EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 12 novembre 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné le rapport pour avis de M. Vincent Delahaye sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025.
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons cet après-midi le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, sur le rapport de notre collègue Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - Le PLFSS 2025 nous a été transmis vendredi dernier. Son importance pour les prélèvements obligatoires et les dépenses publiques - plus de 600 milliards d'euros -, et par conséquent son impact macroéconomique, justifient que nous nous saisissions pour avis.
La crise sanitaire a provoqué en 2020 un déficit record de la sécurité sociale - de l'ordre de 40 milliards d'euros -, alors qu'elle finissait à peine d'absorber les conséquences du choc de la crise financière de 2008-2009. Depuis, les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) se sont légèrement redressés, mais restent très déficitaires - 10,8 milliards d'euros en 2023. On constate une forte et inquiétante aggravation du déficit en 2024, qui devrait atteindre 18 milliards d'euros, contre 10,5 milliards initialement prévus.
Deux raisons expliquent cette situation : des recettes inférieures de plus de 6,6 milliards d'euros aux prévisions, trop optimistes ; et des dépenses supplémentaires, notamment 1,2 milliard d'euros de dépassement de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) - essentiellement sur les soins de ville - et 15,6 milliards d'euros liés à la revalorisation des prestations de 5,3 % en raison de l'inflation.
Ce déficit est aussi la conséquence des hausses de dépenses non financées. Si les surcoûts de la crise sanitaire se sont réduits, une partie du déficit actuel est imputable au Ségur de la santé, pour quelque 13 milliards d'euros en 2024 et en 2025.
L'aggravation du déficit de la sécurité sociale n'est pas acceptable. Des réformes structurelles des dépenses sociales sont indispensables pour retrouver un solde budgétaire positif.
Pour 2025, le Gouvernement anticipe un déficit de 16 milliards d'euros, soit 2 milliards d'euros de moins qu'en 2024, grâce à des baisses de dépenses et à des hausses de recettes.
En ce qui concerne les recettes, le ralentissement de la masse salariale du secteur privé devrait conduire à une moindre progression des recettes de l'ordre de 3,2 %, alors qu'elles progressent de 4,2 % entre 2023 et 2024. Pour augmenter les recettes, le Gouvernement propose notamment une refonte des allègements généraux de cotisations sociales, pour 2025 et 2026. L'objectif est de lisser les exonérations de cotisations sociales, afin d'éviter une trop grande concentration des salaires autour du Smic, et de les diminuer entre 1,8 Smic et 3 Smic, pour un rendement net attendu de 4,1 milliards d'euros.
Le Gouvernement propose également d'augmenter le taux de cotisation employeur de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) de 4 points chaque année entre 2025 et 2027. La CNRACL sera en effet en déficit de 4,8 milliards d'euros en 2025. Toutefois, une telle réforme pèsera très fortement sur les collectivités territoriales. Alors qu'en raison du dispositif de compensation démographique, la CNRACL a dû verser plus de 650 millions d'euros aux autres régimes de retraite en 2023 - au bénéfice principalement des caisses de retraite agricoles -, l'effort demandé aux collectivités est difficile à comprendre. Espérons que le débat parlementaire permettra d'aboutir à un compromis acceptable pour les collectivités.
L'objectif de dépenses pour 2025 ne devrait augmenter que de 2,8 %. Les dépenses des branches accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), autonomie et famille devraient augmenter modérément, sous l'effet de la conjoncture et de mesures nouvelles, a priori compensées.
L'augmentation des dépenses de la branche maladie devrait être également modérée, avec un Ondam pour 2025 fixé à 264 milliards d'euros, en hausse de 2,8 % par rapport à 2024. Des mesures d'économies sont proposées pour un montant de 1,6 milliard d'euros, dont notamment la hausse du ticket modérateur des consultations de médecin et de sage-femme.
Le déficit de la branche vieillesse devrait être contenu à 3,1 milliards d'euros, contre plus de 6 milliards d'euros anticipés pour 2024. En particulier, le report de la revalorisation des retraites de janvier à juillet représenterait une économie - de court terme - de 3,1 milliards d'euros.
Le déficit de la sécurité sociale devrait continuer à se dégrader, de 17,7 milliards d'euros en 2026 à 19,9 milliards d'euros en 2028. Les branches famille et AT-MP, de même que le FSV, devraient demeurer excédentaires. En revanche, la situation des branches maladie, vieillesse et autonomie ne laisse pas d'inquiéter.
La hausse continue des dépenses de la branche maladie et les dépassements réguliers de l'Ondam de ville mériteraient de faire l'objet d'une réflexion, afin d'envisager sérieusement une régulation des soins de ville et de répartir les efforts d'économies.
Concernant la branche vieillesse, l'impact net de la réforme des retraites sera vraisemblablement moindre qu'escompté - 7 milliards d'euros à l'horizon 2030. C'est d'autant plus inquiétant que la gestion de la dette sociale pose question : les conditions de refinancement et d'amortissement de cette dette se sont dégradées ces dernières années. La remontée des taux d'intérêt pèse sur Urssaf Caisse nationale, dont le résultat devrait redevenir négatif en 2024. De même, le taux moyen de refinancement de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) a connu une forte hausse, de 0,62 % début 2022 à 2,21 % aujourd'hui. Or, en l'absence d'une nouvelle loi organique, aucune reprise de dette par la Cades n'est possible à partir de 2025. Urssaf Caisse nationale bénéficie pourtant de conditions d'emprunt moins avantageuses, même si le présent PLFSS prévoit de remonter son plafond et de rehausser la durée maximale de ses emprunts à 24 mois. Ces mesures ne sont pas suffisantes, et une réflexion de fond doit être menée sur la gestion de la dette sociale, pour aller vers son extinction.
En tant que rapporteur pour avis du PLFSS, j'ai choisi d'approfondir la question du poids du système des retraites sur la dépense publique. En effet, depuis des années, dans la plupart des régimes, les cotisations ne suffisent pas à couvrir les pensions. En particulier, dans les régimes de retraite des fonctionnaires publics, l'État augmente artificiellement chaque année les taux de cotisation employeur afin de combler les déficits. Il en est de même à la CNRACL. Si un taux de cotisation identique à celui du secteur privé était appliqué, le niveau des cotisations employeur serait beaucoup plus bas.
Les cotisations de niveau « normal » et les impositions et taxes affectées représentent près de 80 % des pensions versées par l'ensemble du système de retraite. Au total, les administrations publiques - État, CNRACL, mais aussi branche famille et Unedic - comblent les besoins de financement du système de retraite de près de 72 milliards d'euros en 2023. Cela interroge sur l'équilibre à long terme du système. Une présentation unifiée serait nécessaire. Notre collègue Sylvie Vermeillet recommande d'ailleurs d'améliorer l'information sur les retraites de la sphère publique dans le compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions » : je salue et soutiens cette idée.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, j'ai été tenté de donner un avis défavorable, mais, compte tenu de l'arrivée récente d'un gouvernement qui n'est pas forcément responsable de la situation, des engagements qu'il a pris et des propositions de notre commission des affaires sociales, je vous propose de donner un avis de sagesse.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. -Notre rapporteur dit clairement ce qu'il pense. J'irai un peu plus loin que lui, par esprit de responsabilité comme lui, et pour accompagner le Gouvernement dans ses efforts pour redresser une situation difficile.
Le déficit de la sécurité sociale se maintiendra en effet à un niveau élevé en 2025. Toutefois, le Premier ministre hérite d'une situation dont il n'est pas responsable. Il lui est de surcroît très difficile de revenir sur certaines décisions récentes, comme les augmentations salariales du Ségur de la santé. Enfin, ce PLFSS prévoit des hausses de recettes et des baisses de dépenses très significatives - sans elles, le déficit aurait atteint 28 milliards d'euros.
La réforme des allègements généraux, avec un rendement net d'un peu plus de 4 milliards d'euros, permet d'augmenter structurellement les recettes de la sécurité sociale en baissant des exonérations moins utiles. Les mesures qui portent sur la consommation des produits de santé sont aussi des pistes intéressantes pour limiter le gâchis ou les prescriptions à mauvais escient.
Le PLF 2025 présente lui aussi, facialement, un déficit plus élevé que le PLF 2024 : - 5 %, contre - 4,4 %. Mais, comme pour le PLFSS, il fait enfin la vérité sur la situation très dégradée des comptes, en même temps qu'il amorce le nécessaire redressement.
J'entends les réserves de notre rapporteur, mais, compte tenu des amendements envisagés par la commission des affaires sociales, je propose que la commission émette un avis favorable sur ce PLFSS.
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - Notre avis doit porter sur le texte, en l'état, avant la séance publique.
Je considère que, malheureusement, les prévisions de recettes sont trop optimistes et les prévisions de dépenses bien volontaristes - l'Ondam dérive toujours... Le déficit risque donc d'être supérieur aux 16 milliards d'euros annoncés.
Si mon avis n'est pas défavorable, c'est au seul motif que ce nouveau gouvernement vient d'arriver et qu'il a des propositions de modifications.
Mme Sylvie Vermeillet. - Merci à notre rapporteur. Je l'ai dit mardi dernier, nous avons besoin de plus de lisibilité en matière de retraite.
Notre système de retraite est complexe, avec des régimes déficitaires et des régimes excédentaires selon leur démographie, des régimes ouverts et des régimes fermés - SNCF et RATP, par exemple. Certains régimes sont intégrés - ils servent tant la pension de base que la pension complémentaire -, contrairement à ce qui existe dans le privé. Pour les agents publics, les acteurs sont multiples : service des retraites de l'État, CNRACL, Ircantec, Agirc-Arrco, Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav). Les modes de financement sont divers, avec des transferts et des taxes affectées. Sans parler de la capitalisation ! Il faut se garder de porter un jugement trop rapide, mais nous devons travailler à une plus grande lisibilité.
Le taux moyen employeur de 98 % intègre les 126 % du régime des militaires, compte tenu de leurs carrières plus courtes. Et c'est heureux, car c'est le prix de notre armée ! Il est donc délicat de comparer avec le privé.
Nous sommes d'accord sur la nécessaire amélioration de la lisibilité. Que préconisez-vous en matière de retraites ? Faudrait-il constituer des réserves ?
Mme Isabelle Briquet. - Merci à notre rapporteur. Le groupe SER ne partage pas l'enthousiasme du rapporteur général, ou bien plutôt son fatalisme positif...
M. Claude Raynal, président. - Sa confiance différée !
Mme Isabelle Briquet. - Comme le rapporteur, nous sommes réservés, pour des raisons différentes. Nous en débattrons en séance et le groupe SER fera des propositions, notamment sur le financement. Hors inflation et compensation de l'augmentation des cotisations CNRACL, l'Ondam n'augmente presque pas et les droits des assurés sociaux sont encore réduits - augmentation du ticket modérateur, décalage de la revalorisation des pensions de retraite, baisse des indemnités journalières, etc. Nous émettons donc bien plus que des réserves et ne voterons pas ce PLFSS en l'état.
M. Pascal Savoldelli. - J'imagine combien le travail de notre rapporteur a dû être difficile ! Nos conditions de travail sont mauvaises, avec notamment l'utilisation de l'article 47-1 à l'Assemblée nationale. Certains ont voulu éviter l'article 23 du PLFSS sur la revalorisation des retraites... Avec mon collègue Pierre Barros, nous ne participerons pas au vote, car tout est fait pour empêcher notre travail.
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - S'agissant de la réforme des retraites, je n'ai pas eu le temps d'aller au bout du travail complexe que je souhaitais faire et je n'ai pas encore suffisamment de clarté sur le sujet pour pouvoir faire des propositions, mais je suis partant pour travailler avec Sylvie Vermeillet et aller vers plus de lisibilité et le rétablissement des équilibres.
La commission émet un avis favorable sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, sous réserve de l'adoption des amendements de la commission des affaires sociales.