EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 20 NOVEMBRE 2024

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M. Laurent Lafon, président. - Je vais présenter cette année le rapport consacré au programme « Livre et industries culturelles » en l'absence du rapporteur Mikaele Kulimoetoke. Comme certains d'entre vous l'ont souligné, cette situation n'est pas satisfaisante car aucune audition n'a pu être conduite au nom de la commission sur ces sujets structurants. Je le regrette tout comme vous.

Après une période marquée par une pandémie qui a fait vaciller leur modèle, les industries culturelles rentrent dans une phase de normalisation. Elles n'en ont pas moins été profondément marquées par l'accélération de la numérisation des échanges, qui remet en cause, par bien des aspects, leur équilibre traditionnel.

L'heure est cependant plutôt aux bonnes nouvelles.

Entre 2022 et 2023, les industries culturelles, dans lesquelles j'inclus la musique enregistrée, l'édition, la vidéo et le jeu vidéo, ainsi que l'audiovisuel et le cinéma, ont progressé de 6 %, soit 6 fois plus vite que le PIB. Il s'agit donc d'un secteur dynamique, qui représente 15 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Au-delà des chiffres, je vois dans cet attrait des Français peut-être un moyen d'échapper à une actualité nationale et internationale un peu sombre.

Les différents secteurs qui composent les industries culturelles bénéficient cependant inégalement de cette croissance.

Grand vainqueur de l'année, le cinéma, qui progresse de 22 %, ce qui n'est pas si surprenant après une année 2022 très compliquée. Je renvoie bien sûr à l'excellent rapport que notre collègue Jérémy Bacchi a présenté la semaine dernière en commission.

Sur la seconde marche du podium de la croissance, on trouve le jeu vidéo, sur lequel je reviendrai dans quelques instants, qui s'impose plus que jamais comme la première industrie culturelle, en progression de 6 %. Enfin, je mentionne la musique enregistrée, qui affiche une belle progression de 5,2 %, signe de la vitalité de la création française.

Je ne m'étendrai pas outre mesure sur les crédits budgétaires, qui à vrai dire évoluent fort peu. Le budget affiche une légère baisse de 0,4 %, résultat des efforts des opérateurs comme la Bibliothèque publique d'information, la BPI, le Centre national du livre, le CNL, et le Centre national de la musique, le CNM, sur lequel je reviendrai également dans quelques instants.

Finalement, le plus intéressent est ce qui ne figure pas dans ce budget, ou devrais-je dire, ce qui n'y figure plus, à savoir les 12,6 millions d'euros qui devaient être inscrits pour la Maison du dessin de presse. Notre collègue Michel Laugier a interrogé la ministre de la culture à ce sujet le 5 novembre dernier, et sa réponse a été pour le moins évasive, trahissant une gêne que je vois fondée non seulement sur des considérations budgétaires, mais également de fond : faut-il exposer des caricatures, au risque de créer des polémiques et des enjeux d'ordre public ? Le projet semble en tout cas repoussé aux calendes grecques.

J'en viens maintenant à quelques coups de projecteur sur certaines thématiques d'actualité.

Je vais commencer par le Centre national de la musique.

Nous avons entendu son président Jean-Philippe Thiellay en commission le 30 octobre dernier, soit 5 ans jour pour jour après la promulgation de la loi d'origine parlementaire qui l'a créée.

C'est bien sûr une grande satisfaction pour nous de voir cette institution que nous avons littéralement mise au monde conforter sa place dans le monde de la musique. Après des années de pandémie qui, paradoxalement, lui ont été très favorables et ont permis au CNM de faire la preuve de son efficacité et de sa compétence, les temps sont cependant venus pour lui de rentrer dans une forme de normalité et de poser soigneusement les bases pour les années à venir.

Cependant, et à notre grand regret, le Centre joue toujours d'une certaine manière en défense, avec beaucoup de temps consacré au développement de ses ressources. Le Président Thiellay nous a ainsi longuement parlé des taxes qui lui sont affectées et qui représentent les deux tiers de ses ressources. Elles posent toutes deux des difficultés.

D'une part, la taxe sur le streaming, dont vous vous rappelez qu'elle a été adoptée de haute lutte et à notre initiative l'année dernière. Comme cela était prévisible, elle connait un démarrage un peu plus lent qu'escompté, avec des recettes qui devraient s'établir à un peu moins de 10 millions d'euros contre 18 dans l'estimation initiale.

Le fait est qu'elle a suscité une forte incompréhension dans la profession, comme l'avait laissé présager la violence des échanges lors de la table ronde devant la commission le 19 octobre 2022. Il faudra probablement attendre 2025 pour se faire une idée correcte de son rendement, et pour que les cicatrices soient pleinement refermées.

D'autre part, la taxe sur les spectacles.

Héritière de la taxe affectée au Centre national de la chanson, son fonctionnement est un peu particulier, puisque 65 % du montant versé est crédité sur un compte qui permet au producteur de monter un nouveau spectacle, les 35 % restants étant affectés à des aides sélectives. Or, et il faut nous en réjouir, le spectacle connait un succès croissant, à tel point que le rendement de cette taxe est bien meilleur qu'escompté. Initialement fixé à 32 millions d'euros en 2024, il devrait se rapprocher, voire dépasser les 50 millions.

Cela est donc une excellente nouvelle pour le CNM, mais pose une vraie difficulté car ce montant de 50 millions est également celui auquel la taxe est plafonnée.

Dès lors, au-delà de 50 millions, les producteurs ne peuvent plus compter sur un retour de 65 %, ce qui pose une question d'équité. Le secteur se trouverait de surcroit frappé d'une imposition qui lui serait propre.

Face à cette situation, il n'existe que deux solutions :

- ou bien le principe du plafonnement à ce niveau est maintenu, et dans ce cas, le CNM doit rapidement configurer différemment la structure de la taxe, en abaissant par exemple le taux de retour et en aménageant une réserve de précaution ;

- ou bien en déplafonnant cette taxe au-delà de 50 millions d'euros, voire en supprimant purement et simplement le plafond dans la première partie de la loi de finances.

Je formule maintenant le souhait, que nous partageons tous ici, je crois, que le CNM, puisse maintenant consacrer son énergie et son temps non plus à conforter ses financements, mais à s'insérer de manière durable dans l'écosystème musical et à soutenir la création française.

J'en viens maintenant au monde de l'édition.

Si les industries culturelles sont florissantes, l'édition parait en 2023 un peu en retrait, avec une croissance de 1,2 %. Cela n'est pas surprenant tant ce marché est cyclique, avec notamment la forte influence des changements de programmes scolaires, qui représentent 10 % des ventes.

Je voudrais attirer votre attention sur trois points.

Premier point, les efforts faits par les éditeurs pour limiter la véritable crise de surproduction qui frappe le secteur. Elle a déjà été longuement évoquée dans les rapports pour avis, et constitue une caractéristique de l'édition. Or il semble bien que la profession revienne peu à peu à une pratique plus sage. Ainsi, après un pic de 45 000 nouveautés en 2019, l'année 2023 n'a vu « que » 37 000 nouveautés, soit une baisse de 18 % en 5 ans.

Deuxième point, qui va tout particulièrement intéresser notre collègue Laure Darcos, la récente décision de la société Amazon d'interpréter de manière très libérale la loi du 30 décembre 2021, adoptée à l'initiative de notre commission. En proposant de retirer gratuitement les livres dans les centres commerciaux qui disposent d'un petit étal de livres, Amazon met un sérieux coup de canif dans les finalités de cette loi, qui, je le rappelle, a pour objectif de protéger les libraires des conséquences des actions prédatrices d'Amazon. La ministre, interrogée sur ce point, a indiqué suivre de près ce dossier et avoir saisi le médiateur du livre. Des actions contentieuses devraient suivre, et je les soutiens pleinement pour que non seulement le texte, mais aussi l'esprit de la loi soit respecté.

Troisième et dernier sujet sur l'édition, la question toujours complexe des relations entre auteurs et éditeurs.

Le rapporteur avait fait état l'année dernière des avancées sur de nombreux sujets, comme la reddition des comptes, en vous indiquant qu'il restait maintenant sur la table le sujet le plus inflammable, la question de la rémunération. Le Syndicat des éditeurs a cherché à objectiver la situation en publiant en février dernier une étude sur la répartition de la valeur, qui montre que les droits d'auteurs représentent environ le quart du prix du livre et que la part des éditeurs s'établit à 17,8 %, dont 12,9 % de frais de structure.

Or ces conclusions, qui semblent aller dans le sens d'un statu quo en soulignant l'équilibre du partage de la valeur, n'ont pas été appréciées par les auteurs, qui ont immédiatement dénoncé le caractère biaisé de l'étude, car elle n'aborderait pas les gains issus de la diffusion ainsi que les disparités de rémunération entre auteurs. Face à cette fronde, la ministre a annoncé lors du Festival du livre de Paris le lancement d'une nouvelle étude, dont les conclusions seront rendues publiques d'ici la fin de l'année.

En un mot, mes chers collègues, ce dossier n'a pas vraiment avancé cette année, sauf en créant un peu plus de tension entre les éditeurs et les auteurs. Il faudra être attentifs aux conclusions de ce rapport, d'autant plus que le résultat nécessitera certainement des modifications législatives, comme les accords déjà passés entre les auteurs et les éditeurs.

Je vais maintenant aborder le plus important poste budgétaire : la bibliothèque nationale de France (BnF).

À elle seule, elle représente 70 % des crédits du programme, avec une dotation de 251,6 millions d'euros.

Je note d'ailleurs que les crédits de la BnF ont progressé de 16 % depuis 2021, année où notre ancien collègue Julien Bargeton, alors rapporteur pour avis, avait émis un « cri d'alarme » sur les finances de l'établissement.

Le paradoxe de la BnF est que sa capacité d'initiative est de fait bridée, malgré son budget, par des éléments sur lesquels elle n'a que faiblement la main, comme la masse salariale ou bien les travaux d'entretien indispensables. Elle va ainsi devoir affronter dans les années à venir un véritable « mur d'investissement », avec des travaux très conséquents sur le site François Mitterrand, qui se détériore plus vite que prévu. Je souligne cependant le record historique de fréquentation en 2023, avec 1,5 million de visiteurs, 400 000 pour la salle Ovale du Quadrilatère Richelieu, qui a d'ailleurs été mis à l'honneur lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques et Paralympiques.

Dans les années à venir, la BnF est confrontée à deux chantiers :

- d'une part, la construction du centre de stockage à Amiens, pour lequel les travaux débuteront en 2026. Les travaux doivent s'achever en 2029, pour un coût initialement estimé à 96,2 millions d'euros. Comme c'est souvent le cas dans ce type d'opération, il faudra cependant sans doute revoir à la hausse l'enveloppe prévue de 10 à 15 % pour permettre le bon déroulement de ce chantier emblématique ;

- d'autre part, la mise en place du dépôt légal numérique, tel que prévu à l'article 5 de la loi « Darcos ». Il s'agit, comme nous l'avions souligné à l'époque, d'un chantier juridiquement et techniquement très complexe, à tel point que ses modalités d'application, 4 ans après l'adoption de la loi, ne sont pas prévues avant le premier semestre 2025.

Il nous faudra donc suivre avec attention l'évolution de la situation de la BnF, confrontée à la dégradation de son patrimoine et maitresse d'oeuvre sur de grands projets structurants.

J'en viens enfin avant de conclure au secteur du jeu vidéo, qui n'avait pas été abordé l'année dernière.

Avec un chiffre d'affaires de 3,7 milliards d'euros pour les logiciels et 6,1 milliards en comptant les achats de matériels, le jeu vidéo est la première industrie culturelle du pays.

Il a connu une progression tout compris de 10 % en 2023, ce qui est exceptionnel. Depuis 2013, sa taille a plus que doublé. 72 % des Français de plus de 10 ans jouent à un jeu vidéo, que ce soit sur console, ordinateur, ou sur téléphone portable.

La pratique s'est donc profondément enracinée et n'est plus réservée à un public de jeunes joueurs.

Le jeu vidéo bénéficie d'un seul dispositif d'aide, sous la forme d'un crédit d'impôt que nous avons toujours défendu, et qui s'élève à environ 70 millions d'euros.

Cependant, loin de ce discours triomphaliste, l'ambiance à la dernière Paris Games Week en octobre était plutôt morose. De fait, la presse s'est largement faite l'écho des difficultés du secteur, en particulier celles de la plus grande société française Ubisoft. L'année 2024 devrait donc signer la fin de la croissance explosive du jeu vidéo.

Je voudrais nuancer ce point de vue avec trois éléments :

- tout d'abord, le jeu vidéo rentre enfin dans une période de normalisation. 2023 a été exceptionnelle, avec de très nombreuses sorties qui avaient été décalées après la pandémie, et la disponibilité des nouvelles consoles de Sony et Microsoft. 2024 et 2025 ne devraient pas bénéficier de ces « boost » et enregistrer une activité plus normale ;

- ensuite, les coûts de production ont explosé ces dernières années, avec des développements pour plusieurs centaines de millions de dollars.

Or il s'agit aussi d'une industrie où le succès est très concentré sur quelques titres. Dès lors, il suffit que la production d'un studio ne rencontre pas le succès escompté pour le voir en grande difficulté. On estime ainsi dans le monde à environ 13 000 les licenciements cette année ;

- enfin, et en conséquence, le secteur est entré en phase de concentration, ce dont a témoigné de manière spectaculaire le rachat du studio Blizzard par Microsoft pour 75 milliards de dollars.

L'année 2025 pourrait cependant réserver de bonnes surprises, avec la sortie de la nouvelle console de Nintendo et du nouvel opus de la saga « GTA », dont le coût de développement est estimé à plus d'un milliard d'euros.

En résumé, je voudrais souligner que dans le domaine du jeu vidéo, la France dispose d'une expertise mondialement reconnue, de studios de taille mondiale, et de formations d'excellence - il n'y a pas tant que cela de domaines dans le numérique où nous brillons autant. Cela rend d'autant plus nécessaire la poursuite de notre soutien, somme toute modeste au secteur.

En conclusion de cette présentation, mes chers collègues, les industries culturelles se portent relativement bien, même si des difficultés perdurent comme dans le domaine des librairies par exemple. Il nous appartient de continuer à soutenir ces secteurs qui représentent à la fois une activité économique très significative, mais offrent également à tous culture et évasion !

Je vous propose de donner un avis favorable aux crédits du programme « Livre et industries culturelles » pour 2025.

Mme Else Joseph. - Ce programme pose la question fondamentale de notre rapport à la lecture, dans un contexte croissant de numérisation des échanges et de l'accès aux contenus. Dans ce cadre, nous devons accorder une grande attention à la question des bibliothèques, qui est étroitement liée à celle des collectivités territoriales. Je rappelle en effet que ce sont ces dernières qui font l'acquisition des ouvrages pour les bibliothèques. Or ces établissements sont pour beaucoup de nos concitoyens le premier accès à la culture. Ainsi, je rejoins pleinement les objectifs de la politique d'extension des horaires d'ouverture, qui ne doit cependant pas être réservée aux grandes villes. J'attends donc beaucoup du plan en faveur de la ruralité annoncé par la ministre.

Les libraires sont également des acteurs majeurs de la vie culturelle et il faut trouver des moyens de les encourager à ouvrir dans les territoires ruraux. De manière générale, il faut donner non seulement le goût de la lecture aux plus jeunes mais également sensibiliser aux métiers du livre et de la culture.

Je me réjouis de la hausse de la fréquentation de la BnF et de la BPI. La BnF est cependant, comme vous le disiez, confrontée à un mur d'investissements et je souhaiterais savoir si la hausse des entrées lui permettra d'y faire face. Je me félicite du succès des dispositifs d'accessibilité de la lecture pour les personnes en situation de handicap et j'insiste sur la nécessité de développer un accès numérique à la presse ancienne.

Enfin, en ce qui concerne le CNM, et dans la lignée du rapport de notre ancien collègue Julien Bargeton, je souhaite que le Centre, enfin assuré dans ses financements, puisse mener à bien ses missions.

Mme Sylvie Robert. - Je vais revenir sur le CNM, encore confronté à la question de la sécurisation de son financement. Il est urgent de fixer le cadre réglementaire afin d'assurer en particulier le bon rendement de la taxe streaming. Mais il faut également nous interroger sur le plafonnement de la taxe sur les spectacles. Mon groupe va déposer un amendement pour y mettre un terme. Il me parait cohérent que le produit de cette taxe, qui s'avère meilleur qu'initialement estimé, abonde les crédits du CNM. Je renouvelle par ailleurs ma préoccupation sur la concentration dans le secteur musical, alertée par les principaux acteurs. J'attire également l'attention sur la pratique, de plus en plus répandue, de la tarification « dynamique », qui consiste à faire évoluer le prix du billet en fonction de l'évolution de la demande. Nous en avons vu un exemple récent avec les concerts du groupe Oasis en Angleterre. Il nous faut absolument éviter qu'un tel système soit mis en place dans notre pays.

Je suis également préoccupée par la situation des festivals de musique, surtout les plus petits, qui sont fragilisés par la hausse des coûts et notamment celle du cachet des artistes.

En ce qui concerne le livre, je suis, comme Else Joseph, inquiète des conséquences pour les budgets d'acquisition des bibliothèques de la situation financière des collectivités territoriales. Dans beaucoup de cas, les bibliothèques acquièrent dorénavant des livres d'occasion, ce qui pose évidemment des questions en termes de droits d'auteur. Enfin, j'attends des précisions, que l'on ne m'a toujours pas communiquées, sur le plan en faveur de la ruralité, dont le montant réservé aux bibliothèques me parait pour l'heure extrêmement faible. Mon groupe s'abstiendra sur les crédits de ce programme, sous réserve de l'adoption d'un amendement sur le déplafonnement des taxes affectées au CNM.

M. Pierre-Antoine Levi. - Mes chers collègues, nous devons rester vigilants sur l'évolution des crédits de ce programme dans un contexte budgétaire particulièrement contraint.

Plusieurs éléments paraissent positifs, comme le maintien du soutien aux grands établissements publics, en particulier la BnF qui voit ses moyens renforcés de 4,7 M€, ou le CNL, qui conserve sa capacité d'intervention. Nous saluons l'ambition maintenue en faveur de la lecture publique avec le développement des contrats départementaux de lecture et le soutien aux bibliothèques départementales.

S'agissant des industries culturelles, je me félicite de la création de la taxe streaming, qui témoigne de l'adaptation de nos outils de financements aux mutations numériques.

Nous partageons également le diagnostic de faire évoluer le pass Culture, notamment avec une modulation selon les ressources et l'orientation d'une part de ces dépenses vers le spectacle vivant. Je souligne cependant à ce sujet trois points de vigilance : l'accompagnement des petites librairies indépendantes, le maintien d'une liberté de choix suffisante pour les jeunes, et enfin le soutien aux librairies en zones rurales qui doit demeurer une priorité absolue.

Pour finir, je voudrais mettre l'accent sur deux enjeux. D'une part, celui de la réduction des emplois des opérateurs avec 82 ETP en moins qui devra être accompagnée. D'autre part, l'accompagnement de la transition numérique du secteur avec les 1,8 M€ consacré à la découvrabilité des contenus culturels francophones, qui devra faire l'objet d'une évaluation de son efficacité. Le groupe UC votera en faveur des crédits de ce programme.

Mme Laure Darcos. - Je dénonce bien entendu le contournement de la loi du 30 décembre 2021 au sujet de laquelle j'ai dû subir des attaques personnelles. J'ai demandé aux grands acteurs de la filière des études fiables pour dénoncer les propos mensongers de la société Amazon, qui nous accuse d'avoir augmenté le prix des livres dans les zones rurales. La position de cette société qui, je le rappelle, gagne de l'argent avec les frais de port me parait témoigner de sa volonté d'exercer une position monopolistique sur ce marché.

En ce qui concerne les livres d'occasion, je vous alerte sur un amendement qui a pu vous être communiqué par un représentant des auteurs et qui vise à imposer une taxe sur ces ouvrages. Cette taxe pose de graves difficultés juridiques, d'une part car elle ne frapperait que les acteurs du commerce en ligne, ce qui constitue une rupture d'égalité, d'autre part, car il n'est pas possible d'affecter les ressources ainsi dégagées au profit des auteurs et des éditeurs. Je renvoie d'ailleurs à une étude récente de la Sofia qui montre que les acheteurs de livres d'occasion sont surtout les plus grands lecteurs et que les acquisitions concernent avant tout certains genres comme le polar. Nous devrons mener un travail collectif pour parvenir à trouver un équilibre satisfaisant avec les auteurs.

Je ne suis pas surprise par ailleurs par les difficultés de mise en place du dépôt légal numérique. Il existe en particulier une difficulté identifiée de longue date dans la délimitation des tâches avec l'INA. Notre groupe votera en faveur des crédits du programme.

M. Pierre Ouzoulias. - L'examen de ce programme est pour nous l'occasion d'aborder une grande diversité de secteurs qui obéissent à des logiques différentes. Nous sommes très inquiets de la nouvelle offensive d'Amazon qui devrait, j'en suis persuadé, s'amplifier avec l'élection de Donald Trump. La France est isolée dans son combat pour la souveraineté culturelle et je suis très inquiet pour toutes ces industries.

Je voudrais insister sur la question cruciale de l'intelligence artificielle. Cette technologie se nourrit en moissonnant des contenus pourtant protégés par les droits d'auteur et il me semble que nous pourrions envisager un système de droits voisins. Il nous faut en particulier défendre les éditeurs scientifiques afin de préserver la diversité des publications.

Je regrette l'absence de politique interministérielle en faveur du livre. On n'observe à ce sujet aucune synergies entre les ministères. Sur le pass Culture, je rappelle l'importance de la médiation. Comme vous le savez, des départements ont cessé d'abonder ces dispositifs dont les objectifs étaient remplis par le pass Culture. Si ce dernier venait à être profondément réformé, on pourrait ne pas retrouver ce même niveau de subvention. Mon groupe s'abstiendra sur les crédits de ce programme, sous réserve de l'adoption d'un amendement sur le déplafonnement des taxes affectées au CNM.

Mme Monique de Marco. - Je regrette à mon tour l'absence du rapporteur, qui ne nous a pas permis de participer à des auditions. Si les industries culturelles se portent bien, je note cependant que le budget est en baisse. Ainsi le CNM a vu sa subvention diminuer alors même que la taxe streaming qui devait rapporter 15 M€ devrait finalement s'établir à un peu moins de 10 M€. Je suis très favorable à un amendement sur le déplafonnement des taxes affectées. Je suis inquiète pour le sort des bibliothèques en milieu rural, il est nécessaire que la ministre mène une vraie politique en faveur de la lecture publique. Je suis également circonspecte sur l'amendement qui nous est proposé sur les livres d'occasion.

Mme Laure Darcos. - Je précise d'ailleurs que le premier vendeur de livres d'occasion en ligne, après Amazon est Emmaüs.

Mme Monique de Marco. - Cela conforte mes préventions sur cette initiative. Il existe toute une économie autour du livre d'occasion. Notre groupe s'abstiendra sur ces crédits.

M. Jean-Gérard Paumier. - Le programme que nous examinons affiche des crédits relativement stables. Je tiens à souligner le défi posé par le monde numérique, en particulier les plateformes de streaming, à notre modèle culturel, ce qui se perçoit notamment avec les stratégies déployées pour échapper à la taxe sur le streaming. Cette préoccupation s'étend à la question de la diffusion de l'information, désormais souvent relayée par les réseaux sociaux. Dernier sujet pour le futur, la question loin d'être résolue des liens entre l'intelligence artificielle et le respect des droits d'auteur.

Je déplore que le rapport des Français à la lecture se dégrade, ce qui se constate avec la faiblesse du marché de l'édition, selon une étude du CNL, 30 % des jeunes ne lisent pas du tout, ce qui constitue un vrai sujet d'inquiétudes. Je suggère une mission d'information qui pourrait, dans quelques départements, nous aider à appréhender l'accès aux livres et à la lecture, en particulier dans le monde rural. Mon groupe votera en faveur des crédits du programme.

M. Laurent Lafon, président. - Je renouvelle mes regrets sur la façon dont l'examen des crédits de ce programme a dû être mené. Je partage les préoccupations exprimées sur la place des bibliothèques ainsi que sur celle des librairies. Le secteur du livre demeure fragile et doit pouvoir compter sur nos politiques publiques. Je note cependant que le phénomène de fermeture des librairies semble stoppé avec plus de créations que de suppressions. C'est un signal très positif car nous connaissons tous l'importance des librairies dans l'animation des centres-villes et des centres-bourgs. Je demeure également vigilant sur les conséquences de la réforme du pass Culture. Il constitue un élément important de l'équilibre économique de certains acteurs, dont les libraires, et l'impact de changements le concernant ne doit pas être sous-estimé. Il constitue également un outil qui a pris une grande importance pour l'accès à la lecture des jeunes. Contrairement à ce qui a pu être dit au moment du lancement, ils n'achètent pas que des mangas...

En ce qui concerne la BnF, je précise que la hausse de sa fréquentation ne pourra pas compenser la progression de ses coûts. L'établissement est confronté à de vrais enjeux en matière d'investissements. Ainsi le centre de stockage d'Amiens devrait entrainer des surcoûts pour un montant qui reste à arrêter. Plus important encore, le site François Mitterrand doit faire l'objet de lourds travaux, notamment pour assurer son isolation thermique ou encore pour faire évoluer ses infrastructures techniques et informatiques.

En ce qui concerne le CNM, je distingue deux sujets. D'une part sur la taxe streaming, il faudrait savoir pourquoi son rendement s'avère très inférieur à ce qui était prévu. Nous ne pouvons nous satisfaire sans explication d'un tel écart. D'autre part, nous aurons un débat sur le plafonnement de la taxe sur le spectacle, tout en gardant à l'esprit qu'il est en général difficile dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances de supprimer un plafond. Ce sujet est à vrai dire nouveau, car, les recettes de cette taxe étaient jusqu'à présent très en dessous de 50 M€. Je suis également préoccupé de la situation des festivals, car peu d'entre eux ne sont pas en déficit. Cette situation repose à mon avis sur plusieurs facteurs, dont la hausse du cachet des artistes mais également le nombre de festivals sur lequel on pourrait également s'interroger.

Sur le livre d'occasion, la question de la mise en place d'une taxation pose la question de la rémunération des auteurs, sur un modèle qui n'est pas sans évoquer celui de la copie privée. Il me semble par ailleurs que certaines personnes peu scrupuleuses revendent les livres d'occasion déposés dans les boîtes à livres...

Je me félicite tout comme vous de la préservation des moyens des grands opérateurs. Sur la loi « Darcos », la stratégie de contournement d'Amazon me parait relativement claire, toutefois j'y vois également une remise en cause plus profonde de notre système de régulation, en particulier, la loi sur le prix unique du livre. Sur l'intelligence artificielle, si je partage les inquiétudes de Pierre Ouzoulias, je m'interroge sur la pertinence de la mise en place d'un système de droits voisins dont nous n'ignorons pas les failles. Bruno Patino que nous auditionnerons dans quelques semaines pourra utilement nous éclairer sur ce point. Enfin, j'attends tout comme vous des précisions sur le plan en faveur de la ruralité annoncé par la ministre.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés au Livre et aux industries culturelles au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2025.

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