EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 27 novembre 2024, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, a procédé à l'examen des crédits de la mission « Sécurités » - programme 152 -Gendarmerie nationale.
M. Philippe Paul, co-rapporteur. - Cette année, la hausse globale du budget de la gendarmerie nationale, en conformité avec la trajectoire prévue par la Lopmi, est marquée, avec 11,4 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 10,9 milliards d'euros en crédits de paiement, contre 10,9 milliards en AE et 10,4 mds en CP dans la loi de finances initiales pour 2024 - soit une augmentation de 500 millions d'euros. Le maintien de cette trajectoire dans un contexte budgétaire difficile est un vrai motif de satisfaction. Ce chiffre global recouvre néanmoins une situation assez binaire que l'on pourrait résumer ainsi : effort sur l'investissement, coup d'arrêt sur les effectifs. Je m'arrêterai sur le premier point, et mon co-rapporteur Jérôme Darras sur le second.
En effet, contrairement à l'année dernière, où l'augmentation des crédits avait été largement absorbée par les dépenses de personnel au titre des diverses mesures de revalorisation issues du Beauvau de la sécurité et par l'inflation, cette année c'est le « hors titre 2 », et principalement l'investissement, qui bénéficie - enfin - de l'essentiel de la hausse.
L'investissement immobilier avait été le grand oublié des deux derniers exercices. 2024, surtout, avait été une quasi-année blanche, avec 50 millions d'euros en autorisations d'engagement et surtout 13,4 millions d'euros de crédits de paiement engagés pour les nouvelles opérations immobilières - alors que le besoin d'investissement annuel est désormais estimé par la gendarmerie elle-même à 400 millions d'euros.
Cette année, les crédits d'investissement immobilier sont portés à 295,2 millions d'euros en autorisations d'engagement et 175,5 millions d'euros en crédits de paiement. C'est le signe d'une véritable volonté de « réamorcer la pompe » : la réinjection de crédits financera notamment un plan d'urgence de maintenance pour résorber les « points noirs » du parc immobilier, à hauteur de 120 millions d'euros, et 180 millions des opérations de construction et de maintenance spécialisée : 70 millions pour des opérations de réhabilitation, 17,5 millions pour des opérations de réhabilitation avec extension ou déconstruction, et 57 millions pour des opérations de construction notamment.
À plus long terme, quatre projets structurants entreront dans la programmation immobilière, à Satory au bénéfice du GIGN et du GBGM, à Melun, à Mayotte et à Dijon.
Il faut évidemment se féliciter de cet effort notable, car on connaît l'importance du casernement, qui est intimement lié à la condition militaire du gendarme et à sa capacité à intervenir en tout lieu et en toute heure. Le directeur général de la gendarmerie nationale, le général Bonneau, a reconnu lui-même lors de son audition par notre commission que les conditions de logement de certains de nos gendarmes étaient indignes.
Pourtant, cet effort n'est toujours pas suffisant, puisqu'il y a loin des 295 millions d'euros de crédits de paiement aux 400 millions d'euros nécessaires.
De plus, il faudrait que l'effort financier s'accompagne d'un effort comparable en direction des collectivités. Celles-ci seront très sollicitées dans le cadre du déploiement des 239 nouvelles brigades, toutes en locatif, or les conditions financières des montages immobiliers ne sont pas satisfaisantes. Les coûts-plafonds, qui déterminent le montant maximum des loyers versés aux collectivités propriétaires des logements, sont inférieurs de 30 à 50% aux coûts réels supportés par le maître d'ouvrage ; et le décret devant réviser ces coûts, recommandé depuis 2019 par un groupe de travail interministériel sur le sujet, n'a toujours pas été publié.
L'incident de gestion de la suspension du paiement de certains loyers, annoncée en octobre, n'aura pas contribué à renforcer la confiance entre la gendarmerie et les collectivités. En raison des coûts imprévus liés à la situation en Nouvelle-Calédonie - 127 millions - et du dérapage lié à la sécurisation des Jeux olympiques (122 millions contre 89 millions initialement prévus), il a été décidé de suspendre le paiement des loyers à environ 5 000 collectivités propriétaires de casernes, pour un montant total de 90 millions d'euros. Le paiement devrait intervenir au mois de décembre, grâce à la loi de fin de gestion qui débloquera les crédits nécessaires, assorti de pénalités d'environ 1,6 million d'euros. Mais au-delà du coût financier, ce retard de paiement est un coup de canif à la relation de confiance entre la gendarmerie et les collectivités.
Concernant l'investissement en moyens de mobilité, le tableau est très similaire : un réel effort, avec des crédits à 104 millions euros en autorisations d'engagement et 106 millions en crédits de paiement, après une année quasi-blanche. Mais il ne financera que 1 850 véhicules, soit la moitié des besoins d'investissement annuel pour maintenir le parc en l'état.
Au total, s'il y a de quoi se satisfaire de l'effort consenti en matière d'investissement, les motifs d'inquiétude restent nombreux pour l'avenir. Ce « stop and go » d'une année sur l'autre est incompatible avec une vision à long terme de l'immobilier de la gendarmerie, pourtant seul moyen d'éviter une dégradation irrémédiable du parc et un glissement vers le locatif, qui coûtera plus cher et privera le gestionnaire de ses marges de manoeuvre.
Il existe néanmoins des pistes d'amélioration. On peut déjà se féliciter de l'annonce, par le directeur général de la gendarmerie nationale, d'un schéma directeur de l'immobilier lors de son audition par notre commission - reste à déterminer quelles formes prendra ce schéma, et surtout s'il s'accompagnera d'un financement à la hauteur.
Il conviendra également d'imaginer de nouveaux montages financiers avantageux à la fois pour la gendarmerie et pour les constructeurs. Les marchés de partenariat, qui consistent à confier le financement d'un projet immobilier à un acteur économique, qui se rémunère par le versement d'une redevance par la gendarmerie nationale pendant une période donnée jusqu'au retour en propriété à l'État, est une solution à privilégier pour les opérations de grande ampleur. Il devrait être utilisé pour les projets structurants de Satory, Melun, Mayotte et Dijon.
Une solution est également à l'étude par la Caisse des dépôts et consignations pour le financement de constructions de casernes par les collectivités et leur prise à bail par la gendarmerie. C'est le système de la redevance transparente, déjà utilisé dans le logement social, où le loyer payé par le locataire est égal aux annuités payées par le bailleur pour financer le bâtiment, auxquelles s'ajoute une provision pour financer les travaux à venir et ses coûts annexes (TFPB, frais de gestion).
Au fond, la trajectoire budgétaire de la gendarmerie ressemble à un mouvement de balancier : soit on finance les augmentations d'effectifs en sacrifiant l'investissement immobilier, soit, comme cette année, on fait porter l'effort sur l'investissement en gelant les augmentations prévues par la Lopmi. Ce n'est pas une situation satisfaisante, mais il n'y a pas de solution miracle. Nous vous proposerons donc d'adopter les crédits du programme 152, avec les limites que moi-même et mon co-rapporteur aurons détaillées.
M. Jérôme Darras, co-rapporteur. - De prime abord, le titre 2 de ce projet de budget de la gendarmerie apparaît correctement doté, avec 5 milliards d'euros hors Compte d'affectation spécial pensions, soit une hausse de 83 millions par rapport à la Loi de finances initiale 2024. Mais cette augmentation ne couvre en fait que la hausse des rémunérations, en application des mesures catégorielles dites « coups partis », correspondant à l'extension en année pleine des décisions mises en oeuvre en 2024 - notamment la refonte de la grille indiciaire des sous-officiers.
Cela signifie en conséquence un coup d'arrêt marqué au mouvement de reconstitution des effectifs engagé en 2012, après une période d'attrition des forces de sécurité intérieure. Cette reconstitution a été lente car on compte aujourd'hui le même nombre de gendarmes qu'en 2007, mais avec 3,5 millions d'habitants supplémentaires, soit 2,9 gendarmes pour 1 000 habitants, contre 3,2 en 2007. Elle a été sanctuarisée par la Lopmi, qui prévoyait des schémas d'emploi positifs respectivement de 950, puis 1045, 500, 400 et enfin 645 ETP sur les cinq années de programmation, dans une volonté affirmée de retour à la proximité et de déploiement de la doctrine de « l'aller vers ».
La plus grande partie de ces nouveaux effectifs a été fléchée sur le déploiement des 239 nouvelles brigades annoncées par le Président de la République et déployées à partir de l'exercice 2024. Sur les 500 emplois prévus initialement en 2025, 464 devaient alimenter les 57 nouvelles brigades prévues par le plan de charge initial.
Or le schéma d'emplois est finalement à zéro, avec 12 970 entrées prévues, dont 10 701 primo-recrutements, pour 12 970 départs anticipés. Ce coup d'arrêt est d'autant plus dommageable qu'il est difficile ensuite de combler le retard, l'appareil de formation par exemple devant en effet monter en charge de manière anticipée et coordonnée avec les recrutements.
Monsieur le ministre de l'Intérieur a exprimé à deux reprises, lors de ses auditions par la commission des finances de l'Assemblée nationale, puis par la commission des lois du Sénat le 12 novembre, son intention d'obtenir une modification de ce schéma d'emplois. La suite de la discussion budgétaire nous éclairera donc sur la mise en oeuvre effective du déploiement des brigades, qu'il ne nous semble ni raisonnable, ni compréhensible de suspendre pour les communes d'implantation identifiées. Mon co-rapporteur a montré avant moi combien la relation de confiance entre la gendarmerie et les communes a besoin d'être renforcée. Elle est d`autant plus nécessaire, alors que les quelque 3000 casernes que la gendarmerie occupe hors parc domanial appartiennent le plus souvent à des collectivités ou à des organismes HLM, et que les communes ne peuvent déduire la TVA sur l'opération de construction et sont aujourd'hui confrontées aux contraintes budgétaires sans précédent imposées par ce projet de loi de finances.
Pour le cas où le plan de charge initial ne serait pas respecté, priorité serait donnée aux communes qui ont déjà entrepris les démarches d'accueil ; 37 sont dans cette situation. Un étalement serait alors envisagé au-delà du terme prévu de 2027.
Le second sujet de préoccupation concernant les effectifs est la baisse très marquée du budget de la réserve, là encore en contradiction avec la trajectoire prévue dans le cadre de la Lopmi. L'objectif fixé pour 2027 est en effet de 50 000 réservistes. En 2024, nous en étions à un peu moins de 36 000 avec un budget de 90 millions d'euros hors mobilisation pour les Jeux olympiques et paralympiques. En 2025, les crédits alloués passent à 75,6 millions d'euros, soit une baisse significative de 16 %.
C'est d'autant plus dommageable que la réserve assume un rôle de plus en plus important au sein de la gendarmerie. Elle est plus particulièrement sollicitée lors des évènements de grande ampleur, comme on l'a constaté à l'occasion des jeux olympiques et paralympiques, événements qui tendent à se multiplier. Plus généralement, elle assume la plus grande partie du spectre des missions de la gendarmerie nationale, à l'exception des opérations programmées de maintien de l'ordre. La baisse du budget obligera à opérer un choix : soit reconnaître que l'objectif de 50 000 réservistes, que la Cour des comptes jugeait déjà irréaliste dans son analyse de l'exécution budgétaire 2023, ne sera pas tenu, soit diminuer le nombre de jours annuels effectués, au risque d'un effet délétère sur la motivation de nos réservistes.
Avec mon collègue, nous avons souhaité plus particulièrement étudier un dispositif dans lequel la réserve est significativement sollicitée : la lutte contre l'immigration illégale et clandestine sur les côtes de la Manche et de la Mer du Nord. Cette façade maritime est en effet devenue le principal point de franchissement vers un État hors de l'Union européenne. Si le nombre de tentatives de franchissement a baissé d'environ 30 % en 2023, il reste à un niveau élevé, avec depuis le début de l'année 53 000 tentatives individuelles, 34 000 passages et malheureusement le record de 71 décès enregistrés.
Le dispositif de surveillance du littoral, visant à empêcher en amont l'embarquement dans les bateaux, implique 441 réservistes par jour, pour une cible à 473 au 1er avril 2025. Ils constituent donc la grande majorité des effectifs déployés, qui comprennent également 150 gendarmes départementaux et un escadron de 72 gendarmes mobiles.
Il est à souligner que l'emploi de ces réservistes est financé par le Royaume-Uni dans le cadre des accords de Sandhurst.
Cet exemple illustre le degré d'intégration de nos réservistes dans l'ensemble des missions de la gendarmerie. Loin de constituer une force de seconde ligne, ils sont ici employés dans des conditions particulièrement difficiles, avec une organisation de passeurs qui se professionnalise, employant de plus gros bateaux et n'hésitant pas à user de violence ou à se servir d'enfants comme boucliers contre l'intervention des gendarmes. Ils sont également confrontés à des méthodes de plus en plus sophistiquées, comme l'emploi de « taxi boats » qui récupèrent les candidats au passage sur les rives des fleuves côtiers ou sur la côte afin de compliquer l'intervention. Celle-ci ne peut en effet se dérouler qu'à terre, l'interception en mer ne pouvant relever que d'une action de sauvetage. Ensuite, les passeurs n'ont plus qu'à se signaler en difficulté, tout en refusant le secours proposé, aux seules fins de se faire accompagner par les moyens de l'État jusqu'aux limites des eaux britanniques.
La réserve apparaît donc bien comme une composante indispensable à la gendarmerie, y compris dans des conditions d'emploi les plus dures.
En conclusion, un point général sur l'exécution de la Lopmi pour la gendarmerie serait bienvenu, alors que nous approchons de la mi-parcours, afin d'évaluer si les à-coups constatés résultant des contraintes budgétaires, dans la trajectoire des effectifs ou dans la gestion immobilière, comme le souligne mon co-rapporteur, ne remettent pas en cause l'objectif de mise en oeuvre de la vision stratégique initiale.
En l'attente, nous préconisons un avis favorable à l'adoption des crédits de ce programme.
M. Jean-Pierre Grand. - Arrêtons de dire que ce sont les mairies qui doivent mettre la main à la poche pour le terrain, ceci ou cela. Ce n'est plus l'ingénierie financière d'aujourd'hui ! Tous les outils sont disponibles pour que la construction de gendarmeries rapporte un peu d'argent aux communes. Il y a de grands opérateurs - avant la société nationale immobilière (SNI), aujourd'hui CDC Habitat - qui savent le faire, et les communes ne devraient pas s'en charger à leur place.
La commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 152.