de l'action de groupe, que sont la procédure de mise en demeure préalable ou la procédure d'action de groupe simplifiée.
Certaines dispositions ont toutefois été écartées par la commission. Il s'agit notamment de la sanction civile, qui ne paraît conforme ni au principe de proportionnalité des peines, ni au principe de légalité des délits et des peines, ni encore à la logique compensatrice du droit de la responsabilité civile.
L'attestation sur l'honneur a également été supprimée, car elle risque de générer un contentieux dilatoire et constitue une surtransposition, voire une violation de la directive.
Le caractère en principe exécutoire à titre provisoire du jugement sur la responsabilité a été remplacé par un mécanisme de consignation des sommes dues par le défendeur, pour éviter une complexification de la procédure préjudiciable à l'intérêt des parties.
Enfin, la commission a oeuvré à l'identification d'un consensus avec l'Assemblée nationale. Plusieurs modifications apportées au texte par l'Assemblée ont ainsi été entérinées. La commission a par exemple repris la mise à la disposition du public de la liste des associations agréées, la possibilité laissée au juge de rejeter dès l'introduction de l'instance une action manifestement infondée et les modifications apportées aux définitions des actions de groupe en cessation du manquement et en réparation des préjudices - qui toutes permettent d'assurer la bonne transposition de la directive.
La commission a enfin conservé la version du registre public des actions de groupe issue des travaux de l'Assemblée nationale, en précisant toutefois qu'il serait élaboré dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'État, compte tenu des inquiétudes exprimées à ce sujet par la direction des affaires civiles et du sceau.
La commission propose en conséquence d'adopter l'article 14 ainsi modifié et d'entériner la suppression des articles 15 à 19.
III. TITRES DE SÉJOUR EN FAVEUR DES TRAVAILLEURS QUALIFIÉS : DES DISPOSITIFS À PROMOUVOIR ET À ENCADRER
A. CARTE DE SÉJOUR PLURIANNUELLE « TALENT - CARTE BLEUE EUROPÉENNE » : UNE TRANSPOSITION LAISSANT PEU DE MARGE, UN ÉQUILIBRE À ASSURER
L'article 42 apporte les modifications rendues nécessaires par la directive (UE) 2021/1883 du 20 octobre 2021 aux dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) relatives à la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « talent - carte bleue européenne » et aux titres qui lui sont liés.
Par une communication du 25 janvier 2024, la Commission européenne a mis en demeure la France pour défaut de transposition, la directive devant être transposée, en vertu de son article 31, au plus tard le 18 novembre 2023.
La directive procède à une refonte du régime de la carte bleue européenne, dispositif à destination des travailleurs hautement qualifiés qui avait été institué par la directive 2009/50/CE du 25 mai 2009.
Partant du constat d'un recours encore limité à ce dispositif, la directive tend à assouplir les conditions de sa délivrance et de la mobilité de ses titulaires dans l'Union européenne, ainsi que les conditions d'accès à la carte de résident de longue durée et aux titres de séjour prévus pour les membres de la famille des titulaires d'une carte bleue européenne.
Les dispositions de la directive étant pour la plupart très précises, elles ne laissent qu'une marge de manoeuvre très limitée au législateur. La commission a néanmoins souhaité se saisir de cette marge pour prévenir toute dénaturation de ce dispositif.
Considérant qu'un seuil de rémunération trop faible risquerait de détourner le dispositif de sa vocation, à savoir l'accueil des travailleurs hautement qualifiés, elle a adopté un amendement prévoyant que le seuil salarial, fixé par décret en Conseil d'État, ne peut être inférieur à 1,5 fois le salaire annuel brut moyen.
Afin de lutter contre les éventuels abus, elle a adopté un amendement transposant une clause optionnelle de la directive, qui permet de retirer le titre de séjour en cas de manquement de l'employeur à ses obligations légales, notamment en matière fiscale ou sociale.
Elle a également adopté un amendement précisant que, conformément à l'article 18 de la directive (UE) 2021/1883, la condition de résidence exigée pour la délivrance de la carte de résident « longue durée UE » - cinq années dans un État membre de l'UE, dont les deux dernières en France - s'entend d'une résidence ininterrompue.
B. DONNER SON PLEIN EFFET À LA CARTE DE SÉJOUR PLURIANNUELLE « TALENT - PROFESSION MÉDICALE ET DE LA PHARMACIE »
L'article 43, introduit par l'Assemblée nationale, prévoit des mesures de coordination relatives à la carte de séjour pluriannuelle « talent-profession médicale et de la pharmacie ». Créé par l'article 31 de la loi du 26 janvier 2024, ce titre de séjour a pour objet de renforcer l'attractivité de la France à l'égard des médecins, sage-femmes, chirurgiens-dentistes et pharmaciens, notamment en favorisant l'installation des membres de leur famille.
Or, faute des dispositions de coordination nécessaires dans le CESEDA, les titulaires ce titre ne peuvent, en l'état du droit, bénéficier de certaines mesures prévues pour les titres de séjour du dispositif « Talent », à l'instar de la délivrance en première admission au séjour (art. L. 421-7) ou de l'accès des membres de la famille à la carte de séjour pluriannuelle « talent (famille) » (art. L. 421-22).
Compte tenu de la nécessité de procéder aux coordinations nécessaires, et de donner ainsi son plein effet à la volonté du législateur, la commission propose d'adopter l'article 43 sans modification.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 13
Mise en conformité du champ d'application du
partenariat d'innovation avec le droit de l'Union européenne
L'article 13 révise les conditions de recours au partenariat d'innovation définies à l'article L. 2172-3 du code de la commande publique afin de les rendre conformes au cadre défini par les directives 2014/24/UE et 2014/25/UE du 26 février 2014.
La commission a adopté cet article sans modification.
1. Des modalités de recours au partenariat d'innovation récemment élargies, au mépris du cadre défini par les directives européennes
1.1. Le marché de partenariat d'innovation, introduit en 2014, vise à faciliter l'achat public innovant
Le partenariat d'innovation est une procédure de marché public introduite par l'article 31 de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014, qui a pour objet la recherche, le développement ainsi que l'acquisition de produits, services ou travaux innovants répondant à un besoin ne pouvant être satisfait par l'acquisition de solutions déjà disponibles sur le marché. Il permet à l'acheteur de ne recourir qu'à une seule procédure de passation pour le développement puis l'acquisition de produits innovants, contrairement aux marchés de recherche et développement qui imposent une nouvelle procédure de mise en concurrence à l'issue de la phase de recherche et développement.
Transposée en droit interne par le décret n° 2014-1097 du 26 septembre 2014 portant mesures de simplification applicables aux marchés publics, puis codifiée par l'ordonnance n° 2018-1074 du 26 novembre 2018, cette procédure est désormais prévue à l'article L. 2172-3 du code de la commande publique.
Le partenariat d'innovation se structure en plusieurs phases (développement, acquisition) auxquelles sont assignés des objectifs intermédiaires que les soumissionnaires doivent atteindre, et prévoit des rémunérations par tranches. L'acheteur peut décider, après chaque phase, de résilier le contrat ou, dans le cas d'un partenariat conclu avec plusieurs partenaires, de réduire le nombre de partenaires. Ce type de marché permet ainsi de poursuivre la passation puis l'exécution du marché à mesure que la réponse au besoin identifié par l'acheteur se précise grâce aux progrès de l'innovation.
1.2. Les conditions de recours au partenariat d'innovation
i. Le cadre défini par les directives européennes
Le recours au partenariat d'innovation doit permettre de répondre à une carence de marché - le besoin de l'acheteur ne pouvant être satisfait par les solutions déjà disponibles sur le marché - par le développement d'une solution innovante.
Le caractère innovant est encadré par l'article 2 de la directive 2014/25/UE qui inclut « la mise en oeuvre d'un produit, d'un service ou d'un procédé nouveau ou sensiblement amélioré, y compris mais pas exclusivement des procédés de production ou de construction, d'une nouvelle méthode de commercialisation ou d'une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques, l'organisation du lieu de travail ou les relations extérieures de l'entreprise, notamment dans le but d'aider à relever des défis sociétaux ou à soutenir la stratégie Europe 2020 pour une croissance intelligente, durable et inclusive ». La définition de l'innovation en droit de l'Union ne se restreint donc pas à la nouveauté de la solution développée, mais peut également tenir au processus mis en oeuvre pour sa production comme sa diffusion.
Cette définition a été fidèlement transposée par le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 puis codifiée par l'ordonnance n° 2018-1074 du 26 novembre 2018, l'article L. 2172-3 du code de la commande publique indiquant que « sont considérés comme innovants les travaux, fournitures ou services nouveaux ou sensiblement améliorés. Le caractère innovant peut consister en la mise en oeuvre de nouveaux procédés de production ou de construction, d'une nouvelle méthode de commercialisation ou d'une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques, l'organisation du lieu de travail ou les relations extérieures de l'entreprise ».
ii. L'élargissement de la définition de solution innovante
L'article 44 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 a toutefois modifié l'article L. 2172-3 du code de la commande publique, en caractérisant d'innovant tous les travaux, fournitures, ou services proposés par de « jeunes entreprises innovantes ».
Les jeunes entreprises innovantes (JEI)
Défini à l'article 44 sexies-0 A du code général des impôts, le statut de jeune entreprise innovante est accordé à une entreprise au regard de :
- sa taille (inférieure à 250 personnes) ;
- son chiffre d'affaires (inférieur à 50 millions d'euros au cours de l'exercice ou bilan total inférieur à 43 millions d'euros) ;
- l'ancienneté de l'entreprise (inférieure à huit ans) ;
- a part de ses dépenses affectées à la recherche ou la qualité d'étudiants ou de jeunes diplômés de ses dirigeants ;
- la détention de son capital ;
- le caractère nouveau de son activité.
La qualité de jeune entreprise innovante ouvre droit, en application de l'article 44 sexies A du code général des impôts, à une exonération d'impôt lors de son premier exercice bénéficiaire, puis à un abattement égal à 50 % de ses bénéfices pour l'exercice bénéficiaire suivant, à condition d'avoir été créée avant 20241(*).
Les communes et leurs établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) peuvent décider d'exonérer les jeunes entreprises innovantes de taxe sur les propriétés bâties2(*) ou de cotisation foncière des entreprises (CFE)3(*). Une JEI peut également bénéficier du crédit d'impôt recherche
L'élargissement des modalités de recours au partenariat d'innovation ouvre ainsi la possibilité pour l'acheteur de retenir une offre dans le cadre d'un partenariat d'innovation sur le seul critère de la qualification de jeune entreprise innovante du soumissionnaire, indépendamment du respect des critères d'innovation définis par le droit de l'Union européenne. Cette inclusion automatique des produits, travaux ou services des jeunes entreprises innovantes dans le champ d'application de l'article L. 2172-3 du code de la commande publique présente des lacunes juridiques sérieuses vis-à-vis du droit de l'Union européenne.
En effet, en permettant la sélection, dans le cadre d'un partenariat d'innovation, d'un candidat sur le seul critère du statut de « jeune entreprise innovante » sans prendre en compte le caractère nouveau ou sensiblement amélioré du produit proposé comme cela est requis pour toute autre entreprise, cette disposition engendre une différence de traitement entre les opérateurs disposant du statut « jeune entreprise innovante » et les autres.
Contrevenant aux principes d'égalité et de non-discrimination, prévus par la Constitution ainsi que par les traités européens, ces dispositions pourraient conduire la France à se trouver en situation de manquement au regard du droit l'Union européenne. En outre, les acheteurs ayant retenu un candidat au seul motif qu'il dispose de la qualité de jeune entreprise innovante pourraient voir leurs contrats annulés par le juge administratif, notamment à la suite d'un recours déposé par un opérateur non retenu au stade de la passation du marché et s'estimant victime d'une discrimination.
La France pourrait également être condamnée au motif que les acheteurs publics ont recours à des partenariats d'innovation sur la base d'une définition distincte de celle retenue au niveau communautaire.
Enfin, la rédaction résultant des modifications apportées par la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 n'incluant pas dans la définition de l'innovation les travaux, produits et services d'entreprises étrangères disposant de caractéristiques similaires aux JEI, elle peut également constituer une discrimination exercée en raison de la nationalité, prohibée par l'article 18 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne4(*).
2. Le dispositif proposé
Afin de se conformer aux directives européennes, l'article 13 supprime la dernière phrase de l'article L. 2172-3 qui inclue de manière automatique les travaux, fournitures ou services proposés par les JEI dans la définition des produits innovants. Ce faisant, il n'exclut pas la possibilité pour un acheteur public de sélectionner un soumissionnaire disposant du statut de jeune entreprise innovante dans le cadre d'un partenariat d'innovation, mais requiert que les solutions proposées par celui-ci présentent bien un caractère nouveau ou innovant tel que défini par les directives.
L'Assemblée nationale a adopté l'article sans modification.
3. L'avis de la commission
La commission a également adopté l'article 13 sans modification, qu'elle a jugé nécessaire afin d'assurer la conformité du droit interne à la définition de l'innovation prévue par les directives européennes et de prévenir des situations de fragilité juridique que pourraient connaître les acheteurs publics ayant recours au partenariat d'innovation.
La commission a adopté l'article 13 sans modification.
Articles 14 et 15
à 19 (supprimés)
Institution d'un régime unifié
de l'action de groupe conforme à la directive du 25 novembre 2020
relative aux actions représentatives
Les articles 14 à 19 procédaient dans leur version initiale à la transposition stricte, à régimes constants, de la directive (UE) 2020/1828 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs et abrogeant la directive 2009/22/CE (directive « actions représentatives »). L'Assemblée nationale a toutefois substitué à ces dispositions la version de la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe qu'elle avait adoptée en première lecture en mars 2023, en réécrivant l'article 14 et en supprimant les articles 15 à 19 du présent projet de loi.
Si la commission n'a pas souhaité revenir au texte initial, elle a toutefois regretté que l'Assemblée nationale n'ait pas pris en compte la position du Sénat, exprimée à l'occasion de l'examen de la proposition de loi qu'il avait adoptée en février 2024, n'apportant que d'accessoires modifications à sa version du régime unifié de l'action de groupe, qui concernent essentiellement la transposition de la directive. Les difficultés juridiques identifiées par le Sénat lors de l'examen de la proposition de loi précitée demeurent : qu'il s'agisse de l'extension de la qualité pour agir, de l'universalité du champ matériel de l'action de groupe ou de l'introduction d'une sanction civile. La commission a en conséquence réécrit l'article 14, tant au regard des précédents travaux du Sénat, que dans la perspective d'un accord entre les deux chambres.
La commission a adopté l'article 14 ainsi modifié et entériné la suppression des articles 15 à 19.
1. Le droit français de l'action de groupe, caractérisé par une pluralité de régimes juridiques, méconnaît certaines dispositions de la directive européenne « actions représentatives » depuis le 25 décembre 2022
1.1 L'introduction tardive de l'action de groupe en droit français s'est traduite par l'adoption progressive de sept différents régimes sectoriels, auxquels le Parlement a récemment consacré des travaux
L'action de groupe n'a été introduite que récemment en droit français, après avoir fait l'objet de réflexions et de propositions diverses. Les commissions sur le droit de la consommation présidées par le professeur Jean Calais-Auloy avaient par exemple dès les années 1980 envisagé l'instauration de cette procédure en France. Celle-ci n'a toutefois pas été retenue dans les travaux ayant abouti durant les années 1990 à la réforme et à la codification du droit de la consommation.
Seule une action en représentation conjointe avait été créée à la faveur de la loi n° 92-60 du 18 janvier 1992 renforçant la protection des consommateurs, qui fut codifiée par la loi n° 93-949 du 26 juillet 1993 relative au code de la consommation et dont le rapport relatif aux actions de groupe de Laurent Béteille et Richard Yung constatait l'échec en 20105(*).
Un groupe de travail présidé par Guillaume Cerruti, alors directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et Marc Guillaume, alors directeur des affaires civiles et du sceau (DACS), a identifié dès 2005 différentes pistes d'évolution possibles, sans « [parvenir] à une seule conclusion unanimement acceptée par tous ses membres »6(*).
Plusieurs propositions de loi ont en outre été déposées sur le bureau de l'Assemblée nationale et du Sénat durant cette période. Le rapport précité, rendu par Laurent Béteille et Richard Yung, les a énumérées - et a formulé vingt-sept propositions pour intégrer au droit national une procédure d'action de groupe.
Aussi l'introduction de l'action de groupe en droit français est-elle apparue « très progressive »7(*) ; le premier régime de l'action de groupe a en effet été adopté en 2014, avant que six nouveaux régimes sectoriels ne soient créés en 2016.
L'édification d'un régime unifié a ensuite été proposée au regard des constats établis par le rapport d'information de l'Assemblée nationale sur le bilan et les perspectives de l'action de groupe8(*), avant de faire l'objet de travaux législatifs lors de l'examen en première lecture de la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe.
Les développements qui suivent synthétisent ainsi largement les informations contenues dans les précédents rapports parlementaires qui traitent de ce sujet - et plus particulièrement au sein du rapport adopté par la commission des lois du Sénat lors de l'examen de la proposition de loi précitée9(*).
i. L'action de groupe connaît en droit français une diversité de régimes sectoriels, introduits en trois étapes principales
a) La première procédure d'action de groupe a été instaurée en droit national par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation
La loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, dite loi « Hamon », a établi en ses articles 1er et 2 un premier régime juridique de l'action de groupe restreint au droit de la consommation, dont les modalités ont fait l'objet d'un encadrement prudent :
- seules les associations de défense des consommateurs représentatives à l'échelle nationale et agréées disposent de la qualité pour agir, en vertu de l'article L. 623-1 du code de la consommation ;
- le champ matériel de cette procédure est limité au droit de la consommation et de la concurrence ; seuls les préjudices individuels subis par des consommateurs qui résultent du manquement d'un professionnel à ses obligations légales ou contractuelles « à l'occasion de la vente de biens ou de la fourniture de services » ou les préjudices « résultant de pratiques anticoncurrentielles » peuvent faire l'objet d'une action de groupe.
Une procédure d'action de groupe simplifiée a au surplus été instaurée aux articles L. 623-14 à L. 623-17 du code de la consommation, dans le cas où les préjudices individuels seraient identiques.
La procédure normale est scindée en deux phases successives, que sont le jugement sur la responsabilité, lors de laquelle le juge statue au fond si l'action est recevable, et la liquidation du préjudice, qui obéit aux modalités déterminées par le juge dans sa décision.
b) La loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a ensuite institué une action de groupe propre aux produits de santé
La procédure d'action de groupe introduite par la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 se distingue à plusieurs égards du régime précédent :
- seules les associations agréées d'usagers du système de santé disposent de la qualité pour agir ;
- seuls les préjudices corporels individuels subis par des usagers du système de santé sont indemnisables ;
- le champ matériel de l'action de groupe « santé » est enfin réduit aux seuls les manquements d'un producteur, d'un fournisseur ou d'un prestataire utilisant un produit de santé, dont la liste figure au II de l'article L. 5311-1 du code de la santé publique.
Ces régimes obéissent toutefois à une logique procédurale commune ; une procédure de liquidation du préjudice succède dans les deux cas à la reconnaissance de la responsabilité du défendeur et à la détermination des modalités d'indemnisation.
c) Un régime élargi de droit commun a enfin été introduit par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle
La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle a élargi le champ matériel de l'action de groupe aux contentieux qui résultent :
- d'une discrimination directe ou indirecte ;
- en droit du travail, d'une discrimination imputable à un employeur, de droit privé comme de droit public, qu'elle se soit manifestée lors de l'embauche ou au cours de la carrière - les organisations syndicales représentatives disposant seules de la qualité pour agir dans cette dernière hypothèse ;
- d'un dommage causé à l'environnement ;
- d'un manquement constaté lors du traitement de données personnelles.
Cette extension du champ d'application de la procédure d'action de groupe s'accompagne de la définition d'un cadre juridique général, qui s'applique, mutatis mutandis, aux divers régimes de l'action de groupe.
Cette loi a ainsi déterminé un cadre global, qui se définit notamment par les caractéristiques suivantes :
- la qualité pour agir est en principe reconnue aux associations régulièrement déclarées depuis cinq ans, dont l'objet statutaire mentionne la défense des intérêts auxquels il a été porté atteinte. Une définition plus stricte de la qualité pour agir a toutefois été retenue pour plusieurs actions de groupe, qu'il s'agisse de la santé, de la consommation ou de la discrimination en droit du travail, passé le stade de l'embauche ;
- une mise en demeure préalable à l'action de groupe a été instaurée en amont de plusieurs actions de groupe, dont elle conditionne la recevabilité. La mise en demeure dure quatre mois pour les actions de groupe « discriminations », « environnement » et « données personnelles » et six mois pour celles engagées en droit du travail ;
- une action de groupe en cessation du manquement a été intégrée au sein du cadre général en plus de l'action en réparation, tandis que les régimes « consommation » et « santé » ne prévoient que cette dernière ;
- deux procédures de liquidation des préjudices peuvent être suivies : la procédure individuelle, qui seule peut être observée dans le cadre des actions de groupe « consommation » et « santé », et la procédure collective, qui permet au demandeur de négocier, avec le défendeur et au nom des membres du groupe, les modalités de liquidation des préjudices.
Le tableau ci-dessous récapitule les fondements juridiques des sept régimes de l'action de groupe en droit français.
Les sept fondements juridiques en matière d'action de groupe
Type d'action de groupe |
Loi ayant créé le type d'action de groupe |
Dispositions en vigueur régissant |
Juge compétent |
Action de groupe
|
Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative
à la consommation |
Articles L. 623-1 à L. 623-32 du code de la consommation. |
Juge judiciaire |
Action de
groupe |
Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. |
Articles L. 1143-1 à L. 1143-13 du code de la santé publique. |
Juge administratif ou judiciaire |
Action de
groupe |
Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. |
Article 10 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. |
Juge administratif ou judiciaire |
Action de groupe |
Articles L. 1134-6 à L. 1134-10 du code du travail. |
Juge judiciaire |
|
Action de groupe |
Articles L. 77-11-1 à L. 77-11-6 du code de justice administrative. |
Juge administratif |
|
Action de
groupe |
Article L. 142-3-1 du code de l'environnement. |
Juge administratif ou judiciaire |
|
Action de groupe |
Article 37 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. |
Juge administratif ou judiciaire |
Source : commission des lois de l'Assemblée nationale10(*)
ii. Les sept cadres procéduraux de l'action de groupe se distinguent par des différences juridiques significatives
Les différences juridiques qui distinguent ces régimes pourraient expliquer le succès mitigé de cette procédure en droit français - seules 35 actions de groupe ayant été intentées en dix ans, parmi lesquelles peu ont abouti.
L'action de groupe connaît ainsi sept régimes procéduraux sectoriels, qui se distinguent par l'essentiel de leurs caractéristiques principales, qu'il s'agisse de leur champ matériel, de la qualité pour agir, de l'objet de l'action - en réparation ou en cessation du manquement -, de l'existence d'une mise en demeure préalable, des modalités de liquidation des préjudices et enfin des types de préjudices indemnisables.
Les rapports parlementaires précités ont documenté les distinctions principales entre les régimes - qui figurent au sein du tableau récapitulatif ci-dessous - et expliqué les désagréments qu'elles entraînent.
Le Parlement s'est ainsi attaché à identifier les moyens de remédier aux inconvénients qui découlent de cet éclatement de l'action de groupe française.
Le rapport d'information de l'Assemblée nationale sur le bilan et les perspectives des actions de groupe adopté en 202011(*) imputait principalement le bilan « décevant » de l'action de groupe à cette atomisation. Ses auteurs, Laurence Vichnievsky et Philippe Gosselin, se sont prononcés en faveur de l'instauration d'un « régime général de l'action de groupe », et ont présenté la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe en ce sens.
Cette proposition de loi, qui reprenait dans sa version issue des travaux de l'Assemblée nationale l'essentiel des propositions formulées dans le rapport d'information sur le bilan et les perspectives des actions de groupe, a été largement amendée en première lecture au Sénat en février 2024. En dépit de l'engagement de la procédure accélérée sur ce texte, la commission mixte paritaire n'a pas été convoquée par le gouvernement.
Les fondements des désaccords entre les deux chambres feront l'objet de développements ultérieurs, car ils persistent pour l'essentiel d'entre eux au sein du projet de loi Ddadue.
-23-
Tableau récapitulatif des régimes juridiques de l'action de groupe
Consommation |
Santé |
Discriminations |
Discrimination imputable à un employeur de droit privé |
Discrimination imputable à employeur de droit public |
Environnement |
Données personnelles |
|
Type de litige |
Litiges nés de la vente de biens ou de la fourniture de services ainsi que de la location d'un bien immobilier, litiges nés de pratiques anticoncurrentielles |
Litiges liés aux produits de santé |
Litige né d'une discrimination directe ou indirecte |
Litige né d'une discrimination directe ou indirecte |
Litige né d'une discrimination directe ou indirecte |
Litiges nés d'un dommage causé à l'environnement dans les domaines visés à l'article L. 142-2 du code de l'environnement |
Litige relatif au traitement des données personnelles |
Qualité pour agir |
Associations de défense des consommateurs représentatives au niveau national et agréées |
Associations d'usagers du système de santé agréées |
Associations régulièrement déclarées depuis cinq ans |
Organisations syndicales de salariés représentatives ; associations régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans (uniquement pour les discriminations au stade de la candidature). |
Organisations syndicales représentatives ; associations régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans (uniquement pour les discriminations au stade de la candidature) |
Associations agréées dont l'objet statutaire comporte la défense des victimes de dommages corporels ou la défense des intérêts économiques de leurs membres, associations de protection de l'environnement agréées |
Associations régulièrement déclarées depuis cinq ans, organisations syndicales représentatives (lorsque le traitement affecte les intérêts des personnes que les statuts de ces organisations les chargent de défendre) |
Objet de l'action |
Réparation uniquement |
Réparation uniquement |
Réparation ou cessation du manquement |
Réparation ou cessation du manquement |
Réparation ou cessation du manquement |
Réparation ou cessation du manquement |
Réparation ou cessation du manquement |
Mise en demeure |
Non |
Non |
Oui : 4 mois |
Oui : 6 mois |
Oui : 6 mois |
Oui : 4 mois |
Oui : 4 mois |
Procédure |
Jugement sur la responsabilité du professionnel puis procédure de liquidation des préjudices (individuelle). Existence d'une procédure d'action de groupe simplifiée. |
Jugement sur la responsabilité du professionnel puis procédure de liquidation des préjudices (individuelle) |
Jugement sur la responsabilité du professionnel puis procédure de liquidation des préjudices (individuelle ou collective). |
Jugement sur la responsabilité du professionnel puis procédure de liquidation des préjudices (individuelle) |
Jugement sur la responsabilité du professionnel puis procédure de liquidation des préjudices (individuelle) |
Jugement sur la responsabilité du professionnel puis procédure de liquidation des préjudices (individuelle ou collective) |
Jugement sur la responsabilité du professionnel puis procédure de liquidation des préjudices (individuelle) |
Préjudices indemnisables |
Préjudices patrimoniaux |
Préjudices résultant de dommages corporels |
Tous les chefs de préjudice (matériel, moral, corporel) |
Tous les chefs de préjudice (matériel, moral, corporel) |
Tous les chefs de préjudice (matériel, moral, corporel) |
Préjudices corporels ou matériels |
Tous les chefs de préjudice (matériel, moral, corporel) |
Juge compétent |
Juge judiciaire |
Juge administratif ou judiciaire |
Juge administratif ou judiciaire |
Juge judiciaire |
Juge administratif |
Juge administratif ou judiciaire |
Juge administratif ou judiciaire |
- 24 -
Source : commission des lois de l'Assemblée
nationale
1.2 La directive « actions représentatives », qui devait être transposée par la France avant le 25 décembre 2022, exige une adaptation du régime français de l'action de groupe
La directive (UE) 2020/1828 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs et abrogeant la directive 2009/22/CE (directive « actions représentatives ») comporte plusieurs dispositions qui devaient faire l'objet d'une transposition avant le 25 décembre 2022 - la France ayant notifié à la Commission européenne, les 7 et 8 septembre 2022, la transposition partielle de ladite directive en droit national.
Il convient donc d'adapter le cadre juridique de l'action de groupe, pour prévenir l'éventualité d'un avis motivé de la Commission européenne, voire l'engagement par cette dernière d'une procédure contentieuse et la potentielle condamnation de la France à une sanction pécuniaire. La transposition de la directive « actions représentatives » figurait par ailleurs au rang des objectifs poursuivis par la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe.
Le droit français de l'action de groupe n'apparaît en effet pas conforme à plusieurs articles de cette directive, dont les plus significatifs traitent notamment des actions de groupe transfrontières, de la prévention des conflits d'intérêts et de l'information des justiciables.
i. Un dispositif d'action de groupe transfrontière doit être institué en droit français
L'article 6 de la directive « actions représentatives » prévoit l'introduction d'actions représentatives transfrontières en droit national. Cette disposition établit un cadre général défini par plusieurs caractéristiques précises.
Cette procédure repose tout d'abord sur un agrément spécifique, dont l'obtention est conditionnée à la satisfaction de critères cumulatifs énumérés au troisième paragraphe de l'article 4 de la directive. L'indépendance de l'entité en cause, qui repose notamment sur l'absence de conflit d'intérêts, doit ainsi être garantie par des procédures spécifiques et transparentes.
Ce même article 4 précise en son cinquième paragraphe qu'il est loisible aux États membres de retenir les mêmes critères d'attribution de l'agrément pour les actions de groupe nationales, ce qui participe en effet de l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. Le Sénat avait retenu cette approche lors de l'examen de la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe.
L'action de groupe transfrontière obéit au surplus au principe de reconnaissance mutuelle. L'article 6 précité dispose en effet que « les États membres veillent à ce que les entités qualifiées désignées à l'avance dans un autre État membre aux fins d'intenter des actions représentatives transfrontières puissent intenter ces actions représentatives devant leurs juridictions ou autorités administratives ».
L'article 5 de la directive précise en outre en son paragraphe 4 qu'une procédure de contestation de la qualité pour agir doit être prévue.
ii. La directive « actions représentatives » impose l'attribution au juge des moyens de prévenir les conflits d'intérêts dans le cadre des actions de groupe en réparation des préjudices
L'article 10 de la directive impose aux États membres de prévenir les conflits d'intérêts et le détournement de l'action représentative en réparation des préjudices par un tiers bailleur de fonds, ce au détriment de l'intérêt des consommateurs.
Les juges doivent à cette fin être « habilitées à évaluer le respect » de ces exigences « dans les cas où des doutes justifiés surgissent à cet égard » - et pouvoir « si nécessaire, rejeter la qualité pour agir de l'entité qualifiée dans le cadre d'une action représentative déterminée ».
iii. Le juge doit pouvoir mandater un médiateur à l'occasion d'une action de groupe en réparation des préjudices
L'article 11 de la directive « actions représentatives » exige au b) de son paragraphe premier qu'il soit permis au juge, « après avoir consulté l'entité qualifiée et le professionnel », de les inviter « à parvenir à un accord concernant la réparation dans un délai raisonnable ».
Un tel accord est ensuite soumis au contrôle de la juridiction compétente, en vertu du paragraphe 2 du même article 11.
iv. Les informations relatives aux actions représentatives doivent être diffusées suivant plusieurs modalités énoncées par la directive
La directive « actions représentatives » prévoit l'information des justiciables au sujet tant des actions de groupe intentées, que des décisions de justice rendues à l'issue de ces procédures.
L'article 13 de la directive impose ainsi aux États membres de garantir que les entités agréées diffusent, spécialement sur leur site internet, des informations relatives aux actions de groupe qu'elles envisagent, à l'avancement de celles qu'elles ont intentées et au résultat de ces dernières.
Le même article dispose que « les consommateurs concernés par une action représentative en cours visant à obtenir une mesure de réparation reçoivent des informations » à son sujet « en temps utile », pour qu'ils puissent décider de leur participation à la procédure.
Cet article prévoit également que le juge « ordonne au professionnel d'informer les consommateurs concernés par l'action représentative » de toute décision définitive et de tout accord homologué, nonobstant les précédents dispositifs d'information des justiciables. Cette obligation incombe en revanche à l'entité qualifiée lorsqu'une action de groupe aboutit à une décision d'irrecevabilité ou de rejet.
v. Une action de groupe manifestement infondée doit pouvoir être rejetée par la juridiction dès son introduction
Le paragraphe 7 de l'article 7 de la directive impose aux États membres de fournir au juge les moyens de rejeter « au stade le plus précoce possible de la procédure » les actions « manifestement non fondées ».
2. La solution envisagée par le gouvernement d'une transposition simple de la directive a été écartée par l'Assemblée nationale au profit de l'adoption d'un cadre de l'action de groupe unifié, inspiré de la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe
2.1. Le gouvernement entendait procéder à une transposition stricte, à régimes constants, de la directive « actions représentatives »
Si le gouvernement a concédé que « l'adaptation nécessaire du droit de l'action de groupe constituait une occasion de refonder son régime juridique, en l'unifiant et en accroissant son attractivité », notamment eu égard « au constat partagé, par les parlementaires et les associations, [du] bilan décevant » de cette procédure, il a toutefois décidé de procéder à une transposition stricte de la directive « actions représentatives » lors du dépôt du présent projet de loi, plutôt que de poursuivre l'examen de la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe12(*).
L'étude d'impact du projet de loi souligne en effet que la proposition de loi précitée présente plusieurs inconvénients, qui tiennent notamment à l'abandon de l'essentiel des spécificités sectorielles, à l'ouverture excessive du champ matériel comme de la qualité pour agir et à l'instauration d'une amende civile, au sujet de laquelle le Conseil d'État a exprimé de vives réserves, dans un avis rendu suite à une saisine de l'Assemblée nationale13(*) sur le fondement du dernier alinéa de l'article 39 de la Constitution.
Les défauts juridiques énumérés par le gouvernement correspondent notamment à ceux que le Sénat avait identifiés lors de l'examen en première lecture du texte en question - et au regard desquels ce dernier a été amendé. La proposition de loi précitée, telle que transmise à l'Assemblée nationale par le Sénat, ne soulève donc plus les difficultés juridiques susmentionnées et pouvait donc poursuivre la navette parlementaire.
Cette décision gouvernementale résulte enfin de l'urgence d'opérer la transposition de cette directive, eu égard au dépassement du délai imparti pour ce faire, qui, pour rappel, courait jusqu'au 25 décembre 2022.
Le projet de loi initial procédait ainsi, en ses articles 14 à 19, à la transposition, au sein des différents régimes de l'action de groupe, de la directive « actions représentatives ».
i. L'article 14 modifiait le socle procédural commun aux actions de groupe intentées devant le juge judiciaire, qui figure au titre V de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016
La version initiale de l'article 14 procédait à la transposition stricte de la directive « actions représentatives » au sein du socle procédural commun par plusieurs modifications de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, parmi lesquelles figuraient notamment :
- une section 4 bis, qui introduisait la procédure d'action de groupe transfrontière (13° de l'article 14 précité), en limitant toutefois son champ matériel aux actions intentées dans le domaine de la santé et des données personnelles. Pour le reste, le dispositif prévoyait bien la reconnaissance mutuelle de la qualité pour agir, l'instauration d'une procédure d'agrément spécifique et la possibilité de contester la qualité pour agir du demandeur ;
- le développement de l'information des justiciables quant aux actions de groupe, conformément aux différentes exigences de la directive. Il en va par exemple ainsi de « la mise à la disposition du public » de la liste des associations agréées, que le 3° de l'article 14 précité ajoutait à l'article 63 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 ou de l'information que les associations doivent diffuser au sujet des actions de groupe qu'elles intentent, en vertu du nouvel article 64-1 que le 5° du même article 14 introduisait dans cette loi ;
- un article 64-2 nouveau, qui permettait au juge de rejeter dès l'introduction de l'instance une action de groupe « manifestement infondée » (5° du même article 14).
Le gouvernement avait par ailleurs décidé de supprimer la mise en demeure de quatre mois initialement prévue à l'article 64 de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle. La directive permet toutefois aux États membres d'introduire une telle procédure, mais précise que « si le professionnel ne met pas fin à l'infraction dans les deux semaines à compter de la réception d'une demande de consultation, l'entité qualifiée peut immédiatement intenter une action représentative ». Il serait donc loisible au législateur d'intégrer au régime de l'action de groupe une mise en demeure d'au plus deux semaines.
ii. L'article 15 adaptait la procédure de l'action de groupe suivie devant le juge administratif aux exigences de la directive « actions représentatives »
Le code de justice administrative faisait l'objet de plusieurs modifications, pour garantir la transposition stricte de la directive. L'article 15 initial prévoyait notamment :
- l'ajout d'une section 5 relative aux actions de groupe transfrontières (11° de l'article 15), conformément à ce qu'impose la directive « actions représentatives ». Il avait aussi été décidé de limiter le champ d'application de cette procédure aux actions de groupe « santé » et « données personnelles » ;
- l'introduction de plusieurs dispositions relatives à l'information des justiciables, suivant la logique présentée ci-dessus, notamment aux articles L. 77-10-4 et L. 77-10-5 du code de justice administrative (2° et 3° de l'article 15) ;
- l'attribution au juge de la capacité de « donner mission à un médiateur » de proposer aux parties, avec l'accord de ces dernières, une convention relative aux conditions d'indemnisation des dommages en cause, grâce à la modification de l'article L. 77-10-16 du code de justice administrative (9° de l'article 15 précité).
Le gouvernement avait également choisi de supprimer la mise en demeure prévue dans le droit en vigueur, en procédant à la réécriture de l'article L. 77-10-5 du code de justice administrative (3° du même article 15).
iii. L'article 16 révisait la loi « informatique et libertés » conformément aux dispositions de la directive « actions représentatives »
L'article 16 apportait principalement deux modifications à la loi « informatique et libertés » rendues nécessaires par la transposition de la directive :
- l'article 37 de la loi « informatique et libertés » exigeait du demandeur en son II. qu'il présentât les cas individuels sur lesquels se fondait l'action de groupe introduite. Or, le paragraphe 3 de l'article 8 de la directive « actions représentatives » exclut expressément la possibilité de prévoir une telle condition. Il était donc modifié en ce sens (1° du I. de l'article 16) ;
- l'article 76-2 de la loi « informatique et libertés » était modifié pour qu'il fût conforme au principe de reconnaissance mutuelle posé par la directive.
iv. Les articles 17 et 18 apportaient au code de la consommation les modifications exigées par la transposition de la directive et y intégraient la procédure d'agrément transfrontière
Le code de la consommation était modifié pour garantir la conformité de l'action de groupe « consommation » à la directive « actions représentatives ». Cela exigeait notamment :
- l'introduction de la procédure d'action de groupe transfrontière, par l'ajout d'un chapitre IV au titre II du livre VI du code précité (10° de l'article 17) et d'un chapitre III au titre Ier du livre VIII du même code (article 18) ;
- la création d'une action de groupe en cessation du manquement, que le droit actuel ne prévoit pas en matière de consommation. Le 3° de l'article 17 ajoutait donc une section 1 bis au chapitre III du titre II du livre VI du code de la consommation ;
- l'extension du champ matériel de l'action de groupe « consommation » à tout manquement d'un professionnel à ses obligations légales et contractuelles (1° de l'article 17) et des préjudices réparables en la matière (1° de l'article 17 précité) ;
- les diverses modifications imposées par la directive, en matière notamment d'information des justiciables (1°, 3° et 6° du même article 17) ou de désignation d'un médiateur (7° de l'article 17 précité).
v. L'article 19 modifiait le code de la santé publique au regard des exigences de la directive « actions représentatives »
Outre une disposition de coordination (II de l'article 19), plusieurs modifications étaient apportées au code de la santé publique :
- l'article L. 1143-1 du code de la santé publique était réécrit pour qu'il mentionnât expressément le champ matériel de l'action de groupe « santé », lequel figure actuellement à l'article L. 1143-2 du même code, et qu'il prévit des exceptions à l'application des dispositions du cadre procédural commun ;
- l'article L. 1143-2 du même code était aussi réécrit pour étendre la qualité pour agir de l'action de groupe « santé », en adoptant le régime retenu par l'article 63 de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, et pour écarter la restriction actuelle de ce régime à « la réparation des préjudices résultant de dommages corporels ».
2.2. L'Assemblée nationale a adopté un régime unifié de l'action de groupe conforme à la directive « actions représentatives » et largement inspiré d'une précédente proposition de loi qu'elle a examinée en première lecture
L'Assemblée nationale a donc intégré, par amendement de son rapporteur pour avis, Philippe Gosselin, la version de la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe qu'elle avait adoptée en première lecture, en la substituant aux dispositions de transposition stricte, à régimes constants, rédigées par le gouvernement - et ce sans tenir compte de la plupart des difficultés juridiques identifiées par le Sénat lors de l'examen de ce texte, au-delà de quelques aménagements exigés par la directive « actions représentatives » et d'amendements rédactionnels.
L'essentiel de la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe, dans sa version issue des travaux de l'Assemblée nationale, figure donc désormais au sein de l'article 14 du présent projet de loi, qui a été entièrement réécrit ; les articles 15 à 19 ont quant à eux été supprimés.
i. L'article 14 du Ddadue contient l'essentiel des dispositions litigieuses de la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe
L'Assemblée nationale a maintenu identique la définition de l'objet de l'action de groupe et n'a modifié qu'à la marge la disposition relative à la détermination de la qualité pour agir, pour prévoir la publication, dans des conditions établies par décret en Conseil d'État, de la liste des associations agréées (3° du 1 du B du III de l'article 14, en son alinéa 8) et pour imposer aux entités concernées d'informer les justiciables, spécialement sur leur site internet, des actions de groupe envisagées ou intentées (5 du B du III de l'article 14, en son alinéa 17). L'Assemblée a repris là une disposition ajoutée par le Sénat lors de l'examen de la proposition de loi précitée, en précisant, conformément à l'article 13 de la directive en cause, que cette publicité doit figurer sur le site internet des entités.
L'Assemblée nationale a conservé la création d'une « sanction civile en cas de faute dolosive ayant entraîné des dommages sériels », qui n'a fait l'objet que de quelques modifications rédactionnelles (XI de l'article 14, aux alinéas 84 à 93).
Le dispositif de l'attestation sur l'honneur a aussi été maintenu (C du III de l'article 14, en son alinéa 18). Un alinéa lui a toutefois été adjoint, qui attribue au juge le moyen de rejeter une action manifestement infondée dès l'introduction de l'instance, conformément à ce qu'impose la directive au paragraphe 7 de son article 7 (alinéa 19 de l'article 14).
Le registre national des actions de groupe a été conservé (VI de l'article 14, en son alinéa 54), dans sa rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale.
L'Assemblée a par ailleurs supprimé la mise en demeure spécifique aux actions de groupe intentées en droit du travail qu'elle avait introduite à l'article 1er quater A de la proposition de loi précitée.
ii. L'Assemblée nationale n'a apporté que quelques modifications essentiellement techniques, de transposition et de rédaction, à sa précédente version du texte
La définition de l'action de groupe en cessation du manquement a été modifiée, pour préciser que :
- le demandeur n'est dans ce cadre « tenu ni d'invoquer un préjudice pour les membres du groupe, ni d'établir l'intention ou la négligence du défendeur » (alinéa 20 de l'article 14). Cette évolution résulte vraisemblablement de la volonté de transposer le troisième paragraphe de l'article 8 de la directive, qui dispose que « l'entité qualifiée n'est pas tenue de prouver14(*) [...] une perte ou un préjudice réels subis par les consommateurs individuels lésés [...] ou l'intention ou la négligence du professionnel ». Le choix du verbe « invoquer », tandis que la directive emploie celui de « prouver », entraînerait une forme de surtransposition ;
- le juge « ordonne » des mesures de publicité destinées à informer les justiciables susceptibles d'être concernés par une action de groupe lorsqu'un manquement a été constaté - ou « peut ordonner » de telles mesures lorsque l'action s'avère irrecevable ou qu'elle est rejetée (alinéa 23 et 24 de l'article 14). Il s'agit d'assurer le respect de l'article 13 de la directive.
La définition de l'action de groupe en réparation des préjudices a aussi fait l'objet de plusieurs modifications, qui tiennent à :
- l'introduction d'une condition de recevabilité liée à l'existence d'une situation de conflit d'intérêts entre le demandeur et un tiers à l'instance, « dans des conditions susceptibles de porter atteinte à l'intérêt des personnes représentées » (1 du A du V de l'article 14, en son alinéa 26). Cette condition, qui ne figurait pas dans la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, mais qui avait été introduite dans des termes différents par le Sénat à l'article 1er quater AA de la même proposition de loi, vise à respecter l'article 10 de la directive ;
- une meilleure transposition de l'article 13 de la directive, dans des termes similaires à ceux employés pour l'action de groupe en cessation du manquement (alinéas 30 et 31 de l'article 14) ;
- une évolution rédactionnelle. À l'alinéa 27 de l'article 14, la phrase « Le juge statue sur la responsabilité du défendeur » a été complétée des mots : « au vu des cas individuels présentés par le demandeur », du fait de l'évolution de la rédaction de l'alinéa 26 précité.
Une modification rédactionnelle a été apportée au régime de la procédure individuelle de réparation des préjudices. Il est désormais explicitement prévu que la personne déclarée responsable procède à l'indemnisation individuelle des préjudices « dans le délai fixé par [le] jugement » (alinéa 42 de l'article 14).
Il a été précisé que le juge peut refuser l'homologation d'un accord négocié dans le cadre d'une médiation si le demandeur se trouve en situation de conflit d'intérêts ou influencé par un tiers (alinéa 52 de l'article 14).
L'habilitation à exercer des actions de groupe transfrontières repose sur une définition inchangée de cette procédure. Les modalités d'attribution de l'agrément pour intenter une telle action ont en revanche évolué :
- le texte précise en son état actuel que l'agrément est attribué « dans des conditions et des délais définis par décret en Conseil d'État », tandis que la proposition de loi précitée ne précisait que : « dans des conditions prévues par décret » ;
- l'article 14 ne mentionne plus spécifiquement le ministre chargé de la consommation, mais seulement « l'autorité compétente », pour désigner l'institution à qui il revient d'attribuer l'agrément ;
- une procédure de contestation, lors d'une instance, de la qualité pour agir du demandeur a été créée (alinéas 79 à 81 de l'article 14). Or, le paragraphe 4 de l'article 5 de la directive, qui exige que « si un État membre ou la Commission [européenne] exprime des préoccupations quant au fait qu'une entité qualifiée satisfait ou non aux critères [d'attribution de l'agrément], l'État membre qui a désigné ladite entité qualifiée enquête sur ces préoccupations », était déjà respecté par l'article 2 terdecies A de la proposition de loi, repris aux alinéas 82 et 83 de l'article 14, outre quelques modifications rédactionnelles ;
- la référence expresse à la directive pour définir cette procédure a été écartée au profit d'un renvoi à l'alinéa 70 de l'article 14 qui en apporte une définition propre.
Les dispositions relatives à la coordination propre aux outre-mer ont enfin fait l'objet d'une réécriture.
iii. De nombreuses dispositions demeurent enfin inchangées entre la version de la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe de l'Assemblée nationale et l'article 14 du présent projet de loi
L'Assemblée nationale a conservé, identiques, la procédure collective de liquidation des préjudices (alinéas 36 à 38 et 44 à 48 de l'article 14), qui avait été en partie réécrite par le Sénat, et le caractère en principe exécutoire à titre provisoire du jugement sur la responsabilité (alinéa 39 de l'article 14), qui avait été supprimé par le Sénat compte tenu des complexités procédurales qu'une telle disposition entraînerait - et remplacée par un mécanisme de consignation des sommes dues par le défendeur à la disposition du juge.
La procédure individuelle de liquidation des préjudices a été maintenue en sa version issue des précédents travaux de l'Assemblée nationale (alinéas 40 à 43 de l'article 14). Il en va de même pour les dispositions relatives à la garantie des fonds reçus au titre de l'indemnisation des membres du groupe (alinéa 49 de l'article 14). Ces deux dispositions avaient fait l'objet d'une adoption conforme par le Sénat.
Les dispositions relatives à la compétence juridictionnelle en matière d'action de groupe (alinéas 55, 56, 106 et 107 de l'article 14), à certaines actions de groupe (alinéas 57 à 61 de l'article 14) et aux caractères de la procédure suivie devant les juridictions compétentes (alinéas 62 à 69 de l'article 14) ont été adoptées à l'identique, sans prise en compte des modifications apportées par le Sénat.
L'Assemblée nationale n'a toutefois pas repris l'article 2 quinquies A, qui spécifiait que « le demandeur [pouvait] s'adjoindre les services d'un avocat pour l'assister », notamment dans ses rapports avec « les personnes susceptibles d'être indemnisées » - qui avait été supprimé par le Sénat, compte tenu de son caractère purement déclaratif -, ni l'article 2 nonies, qui permettait notamment la prise en charge, par l'État, de tout ou partie de l'avance des frais afférents aux mesures d'instruction ordonnées par le juge, sur décision de ce dernier et dont le Sénat avait amélioré la rédaction, du fait de la règle d'irrecevabilité financière.
Plusieurs dispositions ajoutées par le Sénat n'ont pas non plus été entérinées par l'Assemblée nationale, qu'il s'agisse de la mise en demeure préalable, de la procédure d'action de groupe simplifiée, ou de mesures spécifiques à la prévention des conflits d'intérêts.
Enfin, l'Assemblée nationale a supprimé les articles 15 à 19, qui apportaient aux différents régimes existants les évolutions exigées par la directive (voir 2.1.) - et modifiaient donc les dispositions que l'article 14 a abrogées.
3. Le régime unifié de l'action de groupe adopté par l'Assemblée nationale soulève de nouveau diverses difficultés auxquelles la commission des lois a remédié
L'Assemblée nationale a donc largement repris sa version de la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe, sans rectifier l'essentiel des difficultés juridiques ou des effets potentiels indésirables identifiés par le Sénat, au-delà de certains aménagements rédactionnels ou nécessités par la transposition de la directive « actions représentatives ».
La commission n'a pas souhaité revenir aux articles 14 à 19 dans la rédaction prévue par le Gouvernement, compte tenu des travaux que le Parlement a conduits au sujet de l'action de groupe. Elle a en revanche adopté, à l'article 14, un amendement de réécriture globale du rapporteur, conforme aux orientations qu'elle avait défendues lors de l'examen de cette proposition de loi15(*), et qui oeuvre, autant que possible, à une conciliation avec l'Assemblée nationale.
3.1. La commission a restreint le champ d'application du régime de l'action de groupe et les conditions d'octroi de la qualité pour agir pour limiter les effets néfastes du dispositif actuel
L'universalisation du champ matériel de l'action de groupe soulève en effet deux difficultés principales, qui tiennent à :
- l'élargissement du nombre d'opérateurs économiques soumis au risque réputationnel significatif qu'engendre l'engagement d'une action de groupe, voire la simple menace d'en intenter une ;
- l'instrumentalisation vraisemblable de cette procédure spécifique au détriment des justiciables, qui pourraient être détournés des procédures individuelles.
L'universalisation du champ d'application de l'action de groupe pourrait ainsi entraîner des conséquences disproportionnées sur la pratique des professionnels et des services de santé. De la même manière, en matière de droit du travail, elle pourrait largement dessaisir les conseils de prud'hommes de contentieux et par là même priver les syndicats du rôle qui leur incombe. La commission a donc maintenu le champ matériel actuel des actions de groupe concernant les manquements au code de la santé publique et au code du travail (B du I).
Les modalités d'octroi de la qualité pour agir retenues par l'Assemblée nationale demeurent excessivement permissives, ce qui ne permet pas de garantir la crédibilité, la sincérité, la fiabilité et la probité des personnes morales bénéficiant de cette dernière. La commission a par ailleurs souhaité restaurer le monopole octroyé aux organisations syndicales concernant les actions de groupe intentées en droit du travail.
Enfin, elle juge utile d'observer le principe d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, en adoptant, comme le suggère l'article 4 de la directive, un régime d'agrément identique pour les actions de groupe nationales et transfrontières.
La commission a en conséquence rétabli les conditions d'octroi de la qualité pour agir qu'elle avait définies en janvier 2024 (C du I).
3.2. La commission a restauré des dispositifs susceptibles d'améliorer le régime unifié de l'action de groupe
La commission a introduit deux dispositions qui visent à améliorer la prévention des conflits d'intérêts, compte tenu des exigences de la directive en la matière. Il s'agit de l'encadrement du financement par des tiers des personnes morales qui disposent de la qualité pour agir (D du I) et du cas spécifique de l'action de groupe en réparation des préjudices (E du I), conformément à l'article 10 de la directive.
La procédure de mise en demeure, écartée par l'Assemblée nationale qui en avait pourtant intégré une spécifique au droit du travail dans la précédente proposition de loi, a été restaurée par la commission, quoique modifiée pour tenir compte des exigences de la directive, qui établit au paragraphe 4 de son article 8 un délai maximum de deux semaines (F du I). La commission estime en effet que la mise en demeure, loin de rallonger inutilement la procédure, permet au contraire d'éviter l'engagement indu d'une action de groupe.
La commission a par ailleurs restauré la procédure d'action de groupe simplifiée (C du III), qui n'existait jusqu'alors qu'en droit de la consommation. Permettant, lorsque l'identité et le nombre des justiciables lésés sont connus et qu'ils ont subi un préjudice identique, d'obtenir avec célérité l'indemnisation des préjudices, suivant une procédure similaire à celle de la liquidation individuelle des préjudices, elle s'avèrerait en effet utile et efficace dans le cadre d'un régime unifié de l'action de groupe.
Les modalités d'entrée en vigueur ont enfin été redéfinies, pour que le présent texte ne compromette pas la sécurité juridique des opérateurs économiques ayant conclu des contrats d'assurance avant l'institution de ce régime (XVI).
3.3. La commission a écarté des dispositions au regard des risques juridiques manifestes qu'elles soulevaient
L'Assemblée nationale a maintenu la création d'une « sanction civile en cas de faute dolosive ayant causé des dommages sériels », qui soulèvent de nombreuses difficultés juridiques :
- le dispositif ne paraît pas respecter le principe de proportionnalité des peines, spécialement au regard de la décision n° 2013679DC du 3 décembre 2013 du Conseil constitutionnel ;
- la qualification juridique du comportement incriminé apparaît insuffisante pour qu'elle soit conforme au principe de légalité des délits et des peines ;
- une telle sanction apporterait au droit de la responsabilité civile une évolution significative, sans que n'ait été conduite la moindre évaluation de ses effets potentiels et en méconnaissance de la logique compensatrice, et non punitive, de la responsabilité civile.
L'attestation sur l'honneur a également été conservée par l'Assemblée nationale, en dépit des limites juridiques qui lui sont inhérentes :
- la production de cette attestation par le demandeur fournirait au défendeur le prétexte pour engager une action pénale pour faux, ce qui générerait un contentieux accessoire préjudiciable à la procédure d'action de groupe ;
- ce dispositif constituerait une surtransposition de la directive, voire une violation de cette dernière dans le cas des actions de groupe intentées par des entités qualifiées issues d'autres États membres, pour lesquelles le principe de reconnaissance mutuelle seul doit prévaloir.
La commission a donc supprimé ces deux dispositions.
L'Assemblée nationale a enfin rétabli le caractère en principe exécutoire à titre provisoire du jugement sur la responsabilité. Or, une telle mesure pourrait complexifier la procédure et entraîner des effets préjudiciables aux parties. La commission a donc restauré le dispositif qu'elle avait déjà substitué à cette disposition, qui permet au juge d'ordonner la consignation à la Caisse des dépôts et consignations d'une part des sommes dues par le défendeur (3 du A du III).
3.4. La commission s'est attachée identifier un consensus entre l'Assemblée nationale et le Sénat
Outre les dispositions qui avaient déjà fait l'objet d'une adoption conforme lors de la première lecture, au Sénat, de la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe, l'adoption de l'amendement du rapporteur entérine plusieurs des modifications apportées par l'Assemblée lors de l'examen du présent texte.
La mise à la disposition du public de la liste des associations agréées, ajoutée par l'Assemblée nationale, a ainsi été reprise, sous réserve d'une modification formelle : un décret simple en établira les modalités, lorsque l'Assemblée prévoyait un décret en Conseil d'État (1 du C du I).
La possibilité pour le juge de rejeter une action manifestement infondée dès l'introduction de l'instance, qui relève de la transposition du paragraphe 7 de l'article 7 de la directive et qui a été prévue par l'Assemblée nationale, a été reprise dans les mêmes termes par le texte de la commission (G du I).
De la même manière, les modifications apportées par l'Assemblée nationale à la définition des actions de groupe en cessation du manquement (II), en réparation des préjudices (III) et à la procédure de médiation (D du III) ont largement été intégrées à l'amendement adopté par la commission.
La commission a au surplus adopté la version du registre public des actions de groupe issue des travaux de l'Assemblée nationale, en précisant que ce registre serait élaboré dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État, pour tenir compte des réserves exprimées à ce sujet par la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) (IV)
Enfin, la commission a confirmé la suppression des articles 15 à 19, devenus caducs du fait de l'adoption d'un régime unifié de l'action de groupe qui se substitue aux sept cadres procéduraux existants.
La commission a adopté l'article 14 ainsi modifié et maintenu la suppression des articles 15 à 19.
Article 42
Transposition de la directive (UE) 2021/1883 du Parlement
européen et du Conseil du 20 octobre 2021 établissant les
conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers
aux fins d'un emploi hautement qualifié
L'article 42 apporte les modifications rendues nécessaires par la directive (UE) 2021/1883 aux dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) relatives à la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « talent - carte bleue européenne ».
La commission a adopté cet article en y apportant plusieurs modifications rédactionnelles ou visant à clarifier certaines dispositions. Afin de lutter contre les éventuels abus de ce dispositif, elle a également souhaité transposer une disposition facultative de la directive (UE) 2021/1883, qui permet de retirer le titre de séjour en cas de manquement de l'employeur à ses obligations.
1. Une transposition nécessaire, des dispositions laissant peu de marge au législateur
La directive (UE) 2021/188316(*) du 20 octobre 2021 abroge et remplace la directive 2009/50/CE du 25 mai 200917(*) qui a institué la carte bleue européenne. Elle refond le régime de la carte bleue européenne et apporte notamment des assouplissements aux conditions d'octroi de ce titre, s'agissant par exemple de la durée minimale du contrat de travail et de la rémunération exigées.
Par une communication du 25 janvier 2024, la Commission européenne a mis en demeure la France pour défaut de transposition, la directive devant être transposée, en vertu de son article 31, au plus tard le 18 novembre 2023.
1.1. L'état du droit national
Instituée par la directive 2009/50/CE du 25 mai 2009, la carte bleue européenne prend la forme, en droit français, de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « talent - carte bleue européenne » prévue aux articles L. 421-11 et L. 421-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA). Ce titre de séjour a pour objet de favoriser l'admission, le séjour et la mobilité intra-européenne des travailleurs hautement qualifiés.
i. Les caractéristiques du titre de séjour
Le titre est délivré pour une durée correspondant à celle du contrat de travail, pour une durée maximale de quatre ans, sa délivrance étant soumise à des conditions :
- de qualification ou d'expérience professionnelle ;
- de durée minimale du contrat de travail présenté à l'appui de la demande ;
- de rémunération minimale.
La mobilité entre États membres de l'Union européenne est facilitée : le dernier alinéa de l'article L. 421-11 du CESEDA prévoit que l'étranger qui a séjourné au moins dix-huit mois dans un autre État membre sous couvert d'une carte bleue européenne peut venir occuper un emploi hautement qualifié en France et déposer, au cours du mois suivant son entrée sur le territoire, une demande en France.
L'article L. 421-12 du même code prévoit également que le titulaire d'une carte bleue européenne ayant résidé pendant cinq ans de manière ininterrompue sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne et qui a résidé en France les deux années précédant sa demande peut se voir délivrer une carte de résident portant la mention « résident de longue durée - UE » d'une durée de dix ans, sous réserve notamment du respect des conditions d'intégration républicaine.
Enfin, les membres de la famille d'un travailleur hautement qualifié titulaire de la carte de séjour pluriannuelle « talent - carte bleue européenne » bénéficient de conditions d'admission et de séjour favorables :
- le conjoint et les enfants majeurs se voient délivrer une carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent (famille) » d'une durée égale à la période de validité restant à courir de la carte de séjour du bénéficiaire ; cette carte est délivrée dans les mêmes conditions aux enfants du couple entrés mineurs en France à leur majorité (art. L. 421-22 du CESEDA) et renouvelée de plein droit pour une durée de quatre ans lorsque le titulaire réside en France depuis au moins cinq ans ;
- lorsque la famille était déjà constituée dans un État membre de l'Union européenne où elle était admise au séjour, le conjoint et les enfants majeurs se voient délivrer de plein droit la carte de séjour pluriannuelle « passeport talent (famille) » à condition qu'ils en fassent la demande dans le mois qui suit leur entrée en France (art. L. 421-23 du même code) ;
- après cinq ans de résidence ininterrompue en France, le conjoint et les enfants peuvent obtenir une carte de résident portant la mention « résident de longue durée - UE », valable dix ans, sous réserve du respect des conditions d'intégration républicaine (art. L. 421-25 du même code).
ii. Un dispositif encore limité mais qui connaît une dynamique forte
Le recours au dispositif « talent - carte bleue européenne », s'il est encore limité, connaît toutefois une augmentation prononcée.
Année |
Primo-délivrance (« création ») |
Renouvellement |
||
Titres délivrés |
Taux d'octroi |
Titres délivrés |
Taux d'octroi |
|
2016 |
199 |
99,0% |
96 |
99,0% |
2017 |
1153 |
99,9% |
600 |
99,3% |
2018 |
1740 |
99,8% |
815 |
99,6% |
2019 |
2385 |
99,6% |
1047 |
99,7% |
2020 |
1558 |
99,8% |
1078 |
99,3% |
2021 |
2329 |
99,7% |
2874 |
99,6% |
2022 |
3993 |
99,9% |
4008 |
99,6% |
2023 |
3946 |
99,8% |
4951 |
99,4% |
2024 |
2391 |
99,8% |
3960 |
99,6% |
Délivrance des cartes de séjour pluriannuelle « talent - carte bleue européenne »
Source : commission des lois à partir des données de la DGEF/DSED18(*)
Sa mise en oeuvre ne paraît pas poser de difficulté pratique, les taux d'octroi étant particulièrement élevés et donnant lieu à un nombre très limité de recours. Les services du ministère de l'intérieur ont indiqué à votre rapporteur que ce dispositif « mériterait d'être mieux connu des usagers ».
S'agissant des cartes de séjour pluriannuelles portant la mention « passeport talent (famille) », le ministère de l'intérieur indique que pour l'année 2023, 4 216 demandes ont été déposées par les conjoints de détenteurs d'une carte de séjour pluriannuelle portant la mention « talent - carte bleue européenne » ou par les enfants du couple entrés mineurs en France, dont 43 % au titre d'un renouvellement ; 99,9 % ont été accordées.
1.2. Les modifications rendues nécessaires par la directive (UE) 2021/1883
La directive (UE) 2021/1883 a apporté plusieurs modifications substantielles au régime de la carte bleue européenne, qui impliquent par voie de conséquence la modification de dispositions législatives du CESEDA :
- la réduction de la durée minimale du contrat de travail dans l'État membre nécessaire pour formuler la demande de carte bleue européenne, qui passe d'un an à six mois (article 5, paragraphe 1 de la directive) ;
- l'abaissement à trois ans (au lieu de cinq) de la durée d'expérience comparable à un diplôme sanctionnant trois années d'études supérieures pour les managers et les spécialistes des technologies de l'information et de la communication (article 2, paragraphe 9) ;
- l'allongement de la durée minimale de la carte bleue européenne, qui varie en fonction du contrat : lorsque la durée du contrat est inférieure à vingt-quatre mois, la durée de la carte doit être supérieure de trois mois à celledu contrat, dans la limite de vingt-quatre mois (article 9, paragraphe 2) ;
- l'abaissement de dix-huit à douze mois de la durée de séjour légal dans un premier État membre exigée avant de pouvoir occuper un emploi hautement qualifié dans un autre État membre (article 21, paragraphe 1), puis à six mois à partir de la deuxième mobilité (même article, paragraphe 11) ;
- la facilitation de la délivrance de la carte de résident de longue durée - UE : sont désormais pris en compte, pour la computation des cinq années de séjour régulier et ininterrompu dans des États membres de l'Union européenne, non seulement les séjours sous couvert de la seule carte bleue européenne mais également ceux effectués sous couvert d'autres titres énumérés par l'article 18, paragraphe 2, de la directive19(*) ; les deux années de résidence dans l'État membre qui précèdent la demande doivent en revanche toujours avoir lieu sous couvert de la carte bleue européenne ;
- la prise en compte obligatoire des séjours effectués dans différents États membres pour le calcul de la durée de résidence exigée pour la délivrance d'un titre de séjour autonome aux membres de la famille du titulaire d'une carte bleue européenne (article 17, paragraphe 7) ; la directive permet néanmoins aux États membres d'imposer une condition de résidence deux ans de résidence légale et ininterrompue sur leur territoire avant la demande.
1.3. Un renversement de logique s'agissant du seuil salarial
D'autres modifications prévues par la directive (UE) 2021/1883 relèvent du pouvoir réglementaire, à l'instar du seuil de rémunération, pour lequel la directive opère un renversement de logique.
En effet, alors que la directive du 30 mai 2009 imposait que le seuil salarial déterminé par les États membres ne soit pas inférieur à 1,5 fois le salaire annuel brut moyen dans l'État membre concerné (avec des possibilités de dérogation), la directive du 20 octobre 2021 fixe une limite inférieure bien plus faible (1,0 fois le salaire annuel brut moyen dans l'État membre) et prévoit désormais une limite supérieure fixée à 1,6 fois le salaire annuel brut moyen.
Pour la France, le seuil a été fixé à 1,5 fois le salaire brut moyen annuel de référence par l'ancien article R. 313-47 du CESEDA et le montant du salaire brut moyen annuel de référence à 35 891 euros par un arrêté du 28 octobre 2016. Ce montant n'a pas été actualisé depuis cette date et, surtout, les dispositions réglementaires qui lui servaient de fondement ont été abrogées lors de la recodification du CESEDA, ce qui a conduit le tribunal administratif de Nantes à juger que cette condition de rémunération « n'est pas applicable et ne peut donc être opposée »20(*).
Il a été indiqué au rapporteur que le Gouvernement souhaitait prendre les dispositions réglementaires nécessaires à l'application de ces dispositions et abaisser le seuil salarial à 1,4 fois le salaire annuel brut moyen de référence, dont le montant serait actualisé à 39 582 euros, soit son niveau mesuré par l'INSEE en 202021(*).
En conséquence, le salaire annuel brut requis pour la délivrance d'une carte de séjour pluriannuelle portant la mention « talent - carte bleue européenne » passerait de 53 836,5 euros à 55 414,8 euros, soit une augmentation de 1 578 euros (+ 2,9 %).
Le rapporteur relève qu'il est impératif que le Gouvernement prenne les mesures réglementaires nécessaires à l'application de ces dispositions. S'agissant du seuil salarial, il souligne que, sauf à dénaturer le dispositif, il convient de conserver un niveau de rémunération qui corresponde à celui d'un travailleur hautement qualifié. C'est le sens de l'amendement COM-W qu'a adopté la commission.
En outre, le salaire de référence devrait être actualisé régulièrement afin de tenir compte de l'augmentation des salaires liée à l'inflation : selon les données les plus récentes de l'INSEE, qui portent sur l'année 2023, le salaire annuel brut moyen s'élevait cette année à 43 356 euros22(*), soit un montant supérieur de 10 % à celui que le Gouvernement envisage de retenir.
2. Le dispositif proposé
2.1. Le texte initial
Le présent article modifie en conséquence les dispositions législatives du CESEDA.
Son 1° modifie l'article L. 411-4 de ce code pour y transposer les dispositions relatives à la durée de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « talent - carte bleue européenne », conformément à ce que prévoit l'article 9, paragraphe 2 de la directive.
Le 2° apporte plusieurs modifications à l'article L. 421-11 qui prévoit les conditions de délivrance de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « talent - carte bleue européenne » :
- son a) abaisse à six mois la condition tirée de la durée minimale du contrat de travail du demandeur, y inscrit également les dispositions relatives à la durée du titre de séjour et habilite le pouvoir réglementaire à déterminer, par décret en Conseil d'État, les conditions « tenant notamment à la profession concernée » dans lesquelles la durée d'expérience professionnelle requise peut être abaissée à trois ;
- son b) abaisse à douze mois la durée de séjour dans un État membre sous couvert d'une carte bleue européenne exigée avant de pouvoir occuper un emploi hautement qualifié en France, qui est réduite à partir de la deuxième mobilité dans un État membre, conformément à ce que prévoit la directive ;
- le c) insère deux alinéas qui transposent chacun des motifs de refus de délivrance ou de renouvellement de la carte de séjour prévus à l'article 7 de la directive (respectivement au d) du 1. et aux b) et d) du 2.) : le premier prévoit que toute demande est refusée lorsque « l'entreprise de l'employeur a été créée ou opère dans le but principal de faciliter l'entrée de ressortissants de pays tiers » ; le second prévoit que la demande peut être refusée lorsque l'entreprise de l'employeur « a manqué à ses obligations légales en matière de sécurité sociale, de fiscalité, des droits des travailleurs ou des conditions de travail ou lorsque l'employeur a fait l'objet d'une condamnation pénale pour le motif de travail illégal tel que défini par l'article L. 8211-1 du code du travail23(*) » ;
Le 3° modifie l'article L. 421-12, qui régit les conditions de délivrance de la carte de résident portant la mention « résident de longue durée-UE » d'une durée de dix ans aux titulaires de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « talent-carte bleue européenne » qui résident en France depuis deux ans.
Conformément à l'article 18, paragraphe 2, de la directive, il prévoit que sont prises en compte, au titre des trois années de séjour régulier exigées au-delà des deux années sous couvert de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « talent - carte bleue européenne » qui précèdent immédiatement la demande :
- la carte de séjour portant la mention « carte bleue européenne », comme dans le droit existant (a)) ;
- la carte de séjour nationale accordée pour l'exercice d'un emploi hautement qualifié (b)) ;
- la carte de séjour portant la mention « chercheur » (c)) ;
- les cartes de séjour octroyées aux bénéficiaires d'une protection internationale, c'est-à-dire la reconnaissance de la qualité de réfugié ou la protection subsidiaire (d)).
Le 4° modifie l'article L. 421-22 relatif aux titres de séjour délivrés aux membres de famille des étrangers titulaires de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « talent-carte bleue européenne ».
Conformément à l'article 17, paragraphe 7, de la directive, il intègre le cumul des séjours effectués dans différents États membres dans le calcul des cinq années de résidence exigées pour le renouvellement de plein droit de la carte de séjour des membres de la famille du titulaire de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « talent-carte bleue européenne ».
Comme le permet la directive, il est ajouté au même article la condition tenant à ce que le demandeur ait résidé légalement et de manière ininterrompue sur le territoire national pendant les deux années qui précèdent la demande ; l'étude d'impact précise qu'il s'agit de « s'assurer d'un ancrage le plus stable possible du membre de famille sur le territoire national avant la demande de titre autonome » dès lors que du fait du caractère autonome de ce titre, il est conservé « indépendamment de la relation qu'il entretient avec l'accueillant [titulaire de la carte bleue européenne] et du droit de séjour de celui-ci ».
Le 5° prévoit une mesure de coordination pour l'application de ces dispositions à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Les 6° et 7° procèdent à l'extension de l'application des dispositions en cause à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin, ainsi qu'à l'adaptation des dispositions de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration concernant la fusion de certaines cartes de séjour « passeport talent », désormais dénommées « talent », qui n'avait pas été opérée.
2.2. Les modifications apportées par l'Assemblée nationale
L'Assemblée nationale a adopté en séance publique, à l'initiative de son rapporteur, sept amendements rédactionnels.
3. La position de la commission
La commission a approuvé l'article 42, qui favorise l'attractivité de ce titre de séjour à destination des salariés hautement qualifiés. Elle a relevé qu'au demeurant les dispositions de la directive (UE) 2021/1883 laissent peu de marge de manoeuvre au législateur.
À l'initiative de son rapporteur, la commission a adopté plusieurs amendements visant à :
- afin de s'assurer que le dispositif demeure réservé aux salariés hautement qualifiés, prévoir que le seuil salarial pour la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle « talent - carte bleue européenne », qui est déterminé par décret en Conseil d'État, ne peut être inférieur à 1,5 fois le salaire annuel brut moyen (COM-74) ;
- transposer une disposition optionnelle de la directive visant à lutter contre les abus, en permettant le retrait du titre en cas de manquements de l'employeur à ses obligations légales, notamment en matière fiscale ou sociale (COM-76) ;
- préciser, conformément à la directive, que le caractère ininterrompu de la condition de durée de résidence pour la délivrance de la carte de résident portant la mention « résident de longue durée - UE » (COM-78) ;
- apporter plusieurs modifications d'ordre rédactionnel (COM-73, COM-75, COM-77 et COM-80) ;
- remédier à des dispositions erronées pour l'adaptation des dispositions en cause à Saint-Pierre-et-Miquelon (COM-79) et à Saint-Barthélemy (COM-81).
La commission a adopté l'article 42 ainsi modifié.
Article 43
Dispositions relatives à la carte de séjour
pluriannuelle « talent - profession
médicale et de la pharmacie »
Introduit par l'Assemblée nationale, l'article 43 procède à plusieurs modifications de coordination dans le CESEDA afin de permettre aux bénéficiaires de la carte de séjour pluriannuelle « talent - profession médicale et de la pharmacie » de bénéficier des attributs des autres titres « talent ».
La commission a adopté cet article sans modification.
1. Le dispositif proposé : aligner le régime de la carte de séjour pluriannuelle « talent - profession médicale et de la pharmacie » sur celui des autres titres « Talent »
1.1. La carte de séjour pluriannuelle « talent - profession médicale et de la pharmacie »
Créé par l'article 31 de la loi du 26 janvier 2024, dont les dispositions ont été codifiées à l'article L. 421-13-1 du CESEDA, ce titre de séjour a pour objet de renforcer l'attractivité de la France à l'égard des membres des professions médicales - médecins, sage-femmes, chirurgiens-dentistes - et des pharmaciens.
D'une durée maximale de quatre ans, il est délivré lorsque l'étranger remplit les conditions cumulatives suivantes :
- avoir obtenu une décision d'affectation, une attestation permettant un exercice temporaire ou une autorisation d'exercer prévues par le code de la santé publique (art. L. 4111-2 pour les professions médicales et L. 4221-12 pour les pharmaciens), ce qui nécessite de réussir les épreuves de vérification des connaissances subies à cet effet ;
- occuper un emploi au titre des professions de médecin, sage-femme, chirurgien-dentiste et de pharmacien ;
- justifier du respect d'un seuil de rémunération fixé par décret en Conseil d'État ;
- signer la charte des valeurs de la République et du principe de laïcité.
1.2. L'objet de l'article : remédier à un défaut de coordination dans le CESEDA
La création de ce titre de séjour avait notamment pour objet de permettre aux intéressés, ainsi que l'exposait le rapport de Muriel Jourda et Philippe Bonnecarrère, de « bénéficier des avantages apportés par cette carte de séjour, à l'exemple de la possibilité de faire venir leur famille en France par la procédure de « famille accompagnante » ouverte aux membres de famille d'un titulaire de CSP dite « talent », plus favorable que celle du regroupement familial »24(*).
Or, faute des dispositions de coordination nécessaires dans le CESEDA, les titulaires de la carte de séjour pluriannuelle « talent - profession médicale et de la pharmacie » ne peuvent bénéficier des dispositions prévues pour les autres titres de séjour du dispositif « Talent », à l'instar de :
- la délivrance en première admission au séjour (art. L. 421-7) ;
- la dispense de signature de contrat d'intégration républicaine (art. L. 413-5) ;
- l'accès des membres de la famille à la carte de séjour pluriannuelle « talent (famille) » (art. L. 421-22).
Introduit par l'Assemblée nationale en séance publique à l'initiative de son rapporteur, le présent article vise à pallier cette carence en procédant aux coordinations nécessaires dans le CESEDA.
2. La position de la commission
Compte tenu de la nécessité de procéder à la coordination nécessaire pour donner son plein effet au titre de séjour, la commission a adopté cet article sans modification.
La commission a adopté l'article 43 sans modification.
EXAMEN EN COMMISSION
__________
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous passons à l'examen du rapport pour avis de Christophe-André Frassa sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes (Ddadue).
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Mes chers collègues, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a délégué à la commission des lois l'examen au fond de neuf articles de ce Ddadue.
Le caractère inévitablement disparate d'un tel texte explique que ces neuf articles concernent aussi bien la commande publique ou le régime juridique de l'action de groupe que certains titres de séjour dédiés aux travailleurs qualifiés. Je les aborderai successivement, dans l'ordre des articles - et non d'importance.
L'article 13, tout d'abord, traite de la commande publique, et plus particulièrement du partenariat d'innovation. Il s'agit là d'un marché public spécifique, qui vise à inciter les acheteurs publics à stimuler l'innovation par leurs achats et grâce à une procédure de passation unique.
Or, le recours à ce marché est conditionné : l'acheteur ne doit pas pouvoir satisfaire son besoin par une solution existante pour y recourir. En bref, une innovation est nécessaire. Si le droit de l'Union européenne retient une acception relativement large de l'innovation, cette dernière demeure un critère à l'aune duquel est apprécié le marché en cause.
En conséquence, l'article 44 de la loi de finances de 2024, qui a inclus, par nature, les « jeunes entreprises innovantes » dans le champ d'application du partenariat d'innovation, a procédé à une modification de ce régime contraire au droit de l'Union européenne comme au principe constitutionnel d'égalité.
L'article 13 du Ddadue supprime ces dispositions, pour assurer la conformité du régime du partenariat d'innovation aux directives qui le régissent. Je vous propose, en conséquence, d'adopter sans modification cet article.
J'en viens aux articles 14 à 19, qui, eux, concernent l'action de groupe, dont les différents régimes en vigueur méconnaissent certaines dispositions de la directive relatives aux actions représentatives depuis décembre 2022.
Dans leur version initiale, chacun de ces articles procédait donc à la transposition stricte des exigences du droit de l'Union européenne au sein des sept cadres existants de l'action de groupe. L'article 14 modifiait le socle procédural commun ; l'article 15, le code de justice administrative ; l'article 16, la loi Informatique et libertés ; les articles 17 et 18, le code de la consommation ; et l'article 19, le code de la santé publique. Il s'agissait notamment d'instaurer une procédure d'action de groupe transfrontière, de développer la prévention des conflits d'intérêts et d'améliorer l'information des justiciables au sujet de ces procédures.
Cela vous donnera sûrement, chers collègues, un sentiment de déjà-vu... Et pour cause : nous examinions, il y a tout juste treize mois, en février 2024, la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe, présentée par les députés Laurence Vichnievsky et Philippe Gosselin, qui visait notamment à transposer cette directive et dont j'ai été le rapporteur au Sénat.
Plusieurs désaccords significatifs s'étaient alors élevés entre les deux assemblées, et la commission mixte paritaire n'a jamais été convoquée par le gouvernement d'alors.
Mais, à l'occasion de l'examen du présent Ddadue à l'Assemblée nationale, le rapporteur pour avis, Philippe Gosselin, a substitué le contenu de cette proposition de loi au dispositif de l'article 14, et proposé la suppression des articles 15 à 19, rendue nécessaire pour des raisons de coordination. Nous aurions pu nous en satisfaire ! Seulement, l'Assemblée nationale a repris sa version initiale de la proposition de loi, sans remédier aux nombreuses difficultés juridiques identifiées lors de nos travaux. Elle n'a en effet apporté à son texte que des modifications rédactionnelles ou exigées par la directive, sans tenir compte des amendements adoptés par le Sénat.
Le régime des actions de groupe tel qu'adopté par l'Assemblée nationale, soulève donc des difficultés juridiques et pourrait entraîner des effets indésirables. Ces derniers sont logiquement, pour l'essentiel, identiques à ceux que nous avions soulignés lors de l'examen de la proposition de loi en janvier et février 2024, et auxquels nous avions essayé de remédier. Je vais en rappeler les principaux.
Tout d'abord, le champ d'application de l'action de groupe serait universel, ce qui étendrait le nombre d'acteurs économiques soumis au risque réputationnel engendré par l'action de groupe, qu'elle ait été intentée ou soit employée comme une menace.
De manière plus significative encore, la direction des affaires civiles et du sceau craint qu'un tel élargissement du champ matériel ne détourne les justiciables des voies de droit commun, plus efficaces et rapides.
Je vous propose donc, comme nous l'avions déjà fait lors de l'examen de la précédente proposition de loi, de conserver le champ matériel actuel pour les actions conduites dans les domaines du droit du travail et de la santé, en raison de leur sensibilité - et, en ce qui concerne le droit du travail, du rôle spécifique qui incombe au conseil de prud'hommes dans la résolution des différends qui s'élèvent entre les employeurs et les salariés.
En outre, la qualité pour agir serait attribuée au regard de critères excessivement souples, qui ne permettraient pas de garantir la fiabilité, la crédibilité et la probité des personnes morales susceptibles d'intenter de telles procédures.
Rappelons, à ce titre, que deux des objectifs principaux de la directive sont précisément de lutter contre les conflits d'intérêts et d'assurer la lisibilité du droit. L'adoption d'un agrément similaire pour les actions de groupe nationales et transfrontières, fondé sur les conditions exigeantes énumérées par la directive, paraît, à cet égard, plus opportune : c'est la solution que nous avions adoptée l'an dernier.
Par ailleurs, le texte de l'Assemblée nationale contient encore plusieurs dispositions que le Sénat avait écartées.
Par exemple, la sanction civile en cas de faute dolosive ayant causé des dommages sériels a été restaurée. Outre qu'elle ne paraît pas conforme au principe de proportionnalité des peines, comme au principe de légalité des délits et des peines, elle romprait avec la logique de la responsabilité civile, qui est non pas punitive, mais compensatrice. Une telle évolution nécessiterait, au préalable, une réflexion ou, au moins, une étude d'impact.
L'attestation sur l'honneur a également été reprise. Elle serait demandée au demandeur lors de l'introduction d'une instance. Ce dispositif poursuit un objectif, la prévention des conflits d'intérêts, qu'il ne permet, hélas ! pas d'atteindre : tout au contraire, il fournirait au défendeur le prétexte d'installer un contentieux pénal pour faux dans le contentieux civil, pour allonger encore une procédure déjà pluriannuelle.
Le caractère en principe exécutoire à titre provisoire du jugement sur la responsabilité a aussi été restauré par l'Assemblée nationale. Une telle mesure pourrait complexifier la procédure et engendrer des effets préjudiciables pour les parties. Il semblerait plus opportun de permettre au juge d'ordonner la consignation à la Caisse des dépôts et consignations d'une part des sommes dues par le défendeur.
Enfin, l'article 14 n'intègre pas non plus au régime juridique des actions de groupe plusieurs éléments que le Sénat avait ajoutés pour le parfaire. Je songe à la mise en demeure préalable, qui pourrait éviter d'inutiles procédures d'action de groupe, comme à la procédure d'action de groupe simplifiée, qui pourrait en améliorer la célérité, ou encore à des dispositifs consacrés spécifiquement à la prévention des conflits d'intérêts.
Enfin, je tiens à souligner que les modifications de transposition apportées au texte par l'Assemblée nationale ont, pour l'essentiel, été conservées en l'état, et que, pour oeuvrer à l'élaboration d'un compromis, plusieurs autres dispositions ont été reprises, qu'il s'agisse du registre national des actions de groupe ou de la mise à disposition du public des associations agréées. Je vous propose donc, par un amendement de réécriture globale de l'article 14, d'apporter au régime adopté par l'Assemblée nationale toutes les modifications imposées par les difficultés juridiques qu'il soulève en l'état.
J'en viens aux deux derniers articles délégués à la commission des lois, les articles 42 et 43, qui sont relatifs à des titres de séjour relevant du dispositif « talent ».
L'article 42 procède à la transposition de la directive du 20 octobre 2021, qui a revu le régime de la carte bleue européenne. Ce titre de séjour vise à faciliter l'entrée, le séjour et le travail dans l'Union européenne des travailleurs hautement qualifiés. Sa délivrance est soumise à des conditions de qualification ou d'expérience professionnelles, de durée minimale du contrat de travail et de rémunération.
Cette transposition aurait dû avoir lieu avant le 18 novembre 2023 et son absence a donné lieu, en janvier 2024, à une mise en demeure de la Commission européenne.
La directive part du constat d'un recours limité à ce dispositif, encore méconnu : ces dernières années, le nombre de titres délivrés par la France dans le cadre d'une première demande n'a pas excédé 4 000.
Pour y remédier, la directive assouplit les conditions de sa délivrance ainsi que celles des autres titres de séjour qui lui sont liés, à l'instar de la carte de résident de longue durée et des titres de séjour pour les membres de la famille des titulaires de la carte bleue européenne.
Cet assouplissement se traduit, par exemple, par la réduction de la durée minimale du contrat de travail, qui passe d'un an à six mois ; l'abaissement de la durée d'expérience comparable à un diplôme sanctionnant trois années d'études supérieures pour certains professionnels des technologies de l'information et de la communication ; l'allongement de la durée minimale de validité du titre de séjour ; et la facilitation de l'accès à la carte de résident de longue durée.
Pour ce qui concerne le seuil salarial, la directive opère un renversement de logique : alors que la précédente directive imposait un seuil minimal s'élevant à 1,5 fois le salaire annuel brut moyen constaté dans l'État membre, la directive fixe désormais un plafond situé à 1,6 fois ce salaire annuel et abaisse le seuil minimal à 1 fois ce salaire.
En France, ce seuil a été fixé
à 1,5 fois le salaire annuel brut moyen constaté en
2016 : il n'a pas été actualisé depuis et, en tout
état de cause, les dispositions réglementaires ont
été abrogées lors de la recodification du
code
de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile
(Ceseda) - semble-t-il par erreur -, si bien que les tribunaux
administratifs jugent que cette condition de rémunération n'est
plus opposable aux demandeurs.
Comme vous l'aurez observé, les dispositions de la directive sont, sur de nombreux points, très précises et laissent ainsi peu de marge de manoeuvre aux autorités nationales dans sa transposition.
Le Gouvernement s'est saisi des dispositions optionnelles les plus importantes, qui visent à prévenir les abus en permettant, par exemple, de rejeter les demandes lorsque l'employeur a été sanctionné pour travail illégal ou l'emploi d'étrangers en situation irrégulière.
Dans cet exercice contraint, il me paraît important de ménager un juste équilibre entre l'attractivité du dispositif et la fidélité à sa vocation, qui est le séjour des travailleurs hautement qualifiés. Des exigences trop relâchées - s'agissant, par exemple, du salaire minimal - risqueraient de mener à son dévoiement.
C'est à cet effet que je vous propose un amendement prévoyant que le seuil salarial qui sera fixé par décret en Conseil d'État ne pourra être inférieur à 1,5 fois le salaire annuel brut moyen.
Je vous propose également de transposer une disposition optionnelle supplémentaire visant à lutter contre les abus de ce dispositif, qui permet le retrait du titre de séjour en cas de manquement grave de l'employeur à ses obligations en matière fiscale ou sociale.
Enfin, outre plusieurs amendements rédactionnels, je vous propose un amendement précisant, s'agissant de la délivrance de la carte de résident portant la mention « résident de longue durée - UE », que, conformément à la directive, la condition de durée de résidence s'entend d'une résidence ininterrompue.
Je vous propose d'adopter l'article 42 ainsi modifié.
L'article 43, introduit par l'Assemblée nationale, procède quant à lui à des mesures de coordination relatives à la carte de séjour pluriannuelle « Talent - profession médicale et de la pharmacie » créée par la loi du 26 janvier 2024.
Il s'agit de remédier à un oubli du législateur, qui prive les titulaires de certaines caractéristiques communes au dispositif Talent, comme la délivrance en première admission au séjour ou l'accès des membres de la famille à la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « Talent (famille) ».
Je vous propose donc de l'adopter sans modification, sachant que demeure une question quant à l'absence de disposition d'extension et d'adaptation pour l'outre-mer, qui est encore en discussion avec le Gouvernement et qui pourra, le cas échéant, être réglée lors de l'examen en séance publique.
M. Christophe Chaillou. - Pour ce qui concerne l'article 14, vous avez rappelé, monsieur le rapporteur, des débats qui ne sont pas très anciens. Vous vous souvenez sans doute que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s'était prononcé favorablement sur la proposition de loi de nos collègues députés Laurence Vichnievsky et Philippe Gosselin. Notre collègue Audrey Linkenheld avait notamment expliqué pourquoi nous estimions que cette proposition de loi allait plutôt dans le bon sens.
Nous ne pouvons aujourd'hui être favorables aux amendements que vous proposez, qui nous paraissent en retrait par rapport à cette proposition de loi.
À l'article 42, certaines propositions nous paraissent un peu surprenantes. Je rappelle que l'objectif de la carte de résident est d'attirer un certain nombre de personnes hautement qualifiées en France ! Il nous semble que les propositions tendant à durcir les conditions d'obtention de cette carte sont un peu contradictoires avec cette volonté d'attirer les talents dans notre pays, de choisir entre les types d'immigration dont on entend souvent parler, y compris dans vos rangs. Si l'on durcit les conditions, les personnes extrêmement qualifiées que l'on vise iront ailleurs.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Où voyez-vous des restrictions supplémentaires à l'article 42 ? Les amendements que je propose transposent fidèlement la directive : 90 % sont rédactionnels et un seul encadre l'exercice du pouvoir réglementaire, dans le respect de la directive. Tout le reste ne fait que découler de la directive.
Du reste, la plupart des éléments qui figurent dans cette transposition marquent plutôt un allègement de la procédure de la carte bleue européenne.
Sur l'article 14, vous êtes d'accord avec nos collègues de l'Assemblée nationale. Soit ! Mais ce qui m'importe, c'est de garantir la sécurité de l'action de groupe pour ceux qui l'intentent et pour les juges qui seront saisis de telles procédures. En l'état, la sanction civile présente plusieurs défauts juridiques, spécialement au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Au-delà, c'est un objet juridique sans commune mesure avec le but recherché, puisqu'elle s'applique à tout, à tous et en tous lieux, et qu'elle n'est pas plus liée à l'action de groupe qu'à une autre infraction. Nous aurions au moins pu la flécher sur l'action de groupe - je rappelle que les débats sur la loi Hamon avaient notamment porté sur la création d'un fonds abondé par une amende de cette nature.
Créer une attestation sur l'honneur, c'est créer un contentieux à l'intérieur même du contentieux, ce qui serait totalement au désavantage des associations et des ONG qui entreprendront une action de groupe. Si vous voulez poursuivre dans cette voie, libre à vous ! Mais vous affaiblirez vous-même un dispositif que vous soutenez.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Il me revient, mes chers collègues, de vous indiquer quel est le périmètre indicatif de la proposition de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents. Je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les dispositions relatives aux conditions de recours au marché public dit « partenariat d'innovation », au régime juridique des actions de groupe et aux titres de séjour portant la mention « talent ».
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 13 (délégué)
La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'adopter l'article 13 sans modification.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-83 rectifié procède, en onze pages, à la réécriture de l'article 14, telle que je vous l'ai décrite dans mon propos liminaire.
L'amendement COM-83 rectifié est adopté.
La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'adopter l'article 14 ainsi rédigé.
Articles 15, 16, 17, 18 et 19 (supprimés) (délégués)
La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable de maintenir la suppression des articles 15, 16, 17, 18 et 19.
Article 42 (délégué)
L'amendement rédactionnel COM-73 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-74 prévoit que le seuil salarial pour la délivrance de la carte bleue européenne ne peut être inférieur à 1,5 fois le salaire annuel brut moyen, plutôt que d'en laisser la fixation à un décret en Conseil d'État.
M. Christophe Chaillou. - À cette réserve près que fixer ce seuil dans la loi revient à priver les pouvoirs publics d'une certaine marge de manoeuvre...
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. -Alors que le curseur peut être déplacé entre 1 et 1,6, mon amendement prévoit que le seuil ne peut pas être inférieur à 1,5, preuve que nous ne faisons pas les choses au rabais.
L'amendement COM-74 est adopté.
L'amendement rédactionnel COM-75 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Afin de prévenir les détournements du dispositif, l'amendement COM-76 permet le retrait du titre de séjour en cas de manquements de l'employeur à ses obligations en matière de sécurité sociale ou de fiscalité.
M. Christophe Chaillou. - C'est effectivement conforme à la directive, mais permettre le retrait de la carte bleue européenne au salarié lorsque l'employeur a manqué à ses obligations revient à sanctionner l'employé. Que l'on fasse porter au salarié la faute de l'employeur nous interroge fortement ! Nous ne sommes pas favorables à cet amendement.
L'amendement COM-76 est adopté.
L'amendement rédactionnel COM-77 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-78 porte sur la durée de résidence, en ajoutant les mots « de manière ininterrompue ».
M. Christophe Chaillou. - Nous sommes défavorables à cet ajout. L'exigence d'une résidence régulière de cinq ans paraît suffisante s'agissant de salariés d'une très grande expérience et d'une très grande expertise. Il s'agit d'attirer les talents !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Nous ne faisons que reproduire les termes de la directive !
L'amendement COM-78 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-79 vise à supprimer une disposition d'adaptation pour l'application à Saint-Pierre-et-Miquelon.
L'amendement COM-79 est adopté.
L'amendement rédactionnel COM-80 est adopté.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-81 tend à supprimer une disposition d'adaptation pour l'application à Saint-Barthélemy.
L'amendement COM-81 est adopté.
La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'adopter l'article 42 ainsi modifié.
Article 43 (nouveau) (délégué)
La commission propose à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'adopter l'article 43 sans modification.
Le sort des amendements sur les articles pour lesquels la commission bénéficie d'une délégation au fond examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 14 |
|||
M. FRASSA, rapporteur pour avis |
COM-83 rect. |
Réécriture du régime unifié de l'action de groupe pour remédier aux difficultés juridiques qu'il soulevait. |
Adopté |
Article 42 |
|||
M. FRASSA, rapporteur pour avis |
COM-73 |
Amendement rédactionnel |
Adopté |
M. FRASSA, rapporteur pour avis |
COM-74 |
Seuil salarial minimal de 1,5 fois le salaire annuel brut moyen pour la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle "talent - carte bleue européenne" |
Adopté |
M. FRASSA, rapporteur pour avis |
COM-75 |
Amendement rédactionnel |
Adopté |
M. FRASSA, rapporteur pour avis |
COM-76 |
Faculté de retirer la carte de séjour pluriannuelle "talent - carte bleue européenne" en cas de manquement de l'employeur à ses obligations en matière de sécurité sociale, de fiscalité, de droits des travailleurs ou de conditions de travail. |
Adopté |
M. FRASSA, rapporteur pour avis |
COM-77 |
Amendement rédactionnel. |
Adopté |
M. FRASSA, rapporteur pour avis |
COM-78 |
Précision du caractère ininterrompu de la résidence pour la délivrance de la carte de résident portant la mention « résident de longue durée - UE ». |
Adopté |
M. FRASSA, rapporteur pour avis |
COM-79 |
Suppression d'une disposition d'adaptation pour l'application à Saint-Pierre-et-Miquelon |
Adopté |
M. FRASSA, rapporteur pour avis |
COM-80 |
Amendement rédactionnel |
Adopté |
M. FRASSA, rapporteur pour avis |
COM-81 |
Suppression d'une disposition d'adaptation pour l'application à Saint-Barthélemy |
Adopté |
RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45 DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS DU RÈGLEMENT DU SÉNAT
Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 25(*).
De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie26(*). Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte27(*). Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial28(*).
En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.
En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des lois a arrêté, lors de sa réunion du mardi 4 mars 2025, le périmètre indicatif du projet de loi n° 352 (2024 - 2025) portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes.
Elle a considéré que ce périmètre incluait les dispositions relatives aux conditions de recours au partenariat d'innovation, au régime juridique des actions de groupe et aux titres de séjour portant la mention « talent ».
LISTE DES
PERSONNES ENTENDUES
ET CONTRIBUTIONS ÉCRITES
Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)
M. Philippe Guillermin, chef du bureau du droit de la consommation
Mme Alice Chonik, adjointe
Direction des affaires civiles et du Sceau (DACS)
M. Vincent Salafa, adjoint au chef de bureau du droit processuel et du droit social (C3)
Mme Lorraine de Chanville, adjointe au chef de bureau du droit processuel et du droit social (C3)
Association française des entreprises privées (AFEP)
Mme Stéphanie Robert, directrice générale
M. Jocelyn Goubet, directeur droit économique
CONTRIBUTIONS ÉCRITES
Ministère de l'intérieur - Direction générale des étrangers en France (DGEF)
Ministère de l'économie et des finances - Direction des affaires juridiques (DAJ)
International Legual Finance Association (ILA)
LA LOI EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl24-352.html
* 1 Article 44 sexies A du code général des impôts.
* 2 Article L383 D du code général des impôts.
* 3 Article 1466 D du code général des impôts.
* 4 « Dans le domaine d'application des traités, et sans préjudice des dispositions particulières qu'ils prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité ».
* 5 Rapport d'information n° 499 (2009-2010) de Laurent Béteille et Richard Yung, fait au nom de la commission des lois, déposé le 26 mai 2010.
* 6 Rapport sur l'action de groupe remis le 16 décembre 2005 à Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et Pascal Clément, ministre de la justice, garde des sceaux.
* 7 Baptiste Allard et Jérémy Jourdan-Marques, « Action de groupe », Répertoire de procédure civile, Dalloz, février 2021.
* 8 Rapport d'information sur le bilan et les perspectives des actions de groupe, présenté par M. Philippe Gosselin et Mme Laurence Vichnievsky, députés, adopté le 11 juin 2020.
* 9 Rapport fait au nom de la commission des lois sur la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe, par Christophe-André Frassa, sénateur, adopté le 24 janvier 2024.
* 10 Rapport n° 862 (XVIème législature) de Laurence Vichnievsky et Philippe Gosselin sur la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe, consultable à l'adresse suivante : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/opendata/RAPPANR5L16B0862.html.
* 11 Rapport d'information sur le bilan et les perspectives des actions de groupe, présenté par M. Philippe Gosselin et Mme Laurence Vichnievsky, députés, enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 11 juin 2020.
* 12 Étude d'impact sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes, NOR : ECOM2415026L/Bleue-1, 30 octobre 2024.
* 13 Conseil d'État, Assemblée générale, avis n° 406517 sur une proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe, séance du 9 février 2023.
* 14 Nous soulignons.
* 15 Rapport fait au nom de la commission des lois sur la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe, par Christophe-André Frassa, sénateur, adopté le 24 janvier 2024.
* 16 Directive (UE) 2021/1883 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2021 établissant les conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d'un emploi hautement qualifié.
* 17 Directive 2009/50/CE du Conseil établissant les conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d'un emploi hautement qualifié.
* 18 Les statistiques communiquées par la DGEF ne permettent pas de distinguer les demandes « directes » de celles formulées par des personnes bénéficiant d'une carte bleue européenne délivrée par un autre État membre.
* 19 « un titre de séjour national aux fins d'un emploi hautement qualifié, d'une autorisation en tant que chercheur ou, le cas échéant, d'une autorisation en tant qu'étudiant conformément à l'article 4, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive 2003/109/CE, ou en tant que bénéficiaire d'une protection internationale sur le territoire des États membres ».
* 20 TA Nantes, 30 octobre 2023, n° 2215675
* 21 INSEE, Les salaires dans le secteur privé et les entreprises publiques en 2020, Insee Résultats, novembre 2022.
* 22 INSEE, L'augmentation des salaires reste inférieure à l'inflation - Les salaires dans le secteur privé en 2023, Insee Première n° 2020, octobre 2024
* 23 Ce qui recouvre notamment, en vertu de l'article L. 8211-1 du code du travail, les infractions de travail dissimulé, de marchandage, de prêt illicite de main-d'oeuvre, d'emploi d'étranger non autorisé à travail et de cumuls irréguliers d'emplois.
* 24 Rapport n° 433 (2022-2023) de Muriel Jourda et de Philippe Bonnecarrère sur le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, fait au nom de la commission des lois du Sénat, déposé le 15 mars 2023
* 25 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.
* 26 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.
* 27 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.
* 28 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.