II. LA PROPOSITION DE LOI SE LIMITE À CERTAINES MESURES DE DÉTECTION ET DE PRÉVENTION DES OPÉRATIONS D'INGÉRENCES ÉTRANGÈRES EN FRANCE

Le texte initial se composait de 4 articles.

· L'article 1er prévoit la création d'un répertoire numérique des représentants d'intérêts agissant pour le compte d'un mandant étranger. Les modifications apportées par l'Assemblée nationale avaient pour objet de clarifier les critères applicables au dispositif et notamment de modifier la liste des exonérations en y assujettissant la profession d'avocat.

· L'article 2 prévoit la remise d'un rapport sur l'état des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale en raison d'ingérences étrangères. L'Assemblée nationale a fixé sa périodicité à deux ans, au lieu de chaque année dans le texte initial.

· A l'article 3 relatif à la technique de « l'algorithme », l'Assemblée nationale a allongé la durée de l'expérimentation à quatre ans et prévu que le rapport d'évaluation traite des conséquences de l'élargissement des finalités justifiant le recours à cette technique.

· L'article 4 prévoit la possibilité de procéder au gel des avoirs des personnes se livrant à des actes d'ingérence sur la base d'une disposition insérée dans le code monétaire et financier. Les termes de cette définition, dont il convient de souligner qu'elle ne figure donc ni dans le code pénal, ni dans le code de la sécurité intérieure, qualifient l'« acte d'ingérence » comme un « agissement commis directement ou indirectement à la demande ou pour le compte d'une puissance étrangère et ayant pour objet ou pour effet, par tout moyen, y compris la communication d'informations fausses ou inexactes, de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, au fonctionnement ou à l'intégrité de ses infrastructures essentielles ou au fonctionnement régulier de ses institutions démocratiques ».

Deux articles additionnels ont été adoptés par l'Assemblée nationale, pour imposer aux laboratoires d'idées (think tanks) de déclarer les dons et versements étrangers (article 1er bis) et prévoir les modalités d'application des dispositions de la proposition de loi en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis et Futuna (article 5).

Ainsi qu'un des auteurs de la proposition de loi l'exprime lui-même, ce texte consiste essentiellement en des mesures « boite à outils » mise à la disposition des services de renseignement suivant une logique administrative de détection et d'entrave plutôt que judiciaire.

A. L'INSTAURATION D'UN REGISTRE « FARA » À LA FRANÇAISE

La loi américaine dite « FARA » (Foreign Agents Registration Act) votée en 1938 trouve son origine dans des enquêtes menées par le congrès sur la propagande des « puissances de l'Axe », notamment l'Allemagne nazie, sur le territoire américain. Elle instaure un registre spécifique pour les représentants d'intérêts travaillant pour le compte d'un mandant étranger.

Cette législation a inspiré Israël en 2016, l'Australie en 2018, le Royaume-Uni en 2023 et plus récemment le Canada et maintenant la France.

Les exemples étrangers d'obligation de déclaration des agents d'influence agissant pour le compte d'une puissance étrangère

? Etats-Unis : création du registre « FARA » en 1938

Le champ d'application du registre est large et établit une obligation d'inscription au registre pour toute personne qui agit pour le compte d'un mandant étranger (gouvernement, parti politique, entreprise, ONG, think tank, individu étranger) dans le but de mener des actions politiques aux Etats-Unis ou d'influencer un fonctionnaire ou le public américain. En cas de violation des provisions du FARA, l'agent s'expose à une peine d'emprisonnement de 5 ans et à 250 000 dollars d'amende.

Les statistiques d'application de ce dispositif font apparaître 492 déclarants actifs, représentant 749 mandants étrangers, inscrits au deuxième semestre 2021 au registre tenu par le département de la justice. Entre 1988 et 2020, 13 procédures pénales ont été engagées contre 14 organisations ou individus qui se sont conclues par 13 condamnations8(*).

Israël : création d'un registre des agents étrangers en 2016, lequel exige des entités à but non lucratif qui reçoivent des fonds d'entités politiques étrangères qu'elles déposent des rapports trimestriels.

? Australie : mise en place en 2018 du Foreign Influence Transparency Scheme (FITS)

?Union européenne : l'accord interinstitutionnel de 2021, le champ d'application du registre de transparence de l'Union européenne a été étendu et oblige les lobbyistes à préciser si leurs activités sont exercées au nom d'un Etat tiers

? Royaume-Uni : adopté en 2023, le National Security Bill a instauré un registre des agents étrangers « FIRS » (Foreign Influence Registration Scheme) rendant obligatoire l'enregistrement des personnes agissant pour le compte d'une puissance étrangère à des fins d'influence de la vie publique.

A l'instar du Canada, où un projet de loi sur la responsabilité et le registre des agents d'influence étrangers est en cours de consultation depuis l'automne 2023, il s'agirait, pour la France, d'instaurer un registre supplémentaire, distinct de celui des représentants d'intérêt prévu par la loi « Sapin II », et tenu par la Haute autorité pour la transparence de la vie politique (HATVP). Le manquement à l'obligation d'inscription serait puni de 3 ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. À titre d'ordre de grandeur comparatif, le registre « Sapin II » comptait 2 476 représentants d'intérêts inscrits au répertoire numérique géré par la Haute autorité en 2021.

Outre la question des moyens humains et matériel, dont le Président de la HATVP a indiqué qu'ils en étaient au « stade artisanal » en ce qui concerne les moyens informatiques (qui devra être abordé lors de la discussion de la loi de finances pour 2025), il apparaît nécessaire de clarifier l'articulation entre ce nouveau répertoire et le dispositif issu de la loi « Sapin II » pour mieux distinguer les agents agissant pour le compte d'une puissance étrangère des représentants d'intérêt au sens classique du droit existant. Il doit s'agir de deux registres distincts sans risque d'ambiguïté.


* 8 Par exemple, en 2021 la cour fédérale américaine a imposé une amende de plus de 15 millions de dollars au lobbyiste Imaad Zuberi, pour avoir exercé ses activités en violation du FARA. Il avait en effet falsifié des documents afin de dissimuler son travail en tant qu'agent étranger tout en faisant du lobbying auprès de hauts fonctionnaires du gouvernement américain (source : site de la HATVP).

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