EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 27 novembre 2024, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission Défense.
M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis. - Le programme 144 porte les crédits consacrés au renseignement et à la prospective du ministère des armées.
Le projet de budget qui nous est présenté respecte les engagements pris dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030, qui fixe un haut niveau d'ambitions en la matière.
Le programme 144 sera ainsi doté de 2 milliards d'euros l'an prochain, soit une progression de près de 6 % par rapport à 2024.
Je me concentrerai sur les moyens qui seront consacrés à l'innovation et à la prospective ainsi que sur les questions relatives à l'accès au financement des entreprises de la base industrielle et technologique de défense, et Gisèle Jourda évoquera les crédits du renseignement.
Mes chers collègues, la LPM prévoyait un effort historique en faveur de l'innovation de défense, avec des besoins inscrits au titre du « patch » innovation s'élevant à plus de 10 Mds€ sur la période 24-30.
Le PLF pour 2025 va au-delà de la trajectoire prévue en LPM en fixant un niveau de crédits dédiés à l'innovation s'élevant à près de 1,3 milliard d'euros contre un peu plus de 1,2 milliard d'euros envisagés dans la LPM.
Hors dissuasion, les crédits d'études amont s'établiront ainsi à 832 millions d'euros, soit un montant supérieur de 68 millions d'euros à l'annuité 2025 de la LPM.
Nous considérons que cet effort consenti dès les premières années de mise en oeuvre de la loi de programmation militaire va dans le bon sens pour deux raisons.
D'abord, parce que cela limite les effets de l'inflation, un euro d'aujourd'hui valant plus qu'un euro de demain.
Ensuite, et c'est une stratégie délibérée de l'agence de l'innovation de défense, car contractualiser rapidement avec les entreprises, en particulier les petites et les moyennes, permet de leur donner de la visibilité sur leurs financements étatiques.
Cette situation est-elle pour autant idyllique ? Pas tout à fait. Si les armées affirment n'avoir identifié aucune impasse dans les études qui seront lancées au cours des prochaines années, les industriels ont mis en avant un certain nombre de points de vigilance. Pour ne citer qu'un exemple, dans le domaine terrestre, le développement de certaines munitions de nouvelle génération et de munitions dédiées à la lutte anti drones pourrait être entravé faute de budgets suffisants.
Par ailleurs, les conséquences de l'annulation de 33 millions d'euros prévue en 2024, qui touchera principalement les crédits dédiés à l'innovation, ne sont pas encore connues. Il n'est pas à exclure que cette coupe dans les moyens du programme 144 nécessitera de reporter certaines opérations dont le lancement était prévu en 2025.
J'ajoute que les crédits consacrés au financement des grands démonstrateurs prévus dans la LPM diminueront de 12 millions d'euros, pour atteindre 118 millions d'euros.
Nous appelons à ce que cette baisse des crédits consacrés aux démonstrateurs ne soit pas compensée par une augmentation excessive de la part d'autofinancement de certains projets par les industriels. En effet, si nous considérons qu'il n'est pas anormal que les entreprises, en particulier les grands groupes, prennent une part de risque qui témoigne de l'intérêt qu'elles portent au projet, nous estimons qu'un équilibre doit être trouvé afin, d'une part, d'éviter d'aggraver les difficultés d'accès aux financements privés qui peuvent être rencontrées par certaines entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD) et, d'autre part, de ne pas rigidifier les dispositions contractuelles relatives à la propriété intellectuelle et industrielle, rendant difficiles ou impossibles les adaptations devenues nécessaires des matériels et équipements une fois acquis par les armées.
J'en viens à la question de l'accès au financement des entreprises de la BITD. Au cours de son audition devant notre commission, le ministère délégué auprès du ministre des armées et des anciens combattants, qui connaît bien cette question pour avoir beaucoup travaillé sur cette question lorsqu'il était parlementaire, s'est voulu optimiste sur l'évolution de la situation. J'ai d'ailleurs noté que le ministre avait laissé son ministre délégué répondre à ma question et avait « savouré » la réponse. Ce tableau est pourtant très éloigné de celui qui nous est présenté par les acteurs du secteur. Si des avancées peuvent être notées, grâce notamment aux alertes lancées par le Parlement et au volontarisme de la délégation générale de l'armement, force est de constater que des entreprises de la BITD continuent de rencontrer des difficultés d'accès au financement bancaire et aux investissements.
Certes, les cas remontés sont peu nombreux, mais s'élevaient tout de même à une vingtaine l'an dernier. Il faut être conscient que ces cas ne représentent que la partie émergée de l'iceberg. On peut comprendre que les entreprises préfèrent préserver leurs relations avec leurs banques et éviter d'exposer leurs difficultés de financement à leur donneur d'ordre. Nombre d'entreprises se voient ainsi refuser un prêt, un financement export, une garantie d'emprunt au seul motif que leur activité concerne la défense, ce qui est inacceptable dans un contexte où l'on parle d'économie de guerre. Par ailleurs, certains grands assureurs adopteraient ces mêmes restrictions. Loin d'une amélioration de la situation, nous constatons donc une forme d'aggravation.
C'est pourquoi nous appelons à des initiatives rapides de la part du Gouvernement sur ce sujet. Les propositions existent : il suffit de relancer les initiatives parlementaires suspendues depuis la dissolution !
J'ajoute et conclurai sur ce point que toute menace en provenance de certaines institutions européennes n'est pas écartée, comme en témoignent les lignes directrices de l'autorité européenne des marchés financiers sur la dénomination des fonds ESG, qui étend la définition des armes controversées au nucléaire.
Mes chers collègues, sous bénéfice de ces observations et celles de Gisèle Jourda, je vous proposerai d'adopter sans modification les crédits du programme 144.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice pour avis. - Je m'attacherai à présenter la part des crédits du programme 144 consacrée au renseignement intéressant la sécurité de la France.
Concrètement, il s'agit des crédits de fonctionnement, d'investissement et d'intervention de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD).
Avec 508 millions d'euros de crédits de paiement en 2025 contre 476 millions d'euros en 2024, le budget de ces deux services progresse conformément à l'objectif fixé par la LPM de doublement des crédits en 2030 par rapport à 2017. Les effectifs vont également progresser de 7 652 équivalents temps plein travaillés (ETPT) en 2024 à 7 814 ETPT en 2025, correspondant à 735 millions d'euros de crédits de paiement de titre 2 relevant du programme 212 « Soutien de la politique de défense ».
Ce sont donc au total sur les programmes 144 et 212 près de 1,25 milliard d'euros consacrés à la fonction de renseignement extérieur, de sécurité et de défense.
Il s'agit d'une année charnière particulière pour la DGSE qui vient de lancer le 12 novembre dernier les travaux du Fort neuf de Vincennes qui devront être livrés en 2030 pour une entrée en service en 2031. Nous avions d'ailleurs été convié à l'inauguration par le ministre de la défense, mais nous étions retenus par d'autres obligations. Cela fera certainement l'objet d'une visite prochaine à organiser avec le service.
L'année 2025 marquera également pour la DRSD une étape très importante de sa transformation. J'ai pu visiter avec le général Susnjara le nouveau bâtiment construit au coeur du fort de Vanves qui accueillera les systèmes et les équipes dans un nouvel environnement technologique et ergonomique de travail.
Au-delà du constat que l'allocation de crédit est conforme aux besoins programmés (les deux services ont exprimé leur satisfaction ce qui n'est pas courant en ce moment) je voudrais rappeler qu'elle s'inscrit donc dans la trajectoire visant un total de 5 milliards d'euros de crédits de renseignement sur la période de la LPM 2024-2030. C'est, je le rappelle encore, un des motifs qui avait conduit mon groupe à voter cette LPM.
Quelques observations tout de même :
- Je voudrais en effet souligner que le futur déménagement de la DGSE au Fort neuf de Vincennes comme la livraison du nouveau siège de la DRSD ne se limitent pas à des opérations immobilières. Celles-ci, de par leur contenu technologique et de nouvelles architectures de travail collaboratif, vont contribuer, pour la DRSD, à transformer dès la fin du premier semestre 2025 les méthodes de travail, à améliorer l'attractivité du recrutement et contribuer à la création d'un centre de formation, allant de pair avec la livraison d'un nouveau système d'information de renseignement et de contre ingérence de défense (SIRCID) ;
- S'agissant de la DGSE, notre attention a été attirée par l'accroissement de la conflictualité sur l'ensemble du spectre des missions du service tant sur les théâtres d'opération que sur la montée en gamme des menaces cyber et informationnelles, avec la nécessité de renforcer la sécurité opérationnelle de l'ensemble des postes et des agents. Je voudrais saisir cette occasion pour saluer ici l'ensemble de ces personnels qui travaillent à notre sécurité et dont certains sont détenus au Burkina Faso. Je leur exprime nos pensées ainsi qu'à leur famille. Leur libération est une priorité absolue.
Mes chers collègues, je proposerai comme mon collègue Pascal Allizard l'adoption sans modification de ces crédits du programme 144.
M. Ludovic Haye. - Je vous remercie d'avoir insisté sur la question de l'accès au financement des entreprises de la défense. Nous avons des retours d'industriels qui reçoivent des réponses négatives de leurs banques qui ne se cachent pas de refuser des prêts en raison de leur activité dans le secteur dans la défense. Comme le propose Pascal Allizard, je pense qu'il faut remettre sur la table les propositions qui ont été faites et d'en trouver d'autres peut-être au regard de l'évolution du contexte géopolitique.
M. Cédric Perrin, président. - Dans le cadre de la mission d'information que nous réaliserons sur la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE), à l'initiative du groupe socialiste notamment, nous reviendrons sur ces questions de financement, de conformité et de taxonomies.
M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis. - Je précise qu'à Bercy, la direction générale des entreprises semble avoir saisi les enjeux, ce qui n'est pas le cas de la direction générale du Trésor, qui peut parfois donner le sentiment que ces sujets ne nous concernent pas. Du côté de la direction générale de l'armement, autant le directeur de l'agence de l'innovation de défense est conscient des problèmes rencontrés, autant le représentant du DGA s'est contenté de livrer les éléments de langage de la direction générale du Trésor. Il y a donc encore un vrai déni sur ce sujet dans certaines administrations. J'ajoute que ce qui se passe à Bruxelles est inquiétant.
M. Cédric Perrin, président. - J'ajoute que cette problématique touche désormais les assureurs. Certaines entreprises rencontrent des difficultés pour assurer des bâtiments. La proposition de flécher une partie de l'encours du livret A vers les entreprises de la défense ne visait pas à répondre à la totalité des besoins de financement de ces entreprises mais surtout à sensibiliser sur la nécessité d'accompagner les industriels de la BITD.
La commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 144.