B. LES LOIS DE PROGRAMMATION N'ONT JAMAIS PERMIS DE REVENIR, NI MÊME DE SE RAPPROCHER DE L'ÉQUILIBRE
La proposition de loi fait le constat, à juste titre, de l'inefficacité des lois de programmation des finances publiques, sous leur forme actuelle.
La trajectoire d'évolution du déficit public prévue par les six lois de programmation des finances publiques promulguées depuis 2009 a rarement été suivie. Dans la plupart des cas, le déficit public a décroché dès la seconde année d'exécution.
Solde public prévu par les lois de
programmation des finances publiques
et solde
exécuté
(en points de PIB)
Source : commission des finances, à partir des lois de programmation des finances publiques, des lois de règlement, du compte des administrations publiques de l'INSEE et des prévisions du plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT)
Ces lois de programmation demeurent en effet, dans leurs articles relatifs à l'évolution du solde public, aux plafonds de dépenses ou à l'évolution des dépenses fiscales, sans réelle portée obligatoire en raison du principe d'annualité budgétaire résultant de l'article 34 de la Constitution : une loi de finances peut toujours revenir sur les dispositions d'une loi de programmation des finances publiques antérieures. En outre, malgré l'existence d'un mécanisme de correction qui impose l'adoption de mesures correctrices si un écart important est constaté par rapport à la trajectoire d'ajustement, celui-ci peut toujours être contourné par l'adoption d'une nouvelle LPFP. Ainsi, la principale conséquence du déclenchement du mécanisme de correction en 2014 lorsqu'un écart de - 1,5 point de PIB a été constaté entre le solde de 2013 et le solde prévu en LPFP 2012-2017 a été l'adoption d'une nouvelle LPFP pour la période 2014-2019 en décembre 2014.
Ces lois ne sont pas pour autant inutiles. Elles permettent de débattre des finances publiques dans un cadre pluriannuel, ce que n'offre pas réellement l'examen de la loi de finances de l'année. Elles contiennent aussi des dispositions relatives à la gestion des finances publiques et à l'information du Parlement qui, contrairement à celles qui portent sur le budget proprement dit, ont une portée législative réelle.
C. DEPUIS L'EXAMEN D'UN PRÉCÉDENT PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE EN 2011, LE CADRE DES FINANCES PUBLIQUES A BEAUCOUP ÉVOLUÉ
La présente proposition de loi s'inspire largement du projet de loi constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques de 2011, qui avait également pour objectif la mise en place de « lois-cadres d'équilibre des finances publiques ». Il prévoyait de définir sur trois ans l'évolution des recettes et des dépenses en visant un retour à l'équilibre. Ce projet de loi, qui avait été adopté sans modification par l'Assemblée nationale en troisième lecture dans la version du Sénat issue de la deuxième lecture, n'a pas été soumis au Congrès ni au référendum en 2011 parce qu'il n'était pas certain que la majorité des trois cinquièmes soit réunie.
Il est par la suite apparu que l'application du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), adopté le 2 mars 2012 par les États membres de l'Union européenne et prévoyant un cadre pluriannuel contraignant des finances publiques4(*), pouvait passer par la voie organique. Le Conseil constitutionnel a en effet confirmé, dans une décision du 9 août 2012, que l'inscription en droit national des dispositions du TSCG pouvaient être mises en oeuvre par une loi organique ou par une loi constitutionnelle. Le Gouvernement a alors privilégié la voir organique, en faisant adopter la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques (LOPGFP) du 17 décembre 2012.
L'introduction du TSCG a précédé une période de redressement continu du déficit public jusqu'en 2018 : il ne semble donc pas nécessaire, pour engager un tel mouvement, d'en passer par une révision constitutionnelle. Si l'application des dispositions qui découle de ce traité et d'autres règles budgétaires adoptées entre 2011 et 2013 (« two pack », « six pack ») n'ont pas permis un assainissement durable et profond de nos finances publiques, cela peut également s'expliquer par la crise sanitaire et la dérive budgétaire qui s'en est suivi.
Dès le mois de mars 2020, les autorités européennes ont en effet décidé de suspendre l'application des règles du pacte de stabilité et de croissance, ce qui a permis aux États membres de prendre les dispositions nécessaires au soutien de l'économie et du secteur de la santé. Les dispositions de droit français encadrant les finances publiques, moins contraignantes, n'ont pas eu à être suspendues. Tout porte à croire en revanche que l'adoption de la présente proposition de loi constitutionnelle, qui ne prévoit aucune clause d'exception, mais seulement une révision de la loi-cadre, entraînerait des difficultés majeures dans le cas d'une crise similaire à celle de la covid-19.
Enfin, face aux nombreuses critiques suscitées par les règles budgétaires européennes applicables dans la décennie 2010 (« two pack », « six pack », TSCG...) du fait de leur complexité et de leur caractère procyclique, une réforme de ces règles a été initiée par la Commission européenne, puis adoptée par deux règlements et une directive du 29 avril 20245(*). Ces dispositions visent à assurer des trajectoires de finances publiques viables pour les États membres, au sein d'une période d'ajustement permettant d'éviter des redressements trop brutaux.
Parallèlement, la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques6(*) venait modifier la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 20017(*), notamment pour y introduire en les rénovant les dispositions de la LOPGFP et pour développer une culture de la pluriannualité saluée par la directrice du budget lors de son audition. Les projets annuels de performances doivent en effet depuis 2023 se doter d'une trajectoire de performance triennale, par laquelle les plafonds par mission servent de référence pour la budgétisation de l'année suivante.
Les avis recueillis lors des auditions ont permis de confirmer que, sans être absolument indispensable, une révision de la LOLF serait utile pour mettre en harmonie les dispositions du droit français avec les nouvelles règles européennes. Les modalités de révision de la loi organique, plus souples qu'une révision constitutionnelle et donc plus adaptées au caractère lui-même évolutif des règles budgétaires européennes - qui font l'objet d'une révision de fond par décennie - en font le véhicule juridique adéquat pour introduire dans le droit les dispositions d'ordre pluriannuel encadrant les lois de finances. Par ailleurs, il serait dommageable d'imposer dans la Constitution le respect d'indicateurs des finances publiques différents de ceux désormais adoptés au niveau européen.
* 4 L'article 3 du TSCG introduit ainsi une « règle d'or » selon laquelle la situation budgétaire des administrations publiques est en équilibre ou en excédent. Cela signifie que le déficit structurel doit être inférieur ou égal à 0,5 % du PIB et que, dans le cas contraire, il est nécessaire de le faire converger vers un objectif de moyen terme au moins aussi exigeant.
* 5 Règlement (UE) 2024/1263 du Parlement européen et Conseil du 29 avril 2024 relatif à la coordination efficace des politiques économiques et à la surveillance budgétaire multilatérale et abrogeant le règlement (CE) n° 1466/97 du Conseil ; Règlement (UE) 2024/1264 du Conseil du 29 avril 2024 modifiant le règlement (CE) n° 1467/97 visant à accélérer et à clarifier la mise en oeuvre de la procédure concernant les déficits excessifs ; Directive (UE) 2024/1265 du Conseil du 29 avril 2024 modifiant la directive 2011/85/UE sur les exigences applicables aux cadres budgétaires des États membres.
* 6 Loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.
* 7 Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.