III. L'ÉDITION : TOUJOURS PAS D'ACCORD ENTRE AUTEURS ET ÉDITEURS
A. UN SECTEUR DE L'ÉDITION EN PHASE D'ATTERRISSAGE
Le chiffre d'affaires du secteur de l'édition est resté quasiment stable entre 2022 et 2023, avec une progression d'un peu plus de 1 %. La légère baisse des ventes a été compensée par la hausse de 2,6 % du prix du livre.
Si les ventes de la catégorie littérature progressent de 5 % en 2023, on note pour la première fois une baisse significative des ventes de bandes dessinées, en particulier des mangas (- 17 %).
Les années à venir pourraient bénéficier des nouveaux programmes scolaires, ce secteur étant par nature très cyclique et représentant 10 % des ventes.
Évolution du chiffre d'affaires et des ventes de livre
(en millions d'euros et d'exemplaires)
Un contournement de la loi du 30 décembre 2021 par Amazon ?
Disposition phare de l'article 1er la loi du 30 décembre 2021, l'interdiction de la gratuité de livraison pour les livres doit permettre aux librairies de lutter à armes égales contre les plateformes de vente en ligne. Amazon, qui a beaucoup combattu cette mesure, a cependant imaginé en novembre 2024 une forme de contournement. Le texte prévoit en effet la gratuité si l'ouvrage est retiré « dans un commerce de vente au détail de livre », afin de faciliter le « click and collect ». La société américaine a choisi d'interpréter cette facilité de manière très large, en proposant le retrait dans les commerces, notamment les grandes surfaces, qui proposent des livres à la vente. Sans préjuger de la décision qui sera prise dans le cadre d'une démarche contentieuse, cette interprétation ne semble en rien conforme à la volonté du législateur, qui cherchait précisément à protéger les librairies.
Nouveautés publiées
Comme l'ont relevé les précédents rapports pour avis, le marché du livre est marqué depuis plusieurs années par une forme de surproduction, qui nuit à l'accessibilité des oeuvres en limitant leur exposition.
Après un pic en 2019, avec près de 45 000 nouveautés publiées, on observe un mouvement général de repli, avec un peu moins de 37 000 nouveautés en 2023, soit une baisse de 18 % en 5 ans.
B. UNE ÉTUDE QUI MET LE FEU AUX POUDRES
Le rapporteur pour avis avait évoqué dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2024 la complexité des relations entre les auteurs et les éditeurs, largement structurées par les dispositions du code de la propriété intellectuelle (CPI). Ce dernier a déjà été réformé en 2014, puis en 2021 avec la loi du 30 décembre 2021 visant à conforter l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs4(*).
Une nouvelle mission de médiation a depuis lors abouti à l'accord du 20 décembre 2022 entre auteurs et éditeurs, qui doit permettre des avancées en matière de transparence et d'équilibre contractuel.
Cependant, si les progrès ont été notables, ils n'ont pas concerné la question centrale de la rémunération. La ministre de la Culture a donc chargé ses services d'accompagner, durant l'année 2023, le dialogue entre auteurs et éditeurs sur des thématiques pouvant donner lieu à un meilleur encadrement des pratiques de rémunération.
Les difficultés liées à un encadrement de la rémunération des auteurs
La question de la rémunération rassemble plusieurs problématiques, comme la sécurisation et l'encadrement des sommes versées à l'auteur en amont de la publication (minimum garanti), la systématisation de la progressivité des taux de rémunération des auteurs, les modalités de rémunération applicables aux ventes de livres à l'étranger et aux ventes de livres soldés ou encore les prestations supplémentaires confiées aux auteurs en lien avec la production de l'oeuvre ou sa promotion, telles que la rédaction d'une quatrième de couverture ou la présence d'un auteur sur un salon.
Les organisations professionnelles ne sont pas parvenues à s'accorder sur l'ensemble des thématiques débattues.
Certains sujets ont ainsi divisé au sein même des organismes représentants les auteurs, comme le régime des minima garantis. Certains défendent l'idée que les minima garantis doivent être considérés comme la contrepartie d'une prestation commandée par l'éditeur et que les rapports entre auteur et éditeur relèvent successivement de deux cadres contractuels : d'une part celui du contrat de louage d'ouvrage ou de commande et, d'autre part, celui du contrat d'édition.
En février 2024, le Syndicat national des éditeurs (SNE) a rendu publiques les conclusions d'une étude sur le partage de la valeur ajoutée entre auteurs et éditeurs5(*) qui a suscité une forte controverse avec les auteurs. Ces derniers considèrent que l'étude est biaisée, car elle n'aborde pas les gains de la diffusion-distribution, pour l'essentiel détenue par les grands groupes, et ne renseigne pas sur la disparité des conditions de rémunération des auteurs.
Selon l'étude du SNE, les éditeurs et les auteurs se répartissent 49 % de la valeur du livre. Selon l'étude :
- les droits d'auteur représentent 24,8 % de cette fraction ;
- la part des éditeurs s'établit à 17,8 %, dont 12,9 % de frais de structure ;
- le résultat d'exploitation des éditeurs serait de 4,9 % avant impôt.
Les organisations d'auteurs et de détaillants ont donc demandé au ministère de la culture la réalisation d'une nouvelle étude permettant d'éclairer ces aspects du secteur. La ministre y a répondu favorablement lors du Festival du livre de Paris 2024 et les conclusions sont attendues pour 2025.
La commission note que les progrès ont été modestes en 2024, et que de nombreuses incompréhensions subsistent entre les éditeurs et des auteurs eux-mêmes divisés. Il souhaite que 2025 permette d'aboutir enfin sur la question centrale de la rémunération, sur une base objectivée et partagée par tous.
* 4 Issue d'une proposition de loi de la sénatrice Laure Darcos.
* 5 https://www.sne.fr/actu/le-partage-de-la-valeur-entre-auteurs-et-editeurs-une-etude-economique-du-sne/