III. FACE À LA MULTIPLICATION DES URGENCES, L'INTRODUCTION DE NOUVELLES RÈGLES DANS LA CONSTITUTION RISQUE DE LIMITER LA CAPACITÉ D'ADAPTATION DE L'ACTION PUBLIQUE
Cette proposition de loi constitutionnelle donne l'occasion d'affirmer un principe fort. Les règles ne modifient pas forcément les pratiques, mais c'est à force d'en parler qu'on modifiera les pratiques.
A. LE PRINCIPE D'ANNUALITÉ BUDGÉTAIRE PERMET DE PRENDRE EN COMPTE LES ÉVOLUTIONS IMPRÉVISIBLES
Le risque principal posé par la présente proposition de loi constitutionnelle est une atteinte trop forte au principe d'annualité, du fait du caractère excessivement contraignant de la loi-cadre des finances publiques qu'elle se propose d'instituer. Au-delà même de son intérêt démocratique, forçant le Gouvernement à remettre chaque année son budget sur le métier et à le faire approuver par le Parlement, l'annualité permet d'ajuster les agrégats de finances publiques en fonction de la croissance qui, par définition, ne peut pas être décidée ou, tout simplement, selon les circonstances.
Ainsi, parmi les indicateurs que la loi-cadre devra définir (article 1er) pour la durée de la législature, aucun ne paraît suffisamment légitime pour justifier la contrainte qu'il imposerait. Avec un plafond de charge pour la durée d'une législature, aucune réorientation ne serait possible alors même qu'elle pourrait être nécessaire : il paraît ainsi disproportionné qu'un nouveau Premier ministre souhaitant, par exemple, ralentir un programme de baisse de la dépense publique et du nombre de fonctionnaires compte tenu de ses difficultés de mise en oeuvre doive en passer par une convocation du Congrès pour réorienter la trajectoire préalablement définie. Par ailleurs, la rigidité du cadre d'emploi des fonctionnaires pourrait conduire à ce que ce soit les dépenses d'investissement qui soient ajustées à la baisse.
De même, le solde public dépend largement de la croissance mais aussi du contenu en recettes de la croissance qui n'est pas à la main du Gouvernement. En outre, l'atteinte d'un objectif de solde public pourrait avoir un impact récessif qu'il faut pouvoir rattraper l'année suivante.
Plus généralement, il paraît dommageable de lier les mains du Gouvernement pour le priver de l'instrument de la politique budgétaire, qui doit être utilisé avec parcimonie mais qui s'avère évidemment utile en cas de ralentissement de la croissance ou de récession.
À ce titre, on peut estimer que la loi-cadre que prévoit le présent texte peut rentrer en contradiction, au moins théorique, avec l'article 27 de la Constitution selon lequel « tout mandat impératif est nul ». Au-delà de cette difficulté, et sans vouloir en attribuer l'intention à l'auteur, on peut voir des similitudes entre le fond idéologique qui semble sous-tendre ce texte, et la théorie du « choix public »8(*), selon laquelle les règles permettent de discipliner des politiques électoralistes court-termistes en contraignant les choix des décideurs politiques9(*), ce qui n'est pas sans poser un fort problème démocratique.
Il pourrait donc être risqué de revenir entièrement sur le principe d'annualité budgétaire.
* 8 Cette théorie est développée par James Buchan et Gordon Tullock dans leur ouvrage de 1962, The Calculus of Consent.
* 9 Réponse de Pierre Boyer au questionnaire du rapporteur pour avis.