II. MAIS UN COÛT D'ARRÊT DANS LA PROGRESSION DES EFFECTIFS
Au total, le titre 2 de ce projet de budget n'est pas mal servi, avec 5 milliards d'euros hors CAS pensions, soit une hausse de 83 millions par rapport à la LFI 2024. Cette augmentation couvre la hausse des rémunérations en application des mesures catégorielles dites « coups partis », correspondant à l'extension en année pleine des mesures mises en oeuvre en 2024 - notamment la refonte de la grille indiciaire des sous-officiers. Cependant, le schéma d'emplois à zéro en 2025 (soit aucun recrutement net) est le véritable point noir de ce projet de budget. En effet, il brise la trajectoire de recrutement dessinée par la Lopmi et compromet la montée en puissance des effectifs qui doit accompagner la création des 239 brigades.
1. Une attrition relative des effectifs de la gendarmerie
a) Une baisse marquée des effectifs suivie d'une reprise lente, qui n'a pas suivi l'augmentation de la population
La gendarmerie a subi, au tournant des années 2000 et 2010, une diminution importante de ses effectifs du fait de choix politiques. Entre 2007 et 2014, elle a ainsi perdu environ 5 000 ETPT ; le mouvement s'est ensuite inversé pour revenir à peu près, en 2024, au niveau d'effectifs de 2007.
Mais compte tenu de la courbe d'évolution de la population en zone gendarmerie, on compte aujourd'hui 2,9 gendarmes pour 1 000 habitants, contre 3,2 en 2007. Pour la police nationale les évolutions depuis 2007 ont été semblables, mais avec une chute moins marquée et une reprise plus rapide : les taux sont respectivement de 4,5 et 4,7.
Source : gendarmerie nationale
b) La Lopmi : une trajectoire de remontée, mais plus progressive en gendarmerie que dans la police
La Lopmi a prévu une évolution marquée des effectifs de la police nationale et de la gendarmerie nationale ; mais la première a réalisé l'essentiel de la trajectoire (86%) au cours des deux premières années d'exécution, contre 55% pour la seconde.
La montée en puissance des effectifs devait ainsi accompagner le déploiement des 239 brigades, ce qui supposait un effort de formation soutenu et régulier. De ce point de vue, la direction générale de la gendarmerie nationale a fait l'objet d'un satisfecit de la Cour des comptes dans son analyse d'exécution budgétaire de la mission « Sécurités » publiée en avril 2024 : « Le schéma d'emplois pour 2023 était le plus ambitieux depuis 2016 » avec 950 postes ; mais « la gendarmerie nationale est parvenue en schéma d'emplois comme prévu, car elle avait anticipé la montée en puissance du commandement des écoles de la gendarmerie nationale pour absorber les incorporations ». La gendarmerie a ainsi, globalement, respecté ses schémas d'emplois depuis dix ans.
c) 239 brigades : le coup d'arrêt
Pour servir les 57 brigades qui doivent être créées au cours de l'exercice 2025, il était prévu de flécher 464 des 500 créations d'emplois prévues par la Lopmi.
En ETP |
2023 |
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
Schéma d'emplois par annuité |
950 |
1045 |
500 |
400 |
645 |
Dont 239 Brigades |
0 |
690 |
464 |
385 |
605 |
Réalisation |
955 |
ND* |
|||
Dont 239 Brigades |
0 |
ND* |
Source : gendarmerie nationale
Cet objectif est clairement remis en cause par le schéma d'emplois nul prévu pour 2025 - d'autant que la montée en puissance des effectifs doit aller de pair avec l'effort de formation dans les écoles de gendarmerie, étant entendu que l'on ne saurait déployer vers ces nouvelles brigades des effectifs présents ailleurs, alors même que les trous à l'emploi sont déjà nombreux en gendarmerie départementale. Il est donc malaisé de procéder à des rattrapages l'année suivante pour tenir le calendrier quinquennal de la Lopmi.
Le ministre de l'intérieur a toutefois souligné à deux reprises, lors de son audition par la commission des finances de l'Assemblée nationale, puis par la commission des lois du Sénat le 12 novembre, son intention d'obtenir une modification du schéma d'emplois. L'autre hypothèse, en cas de schéma d'emplois nul ou incomplet, serait d'échelonner le déploiement des brigades au-delà du terme de la Lopmi, soit 2027.
Pour 2025, si les 57 nouvelles brigades prévues ne devaient être réalisées que partiellement, priorité serait donnée aux collectivités s'étant déjà engagées dans des projets. Le responsable du programme indique ainsi que « 37 collectivités ont déjà engagé des dépenses et/ou obtenu un agrément ministériel de programme immobilier (API) pour les 159 brigades restant à créer »9(*) ; surseoir à ces projets, dans les cas où les locaux seraient déjà disponibles, impliquerait des coûts supplémentaires et ne serait pas compréhensible pour les collectivités concernées.
Dans ces conditions, une évolution du schéma d'emplois est indispensable afin de permettre le déploiement des brigades, qui sont très attendues par les collectivités.
2. Réserves : un appoint indispensable, une baisse préoccupante
Dans le contexte de mobilisations multiples de la gendarmerie nationale, voire de sur-sollicitation de certains corps comme la gendarmerie mobile, dont le taux d'emploi a atteint les 100% au cours de l'été, la réserve de la gendarmerie nationale assume un rôle de plus en plus important. Les réservistes, lorsqu'ils sont convoqués, disposent des mêmes droits et obligations qu'un militaire d'active en matière d'usage des armes, d'accès aux systèmes d'information et d'habilitations judiciaires.
Or la réserve a elle aussi connu un coup d'arrêt dans ce PLF pour 2025 : alors que son budget avait entamé une trajectoire de hausse depuis 2022, il passe de 90 millions d'euros (113,6 millions en comptant la mobilisation exceptionnelle pour les JOP) à 75,6 millions d'euros, soit une baisse de 16%. Autrement dit, la trajectoire de hausse des effectifs de la réserve jusqu'à 50 000 en 2027, au terme de la Lopmi, est sérieusement compromise. Déjà en avril 2024, la Cour des comptes constatait dans son analyse de l'exécution budgétaire concernant cet objectif qui implique le recrutement de 3 800 réservistes supplémentaires par an - 6 000 par an pour la police - « les objectifs que se sont assignés les deux forces apparaissent peu réalistes à ce stade. »
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
2025 |
|
Effectifs R0110(*) |
30 301 |
29 183 |
29 284 |
31 414 |
31 482 |
33 211 |
35 916 |
|
Jours/ESR11(*) |
24,6 |
16,3 |
19,2 |
20,2 |
22,8 |
26,6 |
26,7 |
|
Enveloppes |
98,7 |
98,7 |
70,7 |
70,7 |
70,7 |
84,7 |
113,6 |
75,6 |
Source : gendarmerie nationale
Pour 2025, il faudra donc faire un choix entre une réduction du nombre de recrutements, et une réduction du nombre de jours d'emploi, avec le risque de démotiver les réservistes.
3. Focus sur le dispositif de lutte contre l'immigration illégale et clandestine (LIIC) sur les côtes de la Manche/mer du Nord
Les rapporteurs se sont intéressés cette année à un dispositif dans lequel la réserve est particulièrement sollicitée : la lutte contre l'immigration illégale et clandestine sur les côtes de la Manche et de la mer du Nord. Cette façade est en effet devenue le principal point de franchissement maritime vers un État hors de l'Union européenne ; même si le nombre de tentatives a baissé d'environ 30% en 2023, il reste à un niveau élevé, avec 1 400 tentatives à ce stade en 2024.
À ce jour, le dispositif de surveillance du littoral, visant à empêcher en amont l'embarquement dans les bateaux, implique 441 réservistes par jour, pour une cible à 473 au 1er avril 2025. Ils constituent donc la grande majorité des effectifs impliqués, qui comprennent également 150 gendarmes départementaux et 72 gendarmes mobiles. L'emploi de ces réservistes est financé par le Royaume-Uni dans le cadre des accords de Sandhurst.
Ce dispositif illustre bien le degré d'intégration de nos réservistes dans les missions de la gendarmerie, car loin de constituer une force de seconde ligne, ils sont employés dans des conditions particulièrement dures sur le littoral, avec une organisation de passeurs qui se professionnalise et ne recule devant rien, n'hésitant pas à se servir d'enfants comme boucliers contre l'intervention des gendarmes. Ils sont également confrontés à des méthodes de plus en plus sophistiquées, comme l'emploi de « taxi boats » qui récupèrent les candidats au passage sur les rives des fleuves côtiers ou sur la côte afin d'empêcher l'intervention, qui ne peut se dérouler qu'à terre - en mer. L'interception ne peut relever que d'une action de sauvetage. Là aussi les passeurs savent employer la ruse en se signalant en difficulté tout en refusant le secours proposé, aux seules fins de se faire accompagner par les moyens de l'État.
La réserve est donc un élément indispensable du dispositif global de la gendarmerie, même si l'on peut s'interroger sur son emploi dans des conditions aussi dures. Une baisse de son budget, qui se répercute inévitablement sur le nombre de jours effectués, risque de déboucher sur une équation impossible à tenir, entre doctrine de l'aller-vers, sollicitations de plus en plus nombreuses et variées, stagnation des effectifs et réduction de la force d'appoint.
Plus largement, un point sur l'exécution de la Lopmi côté gendarmerie serait bienvenu, alors que nous approchons de la mi-parcours, car la trajectoire de croissance des effectifs a incontestablement été cassée. De plus, la gestion des effectifs inspire les mêmes remarques que celles sur la gestion immobilière : même s'ils résultent directement de la contrainte budgétaire, les à-coups constatés sont en contradiction avec l'objectif de mise en oeuvre d'une vision stratégique portée par la Lopmi.
Ces réserves faites, les rapporteurs recommandent l'adoption des crédits du programme 152, eu égard au contexte dégradé des finances publiques et à la volonté du Gouvernement d'engager un effort de redressement de l'investissement immobilier.
Le mercredi 27 novembre 2024, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités » dans le projet de loi de finances pour 2025.
* 9 Réponse au questionnaire adressé à la direction générale de la gendarmerie nationale
* 10 Réserve opérationnelle de niveau 1.
* 11 Personnel sous contrat d'engagement à servir dans la gendarmerie (ESR), acronyme qui désigne les réservistes.