III. LE DÉPLOIEMENT DE L'IDENTITÉ NUMÉRIQUE RÉGALIENNE ET DE LA PROCURATION DÉMATÉRIALISÉE : 2025, UNE ANNÉE CHARNIÈRE

A. APRÈS UN DÉPLOIEMENT PROMETTEUR, L'ADOPTION MASSIVE DE L'IDENTITÉ NUMÉRIQUE REQUIERT UNE IMPULSION DÉCISIVE

Lancé en 2020, le projet d'une identité numérique régalienne est porté par le programme interministériel « France Identité Numérique ». Son déploiement repose sur un budget global de 76 millions d'euros, financé à la fois par France Titres, dont les crédits sont portés par le programme 354, et, jusqu'en 2024, par le fonds de transformation de l'action publique.

En 2024, l'identité numérique a atteint un état opérationnel, marqué par la généralisation de l'application France Identité en février, suivie de l'expérimentation de la dématérialisation complète des procurations de vote lors des élections européennes et législatives de juin et juillet.

Dernière année de déploiement du programme, l'année 2025 sera déterminante pour consolider les avancées, maîtriser les flux de demandes, et optimiser l'organisation des services d'état civil. Ces efforts seront d'autant plus nécessaires dans le cadre des échéances électorales de 2026 et en préparation du renouvellement généralisé des cartes nationales d'identité, prévu à l'horizon 2033.

Dans ce contexte, la rapporteure insiste sur la nécessité de porter une attention immédiate et approfondie aux problématiques soulevées par cette transformation numérique de l'état civil et de la procédure électorale. Après un déploiement prometteur, l'adoption massive de l'identité numérique requiert une impulsion décisive

1. Une identité numérique activée par le biais d'une application de téléphonie mobile

Depuis la généralisation de l'application France Identité en février 2024, plus de 1,2 million de citoyens ont adopté une identité numérique régalienne. La nouvelle carte nationale d'identité électronique (CNIe), en étant dotée d'une puce lisible par un téléphone, a été spécialement conçue pour servir de support physique à son activation.

Sur la base de ces données, l'application France Identité offre la possibilité de :

· s'authentifier avec FranceConnect et FranceConnect+  à 1 800 services administratifs ;

· présenter une carte numérique et produire un justificatif d'identité à usage unique, garantissant la fiabilité des données, à la différence d'une simple photocopie d'identité ;

· présenter un permis de conduire numérique lors de contrôles par les forces de l'ordre ;

· donner procuration grâce à une identité numérique certifiée.

2. Une utilité sous-estimée et pourtant essentielle à l'aune de l'intensification des interactions numériques

Le déploiement de l'identité numérique sécurisée en France entre dans le cadre de la mise en oeuvre du règlement européen de 2014 sur l'identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques11(*), dit règlement « elDAS ». Il répond donc à un impératif pour la France, alors que 17 États européens disposaient déjà en 2020 d'une identité numérique régalienne, et s'impose au regard de trois enjeux :

· La nécessité d'une souveraineté numérique et d'une maîtrise des données, actée par le livre blanc de la sécurité intérieure, publié en 2020, qui appelait à un renforcement de « la contribution du ministère de l'Intérieur à la protection de la vie numérique et technologique de la Nation ». De fait, l'identité numérique garantie par l'État constitue une alternative souveraine aux services d'identification proposés par les grandes plateformes numériques privées, consommateurs de données personnelles ;

· La lutte contre la montée des fraudes en ligne et des usurpations d'identité, en offrant une solution fiable pour garantir l'identité des utilisateurs ;

· La simplification et l'accessibilité des services publics, en facilitant les démarches d'identification et d'authentification, tout en permettant l'accès à des services dits « sensibles » (procuration de vote, demande d'aide sociale etc.) qui nécessitent communément un déplacement physique à des fins de vérification d'identité.

Sur le plan budgétaire, le programme « France identité numérique » estimait à son lancement la possibilité d'économies à hauteur de 27,7 millions d'euros après l'horizon 2023, du fait de la mutualisation des coûts de sécurisation de l'identification des usagers pour l'ensemble des administrations. Au-delà du périmètre public, l'étude EY réalisée en septembre 2019 pour le compte de la Direction générale des Entreprises (DGE) évalue la valeur du marché de l'identité numérique en France à un milliard d'euros sur un horizon de dix ans, soulignant son potentiel fortement stratégique.

3. Des ajustements juridiques et pratiques indispensables pour parachever sa diffusion

Le programme France Identité Numérique dispose pour 2025 de 17,65 millions d'euros en autorisations d'engagement et 20,23 millions d'euros en crédits de paiement. Ces moyens visent à développer de nouvelles attestations numériques (pour la carte grise ou la carte européenne d'assurance maladie, entre autres), tout en finalisant le déploiement de l'identité numérique auprès des mairies, entreprises et usagers.

Des ajustements juridiques et une meilleure coordination entre les parties prenantes sont, en effet, encore nécessaires pour transformer France Identité en une solution réellement universelle.

· Sur le plan juridique, le justificatif d'identité numérique, bien qu'utilisable pour l'inscription sur les listes électorales depuis avril 202412(*), n'est pas accepté lors d'autres démarches, comme la justification de l'identité de l'électeur le jour du scrutin. Cette restriction, perçue comme paradoxale, met en évidence la nécessité d'une harmonisation des usages afin de renforcer l'intérêt de ce dispositif et son adoption par les citoyens.

France Identité s'attache, à cet égard, à renforcer l'acceptation de l'attestation numérique au moyen d'expérimentations ciblées, comme celle menée avec la SNCF, permettant une vérification de l'identité des voyageurs via un QR code.

En tout état de cause, la reconnaissance de l'attestation numérique ne pourra être atteinte de manière cohérente qu'à travers une révision de l'ensemble des textes réglementaires définissant les pièces acceptées pour justifier d'une identité. Compte tenu de l'existence, dans un premier décompte, de plus d'une cinquantaine d'arrêtés de ce type, la rapporteure appelle, par cohérence, à une modification d'ensemble de ces derniers par l'intermédiaire d'un même véhicule réglementaire.

· Par ailleurs, un équilibre délicat est à trouver entre gestion des titres et promotion de l'identité numérique. Le développement de l'identité numérique dépend en effet de la bonne délivrance de la nouvelle carte nationale d'identité électronique (CNIe), que près de 60 % des Français ne possèdent pas encore.

Pour encourager le recours à l'identité numérique, Anne-Gaëlle Baudouin, directrice de France Titres, a annoncé en octobre la possibilité, à partir de janvier 2025, de renouveler gratuitement les cartes nationales d'identité délivrées entre 2016 et 2022 afin de bénéficier de cette fonctionnalité. Cette mesure vise également à anticiper l'échéance d'août 2031, à compter de laquelle les anciennes cartes nationales d'identité, même encore valides, ne seront plus reconnues dans l'Union européenne.

Si cette évolution marque une étape importante dans la modernisation des documents d'identité, la rapporteure appelle à faire preuve d'une vigilance accrue pour éviter une saturation des services d'état civil, à l'image de la précédente crise de délivrance des titres. Elle note toutefois que les projections pour 2025 prévoient la délivrance de 8,2 millions nouvelles cartes d'identité, un chiffre qui, bien que significatif, semble gérable, notamment en tenant compte des ajustements mis en oeuvre par de nombreux services d'état civil à la lumière des enseignements tirés de la dernière crise.

· À plus long terme, le principal défi résidera dans l'établissement d'un lien de confiance avec les citoyens. Des préoccupations persistent concernant la fiabilité du dispositif, en particulier s'agissant de la gestion des données personnelles et du risque de dérives vers une surveillance généralisée, alimentant ainsi une certaine méfiance.

Face à ces enjeux, la rapporteure souligne l'importance des travaux menés avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) et la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil)13(*). De fait, l'identité numérique régalienne a été accueillie « très favorablement » par la Cnil puisqu'elle permet d'améliorer la sécurité des procédures en ligne et de lutter contre la fraude documentaire. La Commission relève, par ailleurs, que seules les données dites « pivot » (nom, prénom, date de naissance, lieu de naissance et sexe) ainsi que l'adresse de courrier électronique de l'usager sont transmises au téléservice « FranceConnect ». Ces travaux constituent une base solide pour rassurer les citoyens.

Dans ce contexte, il est essentiel de relancer une campagne de communication claire et ciblée, qui explique les avantages concrets de l'identité numérique pour les citoyens et les administrations. En parallèle, valoriser les garanties techniques et juridiques intégrées au dispositif pourrait contribuer à dissiper les inquiétudes et à renforcer l'adhésion des usagers.


* 11 Règlement (UE) n° 910/2014 du 23 juillet 2014 sur l'identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur et abrogeant la directive 1999/93/C.

* 12 L'arrêté du 22 avril 2024 modifiant divers arrêtés relatifs aux pièces permettant de justifier de son identité en matière électorale, publié au Journal officiel du 23 avril 2024, a modifié le I de l'article 4 de l'arrêté du 16 novembre 2018 pris en application des articles R. 5, R. 6 et R. 60 du code électoral.

* 13 Délibération n° 2021-151 du 9 décembre 2021 portant avis sur un projet de décret en Conseil d'État autorisant la création d'un moyen d'identification électronique dénommé « Service de garantie de l'identité numérique » et abrogeant le décret n° 2019-452 du 13 mai 2019 autorisant la création d'un moyen d'identification électronique dénommé « Authentification en ligne certifiée sur mobile ».

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