EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 29 novembre 2023, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport pour avis de Mme Frédérique Puissat sur la mission « Travail et emploi » du projet de loi de finances pour 2024.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur pour avis. - En progression de 8 % par rapport à l'an dernier, les crédits demandés pour la mission « Travail et emploi » s'élèvent à 22,6 milliards d'euros pour 2024. Cette hausse est largement due aux besoins de financement de l'apprentissage.
Rappelons qu'en 2019, la mission affichait une exécution à hauteur de 14,2 milliards d'euros. En cinq ans, les crédits du budget de l'État alloués aux politiques de l'emploi et de la formation professionnelle ont ainsi progressé de 59 %. Si l'on souhaite maîtriser la dépense publique, cette tendance ne peut laisser indifférent.
Deux éléments de contexte sont à prendre en compte cette année.
D'une part, la dynamique de l'apprentissage se poursuit et son financement n'est pas encore stabilisé. Plus de 875 000 contrats devraient être conclus en 2023 et France compétences n'est toujours pas en capacité de les financer intégralement. D'autre part, le déploiement des politiques de l'emploi va connaître d'importantes évolutions à la suite de l'adoption du projet de loi pour le plein emploi. En 2024, l'État, les collectivités et l'ensemble des opérateurs de l'insertion dans l'emploi se regrouperont dans un réseau nommé « réseau pour l'emploi ». En son sein, Pôle emploi verra ses missions consolidées et se transformera en France Travail. En 2025, tous les demandeurs d'emploi seront accompagnés par un contrat d'engagement unifié, qui devra définir une durée d'activité hebdomadaire d'au moins 15 heures.
D'ici là, les expérimentations en cours dans plusieurs départements pour renforcer l'accompagnement des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) se poursuivront. Une enveloppe de 170 millions d'euros est prévue pour accompagner les collectivités dans leur mise en oeuvre.
Dès lors, trois objectifs me semblent devoir être fixés pour examiner cette mission budgétaire. D'abord, il s'agira de maîtriser la dépense publique. Ensuite, il faudra assurer un financement pérenne de l'apprentissage et de la formation professionnelle, avec des moyens à la hauteur des besoins, associés à des mesures de régulation des dépenses. Enfin, nous évaluerons la pertinence des moyens alloués au service public de l'emploi et à la formation des demandeurs d'emploi, au regard notamment des réformes attendues et des résultats obtenus.
La situation de l'emploi demeure favorable, avec un taux de chômage qui oscille entre 7,2 % et 7,4 % depuis la fin de l'année 2022. Ce niveau permettra de réduire les dépenses d'indemnisation des chômeurs qui bénéficient d'allocations de solidarité. Les crédits prévus à ce titre diminueront ainsi de 6,6 %, pour s'établir à 1,73 milliard d'euros.
Dans ce contexte, la subvention pour charge de service public versée à Pôle emploi sera maintenue à son niveau de 2023, pour un montant de 1,25 milliard d'euros.
Les ressources de Pôle emploi en 2024 proviendront également de la contribution de l'Unédic, qui devrait rester à 11 % des contributions d'assurance chômage de l'année n-2. Son montant s'élèverait ainsi à 4,82 milliards d'euros en 2024, en augmentation de 486 millions d'euros par rapport à 2023.
Pour 2024, le plafond d'emploi de Pôle emploi sera rehaussé de 300 postes supplémentaires, afin d'accompagner la transformation de l'opérateur en France Travail, à compter du 1er janvier 2024.
Parmi les effectifs de Pôle emploi, 1 000 équivalents temps plein travaillé (ETPT) sont maintenus en 2024 pour répondre aux difficultés de recrutement des entreprises, comme les 900 ETPT destinés à la mise en oeuvre du contrat d'engagement jeune (CEJ). Sur les 1 500 ETPT supplémentaires accordés à Pôle emploi à l'automne 2020 pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire, 700 sont toujours maintenus, pour accompagner les demandeurs d'emploi de très longue durée. Au total, les effectifs de Pôle emploi progressent donc de 10,3 % entre 2019 et 2024.
Cette augmentation des effectifs, conjuguée à l'amélioration de la situation de l'emploi, permet à l'opérateur de réduire le nombre de demandeurs d'emploi suivis par conseiller, favorisant ainsi l'insertion professionnelle des chômeurs.
Pour autant, il me semble que la maîtrise des finances publiques doit s'appliquer à l'ensemble des administrations publiques. Or je note que les effectifs de la fonction publique ont augmenté de 1,6 % entre 2019 et 2021, quand ceux de Pôle emploi ont progressé de 9,1 % sur la même période.
En outre, je rappelle que la loi pour le plein emploi prévoit que l'accompagnement renforcé de l'ensemble des demandeurs d'emploi n'interviendra qu'à compter de 2025 et sera mutualisé entre l'ensemble des acteurs de l'emploi.
Dès lors, je considère que le maintien des effectifs de Pôle emploi à un niveau aussi élevé devra être évalué en 2024, dans le cadre de sa transformation en France Travail et de la création du réseau pour l'emploi.
Les moyens alloués aux dispositifs d'insertion dans l'emploi seront globalement reconduits l'an prochain.
Le CEJ, déployé par les missions locales et Pôle emploi depuis mars 2022, permet de proposer aux jeunes de 16 à 25 ans, qui sont éloignés de l'emploi, un parcours d'accompagnement intensif d'au moins 15 heures hebdomadaires.
Depuis la mise en oeuvre du dispositif et jusqu'à début septembre 2023, 469 000 CEJ ont été conclus. Si la montée en charge du dispositif est conforme aux objectifs fixés, il est encore trop tôt pour mesurer son effet sur l'insertion professionnelle, comme l'a indiqué l'inspection générale des affaires sociales (Igas) dans une évaluation rendue en mars 2023.
Comme l'an dernier, un objectif de 300 000 CEJ est fixé pour 2024, avec une enveloppe de 1,1 milliard d'euros.
S'agissant des contrats aidés, la tendance observée l'an dernier d'une diminution des objectifs se poursuit et me semble conforme à la conjoncture actuelle. Il est ainsi prévu que 66 700 parcours emploi compétences (PEC) et 15 000 contrats initiative emploi (CIE) jeunes soient conclus en 2024, pour un montant de 209,5 millions d'euros en crédits de paiement (CP).
Le soutien au secteur de l'insertion par l'activité économique devrait s'élever à 1,5 milliard d'euros pour 2024 contre 1,32 milliard d'euros en 2023, ce qui représente une hausse de 184 millions d'euros. Après une augmentation de 57 % des crédits octroyés au secteur sur la période 2018-2023, cette nouvelle hausse devrait permettre de soutenir les structures de l'insertion par l'activité économique (SIAE) face à l'inflation.
Deux articles rattachés à la mission concernent l'insertion par l'activité économique (IAE) et me semblent pouvoir recueillir l'approbation de notre commission. L'article 68 prolonge de trois ans l'expérimentation de l'IAE par le travail indépendant, au moyen du recours à des entreprises d'insertion par le travail indépendant. L'article 69 prolonge de deux ans l'expérimentation du contrat passerelle, qui permet à un salarié en IAE d'être mis à disposition d'une entreprise utilisatrice.
En outre, afin de financer les aides au poste des entreprises adaptées, les crédits demandés s'élèveraient à 465,4 millions d'euros, ce qui représente une hausse de 0,6 % par rapport à 2023.
Les moyens consacrés au développement de l'emploi et des compétences connaissent une hausse de 13 %, ce qui s'explique principalement par les besoins de financement de l'apprentissage.
D'abord, le financement des exonérations ciblées de cotisations sociales en faveur des entreprises connaîtra une hausse par rapport à 2023. Celle-ci s'explique notamment par l'extension du champ de la déduction forfaitaire sur les heures supplémentaires pour les entreprises de 20 à 250 salariés, introduite par la loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat. Ainsi, 970 millions d'euros seront alloués au dispositif, soit une hausse de 22 %.
Pour 2024, les exonérations en faveur des services d'aide à domicile représenteront une dépense de 1,9 milliard d'euros et la déduction forfaitaire pour les particuliers employeurs une dépense de 383,4 millions d'euros. En outre, une dotation de 1,7 milliard d'euros est prévue pour compenser les exonérations de cotisations sociales sur les contrats d'apprentissage dans le secteur public.
J'en viens au financement de l'apprentissage et de la formation professionnelle. La dynamique de l'apprentissage se poursuit avec une hausse de 159 % du nombre de contrats conclus entre 2018 et 2022. Pour 2023, ce nombre devrait atteindre 875 000.
En conséquence, les dépenses d'apprentissage supportées par France compétences, selon un financement au coût contrat, dépassent le montant des contributions des employeurs. En 2022, le produit de ces contributions s'est élevé à 10,5 milliards d'euros, alors que les dépenses de France compétences ont atteint 15,6 milliards d'euros.
Pour 2023, les recettes issues des contributions employeurs devraient atteindre 10,9 milliards d'euros alors que les dépenses d'alternance pourraient s'élever à 9,7 milliards d'euros, quand celles qui sont liées au compte personnel de formation (CPF) pourraient atteindre 2,4 milliards d'euros.
Pour faire face à ces besoins de trésorerie, France compétences doit régulièrement recourir à des emprunts de court terme. Depuis 2021, l'institution a aussi bénéficié de crédits budgétaires pour soutenir ses besoins de financement : 2,85 milliards d'euros en 2021, 4 milliards d'euros en 2022 et 1,83 milliard d'euros en 2023. Toutefois, ces subventions ne sont pas suffisantes pour combler les déficits.
Dans ce contexte, France compétences a engagé des mesures de régulation des dépenses d'apprentissage par une révision des coûts contrats, qu'il faut saluer. Une première baisse de 2,7 % des niveaux de prise en charge (NPEC) a été engagée à l'été 2022, pour une économie estimée à 300 millions d'euros en année pleine. Puis, une seconde baisse de 5 % de ces niveaux est intervenue en septembre 2023, permettant une économie estimée à 500 millions d'euros en année pleine.
Concernant les dépenses du CPF, la loi de finances pour 2023 a prévu un mécanisme de participation du titulaire au financement de la formation. Faute de décret d'application, ce dispositif n'est toujours pas entré en vigueur, ce qui me semble regrettable. Le Gouvernement envisage sa mise en application en 2024, après concertation avec les partenaires sociaux.
Malgré ces mesures de régulation, France compétences ne parviendra pas à assurer le financement de l'apprentissage et de la formation professionnelle sans le soutien de l'État en 2024. Le projet de loi de finances (PLF) prévoit donc d'allouer 2,5 milliards d'euros à l'établissement. Avec cette enveloppe, France compétences estime que l'exercice 2024 pourrait afficher un déficit de moins de 1 milliard d'euros.
Compte tenu de la place qu'a pris l'alternance dans la formation initiale, les crédits budgétaires alloués à France compétences doivent être sanctuarisés, pour assurer un financement stabilisé et pérenne de l'apprentissage, en complément des mesures de régulation des dépenses.
Ainsi, il ne me semble pas souhaitable que cet établissement contribue autant au financement du plan d'investissement dans les compétences (PIC), destiné à la formation des demandeurs d'emploi. Comme en 2023, France compétences devra ainsi consacrer 800 millions d'euros à la formation des demandeurs d'emploi en 2024.
Il convient de rappeler que France compétences a contribué au financement du PIC à hauteur de 7,2 milliards d'euros sur la période 2019-2023. En parallèle, les déficits cumulés de l'établissement s'élevaient à 7,7 milliards d'euros à la fin 2022 et un déficit de 2,5 milliards d'euros est attendu en 2023.
Je considère que la contribution de France compétences au financement de la formation des demandeurs d'emploi devrait être réduite de 200 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 100 millions d'euros en CP en 2024. Nous ne pouvons pas modifier cette dotation par amendement, puisqu'elle est octroyée par un fonds de concours, mais nous pouvons relayer notre demande auprès du Gouvernement.
Concernant les aides à l'embauche d'apprentis, je rappelle que l'aide unique aux employeurs d'apprentis, créée en 2018, ne s'adressait qu'aux entreprises de moins de 250 salariés, ne concernait que des formations de niveau inférieur ou égal au bac et ne devait être versée que pendant les trois premières années du contrat. Elle a été complétée par une aide exceptionnelle à compter du 1er juillet 2020, qui soutenait tous les employeurs lors de la première année du contrat pour des diplômes de niveau inférieur ou égal à bac+5.
Depuis le 1er janvier 2023, une aide financière de 6 000 euros maximum au titre de la première année du contrat a succédé à l'aide exceptionnelle et à l'aide unique. Elle est versée aux employeurs d'alternants préparant un diplôme jusqu'au niveau du master. Pour 2024, 3,5 milliards d'euros en CP sont demandés pour cette aide.
Si ces aides permettent de soutenir la dynamique de l'apprentissage, il me semble nécessaire de réévaluer leur ciblage et leur niveau à moyen terme.
Nos collègues rapporteurs spéciaux de la commission des finances ont proposé un amendement visant à réserver l'aide aux embauches d'apprentis jusqu'à bac+5 dans les entreprises de moins de 250 salariés et jusqu'à bac+2 dans celle de 250 salariés et plus. Je comprends cette initiative, qui permettrait d'économiser 600 millions d'euros en 2024. Pour autant, je considère qu'elle est prématurée.
En effet, en parallèle de mesures de stabilisation du financement de France compétences, une concertation doit d'abord être engagée avec les partenaires sociaux, pour évaluer l'opportunité d'ajuster les aides aux employeurs d'apprentis, afin d'en maîtriser le coût pour les finances publiques sans fragiliser le développement de l'apprentissage.
J'en viens au financement du PIC, qui a été initié en 2018 afin de favoriser l'insertion professionnelle des jeunes et des demandeurs d'emploi par le rehaussement des qualifications. Doté de 13,6 milliards d'euros sur la période 2018-2022, le plan avait pour objectif d'accompagner 2 millions de personnes vers l'emploi et d'améliorer le système de formation professionnelle.
Alors que le PIC devait s'achever en 2022, le Gouvernement a décidé de le prolonger jusqu'en 2023. Après l'ouverture en 2022 de 2,5 milliards d'euros en AE, le plan a été doté en 2023 de 2,4 milliards d'euros en AE.
Les travaux d'évaluation du plan, conduits par le comité scientifique du PIC et par la Cour des comptes, ont pointé les difficultés à mesurer les effets réels du plan sur les entrées en formation et sur l'insertion, ainsi que la complexité de son pilotage.
L'an dernier, nous avons considéré que la pertinence de cet outil pour déployer des actions d'insertion et de formation professionnelle était discutable et nous avons proposé de réduire ses crédits.
Les actions menées depuis 2019 dans le cadre du PIC devraient être poursuivies dans le cadre d'un nouveau cycle de financement de l'État en faveur de la formation des demandeurs d'emploi pour les années 2024 à 2027. Toutefois, les objectifs et les contours de ce nouveau cycle ne sont pas parfaitement précisés à ce stade.
L'enveloppe demandée en 2024 pour la formation des demandeurs d'emploi s'élève à 1,16 milliard d'euros en AE et à 1,54 milliard d'euros en CP.
Au total, compte tenu des éléments d'évaluation disponibles sur le PIC et considérant que ce plan a connu une sous-exécution moyenne de 361 millions d'euros par an entre 2019 et 2022, je vous propose un amendement visant à réduire les moyens alloués à la formation des demandeurs d'emploi, à hauteur de 300 millions d'euros en AE et de 150 millions d'euros en CP. Je précise que le rapporteur général de la commission des finances a déposé le même amendement.
En outre, il me semble qu'il appartiendra aux acteurs du nouveau réseau pour l'emploi, qui se constituera en 2024 sur le fondement de la loi pour le plein emploi, de préciser les modalités d'accompagnement et de formation des demandeurs d'emploi à compter de 2025.
Je terminerai en évoquant les moyens alloués à la santé au travail, au dialogue social et au fonctionnement du ministère du travail.
Les politiques de santé et de sécurité au travail, de qualité du droit et de dialogue social bénéficieront d'une enveloppe de 110,46 millions d'euros pour 2024, ce qui représente une quasi-stabilité par rapport à 2023. Elle permettra de financer l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) ou encore le fonds pour l'amélioration des conditions de travail. Les moyens consacrés au dialogue social progresseront de 52 % afin d'achever le cycle de mesure des représentativités syndicales et patronales.
Enfin, les crédits demandés pour les politiques de soutien et les dépenses de personnel des services de l'État mettant en oeuvre la politique de l'emploi progresseront de 2,6 %, pour assumer la charge de la masse salariale et de divers coûts de support.
Pour conclure, je propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission, sous réserve de l'adoption de l'amendement proposé. Je vous invite également à émettre un avis favorable à l'adoption des articles 68 et 69.
Mme Corinne Féret. - Notre analyse de cette mission budgétaire est radicalement différente de la vôtre. Vous avez commencé en indiquant que les crédits progressaient de 8 %, mais nos approches de cette évolution diffèrent. Nous soulignons la diminution des dépenses au titre des politiques de l'emploi et des contrats aidés qui, une année encore, diminuent fortement, au détriment de celles et ceux qui pouvaient en bénéficier. Votre vision de l'accompagnement vers l'emploi n'est pas partagée par notre groupe.
Notre ligne n'a pas bougé depuis les débats que nous avons eus lors de l'examen de la loi que vous dites « pour le plein emploi » et qui organise la réforme de France Travail. Aujourd'hui, nous voyons comment les choses s'organisent d'un point de vue budgétaire. Des moyens sont donnés à la création de l'opérateur, d'autres, que vous considérez comme disproportionnés, sont attribués à Pôle emploi. Dans votre rapport, vous rapprochez même l'évolution du nombre d'emplois dans la fonction publique et l'évolution que connaît Pôle emploi, deux éléments qui ne me semblent pas du tout comparables. Avec cette réforme, il faudra accompagner tous ceux qui seront en recherche d'emploi. Les agents fournissent des efforts très importants pour répondre à cet objectif de prise en charge et cet accompagnement renforcé mérite des moyens. Ainsi, les moyens alloués ne nous semblent pas disproportionnés, mais insuffisants pour prendre en charge les nouveaux inscrits.
Il est proposé une ponction prévisionnelle de 300 millions d'euros sur les excédents de l'Unédic, en application d'une mesure du PLFSS 2024. Le Gouvernement pourrait assumer ses réformes et débloquer les moyens nécessaires.
Je rappelle enfin que cette mission n'a pas été discutée à l'Assemblée nationale, alors qu'elle concerne nombre de nos concitoyens. Nous serons force de proposition pour tenter de faire évoluer les moyens prévus.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je partage l'analyse de Corinne Féret : mettre en parallèle les effectifs de la fonction publique avec ceux de Pôle emploi semble particulier.
Lors de la discussion du projet de loi pour le plein emploi, vous auriez dû accepter les amendements qui prévoyaient un ratio entre personnes accompagnant et personnes accompagnées, sachant que le nombre de ces dernières va exploser. Aujourd'hui, l'accompagnement est très dégradé en France par rapport à des pays qui ont conduit des réformes qui ressemblent à celle que vous souhaitez mettre en oeuvre, en renforçant l'accompagnement. Votre approche explique peut-être pourquoi vous avez refusé de reprendre le terme « réciproque » pour caractériser le contrat d'engagement. Il fallait pourtant que la proposition faite aux personnes accompagnées de suivre 15 heures d'activité hebdomadaires aille de pair avec une augmentation des effectifs.
Par ailleurs, la disparition de la ligne budgétaire du fonds départemental d'insertion (FDI) m'inquiète. Nous proposerons un amendement pour la rétablir.
Enfin, je voudrais vous alerter sur le fait que l'expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée est fragilisée. Louis Gallois demandait un crédit de 89 millions d'euros, sur lesquels 69 millions d'euros ont été alloués, ce qui laisse 20 millions d'euros à combler. Un amendement a été adopté à l'Assemblée nationale qui rajoute 11 millions d'euros et nous en déposerons un visant à augmenter l'enveloppe de 9 millions d'euros.
Non seulement les conditions de l'expérimentation ont été modifiées puisque la participation de l'État au financement de la contribution au développement de l'emploi (CDE) baisse, mais en plus le Gouvernement sous-budgète la ligne. Le mécanisme a longtemps été sous-exécuté, ce qui était normal. En effet, chaque année, des territoires étaient habilités et des embauches avaient lieu, ce qui représentait un décalage en année pleine. Je rappelle que 40 départements sont engagés dans le dispositif, qui fonctionne bien sur le territoire.
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Je concentrerai mon propos sur le financement de l'alternance. Chacun connaît le déficit chronique et cumulé de France compétences. Il est temps de nous préoccuper de cette situation qui se traduit, année après année, par des souscriptions d'emprunt et qui a donné lieu, pendant deux années consécutives, à des révisions du NPEC, qui sont compliquées pour les centres de formation d'apprentis (CFA), puisqu'ils n'ont pas de visibilité financière. Dans ce contexte, je salue la proposition visant à trouver une solution au déficit structurel.
S'agissant du PIC, nous savions qu'il avait une durée limitée. Par ailleurs, il n'est pas question de ponctionner l'Unédic. Je rappelle que la formation des demandeurs d'emploi relève de la solidarité nationale. L'apprentissage est financé grâce aux contributions versées par les entreprises. Ces dernières ont-elles vocation à financer les dépenses de formation professionnelle des demandeurs d'emploi ? Elles devraient financer l'alternance. En rééquilibrant ces sommes, nous pourrions obtenir un financement pérenne de l'alternance et de l'apprentissage, sans préjudice pour le financement de l'inclusion.
En ce qui concerne le financement de l'apprentissage dans le secteur public, une inquiétude s'exprime au sein du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). Il faudra clarifier cette question, dans un souci d'égalité de traitement entre les employeurs publics et privés.
Mme Pascale Gruny. - J'aurai d'abord une question concrète sur les emprunts importants réalisés par France compétences : quel est le montant des intérêts versés ?
Avec France compétences, les choses fonctionnent moins bien. Les entreprises bénéficient d'un nombre diminué de formations accompagnées et reçoivent moins de financements. Certes, il y a les formations initiales et l'apprentissage, mais les entreprises ont aussi des besoins en matière de maintien dans l'emploi et d'accompagnement pour les qualifications des salariés. Les branches professionnelles se plaignent du manque de moyens. Auparavant, la gestion était assurée par les organismes paritaires collecteurs agréés (Opca). Les moyens financiers restants au dernier trimestre pouvaient être utilisés dans le plan de formation pour combler les manques. Ce recours n'est plus possible puisque tout est géré par France compétences.
Je ne suis pas d'accord avec Marie-Do Aeschlimann sur la solidarité, puisque les employeurs ont toujours financé une partie des formations des demandeurs d'emploi. En revanche, s'agissant de l'apprentissage, il faut nous demander si l'entreprise doit financer complètement les formations initiales. Il faut aussi un accompagnement. Dans les entreprises, des apprentis sont formés, mais ils ne restent pas forcément ensuite et peuvent se tourner vers des petites et moyennes entreprises (PME), qui n'ont pas forcément les moyens de les accompagner. Il s'agit d'une forme de solidarité. Il ne faut pas diminuer les moyens en la matière. Les coups de frein mis à l'apprentissage pourraient se traduire par une diminution du nombre d'apprentis et il faut manier ces mesures avec parcimonie.
En ce qui concerne la loi pour le plein emploi, si nous ne déployons pas les moyens nécessaires, les choses ne fonctionneront pas mieux. Cependant, les effectifs de Pôle emploi ont augmenté de façon importante ; cette hausse a-t-elle été efficace ? La question démographique joue aussi un rôle en matière de diminution du chômage. L'expérimentation menée sur certains territoires permet des accompagnements supplémentaires, qui sont plutôt rattachés aux conseils départementaux.
M. Olivier Henno. - Je commencerai par souligner les mérites du paritarisme pour la gestion des questions liées au travail et à l'emploi.
L'un de nos problèmes reste l'insertion professionnelle et notamment la question des emplois non pourvus.
La proposition de sanctuariser le nombre d'apprentis me semble essentielle. Nous avons connu des moments où nous comptions environ 400 000 ; or nous dépassons aujourd'hui les 800 000. Il fut aussi un temps où nous pensions que le développement de l'apprentissage devrait surtout concerner les formations de BEP ou de CAP. Je tiens à souligner au passage que les lycées professionnels ont fait évoluer qualitativement leurs formations en termes d'insertion professionnelle. Aujourd'hui, l'apprentissage concerne principalement l'enseignement supérieur. Cette évolution n'est pas nécessairement négative et nous constatons une accélération en matière d'acquisition des compétences et d'insertion dans la vie professionnelle. Au-delà des questions budgétaires, l'idée de sanctuariser le nombre de contrats d'apprentissage à ce haut niveau relève de la question de la politique de l'emploi, mais aussi de l'intérêt national et de la dynamique économique de notre pays.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Je voudrais attirer votre attention sur la loi pour le plein emploi, qui prévoit la mutualisation de l'ensemble des acteurs de l'emploi en 2025. Je me concentrerai sur les missions locales.
Je suis présidente de la mission locale rurale du Nord marnais, qui agit essentiellement sur les freins périphériques à l'insertion des jeunes, liés surtout à la mobilité. Aujourd'hui, les missions locales jouent un rôle particulier dans l'emploi et l'insertion des jeunes. Les missions locales, particulièrement celles situées en zones rurales, sont financées par les collectivités locales à plus de 20 %. Je crains que la reprise de cette compétence par l'État n'entraîne un désengagement des collectivités locales, qui coûtera plus cher à l'État puisque les collectivités n'auront plus intérêt à s'investir dans la proximité.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je commencerai par noter que la mission est examinée dans un contexte particulier, puisqu'elle n'a pas été discutée à l'Assemblée nationale.
Nous regrettons que les crédits du programme « Accès et retour à l'emploi » diminuent de 225 millions d'euros. Je rappelle qu'ils s'adressent essentiellement aux personnes qui sont éloignées de l'emploi.
Nous regrettons aussi que le budget d'indemnisation des demandeurs d'emploi baisse de 2,5 milliards d'euros. Il s'agit d'une réduction des droits à l'assurance chômage. À cet égard, nous critiquons la ponction scandaleuse prévue sur la caisse de l'Unédic.
Enfin, nous regrettons la baisse des contrats aidés, qui passent de 111 500 à 82 000. Nous savons pourtant combien ces contrats sont nécessaires même s'ils ne constituent pas la panacée, puisque nous revendiquons un emploi pérenne, payé au Smic.
M. Daniel Chasseing. - Je suis d'accord pour que l'Unédic contribue puisque sa mission comprend l'accompagnement à l'emploi.
Le budget alloué à Pôle emploi a augmenté depuis 2019. De plus, les crédits de la mission sont passés de 14 à 22 milliards d'euros. L'enveloppe dédiée à l'indemnisation des chômeurs est passée de 9,2 milliards à 7,2 milliards d'euros, mais le nombre de demandeurs d'emploi par conseiller diminue. Il faut que ce nombre reste limité et, si l'on souhaite accompagner les personnes qui sont au RSA, il faudra davantage de personnes qui se consacrent à cette tâche.
Par ailleurs, je me réjouis du doublement du nombre d'apprentis. Il est important que les jeunes et les demandeurs d'emploi soient formés. À cet égard, je salue la sanctuarisation de l'apprentissage. Cependant, comment résoudre les difficultés rencontrées par France compétences ?
Mme Marion Canalès. - Le nombre d'apprentis a été très stable entre les quinquennats de Nicolas Sarkozy et de François Hollande. Il a connu un boom lors du premier quinquennat d'Emmanuel Macron parce que, depuis 2019, l'apprentissage s'est développé dans l'enseignement supérieur. Les difficultés professionnelles sont plus marquées pour les détenteurs d'un diplôme inférieur ou égal au baccalauréat. Il faut aussi porter une attention particulière à l'apprentissage de ceux qui ne sont pas en études supérieures.
Mme Laurence Muller-Bronn. - Une difficulté apparaît pour les CFA et les apprentissages des métiers manuels, pour lesquels les niveaux d'investissement sont plus élevés que pour les apprentis en études supérieures. La baisse des coûts contrats risque de réduire la capacité à former les apprentis dans les métiers manuels et il faudrait pouvoir différencier ces métiers qui demandent de forts investissements.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur pour avis. - En ce qui concerne les PEC et les CIE jeunes, je rappelle que les objectifs fixés ces dernières années ont été sous-exécutés.
S'agissant des effectifs de Pôle emploi, j'avais proposé l'an dernier de diminuer les crédits alloués à cet opérateur de 50 millions d'euros, ce que je n'ai pas fait cette année. Cependant, une forte augmentation a eu lieu et une évaluation est nécessaire.
Je ne prévois pas de ponctionner l'Unédic et je rappelle que le Sénat s'est opposé aux dispositions du PLFSS pour 2024 qui permettent cette ponction. Je souhaite ajuster les moyens alloués au PIC. Dans le cadre de l'accord conclu entre les partenaires sociaux sur l'assurance chômage, le Gouvernement attendait le rehaussement à 13 % de la contribution de l'Unédic, mais les partenaires sociaux ont choisi de la maintenir à 11 %. Des discussions devront avoir lieu sur ce sujet, entre ces derniers et le Gouvernement.
Madame Poncet Monge, en ce qui concerne le dispositif Territoires zéro chômeur longue durée, l'amendement que vous proposez est déjà satisfait, puisqu'un amendement de la commission des finances vise à augmenter le budget de 9 millions d'euros. Il me semble que ce dispositif est transpartisan et qu'il est sans doute bien défendu, au Sénat comme à l'Assemblée nationale...
Mme Raymonde Poncet Monge. - Il n'est pas défendu par le ministre du travail.
Mme Frédérique Puissat, rapporteur pour avis. - Pour France compétences, ma stratégie consiste d'abord à reconnaître qu'il est difficile de savoir où nous allons parce que nous n'avons pas encore atteint le nombre de 1 million d'apprentis. Cependant, une fois que le nombre sera stabilisé, qu'une aide affectée à l'institution sera sanctuarisée dans le budget, que nous aurons admis que le PIC ne doit plus être autant financé par France compétences et que nous lui allouerons chaque année 2,5 milliards d'euros, nous réussirons à équilibrer ses comptes. Alors, il faudra rassembler les partenaires sociaux autour de la table pour réfléchir à la façon de diminuer l'aide aux entreprises.
S'agissant de l'apprentissage dans la fonction publique, Catherine Di Folco a prévu de déposer un amendement visant à sanctuariser les fonds alloués par l'État au CNFPT.
Les charges financières payées par France compétences se sont élevées à environ 5 millions d'euros en 2022.
Quant aux missions locales, leur financement ne devrait pas être fragilisé par la nouvelle gouvernance issue de la loi pour le plein emploi.
Enfin, en ce qui concerne les CFA et la baisse des coûts contrats, le directeur de France compétences nous l'a dit : la diminution des NPEC représente 800 millions d'euros d'économies et nous fragiliserions les branches en allant plus loin.
L'amendement n° II-640 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Travail et emploi », sous réserve de l'adoption de son amendement, de même qu'à l'adoption des articles 68 et 69 qui lui sont rattachés.