N° 891
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023
Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 juillet 2023
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi relatif à l'accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou démolis au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 (procédure accélérée),
Par M. Vincent DELAHAYE,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.
Voir les numéros :
Sénat : |
888 et 892 (2022-2023) |
L'ESSENTIEL
I. UN CONTEXTE DE VIOLENCE QUI A GÉNÉRÉ DE NOMBREUSES DÉGRADATIONS SUR DES BIENS ET DES BÂTIMENTS PUBLICS NÉCESSITANT UNE RAPIDE REMISE EN ÉTAT
A. DES VIOLENCES URBAINES À L'ORIGINE DE NOMBREUSES DÉGRADATIONS SUR DES BIENS ET DES BÂTIMENTS PUBLICS
Les troubles à l'ordre et à la sécurité publics survenus entre le 27 juin et le 5 juillet 2023 sur l'ensemble du territoire national ont conduit à des dégradations ou des destructions importantes de biens publics, et notamment des édifices et équipements publics des collectivités territoriales et de leurs groupements.
Les dégradations subies compromettent le bon fonctionnement de ces services publics locaux dont certains ont d'ailleurs dû être fermés totalement.
La difficile évaluation des dégradations subies par les collectivités territoriales dans le contexte des violences urbaines survenues à compter du 27 juin 2023
Selon l'étude d'impact du projet de loi, plus de 750 bâtiments publics ont été atteints, de manière plus ou moins importante, avec des dommages causés sur des mairies, écoles, bibliothèques ou postes de police.
Le président de l'Association des maires de France avance, pour sa part, le chiffre de plus de 2 000 bâtiments publics touchés.
Le Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, précise que 553 communes ont été touchées en huit jours d'émeutes sur l'ensemble du territoire français.
Dans la région Île-de-France, environ 100 bâtiments publics ont été dégradés ou détruits, selon un décompte de la Région qui a, par ailleurs, indiqué qu'en Île-de-France, plus d'une commune sur dix a été touchée par des violences urbaines. Ce sont au total 18 mairies centrales ou annexes, et 36 postes de police municipale franciliens qui ont été endommagés.
Les transports publics d'Île-de-France ont subi d'importants dégâts. Selon une première estimation publiée lundi 3 juillet par Île-de-France Mobilités (IDFM), les émeutes ont causé « au moins 20 millions d'euros de dégâts ». Au total, ce sont 39 bus qui ont été brûlés partout en Île-de-France durant les émeutes.
Pour autant, à ce stade, il est difficile d'établir une liste exhaustive et consolidée des dommages qui ont touché aussi bien les bâtiments publics, que la voirie ou le mobilier urbain. De nombreuses incertitudes subsistent sur le chiffrage exact des dépenses qui seront à réaliser par les collectivités pour les travaux de réparation, réfection et reconstruction afin de pouvoir remettre en état, le plus rapidement possible, les équipements endommagés et, de fait, les services publics offerts à la population.
Néanmoins, il est évident que les travaux à venir représenteront des dépenses importantes pour les collectivités, non prévues initialement dans leur budget prévisionnel.
Cette situation nécessite donc une réponse de la part du législateur et du Gouvernement, permettant un accompagnement des collectivités afin de pouvoir engager rapidement les travaux nécessaires pour réparer les biens et bâtiments dégradés et reconstruire les biens et bâtiments détruits mais également pour faciliter le financement de ces travaux.
B. L'HABILITATION À LÉGIFÉRER PAR ORDONNANCE : UNE RÉPONSE JURIDIQUE D'EXCEPTION POUR FAIRE FACE À UNE SITUATION ELLE-MÊME EXCEPTIONNELLE
Le Gouvernement, le Parlement et les collectivités territoriales partagent la volonté de reconstruire rapidement les biens dégradés ou démolis au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 afin de permettre le maintien ou le retour de services publics essentiels pour les populations concernées, dans le respect du principe de continuité du service public, principe de valeur constitutionnelle.
Dans ce contexte, le présent projet de loi comporte trois articles, prenant la forme d'une habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnances dans un délai de trois mois.
L'habilitation prévue par l'article premier porte sur des mesures dérogatoires au droit de l'urbanisme. Cet article relève de la compétence de la commission des affaires économiques, commission saisie au fond du projet de loi.
L'habilitation prévue par l'article 2 porte sur des mesures dérogatoires au droit de la commande publique. Saisie pour avis, la commission des lois s'est vue déléguer au fond cet article.
Enfin, l'habilitation prévue par l'article 3 porte sur des mesures dérogatoires à certaines règles relatives au financement des opérations d'investissement des collectivités territoriales. La commission des finances, saisie pour avis, s'est vue déléguer son examen au fond.
La méthode de l'habilitation à légiférer par ordonnance appelle une certaine vigilance de la part du Parlement, qui accepte ainsi de se déposséder temporairement et de manière circonscrite de ses attributions législatives.
Au cas présent, elle conduit à réserver à l'examen parlementaire la discussion sur le principe général des mesures proposées par les habilitations et à renvoyer le détail technique, une fois les principes fixés par le législateur, au dispositif des ordonnances.
Cette méthode est ici proposée par le Gouvernement au regard du caractère à la fois urgent, technique et consensuel des mesures envisagées pour faciliter l'engagement rapide par les collectivités des travaux de réparation et de reconstruction. Le rapporteur en prend acte.
II. TROIS TYPES DE MESURES DÉROGATOIRES AU DROIT COMMUN POUR FACILITER ET ACCÉLERER LE FINANCEMENT DES TRAVAUX DE RÉPARATION QUI SERONT ENGAGÉS PAR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
A. LES INDEMNITÉS QUE LES COLLECTIVITÉS PERCEVRONT DE L'ÉTAT AU TITRE DE L'ENGAGEMENT DE SA RESPONSABILITÉ SANS FAUTE ET DES ASSUREURS NE COUVRIRONT QUE PARTIELLEMENT LE COÛT DES TRAVAUX, D'OÙ LA NÉCESSITÉ DE MESURES COMPLÉMENTAIRES
Pour financer leurs travaux de réparation et de reconstruction, les collectivités territoriales et leurs groupements pourront rechercher la responsabilité sans faute de l'État et ainsi bénéficier d'une indemnisation sur ce fondement, conformément à l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure. La prise en charge des dépenses à venir au titre du régime de responsabilité de l'État est donc limitée à des cas strictement définis par la jurisprudence du Conseil d'État.
Par ailleurs, pour les dégradations et destructions qui ne relèveraient pas de la responsabilité de l'État, les collectivités territoriales et leurs groupements ayant souscrit des contrats d'assurance couvrant les biens concernés pourront faire valoir les obligations de leurs assureurs, qui doivent garantir aux victimes de bénéficier rapidement des indemnisations qui leur sont dues puisqu'elles ne sont soumises à aucune discussion juridique quant au fondement de responsabilité.
Toutefois, la prise en charge du financement des réparations par l'État au titre de la mise en jeu de sa responsabilité et par les assureurs laisseront, dans bien des situations, un reste à charge pour les collectivités territoriales et leurs groupements, ce qui justifie la mise en oeuvre de mesures de soutien complémentaires.
B. LE VERSEMENT ANTICIPÉ DU FONDS DE COMPENSATION POUR LA TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE : UNE MESURE UTILE MAIS QUI NE POURRA PAS RÉPONDRE À TOUTES LES SITUATIONS
En premier lieu, l'article 3 prévoit que l'ordonnance déterminera les modalités particulières de versement des attributions destinées aux bénéficiaires du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), au titre des dépenses éligibles au bénéfice des dispositions de l'article L.1615-1 du code général des collectivités territoriales.
L'exposé des motifs précise que l'habilitation permettra le versement anticipé du FCTVA pour les travaux de reconstruction entrepris par les collectivités à la suite des dégradations intervenues durant les émeutes.
Concrètement, il est donc proposé que les dépenses éligibles au FCTVA exécutées à ce titre fassent l'objet systématiquement et pour tous les bénéficiaires d'une attribution de FCTVA l'année d'exécution de ces dépenses et non l'année N+2 comme le prévoit le droit commun.
Ce versement anticipé représente incontestablement un outil utile aux collectivités afin de faciliter le financement des travaux de réparation.
Pour autant, il ne concerne que les dépenses habituellement éligibles au FCTVA. Il en résulte qu'un certain nombre de dépenses engagées par les collectivités pour procéder aux réparations suite aux dégradations intervenues durant les émeutes ne seront pas éligibles au FCTVA.
C. UNE DÉROGATION AUX RÈGLES DE PARTICIPATION MINIMALE DU MAÎTRE D'OUVRAGE QUI S'ACCOMPAGNE DE LA MISE EN PLACE D'UN FONDS DÉDIÉ AU FINANCEMENT DES TRAVAUX DE RÉPARATION, MAIS DONT LA TRADUCTION BUDGÉTAIRE EST ENCORE INCONNUE
En deuxième lieu, l'ordonnance permettrait de déroger à l'exigence, posée à l'article L. 1111-10 du CGCT, de participation minimale des collectivités territoriales ou des groupements maîtres d'ouvrages au financement de leurs projets d'investissement. Dans le droit commun, cette participation minimale est fixée à 20 % de l'ensemble des financements apportés par les personnes publiques. D'après l'exposé des motifs du projet de loi, l'ordonnance permettra aux collectivités concernées de bénéficier de subventions allant jusqu'à 100 % du coût des travaux.
Cette mesure serait notamment adossée à la création d'un fonds dédié financé sur les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » et fonctionnant sur le modèle de la dotation de solidarité en faveur de l'équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des événements climatiques ou géologiques (DSEC), mais dont le coût pour l'État n'a pas été évalué à ce jour. Les premières subventions versées au titre du fonds pourront être financées dans un premier temps par les crédits provisionnels ouverts en loi de finances initiale pour 2023 au titre de la DSEC (soit 40 millions d'euros d'autorisations d'engagement) restant disponibles, tandis que des besoins complémentaires, qui ne peuvent pas être déterminés avec précision à ce stade, pourront conduire à mobiliser la réserve de précaution du programme 122 qui ne serait pas affectée à d'autres besoins ainsi que, le cas échéant, faire l'objet d'ouvertures de crédits sur le programme en loi de finances de fin de gestion.
D. LA MESURE DE DÉPLAFONNEMENT DES FONDS DE CONCOURS PERMET DE DONNER DAVANTAGE DE SOUPLESSE AUX COLLECTIVITÉS
En troisième lieu, l'ordonnance permettrait de déroger à la règle de plafonnement des fonds de concours pouvant être versés au sein des intercommunalités, dont les attributions ne peuvent aujourd'hui excéder la part du financement assurée, hors subventions, par le bénéficiaire du fonds de concours (soit une exigence de participation minimale de 50 %).
Cette mesure permettrait de donner davantage de souplesse aux collectivités pour le financement des travaux de réparation.
Son impact budgétaire est neutre pour l'État, puisqu'il n'est question que de flux financiers internes au bloc communal.
La commission propose à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 3 du projet de loi sans modification.
EXAMEN DE L'ARTICLE
ARTICLE 3
Habilitation à déroger
à l'obligation de participation minimale au financement des projets
d'investissement, à déroger au plafond des fonds de concours et
à déterminer le régime des dépenses
éligibles au FCTVA
. Le présent article prévoit d'habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour prendre trois types de mesures visant à faciliter le financement, par les collectivités territoriales, des travaux de réparation et de reconstruction nécessaires à la suite des dommages causés par les actes de dégradation intervenus entre le 27 juin et le 5 juillet 2023.
En premier lieu, l'ordonnance pourrait déterminer des modalités particulières de versement des attributions destinées aux bénéficiaires du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), au titre des dépenses éligibles à un financement dans ce cadre en application de l'article L. 1615-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT), soit principalement des dépenses d'investissement. D'après l'exposé des motifs du projet de loi, elle permettrait une « contemporanéisation » des versements de FCTVA, c'est-à-dire l'année au cours de laquelle les travaux ont été réalisés et payés, et non en N+2 comme le prévoit le droit commun.
En deuxième lieu, l'ordonnance permettrait de déroger à l'exigence, posée à l'article L. 1111-10 du CGCT, de participation minimale des collectivités territoriales ou des groupements maîtres d'ouvrages au financement de leurs projets d'investissement. Dans le droit commun, cette participation minimale est fixée à 20 % de l'ensemble des financements apportés par les personnes publiques. D'après l'exposé des motifs du projet de loi, l'ordonnance permettra aux collectivités concernées de bénéficier de subventions allant jusqu'à 100 % du coût des travaux.
En troisième lieu, l'ordonnance permettrait de déroger à la règle de plafonnement des fonds de concours pouvant être versés au sein des intercommunalités, dont les attributions ne peuvent aujourd'hui excéder la part du financement assurée, hors subventions, par le bénéficiaire du fonds de concours (soit une exigence de participation minimale de 50 %).
Si ces trois dispositifs ne prétendent pas à une couverture exhaustive des besoins de financement des collectivités pour effectuer les réparations des biens et bâtiments endommagés, ils représentent néanmoins des outils permettant une facilitation et une accélération du financement des travaux. Ils contribuent ainsi à soulager des collectivités et leurs tensions de trésorerie.
Ainsi, la commission propose d'adopter cet article sans modification.
I. LE DROIT EXISTANT : POUR LE FINANCEMENT DE LEURS PROJETS D'INVESTISSEMENT, LES COLLECTIVITÉS PEUVENT BÉNÉFICIER DE VERSEMENTS DU FCTVA QUI NE SONT TOUTEFOIS PERÇUS QU'EN N+2 AINSI QUE DE SUBVENTIONS ET DE FONDS DE CONCOURS DONT LE NIVEAU EST STRICTEMENT ENCADRÉ
A. LE FONDS DE COMPENSATION POUR LA TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE (FCTVA) : UN VERSEMENT DE DROIT COMMUN EN N+2 POUR DES DÉPENSES ÉLIGIBLES STRICTEMENT DÉFINIES
Le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) est un prélèvement sur les recettes (PSR) de l'État destiné à assurer aux collectivités territoriales et à leurs groupements une compensation, à un taux forfaitaire, de la charge de TVA qu'ils supportent sur leurs dépenses réelles d'investissement et qu'ils ne peuvent pas récupérer par la voie fiscale, dans la mesure où les collectivités et leurs groupements ne sont pas considérés comme étant assujettis pour les activités ou opérations qu'ils accomplissent en tant qu'autorités publiques.
En loi de finances initiale pour 2023, un montant de 6,7 milliards d'euros est prévu au titre du fonds.
1. Les trois régimes de versement du FCTVA
L'article L 1615-6 du code général des collectivités territoriales (CGCT) définit trois régimes de versement du FCTVA :
- un régime de versement en année N+2. Il s'agit du régime de droit commun. Le versement du FCTVA a lieu deux ans après la réalisation de la dépense. Ce régime concerne actuellement environ 25 % des collectivités ;
- un régime de versement en année N+1. Il s'applique, de manière permanente, aux collectivités et établissements publics ayant conventionné avec l'État au titre du plan de relance en 2009 ou 2010 et s'engageant à augmenter leurs investissements au cours de ces deux années1(*). Il concerne également les communes membres d'EPCI qui appliquent le régime de l'article L 5211-28-2 du CGCT, à savoir les communes qui ont renoncé à un versement direct de leur dotation globale de fonctionnement, cette dernière étant directement perçue par l'EPCI qui reverse ensuite un montant individuel à chaque commune membre. Enfin, ce régime s'applique aux métropoles de Lyon et du Grand Paris, à la collectivité de Corse, aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique ainsi qu'aux régions issues d'un groupement. Le versement du FCTVA intervient alors un an après la réalisation de la dépense. Ce régime concerne plus de 65 % des collectivités ;
- un régime de versement en année N. Il s'applique aux communes nouvelles, aux communautés d'agglomération, aux communautés de communes, aux établissements publics territoriaux. Le versement s'opère à trimestre échu. Ce régime concerne environ 10 % des collectivités.
2. Les collectivités bénéficiaires et le taux de compensation
Conformément à l'article L 1615-2 du CGCT peuvent bénéficier du FCTVA les régions, les départements, les communes, leurs groupements, leurs régies, les syndicats chargés de la gestion des agglomérations nouvelles, les services départementaux d'incendie et de secours, les centres communaux d'action sociale, les caisses des écoles, le Centre national de la fonction publique territoriale et les centres de gestion des personnels de la fonction publique territoriale au prorata de leurs dépenses réelles d'investissement, telles qu'elles sont définies par décret.
Les établissements publics de coopération intercommunale et les syndicats mixtes exclusivement composés de membres éligibles au fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée bénéficient également, en lieu et place de leurs membres propriétaires, des attributions du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée.
Le taux de compensation forfaitaire fixé par l'article L. 1615-6 du CGCT est de 16,404 % pour les dépenses éligibles réalisées à compter du 1er janvier 2015. Concernant les dépenses de fourniture de prestations de solutions relevant de l'informatique en nuage mentionnées à l'article L. 1615 -1 du CGCT et exécutées à compter du 1er janvier 2021, le taux de compensation est fixé à 5,6 %.
3. Les dépenses éligibles au FCTVA
Le décret n°2020-1791 du 30 décembre 2020 a modifié l'article R1615 - 1 du CGCT. Il ressort de cette nouvelle rédaction que pour les dépenses exécutées à compter de l'exercice 2021, les dépenses sont éligibles au FCTVA lorsqu'elles sont régulièrement imputées sur un compte éligible. La liste des comptes retenus pour la mise en oeuvre de la procédure de traitement automatisé des données budgétaires et comptables du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée est fixée par arrêté conjoint des ministres chargés des collectivités territoriales et du budget.
Cet arrêté a été publié le 30 décembre 2020. Il liste en annexe les comptes servant à déterminer l'assiette éligible au FCTVA.
Par ailleurs, pour pouvoir être éligibles, la dépense d'investissement doit remplir plusieurs conditions cumulatives :
- elle doit avoir été réalisée par un bénéficiaire du fonds ;
- elle doit avoir été grevée de TVA ;
- elle ne doit pas être exposée pour les besoins d'une activité assujettie à la TVA permettant la récupération de la TVA par la voie fiscale ;
- elle ne doit pas être relative à un bien cédé.
De surcroit, pour pouvoir bénéficier du FCTVA, la collectivité bénéficiaire doit être propriétaire de l'équipement pour lequel cette dépense a été engagée. Ce principe connait cependant des exceptions notamment en cas de transfert de compétence d'une collectivité à une autre, qui emporte subséquemment une mise à disposition des biens permettant l'exercice de cette compétence mais pas le transfert de propriété. Pour autant, c'est la collectivité bénéficiaire de la mise à disposition qui réalisera alors les dépenses d'investissement sur les biens et qui récupérera d'office les versements de FCTVA à percevoir sur ces dépenses, en lieu et place de la collectivité propriétaire.
De surcroit, les collectivités territoriales et leurs groupements, dès lors qu'ils sont compétents en matière de voirie, bénéficient, par dérogation, des attributions du FCTVA pour les dépenses d'investissement afférentes à des travaux qu'ils réalisent sur le domaine public routier de l'État ou d'une autre collectivité territoriale à la condition qu'une convention ait été signée avec l'État ou la collectivité territoriale.
Enfin, la collectivité doit être compétente pour agir dans le domaine concerné.
4. Les procédures déclaratives
À compter du 1er janvier 2021, l'automatisation du FCTVA s'est mise en place de manière progressive et s'applique :
- aux dépenses des bénéficiaires en régime de versement N depuis le 1er janvier 2021 ;
- aux dépenses des bénéficiaires en régime de versement N+1 depuis le 1er janvier 2022 ;
- aux dépenses des bénéficiaires en régime de versement N+2 au 1er janvier 2023.
Il résulte de cette automatisation que les bénéficiaires n'ont plus à établir un état déclaratif de leurs dépenses. Les dépenses potentiellement éligibles sont extraites de l'application Hélios de la DGFIP vers l'application de gestion du FCTVA en préfecture permettant ainsi un calcul automatique du FCTVA à verser aux collectivités concernées.
Toutefois, cette procédure de traitement automatisé ne s'applique pas aux dépenses d'investissement mentionnées aux quatrième2(*), neuvième3(*) et avant-dernier4(*) alinéas de l'article L. 1615-2 ni aux dépenses mentionnées au III5(*) de l'article L. 1615-6 du CGCT.
Pour ces dépenses, les attributions du fonds résultent d'une procédure déclarative.
B. UNE EXIGENCE DE PARTICIPATION MINIMALE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET GROUPEMENTS MAÎTRES D'OUVRAGE AU FINANCEMENT DE LEURS PROJETS D'INVESTISSEMENT
Les règles de participation financière minimale des collectivités territoriales et de leurs groupements, lorsqu'ils sont maîtres d'ouvrage d'un projet, sont strictement encadrées par l'article L. 1111-10 du code général des collectivités territoriales (CGCT), créé par l'article 76 de la loi nº 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales.
Le premier alinéa du III de cet article pose ainsi une exigence de participation minimale de la collectivité territoriale ou du groupement maître d'ouvrage au financement de leurs projets d'investissement. Comme le précise l'exposé des motifs de la loi précitée, cette disposition poursuit l'objectif « à la fois d'accélérer la réalisation des projets, d'éviter le saupoudrage et de lutter contre les phénomènes de concurrence entre cofinanceurs qui permettent à des maîtres d'ouvrage de lancer, à moindre coût initial, des projets dont le coût d'entretien et de fonctionnement peut grever durablement leurs capacités financières ».
Le second alinéa du III de cet article précise que cette part est en, de droit commun, fixée à 20 % du montant total des financements apportés au projet par des personnes publiques. L'article L. 1111-9 du même code précise que ce taux est porté à 30 % lorsque le projet s'inscrit dans l'exercice d'une compétence pour laquelle la collectivité assurant la maîtrise d'ouvrage est chef-de-file. Cette règle ne s'applique toutefois pas aux collectivités territoriales et groupements de collectivités territoriales de Guadeloupe, Guyane, La Réunion, Martinique, Mayotte, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.
Il est à noter qu'un certain nombre de dérogations à cette règle sont déjà prévues par la loi (voir encadré).
Les dérogations aux règles de droit
commun de participation minimale
de la collectivité territoriale ou
du groupement maître d'ouvrage au financement de ses projets
d'investissements
L'article L. 1111-10 du code général des collectivités territoriales prévoit un certain nombre de dérogations aux règles de droit commun de participation minimale de la collectivité territoriale ou du groupement maître d'ouvrage au financement de ses projets d'investissements.
Des dérogations peuvent être accordées par le représentant de l'État pour des opérations d'investissement :
- en matière de rénovation des monuments protégés au titre du code du patrimoine ;
- concernant le patrimoine non protégé lorsqu'il l'estime justifié par l'urgence ou par la nécessité publique, ou lorsqu'il estime que la participation minimale est disproportionnée au vu de la capacité financière du maître d'ouvrage ;
- concernant les ponts et ouvrages d'art ainsi que ceux concernant les équipements pastoraux, les projets en matière de défense extérieure contre l'incendie et pour ceux concourant à la construction, à la reconstruction, à l'extension et aux réparations des centres de santé lorsque l'importance de la participation est disproportionnée par rapport à la capacité financière du maître d'ouvrage ;
- destinés à réparer les dégâts causés par des calamités publiques, au vu de l'importance des dégâts et de la capacité financière des collectivités territoriales ou groupements de collectivités territoriales intéressés ;
- destinés à restaurer la biodiversité au sein d'un site Natura 2000 exclusivement terrestre, au vu de l'importance de la dégradation des habitats et des espèces et des orientations fixées dans le document d'objectifs et au vu de la capacité financière du maître d'ouvrage.
D'autres dérogations de plein droit sont prévues s'agissant des opérations d'investissement :
- figurant dans les contrats de projet État-régions ou dans les contrats de convergence ;
- des opérations dont la maîtrise d'ouvrage relève de l'État, de ses établissements publics, de la société SNCF Réseau ;
- menées dans le cadre de l'article 9 de la
loi n° 2003-710
du 1er août 2003 d'orientation et de
programmation pour la ville et la rénovation urbaine ;
- en matière d'eau potable et d'assainissement, d'élimination des déchets, de protection contre les incendies de forêts et de voirie communale qui sont réalisés par les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de Corse ou par les communes membres d'un tel établissement, pour lesquels, lorsque les projets n'entrent pas dans le champ de compétence de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI), la participation minimale est fixée à 10 % du montant total des financements apportés par des personnes publiques ;
- financées par le fonds européen de développement régional (Feder) dans le cadre d'un programme de coopération territoriale européenne pour lesquels ce taux est de 15 %.
C. DES FONDS DE CONCOURS INTERNES AUX INTERCOMMUNALITÉS QUI NE PEUVENT ÊTRE SUPÉRIEURS À LA PART DU FINANCEMENT ASSURÉE PAR LE BÉNÉFICIAIRE
Afin de financer la réalisation ou le fonctionnement d'un équipement, des fonds de concours peuvent être versés entre un EPCI et ses communes membres après accords concordants exprimés à la majorité simple des conseils municipaux et des organes délibérants des intercommunalités.
Ce mécanisme est dérogatoire au principe de spécialité qui régit les EPCI, en vertu duquel celui-ci n'a pas la possibilité d'intervenir en dehors du champ des compétences qui lui ont été transférées par ses communes membres.
Les fonds de concours sont autorisés pour :
- les communautés de communes, en application du V de l'article L. 5214-16 du CGCT ;
- les communautés d'agglomération, en application du VI de l'article L. 5216-5 du même code ;
- les communautés urbaines en application de l'article L. 5215-26 du même code ;
- les métropoles, en application de l'article L. 5217-7 du même code par renvoi de l'article L. 5215-26 précité.
L'attribution de fonds de concours est également possible pour les syndicats de communes exerçant la compétence d'autorité organisatrice de la distribution publique d'électricité6(*) et de syndicats mixtes en charge de l'aménagement, l'entretien et la gestion des ports non autonomes7(*).
Dans chaque cas, la loi prévoit que le montant total des fonds de concours ne peut excéder la part du financement assurée, hors subventions, par le bénéficiaire du fonds de concours (soit une exigence de participation minimale de 50 %).
II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : DES DÉROGATIONS AU DROIT COMMUN VISANT À FACILITER LE FINANCEMENT DE LA RÉPARATION DES DOMMAGES DIRECTEMENT CAUSÉS PAR DES ACTES DE DÉGRADATION ET DE DESTRUCTION LIÉS AUX VIOLENCES URBAINES DU 27 JUIN AU 5 JUILLET 2023
A. UNE HABILITATION À LÉGIFÉRER PAR ORDONNANCES
À l'instar des deux autres articles du présent projet de loi, le I du présent article prévoit d'habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance sur le fondement de l'article 38 de la Constitution afin de prendre, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la loi, diverses mesures relevant du domaine de la loi visant à faciliter la réparation des dommages directement causés par les actes de dégradation et de destructions liés aux troubles à l'ordre et à la sécurité publics survenus du 27 juin au 5 juillet 2023.
L'article 38 de la Constitution du 4 octobre 1958
« Le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi.
« Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil d'État. Elles entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation. Elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse.
« À l'expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article, les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif. »
L'habilitation prévue par le présent article porte sur trois mesures, détaillées infra, relatives au financement des opérations de réparation des collectivités territoriales concernées.
Le II, à l'instar des autres articles, prévoit qu'un projet de loi de ratification serait déposé au Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l'ordonnance.
B. UN VERSEMENT DU FCTVA EN ANNÉE N, PAR DÉROGATION AU DROIT COMMUN PRÉVOYANT UN VERSEMENT EN ANNÉE N+2
1. Une rédaction qui ne permet pas de connaitre précisément les mesures envisagées concernant le versement du FCTVA
Le 1° du I du présent article vise à habiliter le Gouvernement à déterminer par ordonnance des modalités particulières de versement des attributions destinées aux bénéficiaires du FCTVA, au titre des dépenses éligibles en vertu des dispositions de l'article L. 1615-1 du code général des collectivités territoriales.
Cette rédaction ne permet toutefois pas de connaître précisément les évolutions temporaires envisagées concernant les conditions et modalités de versement du FCTVA.
2. Une contemporanéisation du FCTVA pour les travaux visant à réparer les dommages précisée dans l'exposé des motifs
L'exposé des motifs du projet de loi précise néanmoins que l'habilitation permettra le versement anticipé du FCTVA pour les travaux de reconstruction entrepris par les collectivités à la suite des dégradations intervenues durant les émeutes.
Comme vu supra, le régime de droit commun conduit à attribuer les droits au fonds de compensation de la TVA deux ans après l'exécution des dépenses éligibles. Certaines entités bénéficient d'un régime dérogatoire permettant une attribution l'année qui suit la réalisation de la dépense ou, pour une partie d'entre elles, l'année de réalisation de la dépense.
Dans ce contexte, afin de faciliter le financement des travaux nécessaires pour réparer les dommages subis par les collectivités territoriales et leurs groupements à l'occasion des évènements survenus fin juin-début juillet 2023 et, subséquemment, le rétablissement des services publics locaux, le dispositif envisagé vise à accélérer, de manière dérogatoire, les versements du FCTVA.
Il est ainsi prévu que les dépenses éligibles au FCTVA exécutées à ce titre fassent l'objet systématiquement et pour tous les bénéficiaires d'une attribution de FCTVA l'année d'exécution de ces dépenses.
3. Une procédure déclarative pour les dépenses engagées en vue des réparations des dommages subis
Les dépenses éligibles au FCTVA sont transmises de manière automatisée aux préfectures chaque mois qui suit leur prise en charge par les comptables publics, quel que soit le régime de versement des bénéficiaires.
Cependant, afin d'identifier parmi les dépenses transmises mensuellement celles relatives à des réparations intervenues à la suite de dégradations et destructions et pouvant donc faire l'objet d'un versement en année N, il sera demandé un état déclaratif aux bénéficiaires permettant de lister les dépenses concernées.
Une intervention manuelle dans l'application de gestion du FCTVA sera donc nécessaire afin de permettre la prise en charge de la dépense durant l'exercice en cours.
Dans ses réponses au questionnaire du rapporteur, la direction générale des collectivités locales (DGCL) a précisé que cette procédure fera l'objet d'une documentation adaptée diffusée à l'ensemble des services territoriaux afin d'informer et d'accompagner l'ensemble des bénéficiaires concernés et ainsi de garantir la bonne applicabilité de la mesure.
Cette procédure déclarative est d'ailleurs déjà applicable pour le régime de versement anticipé de FCTVA prévu par le III de l'article L.1615-6 du CGCT concernant les dépenses éligibles réalisées par les bénéficiaires du FCTVA et visant à réparer les dommages directement causés par des intempéries exceptionnelles reconnues par décret, et situés dans des communes ayant fait l'objet d'une constatation de l'état de catastrophe naturelle. Ces dépenses, comme celles visées par le présent projet de loi, ouvrent droit, également, à des attributions du fonds l'année au cours de laquelle le règlement des travaux est intervenu.
C. UNE DÉROGATION À L'OBLIGATION DE PARTICIPATION MINIMALE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET GROUPEMENTS MAITRES D'OUVRAGE
Le 2° du I du présent article vise à habiliter le Gouvernement à déterminer par ordonnance les modalités de dérogation à l'obligation de participation minimale prévue au premier alinéa du III de l'article L. 1111-10 du CGCT applicable au financement des projets d'investissement.
Il en résulterait, selon l'exposé des motifs du projet de loi, que les collectivités territoriales et groupements pourraient bénéficier de subventions allant jusqu'à 100 % du coût des travaux de réparation ou de reconstruction.
Dans ses réponses au questionnaire du rapporteur, la DGCL a précisé que cette dérogation serait de plein droit et ne serait pas soumise à l'accord préalable du préfet.
D. UNE DÉROGATION À LA RÈGLE DE PLAFONNEMENT DES FONDS DE CONCOURS
Le 3° du I du présent article vise à habiliter le Gouvernement à déterminer par ordonnance les modalités de dérogation au plafond des fonds de concours définis à l'article L. 5215-26, au V de l'article L. 5214-16 et au VI de l'article L. 5216-5 du CGCT.
L'exposé des motifs du projet de loi précise que l'intention sous-jacente est bien de « supprimer » ce plafond à titre dérogatoire, et non, comme le permettrait l'habilitation, de le relever uniquement.
Dans ses réponses au questionnaire du rapporteur, la DGCL a précisé que cette dérogation serait de plein droit et ne serait pas soumise à l'accord préalable du préfet.
III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : DES MESURES UTILES POUR FACILITER LE FINANCEMENT DES OPÉRATIONS DE RECONSTRUCTION ET DE RÉPARATION ENGAGÉES PAR LES COLLECTIVITÉS
A. LES INDEMNITÉS QUE LES COLLECTIVITÉS PERCEVRONT DE L'ÉTAT AU TITRE DE L'ENGAGEMENT DE SA RESPONSABILITÉ SANS FAUTE ET DES ASSUREURS NE COUVRIRONT QUE PARTIELLEMENT LE COÛT DES TRAVAUX, D'OÙ LA NÉCESSITÉ DE MESURES COMPLÉMENTAIRES
Pour financer leurs travaux de réparation et de reconstruction, les collectivités territoriales et leurs groupements pourront rechercher la responsabilité sans faute de l'État et ainsi bénéficier d'une indemnisation sur ce fondement.
L'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure dispose en effet que « L'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens ».
Ce régime de responsabilité sans faute de l'État, précisé par la jurisprudence du Conseil d'État notamment suite aux émeutes de 2005 et récemment confirmé par le juge administratif dans le contexte du mouvement des « gilets jaunes »8(*), s'applique aux dégradations commises dans le cadre de manifestations, qui dégénèrent de façon spontanée9(*).
En revanche, ce régime ne s'applique pas à des dégradations commises de manière préméditée et organisée en dehors de toute manifestation et sans lien direct avec l'évènement déclencheur10(*).
La prise en charge des dépenses à venir au titre du régime de responsabilité sans faute de l'État est donc limitée à des cas strictement définis.
Par ailleurs, pour les dégradations et destructions qui n'entreraient pas dans le champ de la responsabilité de l'État, les collectivités territoriales et leurs groupements ayant souscrit des contrats d'assurance couvrant les biens concernés pourront faire valoir les obligations de leurs assureurs, qui doivent garantir aux victimes de bénéficier rapidement des indemnisations qui leur sont dues puisqu'elles ne sont soumises à aucune discussion juridique quant au fondement de responsabilité.
Toutefois, comme le rappelle une instruction à ce sujet du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et de la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité11(*), « les collectivités peuvent avoir librement choisi de souscrire une assurance dite de “dommages aux biens”, ou de privilégier l'auto-assurance. Ces polices d'assurance peuvent couvrir tout ou partie du patrimoine immobilier et le contenu des bâtiments, le mobilier urbain, l'éclairage public notamment. Il convient toutefois de s'assurer que le risque couvre bien l'ensemble des bâtiments endommagés et qu'aucune stipulation contractuelle n'y fait obstacle ». L'instruction relève en outre que « les mécanismes de franchises peuvent conduire à différents niveaux de prise en charge. Ainsi, certaines franchises peuvent prévoir l'absence de couverture en-deçà d'un certain montant et une prise en charge intégrale au-delà. D'autres contrats peuvent prévoir la prise en charge après ce montant de franchise uniquement ».
Ainsi, la prise en charge du financement des réparations par l'État au titre de la mise en jeu de sa responsabilité et par les assureurs laisseront, dans bien des situations, un reste à charge pour les collectivités territoriales et leurs groupements, ce qui justifie la mise en oeuvre de mesures de soutien complémentaires.
B. L'HABILITATION À LÉGIFÉRER PAR ORDONNANCE : UNE RÉPONSE JURIDIQUE D'EXCEPTION POUR FAIRE FACE À UNE SITUATION ELLE-MÊME EXCEPTIONNELLE
La méthode de l'habilitation à légiférer par ordonnance appelle une certaine vigilance de la part du Parlement, qui accepte ainsi de se déposséder temporairement et de manière circonscrite de ses attributions législatives.
Au cas présent, cette méthode conduit à réserver à l'examen parlementaire la discussion sur le principe général des mesures proposées par les habilitations et à renvoyer le dispositif technique à la rédaction des ordonnances.
Elle est ici proposée par le Gouvernement au regard du caractère à la fois urgent, technique et consensuel des mesures envisagées pour faciliter l'engagement rapide par les collectivités des travaux de réparation et de reconstruction. Le rapporteur en prend acte.
C. LE VERSEMENT ANTICIPÉ DU FCTVA : UNE MESURE UTILE MAIS QUI NE POURRA PAS RÉPONDRE À TOUTES LES SITUATIONS
Le rapporteur souligne qu'un versement du FCTVA l'année de paiement des investissements réalisés représente incontestablement un outil utile aux collectivités afin de faciliter le financement des travaux de réparation. Cette mesure permet de ne pas rajouter une contrainte de trésorerie à des budgets locaux déjà sous tension.
Pour autant, il souligne que, ce versement anticipé, prévu au 1° du I du présent article, ne concerne que les dépenses habituellement éligibles au FCTVA.
Dès lors, le rapporteur souhaite mettre en exergue qu'un certain nombre de dépenses engagées par les collectivités pour procéder aux réparations suite aux dégradations intervenues durant les émeutes pourraient ne pas être éligibles au FCTVA.
Ainsi, à titre d'exemple, le renouvellement d'ouvrages endommagés des bibliothèques, ludothèques, médiathèques et écoles n'est pas éligible au FCTVA. De même, le remplacement à l'identique de volets, stores, rideaux intérieurs-extérieurs n'est pas éligible sauf dans les cas où ces remplacements concernent la totalité du bâtiment. Or, il est peu vraisemblable qu'en cas de détérioration de volets d'une mairie ou d'une école la collectivité procède au changement de l'intégralité des volets du bâtiment concerné par les dommages. Enfin, les dépenses relatives au marquage au sol, éventuellement endommagé par des feux de poubelles, ne sont pas éligibles.
Il en résulte que si la mesure proposée de contemporanéisation sera sans nul doute utile, elle ne peut être considérée comme un outil complet couvrant l'ensemble des situations de dégradation, d'où la nécessité de mobiliser d'autres instruments (voir infra).
D. UNE DÉROGATION AUX RÈGLES DE PARTICIPATION MINIMALE DU MAÎTRE D'OUVRAGE QUI S'ACCOMPAGNE DE LA MISE EN PLACE D'UN FONDS DÉDIÉ AU FINANCEMENT DES TRAVAUX DE RÉPARATION, MAIS DONT LA TRADUCTION BUDGÉTAIRE EST ENCORE INCONNUE
1. Une mesure bienvenue pour faciliter la mise en oeuvre d'un fonds dédié à la contribution de l'État au financement des travaux de réparation
La proposition de déroger aux règles de participation minimale de la collectivité territoriale ou du groupement maître d'ouvrage est bienvenue et permettrait de venir lever ce qui demeure une contrainte forte pesant sur le lancement des projets d'investissement.
Cette mesure facilitera notamment la mobilisation d'un fonds dédié, annoncé par l'instruction ministérielle du 7 juillet 2023 précitée, visant à contribuer au financement du reste à charge après assurance auquel les collectivités font face pour engager leurs travaux de réparation des dégâts causés par les violences urbaines survenues après le 27 juin 2023.
Dans ses réponses au questionnaire du rapporteur, la DGCL a indiqué que le dispositif fonctionnerait sur le modèle de la dotation de solidarité en faveur de l'équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des événements climatiques ou géologiques (DSEC).
La dotation de solidarité en faveur de l'équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des événements climatiques ou géologiques
Régie par l'article L. 1613-6 du code général des collectivités territoriales, la dotation de solidarité en faveur de l'équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des événements climatiques ou géologiques (DSEC) contribue à réparer les dégâts causés à leurs biens (infrastructures routières, ouvrages d'art, digues...) par des événements climatiques ou géologiques graves. L'assiette de la subvention dépend de la couverture des dégâts par une assurance :
- lorsque le bien n'est pas assuré à la date de l'événement, au montant des dégâts ;
- lorsque le bien est assuré à la date de l'événement et que la collectivité ou le groupement demandeur connaît, au moment du dépôt de la demande de subvention, le montant de l'indemnité qui lui est due, l'assiette de la subvention est nette de cette indemnité ;
- lorsque le bien est assuré à la date de l'événement et que la collectivité ou le groupement demandeur ignore, au moment du dépôt de la demande de subvention, le montant de l'indemnité qui lui est due, l'assiette de la subvention est égale au montant total des dégâts subis. Dans ce cas, la collectivité ou le groupement porte, dès que possible, le montant de l'indemnité à la connaissance du représentant de l'État, qui calcule le montant de la subvention qui aurait été versée si le montant de l'indemnité avait été connu lors du dépôt de la demande de subvention. La différence entre la subvention effectivement versée et la subvention ainsi recalculée fait l'objet d'un reversement.
Après avoir procédé à une première évaluation des dégâts, le représentant de l'État peut demander l'appui d'une mission de l'inspection générale de l'environnement et du développement durable. Cette mission est obligatoire lorsque le montant global estimé des dégâts est supérieur à un million d'euros hors taxes ou lorsque l'événement climatique ou géologique à l'origine des dégâts a touché plusieurs départements. Lorsque le montant global des dégâts estimés est supérieur à 6 millions d'euros hors taxes ou que l'ampleur des dégâts et la difficulté des évaluations le justifient, le ministre chargé des collectivités territoriales peut demander l'appui d'une mission d'inspection.
Lorsque le montant total des subventions susceptibles d'être accordées a été déterminé, sa répartition entre collectivités et groupements d'un même département est établie sur la base de taux maximums de subvention applicables comme suit :
- un taux de 80 % lorsque le montant des dégâts subis est supérieur à 50 % de leur budget total ;
- un taux de 40 % lorsque le montant des dégâts subis est compris entre 10 % et 50 % de leur budget total ;
- un taux de 30 % lorsque le montant des dégâts subis est inférieur à 10 % du budget total.
Le représentant de l'État peut à titre exceptionnel, au regard de la capacité financière de la collectivité territoriale ou du groupement et de l'importance des dégâts porter le montant des aides publiques directes jusqu'à 100 % du montant hors taxes des dégâts causés par un même événement.
Une avance peut également être versée lors du commencement d'exécution de l'opération. Son montant peut représenter jusqu'à 20 % du montant prévisionnel de la subvention et peut être porté jusqu'à 30 % pour des travaux urgents nécessaires à la mobilité ou à la sécurité des personnes.
Les subventions au titre de ce fonds, auxquelles l'ensemble des collectivités territoriales et groupements seront éligibles, seront attribuées par le préfet de département.
Seules les dépenses de réparation des dégâts dont la maîtrise d'ouvrage est assurée par la collectivité ou le groupement intéressé peuvent donner lieu à l'attribution de subvention par le fonds. La prise en charge par le fonds se fera en outre à l'exclusion des dépenses de sécurisation des bâtiments, des dépenses allant au-delà de la seule réparation des dégâts et des dépenses de remise en état des équipements de vidéo-protection L'assiette de la subvention est égale au montant hors taxes des travaux de réparation des dégâts correspondant à la reconstruction à l'identique du bien à la date de l'événement, à l'exclusion de toute dépense d'extension ou d'amélioration, le cas échéant nette des primes d'assurance. Par dérogation à cette règle, lorsque le coût total des travaux de réparation intégrant des dépenses d'extension ou d'amélioration du bien est inférieur à celui de la reconstruction à l'identique à la date de l'événement, l'assiette de la subvention serait égale au montant total de ces travaux.
Lorsque les dégâts dans le département excèdent le seuil de 15 millions d'euros, il est prévu que le préfet sollicite une évaluation de l'inspection générale de l'administration et de l'inspection générale de l'environnement et du développement durable.
Les collectivités territoriales et groupements concernés auront jusqu'au 30 septembre 2023 pour adresser de subvention au préfet de département. Il est précisé que celle-ci ne serait soumise à aucun formalisme particulier et pourrait prendre la forme d'un simple courriel. L'ensemble des subventions devront être notifiées aux bénéficiaires au plus tard le 31 décembre 2023. Des avances à hauteur de 30 % maximum pourront être versées.
2. Une traduction budgétaire inconnue à ce jour
L'instruction précitée précise que le dispositif serait porté par le programme 122 « Concours spécifiques et administration » de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».
Interrogée sur ce point par le rapporteur, la DGCL n'a pas été en mesure de fournir une évaluation du coût du dispositif, qui dépendra :
- des demandes effectivement présentées par les collectivités ;
- du niveau de prise en charge de la réparation des dommages par les sociétés d'assurance ;
- de l'état d'entretien des biens concernés.
La DGCL a cependant bien précisé que si la règle de la participation minimale ne s'applique plus, cela ne signifie pas pour autant que les dépenses en cause seront systématiquement financées à 100 % par des subventions ou fonds de concours.
Le rapporteur a également interrogé la DGCL sur les modalités de financement du dispositif, compte tenu de l'absence de loi de finances rectificative et de décret d'avance à ce jour. Il lui a été précisé que les premières subventions versées au titre du fonds pourront être financées dans un premier temps par les crédits provisionnels ouverts en loi de finances initiale pour 202312(*) au titre de la DSEC (soit 40 millions d'euros d'autorisations d'engagement [AE]) restant disponibles. À titre de comparaison, en exécution 2022, seulement 10 millions d'euros d'AE avaient été consommés sur cette enveloppe13(*).
Les besoins complémentaires, qui ne peuvent pas être déterminés avec précision à ce stade, pourront conduire à mobiliser la réserve de précaution du programme 122 qui ne serait pas affectée à d'autres besoins ainsi que, le cas échéant, faire l'objet d'ouvertures de crédits sur le programme en loi de finances de fin de gestion.
En complément du fonds dédié et pour les dépenses qui n'y seraient pas éligibles, l'instruction invite à mobiliser les dispositifs de droit commun, en particulier :
- pour les dégâts causés aux dispositifs de vidéo-protection et les dépenses de sécurisation allant au-delà de la simple réparation des dégâts, le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), qui a fait l'objet d'un ré-abondement exceptionnel à hauteur de 20 millions d'euros afin de permettre la réparation ou le remplacement rapides des caméras dégradées ou détruites ;
- les autres dotations de l'État aux collectivités territoriales, selon les règles de droit commun : la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), la dotation politique de la ville (DPV), la dotation de soutien à l'investissement des départements (DSID) et le fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT).
E. LA MESURE DE DÉPLAFONNEMENT DES FONDS DE CONCOURS PERMETTRAIT DE DONNER DAVANTAGE DE SOUPLESSE AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
Enfin, la mesure de déplafonnement des fonds de concours est également bienvenue en ce qu'elle permettrait de donner davantage de souplesse aux collectivités pour le financement des travaux de réparation.
Son impact budgétaire est neutre pour l'État, puisqu'il n'est question que de flux financiers internes au bloc communal.
Interrogée sur l'absence de mention des fonds de concours pouvant être prévus dans le cadre des syndicats de communes exerçant la compétence d'autorité organisatrice de la distribution publique d'électricité et des syndicats mixtes en charge de l'aménagement, l'entretien et la gestion des ports non autonomes, la DGCL a indiqué au rapporteur qu'aucun besoin n'a été signalé s'agissant des équipements très spécifiques de ces entités.
Décision de la commission : la commission des finances propose à la commission des affaires économiques d'adopter cet article sans modification.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le lundi 17 juillet 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport pour avis de M. Vincent Delahaye sur le projet de loi relatif à l'accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou démolis au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023.
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons cette après-midi, pour avis, le projet de loi relatif à l'accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou démolis au cours des violences urbaines. La commission des affaires économiques nous a en effet délégué au fond l'article 3 de ce projet de loi, compte tenu de sa nature financière.
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - Le rapport pour avis que je vous présente porte en effet sur l'article 3 du projet de loi relatif à l'accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou démolis au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet derniers.
Ce projet de loi vise à répondre à une situation d'urgence. Les émeutes qui ont suivi la mort du jeune Nahel se sont accompagnées d'une flambée de violences sur l'ensemble du territoire national, laquelle a entraîné, outre des destructions et pillages de magasins, de nombreuses dégradations de bâtiments et de biens publics, notamment des collectivités territoriales. Les dommages infligés aux mairies, écoles, bibliothèques et postes de police, ainsi qu'au mobilier urbain, compromettent le bon fonctionnement des services publics locaux. Certains d'entre eux ont d'ailleurs dû être fermés totalement. D'après l'étude d'impact du projet de loi, près de 750 bâtiments publics ont été dégradés ou démolis. Ce chiffre s'élèverait même à 2 000 selon l'Association des maires de France (AMF).
Afin d'accélérer les opérations de reconstruction, les trois articles que compte ce projet de loi détaillent une série de mesures visant à déroger, pour ces seules opérations, au droit commun de l'urbanisme, de la commande publique et du financement des projets d'investissement locaux.
Les deux premières thématiques concernent respectivement la commission des affaires économiques, saisie au fond, et la commission des lois, saisie pour avis. Les enjeux de financement des projets d'investissement soulevés par l'article 3 relèvent, en revanche, de la compétence de notre commission, qui a donc reçu délégation pour l'examen de cet article au fond.
Comme les deux autres, l'article 3 prend la forme d'une habilitation donnée au Gouvernement à légiférer par ordonnance dans un délai de trois mois. Un projet de loi de ratification de l'ordonnance devra être déposé dans les trois mois suivant sa publication.
Pour financer leurs opérations de reconstruction, les collectivités territoriales bénéficieront, d'une part, d'indemnités au titre de l'engagement de la responsabilité sans faute de l'État, qui est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis à l'occasion de manifestations qui dégénèrent, et, d'autre part, des prises en charge par les assureurs, au moins pour les collectivités territoriales qui ont souscrit des contrats d'assurance. Néanmoins, nous savons d'ores et déjà que ces indemnités ne suffiront pas à couvrir leur besoin de financement, d'autant que, si les bâtiments publics sont assurables, tel n'est pas le cas de la voirie ou du mobilier urbain ; d'où la nécessité de mesures complémentaires.
L'article 3 contient ainsi trois types de mesures.
En premier lieu, le Gouvernement serait habilité à déroger au régime de droit commun du versement du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA).
Comme vous le savez, le FCTVA permet d'assurer aux collectivités territoriales une compensation de la charge de TVA qu'elles supportent sur leurs dépenses réelles d'investissement et qu'elles ne peuvent pas récupérer par la voie fiscale. En l'état du droit, les collectivités territoriales perçoivent les attributions au titre de ce fonds en année N+2 ou, dans certains cas, en année N+1 par rapport à l'exécution des dépenses. L'exposé des motifs précise que l'habilitation permettra un versement anticipé du FCTVA dès l'année N pour les travaux de reconstruction entrepris par les collectivités territoriales à la suite des dégradations survenues entre le 27 juin et le 5 juillet derniers.
Ce versement anticipé représente incontestablement un outil utile aux collectivités territoriales afin de faciliter le financement des travaux de réparation. Pour autant, il ne concerne que les dépenses habituellement éligibles au FCTVA. Un certain nombre de dépenses engagées par les collectivités territoriales pour procéder aux réparations à la suite des dégradations commises lors des émeutes ne bénéficieront donc pas du dispositif.
En deuxième lieu, l'article 3 habilite le Gouvernement à déroger à la règle imposant une participation minimale des collectivités territoriales ou groupements au financement de leurs projets d'investissement. Dans le droit commun, cette part est fixée à 20 % de l'ensemble des financements apportés par les personnes publiques. Il en résulterait, selon l'exposé des motifs, que les collectivités territoriales pourraient bénéficier de subventions allant jusqu'à 100 % du coût des travaux de réparation ou de reconstruction.
En parallèle de cette mesure législative, une instruction ministérielle a d'ores et déjà prévu la création, par voie réglementaire, d'un fonds dédié au soutien à la reconstruction, financé sur les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». Ce dispositif fonctionnerait sur le modèle de la dotation de solidarité en faveur de l'équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des événements climatiques ou géologiques (DSEC).
D'après les informations qui m'ont été communiquées, les subventions versées au titre de ce fonds pourront être financées, dans un premier temps, par les crédits provisionnels ouverts en loi de finances initiale pour 2023 au titre de la DSEC, lesquels représentent une enveloppe de 40 millions d'euros. En cas de besoins complémentaires, le Gouvernement pourra dégeler des crédits mis en réserve au titre du programme 122. Il pourra aussi nous proposer des ouvertures de crédits en loi de finances de fin de gestion.
En troisième et dernier lieu, l'ordonnance permettrait de déroger à la règle de plafonnement des fonds de concours pouvant être versés au sein des intercommunalités. Leur attribution ne peut aujourd'hui excéder la part du financement assurée, hors subventions, par le bénéficiaire du fonds de concours, ce qui implique une exigence de participation minimale de 50 %. Cette mesure donnerait davantage de souplesse aux collectivités territoriales pour le financement des travaux de réparation. Quant à son impact budgétaire, il serait neutre pour l'État, puisqu'il n'est question que de flux financiers internes au bloc communal.
La méthode de l'habilitation appelle naturellement une certaine vigilance de notre part. En l'occurrence, le Gouvernement la propose au regard du caractère à la fois urgent, technique et, selon moi, consensuel des mesures envisagées, que je viens de vous présenter, pour faciliter l'engagement rapide par les collectivités territoriales des travaux nécessaires à la réparation et à la reconstruction. Je vous propose d'en prendre acte et d'adopter cet article sans modification.
Enfin, je précise que le périmètre défini pour cet article, au titre de l'article 45 de la Constitution, inclurait toutes dispositions relatives aux dérogations aux modalités de droit commun de financement des investissements des collectivités territoriales, de nature à accélérer ou à faciliter la réparation des dommages directement causés par les actes de dégradation et de destruction liés aux troubles à l'ordre et à la sécurité publics survenus du 27 juin au 5 juillet derniers.
M. Marc Laménie. - Avant tout, je tiens à remercier M. le rapporteur pour avis de son travail.
A-t-on une idée, même approximative, de l'impact financier de ces dégradations et destructions, pour les collectivités territoriales comme pour l'État ?
M. Vincent Capo-Canellas. - À mon tour, je remercie M. le rapporteur pour avis : il a travaillé vite et bien, comme toujours.
Le ministère a-t-il fourni plus d'éléments au sujet de la responsabilité sans faute de l'État ? Dispose-t-on de précédents ? Les collectivités territoriales pourront-elles se référer à un guide de procédure ? Vers qui les collectivités devront-elles se tourner ?
La création d'un fonds spécifique est une bonne chose, mais a-t-on l'assurance que ses crédits ne seront pas prélevés sur d'autres enveloppes budgétaires ?
M. Rémi Féraud. - Selon vous, est-il indispensable de légiférer par ordonnance ? A-t-on eu le temps de procéder à un travail comparatif avec les événements de 2005, qui, sauf erreur de ma part, n'ont pas donné lieu à une loi spécifique ?
Enfin, dispose-t-on d'éléments relatifs au fonds spécifique ? Ces informations nous permettraient de savoir s'il existe, comme on peut le redouter, des trous dans la raquette. Sait-on combien de collectivités territoriales concernées sont assurées ? Je pense par exemple à la ville de Paris, qui se trouve être son propre assureur et qui, à la suite des multiples dégradations commises par les « gilets jaunes » sur la voirie et le mobilier urbain, avait obtenu de la justice un certain nombre de compensations par l'État.
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - Monsieur Laménie, les collectivités territoriales n'ont en principe pas l'obligation de s'assurer ; toutefois, un grand nombre d'entre elles le font. Des indemnités d'assurance seront donc versées, mais elles sont rarement à la hauteur des préjudices subis ; ayant vécu les événements de 2005, je suis bien placé pour le savoir. Quant au reste à charge pour l'État, il est, à ce jour, impossible à évaluer.
Monsieur Capo-Canellas, monsieur Féraud, les 40 millions d'euros initialement prévus au titre de la DSEC formeront une base de départ ; la somme définitive sera bien supérieure. Une autre partie du fonds pourra être financée le cas échéant par les crédits mis en réserve sur le programme 122, qui s'élèvent environ à 12 millions d'euros. En fin d'année, le projet de loi de finances de fin de gestion apportera sans doute des compléments si nécessaire, par dégel de la réserve ou par l'ouverture de crédits. Par ailleurs, la création d'un fonds dédié sur le programme 122 a été annoncée par le Gouvernement. J'ai interrogé l'administration, qui n'a pas été en mesure de me fournir une évaluation du coût du dispositif.
Au sujet de la responsabilité sans faute de l'État, la procédure est détaillée dans le rapport pour avis. Elle est très encadrée par le juge administratif et assez facile à suivre pour les collectivités territoriales concernées. Mais ces dernières devront prouver que les dégradations ont bien été commises dans le cadre de manifestations, qui dégénèrent de façon spontanée. Le Sénat n'apprécie guère les ordonnances et, de mémoire, on n'y avait effectivement pas eu recours en 2005. Mais, en l'occurrence, ce choix me semble justifié, car il faut aller vite. C'est un signal positif pour les collectivités territoriales. D'ailleurs, certaines dispositions proposées à titre exceptionnel me semblent naturelles. Je pense notamment au versement du FCTVA dès l'année N : pourquoi les collectivités territoriales font-elles des avances de trésorerie à l'État ?
Une instruction ministérielle recommande par ailleurs la mobilisation des outils de droit commun, comme la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL). Néanmoins, sauf exception, ces enveloppes sont déjà affectées et je doute que l'on dispose de marges de manoeuvre importantes à cet égard.
M. Claude Raynal, président. - Au regard de la proposition de périmètre émise par M. le rapporteur pour avis pour l'application de l'article 45 de la Constitution, s'il n'y a pas d'observation, je vous propose de considérer comme adopté ce périmètre. La commission des affaires économiques enverra à l'ensemble des sénateurs un courrier électronique récapitulant le périmètre du projet de loi en vue du dépôt des amendements pour la séance publique.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DE L'ARTICLE
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-4 tend à réduire le délai de l'autorisation à légiférer par ordonnance de trois mois à quinze jours, soit jusqu'au 31 juillet 2023.
Je suis défavorable à cet amendement. Le délai de trois mois ne sera pas une source de perte de temps et il est préférable de laisser au Gouvernement le temps de rédiger correctement l'ordonnance, sans précipitation. En effet, il convient de vérifier la prise en compte d'un certain nombre de dépenses. Je ne vois pas ce que nous ferait gagner une telle disposition si elle était adoptée ; en revanche, je perçois ce qu'elle nous ferait perdre.
Par conséquent, j'émets un avis défavorable sur cet amendement.
M. Claude Raynal, président. - S'agissant d'une situation d'urgence, nous pensions qu'il fallait prévoir un délai court.
M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - Il vaut mieux que l'ordonnance soit bien rédigée...
La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-4.
La commission propose à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 3 sans modification.
Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :
TABLEAU DES SORTS
Article 3 |
||
Auteur |
N° |
Avis de la commission |
M. REDON-SARRAZY |
COM-4 |
Défavorable |
LA LOI EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl22-888.html
* 1Pour ces collectivités, les dépenses réelles d'équipement (en 2009 ou 2010, selon l'année de signature de la convention) doivent être supérieures à la moyenne de celles constatées dans les comptes des collectivités contractantes sur quatre années.
* 2 Les dépenses d'investissement exposées sur des biens dont les collectivités et leurs groupements n'ont pas la propriété, dès lors qu'elles concernent des travaux de lutte contre les avalanches, glissements de terrains, inondations, incendies, ainsi que des travaux de défense contre la mer, des travaux pour la prévention des incendies de forêt, présentant un caractère d'intérêt général ou d'urgence.
* 3 Les dépenses d'investissement réalisées sur le domaine public fluvial de l'État.
* 4 Les dépenses d'investissement réalisées à compter du 1er janvier 2005 sur des immeubles du domaine relevant du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres.
* 5 Les dépenses visant à réparer les dommages directement causés par des intempéries exceptionnelles reconnues par décret, et situés dans des communes ayant fait l'objet d'une constatation de l'état de catastrophe naturelle.
* 6 Article L. 5212-26 du code général des collectivités territoriales.
* 7 Article L. 5722-10 du code général des collectivités territoriales.
* 8 Tribunal administratif de Paris, 20 juin 2023, Société AXA France et Société financière Frères Blanc, n° 2016762/3-1 ; Tribunal administratif de Paris, 25 avril 2023, Assurances du crédit mutuel, n° 2202327/3-3.
* 9 Conseil d'État, 30 décembre 2016, n° 386536.
* 10 Conseil d'État, 11 juillet 2011, n° 331669.
* 11 Instruction n°IOML2319048J du 7 juillet 2023 relative à l'accompagnement des collectivités pour la réparation des dégâts et dommages contre les biens des collectivités résultant des violences urbaines survenues depuis le 27 juin 2023.
* 12 Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.
* 13 Source : rapport annuel de performance de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » annexé au projet de loi de règlement 2022.