EXAMEN EN COMMISSION
Mme Laurence Harribey, rapporteure pour avis. - Le programme 182, « Protection judiciaire de la jeunesse » (PJJ) représente 9,4 % des crédits de la mission « Justice » inscrits au projet de loi de finances (PLF) pour 2024. Il est doté de 1,160 milliard d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 1,125 milliard d'euros en crédits de paiement (CP), soit une relative stabilité après l'augmentation de l'ordre de 10 % qui avait marqué l'année 2023. Hors compte d'affectation spéciale (CAS) Pensions, ces crédits s'élèvent à 950 millions d'euros et sont en hausse de 28 millions d'euros, ce qui représente une hausse de 3 % par rapport à 2023.
Les crédits alloués au programme se décomposent, comme les années passées, en trois actions : l'action nº 01 « Mise en oeuvre des décisions judiciaires », qui concentre 84,4 % des crédits du programme ; l'action n° 03 « Soutien », qui représente 11,7 % des crédits, correspond au financement de la fonction de pilotage, de gestion, d'animation et de coordination assumée à titre principal par l'administration centrale de la PJJ ; l'action n° 04 « Formation », enfin, regroupe les crédits de l'École nationale de la PJJ et représente 3,9 % des crédits du programme.
Dans le prolongement de l'important travail accompli par Maryse Carrère au cours de ses avis budgétaires successifs sur la PJJ entre 2018 et 2022, je propose de concentrer ce rapport sur quatre défis majeurs : le programme de création de 20 nouveaux centres éducatifs fermés (CEF) d'ici à 2027 ; l'enjeu de l'ouverture de la PJJ sur l'extérieur ; les enjeux liés à l'attractivité des métiers de la PJJ ; enfin, la mise en oeuvre fastidieuse de l'applicatif PARCOURS.
Je tiens à accorder une attention particulière aux CEF, dans le prolongement des avis budgétaires de Maryse Carrère et du rapport « Prévenir la délinquance des mineurs - Éviter la récidive » rendu public en 2022 et établi par la mission d'information que j'avais conduite aux côtés de Muriel Jourda, Bernard Fialaire et Céline Boulay-Espéronnier.
Le plan de construction de ces 20 CEF concerne 15 centres associatifs et 5 centres publics ; trois ont déjà été ouverts à Bergerac en Dordogne, à Épernay dans la Marne et à Saint-Nazaire en Loire-Atlantique, permettant de porter le parc de CEF à 54 établissements, dont 36 sont gérés par le secteur associatif habilité (SAH) et 18 par le secteur public.
Le récent rapport de la Cour des comptes et nos auditions mettent en évidence trois difficultés. La première tient à la sous-utilisation des centres existants, dont le taux d'occupation s'établissait en 2022 à 68 %, alors que le taux « cible » était de 85 %.
La seconde découle des différences de coût entre les CEF publics et les CEF associatifs, le coût des CEF du SAH se situant nettement en deçà de celui des CEF publics. Cet écart n'a d'ailleurs pas été expliqué, la Cour des comptes demandant une évaluation sur ce point.
La troisième difficulté - et peut-être la principale - tient à l'impact de l'entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs (CJPM) depuis 2021, qui a induit une baisse de la durée des placements : celle-ci s'est établie en moyenne à 4,1 mois en 2022, tandis que 82 % des placements ont duré moins de six mois. Or cette durée de six mois était précédemment la durée de référence du placement, à partir de laquelle était conçu un parcours décomposé en trois phases pour favoriser la réinsertion des mineurs et préparer leur sortie. Un problème de différentiel entre le temps éducatif et le temps judiciaire existe donc, et, si l'on peut se satisfaire de la diminution du temps judiciaire, le temps éducatif devrait être adapté en conséquence, ce qui n'est pas le cas.
Face à cette évolution, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) a annoncé qu'elle engagerait, à la fin de l'année 2023, une actualisation du cahier des charges des CEF. Pour autant, on peut douter que cette initiative suffise à résoudre les dysfonctionnements constatés dans un contexte où, de l'aveu général, les placements sont désormais orientés par les échéances judiciaires et non par le projet éducatif proposé au mineur. C'est ce que nous avions souligné à l'occasion de la réforme du CJPM.
De fait, on peut s'interroger sur un possible « effet d'éviction » favorisant les CEF au détriment d'autres formes de placement, notamment les établissements à double habilitation civile et pénale, ou les alternatives au milieu fermé. La faiblesse du recours à la justice restaurative, qui est à la fois une alternative au milieu fermé, mais aussi un « module » ouvert en parallèle d'un placement en CEF ou en centre éducatif renforcé (CER), en fournit un exemple : alors que 27 millions d'euros avaient été prévus par le PLF pour 2021, seuls 13 millions d'euros sont aujourd'hui affectés à la justice restaurative. Il existe là une incohérence et une contradiction par rapport à ce qui avait été annoncé.
Nous appelons le Gouvernement à prendre toute la mesure de cette situation et à suivre les judicieuses recommandations de la Cour des comptes, en reconnaissant l'impérieuse nécessité, « avant de lancer de nouveaux projets de CEF au-delà de ceux déjà engagés, d'établir les besoins à satisfaire, en se fondant sur une évaluation de l'offre existante et la réalisation de schémas régionaux tenant compte des autres dispositifs de placement de la PJJ et intégrant les conséquences de la réforme de la justice pénale des mineurs ».
Il nous semble important de tenir compte de la nécessité d'inscrire les CEF dans une « palette » de réponses possibles et de ne pas se limiter à la logique actuelle, qui tend à faire des CEF une solution « par défaut », loin de leur philosophie initiale qui en faisait un élément parmi d'autres dans un arsenal plus large.
Le deuxième défi majeur a trait à l'ambition affichée depuis plusieurs années de l'ouverture de la PJJ sur l'extérieur avec la volonté de renforcer les partenariats entre la PJJ et les services d'autres ministères, qui est régulièrement réaffirmée, comme l'a encore fait le garde des sceaux hier en évoquant la relation avec le ministère des armées. Pour autant, cette volonté peine à se traduire par des actions concrètes.
S'agissant justement du ministère des armées, les actions mises en avant par le ministère de la justice se limitent à la participation de la DPJJ depuis 2016 à un organisme de réflexion et d'action « destiné à favoriser la connaissance entre les armées et les jeunes », à l'inscription depuis 2021 des mineurs détenus et pris en charge par la PJJ aux Journées défense et citoyenneté. De fait, aucune action particulière ne semble avoir été déployée au-delà d'un renforcement des dispositifs existants.
Un constat analogue peut être dressé s'agissant de l'objectif affiché par la PJJ de développer l'insertion par le sport. Bien qu'un plan d'action « PJJ jeux Olympiques et Paralympiques 2024 et au-delà » ait été élaboré avec des actions à première vue innovantes, on peut déplorer que cette démarche ait été sous-dotée en moyens humains. Ceux-ci représentent en effet 3 équivalents temps plein travaillé (ETPT), auxquels s'ajoutent 4,5 ETPT d'éducateurs accordés par le ministère de la justice pour un « renforcement temporaire » en Île-de-France et dans les villes hôtes avant, pendant et après les Jeux. Je me suis amusée à regarder les offres d'emploi correspondantes, qui ne semblent pas avoir trouvé preneur alors que les jeux Olympiques approchent, ce qui soulève un certain nombre de questions.
Le troisième défi a trait aux ressources humaines et à l'amélioration de l'attractivité des métiers de la PJJ.
La PJJ consent d'importants efforts, depuis plusieurs années, pour renforcer l'attractivité des postes qu'elle offre à ses personnels, sur concours comme sur contrat. Mais les derniers concours de recrutement des éducateurs peinent à faire le plein, le niveau baisse et le recours important à la liste complémentaire trouve des limites.
En ce qui concerne les contractuels, la DPJJ a mis en place au cours de ces derniers mois des mesures visant à accroître l'attractivité de ses postes, mais le problème de l'insertion à terme de ces contractuels dans la fonction publique reste posé. Certes, la DPJJ a opéré une revalorisation des rémunérations, et lancé des campagnes d'information, mais celles-ci n'ont pas prouvé leur efficacité pour l'instant.
Une autre voie développée est celle de la mise en place de la réserve de la PJJ depuis un décret de juin 2023. Là encore intéressant sur le papier, le dispositif semble très limité avec seulement 10 contrats à 20 contrats signés, ce qui est très loin des objectifs fixés.
Le dernier point que j'évoquerai est celui de la mise en oeuvre aussi urgente que contrariée du logiciel PARCOURS.
Déjà étudié par Maryse Carrère à l'occasion de son avis sur le PLF pour 2023, l'applicatif PARCOURS doit permettre à terme d'assurer le suivi de tous les mineurs confiés à la PJJ, un projet dont l'objectif est tout à fait louable, mais dont la mise en oeuvre reste balbutiante. Le total des dépenses engagées atteint déjà, pourtant, 10 millions d'euros, sans oublier le fait que le SAH, qui assure une part substantielle du suivi des jeunes, n'y est pas associé.
En conclusion, considérant que ce budget traduit une relative stabilité après l'augmentation de l'ordre de 10 % en 2023, et que nous sommes dans la continuité de la réforme du CJPM dont on ne mesure pas encore toutes les conséquences, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 182, tout en recommandant de mettre en place les éléments d'une veille pour en suivre l'évolution, en particulier au regard des défis que j'ai tenté de mettre en exergue.
À la suite des préconisations de la Cour des comptes, il faudrait travailler sur les CEF et sur l'articulation entre le SAH et le secteur public.
M. Christophe Chaillou. - Parmi les quatre défis qui ont été soulignés, je souhaite insister sur la sous-utilisation des CEF, alors que les coûts qu'ils occasionnent sont importants, ainsi que sur les questionnements liés à l'entrée en vigueur du nouveau CJPM.
La pertinence des financements considérables accordés aux CEF peut en effet être débattue alors qu'ils sont utilisés par défaut et non dans le cadre d'un parcours éducatif et de réinsertion, d'autant qu'ils n'accueillaient que 455 jeunes fin 2022.
L'autre défi majeur a trait à l'attractivité des métiers, car nous avons besoin que des hommes et des femmes s'investissent dans ces structures. Même si des dispositions ont été prises, les difficultés liées à la rémunération subsistent. Plus fondamentalement, nous devrions nous pencher sur la reconnaissance et la valorisation de ces professions.
Au regard des signaux envoyés et des efforts fournis depuis l'an dernier, ces questionnements ne font cependant pas obstacle à un avis favorable de la commission.
M. Olivier Bitz. - La PJJ n'a pas été oubliée dans le cadre de l'augmentation des crédits du ministère de la justice intervenue ces dernières années. Je m'interroge néanmoins sur la répartition des crédits en son sein : si la PJJ se mobilise pour les nouveaux CEF, qui correspondent à un engagement pris par le Président de la République lors de la dernière campagne électorale, nous avons parfois tendance à oublier qu'elle est également chargée du suivi des mineurs dans les établissements pénitentiaires, qu'il s'agisse des établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) ou des quartiers pour mineurs. Si nous pouvons saluer le renforcement des moyens sur la prise en charge en milieu ouvert et en CEF, restons vigilants sur ce point, car le milieu pénitentiaire accueille les mineurs les plus en difficulté, qui ont justement un fort besoin d'accompagnement. L'évolution de cette mission particulière de la PJJ n'est guère lisible.
Mme Laurence Harribey, rapporteure pour avis. - Vous avez raison de souligner que les CEF absorbent l'essentiel du budget. Dans le même temps, des problèmes de foncier sont à l'origine d'un report de l'ouverture de nouveaux CEF en 2025 au lieu de 2024. Par ailleurs, les EPM sont bien dotés, mais les quartiers pour mineurs le sont moins. C'est tout l'enjeu de l'univers carcéral qui sera évoqué dans l'avis « Administration pénitentiaire » que nous examinerons également dans la matinée.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse » de la mission « Justice ».