C. LE PÉRIMÈTRE DES LOIS-CADRES PARAÎT EXCESSIVEMENT DÉTAILLÉ POUR UN TEXTE CONSTITUTIONNEL

Les indicateurs fixés par la loi-cadre, en particulier ceux pour lesquels elle s'imposerait aux lois de finances, devraient être en nombre limité afin de faciliter la lisibilité et la responsabilisation de l'action publique. Certaines personnes entendues ont proposé qu'un seul indicateur soit retenu : l'indicateur de dépenses nettes consacré par la révision des règles budgétaires européennes. Celui-ci peut en effet être réellement piloté, et il laisse par ailleurs à chaque état membre une marge de manoeuvre quant aux choix budgétaires qu'il entend faire. En effet, l'indicateur de dépenses nettes prend en compte non seulement l'évolution de la dépense, mais également l'adoption de mesures nouvelles en recettes - la dépense est nette de ces mesures nouvelles mais aussi de dépenses moins pilotables comme l'indemnisation du chômage. Il est ainsi devenu le nouvel indicateur de référence devant figurer dans les plans budgétaires et structurels de moyen terme des États membres. À cet égard, l'adjonction de nouveaux indicateurs - centrés surtout sur la dépense comme l'indicateur de plafond de charges - par la présente proposition de loi constitutionnelle ne présenterait qu'un faible intérêt et pourrait générer des difficultés de lisibilité entre ceux-ci et le droit européen.

Par ailleurs, le niveau de détail concernant le périmètre des lois-cadres implique que le niveau constitutionnel n'est pas le bon. En effet, il est probable que certains de ces indicateurs soient mal calibrés ou inadaptés10(*) et qu'ils doivent être modifiés. Ainsi, à l'été 2009, l'Allemagne a inscrit dans la loi fondamentale une règle de frein à l'endettement (« Schuldenbremse ») qui contraint fortement les finances publiques, et qui fait désormais l'objet de critiques quasi-unanimes : biais anti-investissement du dispositif, calibrage trop strict pour garantir la soutenabilité de la dette publique, ou encore biais procyclique, notamment en sortie de crise.

La règle allemande de frein à l'endettement : une mesure d'encadrement des finances publiques trop précise et de rang trop élevé dans la hiérarchie des normes

La règle allemande de frein à l'endettement (« Schuldenbremse ») a été instaurée durant l'été 2009. Ainsi, le compte de contrôle est crédité ou débité annuellement de l'écart du solde budgétaire constaté à la cible évaluée ex-ante à partir d'un objectif en matière de solde structurel fixé à - 0,35 % du PIB. Le solde du compte de contrôle ne doit pas dépasser - 1,5 % du PIB et lorsqu'il atteint - 1,0 % du PIB, il est prévu que des mesures correctrices soient mises en oeuvre. Un atout de ce dispositif est d'être contraignant en haut de cycle économique.

La règle actuelle de frein à la dette est appliquée au budget fédéral depuis 2011. Inscrite dans la loi fondamentale allemande (Art. 115), en adéquation avec le Pacte de stabilité et de croissance, elle limite le recours à l'emprunt à un niveau permettant d'assurer une réduction continue et durable du ratio d'endettement. L'article 115 modifié accorde par conséquent à l'État fédéral une marge de manoeuvre limitée en matière de déficit structurel, indépendamment de la situation conjoncturelle. La composante structurelle est plafonnée à 0,35 % du PIB depuis 2016 pour le Bund, et est même de 0 % pour les Länder depuis 2020. Une clause dérogatoire à la règle peut être activée dans des cas particuliers uniquement avec le vote de la majorité absolue des membres du Bundestag. Son activation doit se justifier par la constatation d'une catastrophe naturelle ou d'une « situation critique extraordinaire hors du contrôle de l'État, et qui lèse fortement la situation financière de l'État ». La loi votée doit alors comporter un plan crédible de remboursement des déficits supplémentaires autorisés, remboursement qui ne peut s'échelonner que dans les limites d'une période définie et limitée.

Le dispositif de frein à la dette allemand fait désormais l'objet de critiques quasi-unanimes, émanant aussi bien des milieux d'affaires que du Conseil des Sages, du Conseil scientifique du ministère de l'économie, et des principaux instituts de recherche en économie. Ces critiques portent notamment sur le biais anti-investissement d'un dispositif ne s'intéressant pas à la nature des dépenses depuis la réforme de 2011 et accusé d'avoir une responsabilité directe dans les taux d'investissement public nets nuls ou négatifs depuis de nombreuses années, son calibrage beaucoup plus strict que nécessaire pour garantir la soutenabilité de la dette publique, son biais procyclique notamment en sortie de crise, ses incohérences avec le cadre européen y compris réformé, l'asymétrie existante dans le fonctionnement du compte de contrôle, la multiplication de véhicules de contournement extra-budgétaires ayant rendu de moins en moins lisible le budget fédéral, ou encore l'étroitesse de la caractérisation possible de situations justifiant l'activation de la clause dérogatoire, face notamment à l'ampleur des besoins d'investissement de rattrapage et de transition constatés.

Source : réponses de la direction générale du Trésor au questionnaire du rapporteur pour avis

Il convient également de souligner que les lois-cadres porteraient sur l'ensemble des administrations publiques, alors que le législateur financier ne dispose que d'une maîtrise sur le financement de l'État et, dans une certaine mesure, sur le financement des administrations de sécurité sociale. Elles risqueraient d'aboutir à une reprise en main des finances locales par l'État contraire aux principes constitutionnels de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales.


* 10 Voir partie 3 A.

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