Avis n° 120 (2022-2023) de M. Julien BARGETON , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 17 novembre 2022
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AVANT-PROPOS
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EXAMEN EN COMMISSION
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LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
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ANNEXE
N° 120 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023 |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 novembre 2022 |
AVIS PRÉSENTÉ
au nom de la commission de la culture, de
l'éducation et de la communication (1)
sur le projet de
loi
de
finances
,
considéré comme adopté par l'Assemblée
nationale
|
TOME IV Fascicule 4 MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES Livre et industries culturelles |
Par M. Julien BARGETON, Sénateur |
(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon , président ; M. Max Brisson, Mme Laure Darcos, MM. Stéphane Piednoir, Michel Savin, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco , vice-présidents ; Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Else Joseph, Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté , secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Samantha Cazebonne, M. Yan Chantrel, Mme Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mmes Sabine Drexler, Laurence Garnier, Béatrice Gosselin, MM. Jacques Grosperrin, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Michel Laugier, Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial. |
Voir les numéros : Assemblée nationale ( 16 ème législ.) : 273 , 285 , 286 rect., 292 , 337 , 341 , 364 , 369 , 374 , 386 et T.A. 26 Sénat : 114 et 115 à 121 (2022-2023) |
AVANT-PROPOS
Les industries culturelles, hors cinéma et spectacle vivant, ont plutôt bien résisté à la crise pandémique, soutenues par les pouvoirs publics qui ont su prendre les mesures nécessaires à la préservation de notre exception culturelle.
Alors que l'année 2023 devait être celle de la reprise, le violent choc inflationniste fait naître de nouvelles incertitudes , qui soulignent la fragilité et le besoin d'accompagnement du secteur. Le gouvernement affiche cependant de grandes ambitions, avec le plan « France 2030 » doté de près d'un milliard d'euros .
Si on ne peut que saluer l'ampleur de cet engagement, il doit pourtant tenir compte de cette nouvelle situation qui présente de forts risques pour les secteurs les plus fragiles . Il reste par ailleurs à parachever des réformes engagées ces dernières années, comme dans le domaine de la musique, ou à faire évoluer les règles relatives aux auteurs , au centre de la création.
Les industries culturelles ont représenté 18,2 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2021. Sans retrouver le niveau de 2019, la hausse est de près de 10 % à périmètre constant par rapport à 2020, année marquée par la pandémie.
I. UN SECTEUR DE L'ÉDITION MENACÉ PAR L'INFLATION COMME PAR LES DISSENSIONS INTERNES
A. L'ÉDITION APRÈS LA CRISE
Chiffre d'affaires des éditeurs en 2021 |
Une hausse spectaculaire du chiffre d'affaires après le confinement |
nouveautés publiées par an en moyenne |
références disponibles |
Après une année 2020 difficile en raison de la fermeture des librairies durant deux mois et demi, la reprise a été spectaculaire en 2021, confirmant l'attachement des Français au livre.
Les premières tendances à fin août pour 2022 montrent un relatif tassement, avec une baisse de 5 %. Les ventes demeurent cependant supérieures de 15 % à 2019 , dernière année de référence.
Le Pass Culture a rencontré un très grand succès dans le domaine du livre, comme en a témoigné une étude rendue publique le 4 juillet 2022 à l'occasion des Rencontres nationales de la librairie.
Le succès du Pass Culture |
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Chiffre d'affaires
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des usagers du Pass se sont rendus pour la première fois dans une librairie indépendante |
de mangas parmi les livres achetés. Leur part a
baissé de
24 points
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des jeunes achetant un manga avec le Pass repartent avec un autre livre |
Les librairies sont cependant très exposées aux conséquences de l'inflation . En effet, elles affichent une très faible rentabilité de 2 % par an en moyenne. Une hausse de 10 % des charges de personnels, qui représentent 20 % des charges totales, suffit donc à annuler la marge .
De manière générale, la hausse des prix du papier fait peser de vrais risques sur le secteur. Le rapporteur pour avis a interrogé la ministre de la culture à ce propos lors de son audition devant la commission le 25 octobre . Elle a indiqué que des initiatives pourraient être prochainement prises en lien avec le Centre national du livre (CNL).
Déception des libraires sur le niveau minimum
des frais de port
pour les livres
De nombreuses librairies ont affiché publiquement leur mécontentement face à la validation par le gouvernement du seuil minimal pour les frais de livraison proposé par l'Arcep en application de l'article 2 de la loi du 30 décembre 2021 visant à conforter l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs , dont l'initiative revient à la Sénatrice Laure Darcos . Les montants sont de trois euros minimum, avec une possibilité d'instaurer la gratuité à partir de 35 euros, ce qui parait trop faible aux libraires indépendants pour lesquelles l'envoi d'un ouvrage revient déjà à un peu plus de sept euros. Ce seuil a le mérite de représenter une première étape.
B. DES RELATIONS TOUJOURS COMPLEXES ENTRE AUTEURS ET ÉDITEURS
Les relations entre auteurs et éditeurs restent marquées par une forme de méfiance, parfois de défiance . Elles font ainsi l'objet de négociations parfois tendues, qui ont pour objet le contenu et les obligations mutuelles du contrat d'édition .
Dans son rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2020 1 ( * ) , Françoise Laborde avait exposé en détail la situation des auteurs , qui n'a que peu évolué depuis cette date, alors qu'elle était au coeur du rapport remis par Bruno Racine au ministre de la culture le 22 janvier 2020 2 ( * ) .
Les dispositions du code de la propriété intellectuelle (CPI) relatives à ce contrat sont en effet structurantes pour le secteur du livre, en déterminant les règles impératives qui organisent les contrats de cession des droits par les auteurs aux éditeurs, ainsi que les obligations réciproques des parties.
Les règles étaient restées pour l'essentiel inchangées depuis 1957, ce qui les rendait obsolètes. Elles suscitaient de plus de nombreuses critiques des auteurs, qui les jugeaient trop favorables aux éditeurs . Un consensus a finalement pu être trouvé, formalisé par un accord-cadre signé le 21 mars 2013 entre le Conseil permanent des écrivains (CPE) et le Syndicat national de l'édition (SNE). L'article 2 de la loi du 8 juillet 2014 a ainsi habilité le gouvernement à tirer les conséquences de cet accord-cadre par voie d'ordonnance. Publiée le 13 novembre 2013 et entrée en vigueur le 1 er janvier 2014, l'ordonnance a apporté de substantielles modifications au contrat liant l'auteur et l'éditeur.
Cependant, ce long processus de concertation interprofessionnelle n'ayant alors pas permis d'aborder l'ensemble des points de discussion entre les professionnels, le CPE et le SNE ont repris en 2015 leur dialogue afin de converger vers une position commune sur certains sujets visant plus particulièrement à améliorer la transparence dans les relations entre auteurs et éditeurs.
Un accord a ainsi été signé le 29 juin 2017 par les deux organisations sur l'encadrement des pratiques de compensation intertitres et de provision pour retours. L'article 3 de la loi du 30 décembre 2021 a permis l'application de ces règles à l'ensemble du secteur .
Par ailleurs, la directive du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique impose aux États membres de mettre en place un certain nombre de dispositions visant à assurer aux auteurs une juste rémunération et à améliorer la transparence due aux auteurs de la part de leurs cessionnaires de droits. L'ordonnance du 12 mai 2021 consacre le principe d'une rémunération appropriée et proportionnelle et renforce les obligations de transparence au bénéfice des auteurs . Enfin, elle leur ouvre de nouveaux droits dans la relation avec les exploitants de leurs oeuvres, à travers un mécanisme de réajustement de la rémunération prévue au contrat.
Le Conseil permanent des écrivains a appelé de ses voeux la réouverture des discussions interprofessionnelles autour de l'accord de décembre 2014. Il est en effet prévu que les parties signataires engagent une discussion sur la révision de cet accord, sous l'égide du ministère chargé de la culture, tous les cinq ans à compter de sa signature. Une nouvelle mission de médiation a ainsi été confiée au professeur Pierre Sirinelli afin d'accompagner les organisations professionnelles représentant les auteurs et les éditeurs dans le travail d'évaluation et de révision de l'accord de 2014.
Lors d'une première phase de négociations, organisations d'auteurs et représentants du Syndicat national de l'édition (SNE) étaient parvenus le 15 février 2022 à cinq points d'accord susceptibles d'améliorer la transparence des informations fournies aux auteurs, ainsi qu'à l'établissement d'une « clause de poursuite », centrée sur la question de la rémunération.
Le 16 mars 2022, jour prévu pour la signature de cet accord, le Conseil d'administration du SNE a suspendu sa réponse. Les deux co-présidents du Conseil permanent des écrivains (CPE) ont manifesté publiquement leur indignation et en ont appelé aux pouvoirs publics pour débloquer la situation. Le 25 octobre, le CPE a annoncé que l'accord ne pouvait finalement convenir, signant ainsi de manière imprévue l'échec des tentatives de médiation .
Les auteurs mettent en avant leur volonté d'évoquer, avant de s'engager, la question de leur rémunération , sujet que les éditeurs ne souhaitent pas aborder. La situation parait donc bloquée pour l'heure.
Le rapporteur pour avis juge indispensable la reprise très rapide du dialogue entre ces deux partenaires de la création .
II. LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE DANS LE CYCLONE DE L'INFLATION
Le grand succès de la réouverture du site historique Richelieu de la Bibliothèque nationale de France les 17 et 18 septembre 2022 à l'occasion des journées européennes du patrimoine met un terme à un chantier de plus de 10 ans. La BnF doit cependant mener immédiatement un autre projet de très grande ampleur, avec le conservatoire d'Amiens, alors même que la crise énergétique ne l'épargne pas plus que les autres institutions publiques et qu'elle ne dispose que d'un faible potentiel d'économies.
Les moyens de la BnF connaissent une progression régulière ces dernières années, passant de 204,3 millions d'euros en 2018 à 224 millions d'euros en 2022 et à 232,7 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2023, en hausse de 3,9 % pour cette année.
Dans le détail :
Ø la subvention pour charges de service public progresse de 6 millions d'euros, pour s'établir à 198,4 millions d'euros ;
Ø la dotation pour fonds propres est remplacée par une subvention pour charge d'investissement de 34 millions d'euros.
Le nouveau contrat de performance de la BnF a été approuvé par son conseil d'administration lors de sa séance du 30 juin 2022.
Le rapporteur pour avis signalait l'année dernière que l'institution était gérée sous forte contrainte, entre des dépenses de fonctionnement en progression, dont une masse salariale qui mobilise les trois-quarts de la subvention de fonctionnement , et des lourds investissements à la fois pour développer de nouveaux outils, mais également pour assurer l'entretien de son patrimoine.
Cette équation est devenue encore plus complexe cette année avec une crise énergétique qui frappe tous les secteurs .
Comme l'ensemble des établissements publics, la BnF est confrontée aux conséquences de la crise énergétique , avec des facultés d'économie structurellement plus réduites. En effet, le site de Tolbiac possède 500 000 m² de surface vitrée, ce qui nécessite autant de dépenses d'énergie qu'une ville de 20 000 habitants. La BnF doit cependant assurer la préservation des collections et l'accueil du public dans des conditions satisfaisantes. Les dépenses d'énergie représentent sur une année normale 10 % du fonctionnement, soit près de six millions d'euros, et pourraient progresser de plus de 50 % pour parvenir à 9,4 millions d'euros. |
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Surcoût lié à la hausse des prix de l'énergie en 2023 |
En dépit de la progression de sa dotation, la BnF se retrouve donc contrainte dans sa politique d'investissement par la nécessité d'assurer un fonctionnement courant de plus en plus onéreux .
En novembre 2021, à l'issue d'une compétition qui a suscité un grand enthousiasme des collectivités locales avec 70 dossiers, le site d 'Amiens dans le département de la Somme a finalement été retenu pour la construction du pôle de conservation. Dans l'hypothèse la plus optimiste, le chantier, d'un montant de 96 millions d'euros, dont 40 à la charge des collectivités, devrait être achevé en 2028. |
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Coût estimé du futur centre d'Amiens d'ici 2028 |
Contribution des collectivités locales |
Le centre de stockage doit remplir trois grandes fonctions :
ü des espaces de stockage de haute qualité environnementale et utilisant des technologies innovantes ;
ü des ateliers permettant de réaliser tous les traitements nécessaires à la conservation du patrimoine national (restauration, numérisation, traitements techniques...) ;
ü la possibilité de recevoir, en proportion limitée, des lecteurs et visiteurs dans un site essentiellement technique.
En rassemblant à terme la plus grande collection de presse francophone du monde, ce pôle accueillera le Conservatoire national de la presse .
Les collections de presse de la BnF
Les caractéristiques physiques des collections de presse sont intrinsèquement fragiles. Les publications, tout particulièrement celles de la deuxième moitié du XIX e siècle, sont faites à partir de papier de très mauvaise qualité et d'encres acides qui contribuent à la dégradation des collections. Un grand nombre de titres de presse publiés à partir de cette période, au moment de la promulgation de la loi sur la liberté de la presse, est aujourd'hui très détérioré. Les entreprises de presse, à très forts tirages aussi bien qu'à diffusion restreinte, n'ont quant à elles que peu conservé leurs propres archives. Les fonds de presse conservés à la BnF forment un ensemble extraordinairement précieux mais aussi en large partie menacé de disparaître.
Le rapporteur pour avis souhaite voir émerger une véritable volonté politique pour financer la numérisation des fragiles collections de presse de la III e République, pour laquelle la BnF n'a pas pu recourir aux dispositifs d'investissement d'avenir ou de relance .
III. LA MUSIQUE ENREGISTRÉE : OUBLIER LA CRISE
A. STREAMING TOUTE
1. Un modèle désormais dominant
Les revenus issus du streaming ont permis au secteur de surmonter une crise qui a failli l'emporter. L'abonnement payant en streaming est devenu le modèle économique dominant .
d'abonnés au streaming en France |
des 35-64 ans disposent
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de chiffre d'affaires du streaming en France en 2021 en hausse de 13 % |
2. Des perspectives prometteuses
Toutes les prévisions, au niveau mondial comme national, prévoient une forte progression du nombre d'abonnés à un service de streaming à l'horizon 2030, date à laquelle le marché devrait parvenir à maturité.
Progression du nombre d'abonnés à un service de streaming en France
(en millions d'abonnés)
Une étude rendue publique le 13 juin 2022 par la banque Goldman Sachs 3 ( * ) « Music in the Air » invite à l'optimisme pour le secteur de la musique au niveau mondial, avec une progression de 24 % en 2022 en raison de la reprise des concerts, qui devrait être suivie d'une croissance de 7 % par an jusqu'en 2030. Cette progression serait portée par les services de streaming, dont les revenus dans ce scénario progressaient de 12 % par an, à la fois en raison d'une hausse du nombre des usagers, mais également des prix.
Selon cette étude, d'ici 2030 , 53 % des smartphones des pays développés et 14 % des pays en développement seront équipés d'un abonnement à un site de streaming, contre respectivement 11 % et 6 % en 2021. Les revenus du streaming payants devraient ainsi plus que doubler dans le monde, passant de 23,2 milliards de dollars en 2021 à 55,6 milliards en 2030 . Le streaming financé par la publicité devrait pour sa part plus que tripler d'ici 2030, s'établissant à cette date à 33,3 milliards de dollars.
B. QUEL AVENIR POUR LE CENTRE NATIONAL DE LA MUSIQUE ?
Le Centre national de la musique (CNM) a été créé par la loi du 30 octobre 2019. Il regroupe au sein du nouvel établissement plusieurs leviers d'action alors assurés par différents acteurs publics et privés.
Le CNM existe formellement depuis le 1 er janvier 2020 après la publication du décret statutaire du 24 décembre 2019, dans la continuité du Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV), dont il a repris les droits, obligations et personnels.
La mise en place de ce nouvel établissement public était déjà complexe, en raison de la diversité des structures à fusionner. Elle a été percutée par la crise pandémique , qui a profondément modifié sa structure.
Alors que la montée en puissance de l'organisme devait être progressive sur plusieurs années, le CNM, alors encore en cours de structuration, a été propulsé en 2020 comme le principal levier de l'État pour secourir un secteur de la musique à l'arrêt , à hauteur de 431 millions d'euros sur 2020, 2021 et 2022. La gestion par le Centre de la crise pandémique a fait l'unanimité dans la filière. |
Comme l'indiquait le Rapporteur dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2022, les premiers pas très réussis du Centre reposent cependant sur un malentendu . Le Centre n'a en effet pas pour mission de devenir un financeur du secteur, sur le modèle du CNC. La question du modèle pérenne de financement du CNM se pose donc à la sortie de la crise pandémique , et constitue le principal enjeu des deux prochaines années. Cette question ne peut être séparée des missions du Centre.
La question de son financement avait été abordée de manière prudente lors de l'examen de la proposition de loi en 2019.
Initialement, il devait reposer sur trois piliers :
Ø le produit de la taxe sur le spectacle vivant , estimé à 35 millions d'euros et dont une fraction significative doit revenir à ce secteur, le seul à l'heure actuelle à contribuer réellement au financement ;
Ø une contribution, volontaire des organismes de gestion collective (OGC) du secteur, estimée à 8 millions d'euros ;
Ø enfin, un soutien public qui a augmenté en trois phases pour s'établir en PLF 2023 à 27,7 millions d'euros , soit sensiblement le même qu'en 2022, sans tenir compte des moyens exceptionnels liés à la crise pandémique.
Or, les deux premiers piliers ont été considérablement fragilisés ces deux dernières années ;
Ø d'une part, les spectacles vivants n'ont pas pu se tenir durant la crise pandémique et la taxe a été longuement suspendue. Les prévisions actualisées au mois de juillet pour l'année 2022 s'élèvent à 22 millions d'euros et 30 millions en 2023 ;
Ø d'autre part, les OGC ont été lourdement impactés par les conséquences de l'arrêt de la CJUE du 8 septembre 2020 « Recorded Artists », qui les prive de 25 millions d'euros par an. Elles estiment donc se trouver dans l'incapacité de financer le CNM et n'ont rien versé en 2020 et 2021, et « seulement » 1,5 million d'euros en 2022 et 2023 selon les prévisions.
Le schéma initial n'a donc pas pu être respecté .
La commission de la culture a organisé le 19 octobre une table ronde rassemblant toutes les parties prenantes du CNM 4 ( * ) autour de la question de son financement à terme.
Trois pistes sont actuellement envisagées pour abonder le Centre.
Ø une taxe sur le streaming . Elle aurait pour principal mérite de faire contribuer la musique enregistrée , et d'imposer ainsi des acteurs en plein développement. Cependant, les plateformes ont déjà annoncé qu'elles la répercuteraient immédiatement sur les abonnements, ce qui pourrait fragiliser ce nouveau mode de diffusion qui a permis de contenir le piratage, ou bien la déduirait des sommes versés aux ayants droit ;
Ø un aménagement de la taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels , dite taxe « YouTube » . Perçue par le CNC, cette taxe frappe en effet les plateformes de diffusion de vidéo gratuite, où la musique est très présente. Cela suppose cependant une réécriture complète du dispositif, sans priver le CNC d'une partie de ses ressources ;
Ø lors de l'examen de la loi de finances rectificative pour 2022, le Rapporteur a défendu le 1 er août un amendement qui propose de mettre fin à l'abattement dont bénéficient les plateformes de diffusion de vidéos gratuites au titre des contenus amateurs ( dits « UGC » : user generated contents ) qu'elles hébergent, pour affecter le surplus de recettes au CNM.
Le Gouvernement a confié le 14 octobre 2022 au rapporteur pour avis une mission parlementaire de six mois sur le financement de la filière musicale, qui devra permettre d'établir un diagnostic précis des attentes de la filière, de ses besoins, et proposer un cadre financier adapté explorant toutes les pistes, y compris sur les crédits d'impôts, leurs avantages et leurs inconvénients respectifs .
IV. LE JEU VIDÉO
A. PLUS FORT QUE LA CRISE
Le jeu vidéo connait une progression constante depuis plus de 10 ans. Selon les sources des données, il représente aujourd'hui la première ou deuxième industrie culturelle du pays et la plus dynamique.
Alors que les acteurs anticipaient a minima un tassement en 2021 après une année 2020 très faste en raison des épisodes de confinement, une progression de 1,6 % a été finalement enregistrée . Elle s'explique essentiellement par l'arrivée sur le marché de consoles de nouvelle génération ( X Box Serie de Microsoft et PS5 de Sony). La pénurie de composants a cependant rendu ces nouvelles machines difficiles d'accès - près de deux ans après leur sortie, elles ne sont toujours disponibles que sur réservation - et laisse envisager une année 2022 encore positive.
Chiffre d'affaires du jeu vidéo entre 2013 et 2021
(en milliards d'euros)
Source : Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs
L'éco-système du jeu vidéo se compose de trois univers : les consoles, l'ordinateur (« PC gaming ») et le jeu sur mobile.
Répartition du chiffre d'affaires des jeux vidéo en 2022
(en millions d'euros)
La France dispose d'un leader mondial avec Ubisoft, notamment détenteur des licences Far Cry et Assassin's Creed , d'éditeurs réputés comme Arkane Studios à Lyon, Asobo Studio à Bordeaux ou Quantic Dream à Paris. La France accueille également des établissements d'enseignements reconnus internationalement comme l'École nationale du jeu et des médias interactifs numériques à Angoulême.
73 % des Français jouent au moins occasionnellement au jeu vidéo, en hausse de deux points en 2021. Cette activité est fonction décroissante de l'âge : de 98 % des 10-14 ans à 47 % des plus de 65 ans. Dans plus de la moitié des cas le support utilisé est le téléphone mobile. Près de 80 % des joueurs jouent au moins une fois par semaine. |
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de joueurs en France |
de joueurs réguliers |
Le soutien public au secteur passe pour l'essentiel par le crédit d'impôt jeu vidéo, dont le montant a évolué comme le secteur, passant de 14 millions d'euros en 2016 à près de 70 millions d'euros aujourd'hui.
B. COMMENT CONFORTER LA CRÉATION EN FRANCE ?
La commission de la culture a organisé le 12 octobre 2022 une table ronde consacrée au secteur du jeu vidéo 5 ( * ) . Cette initiative s'inscrit dans la droite ligne du rapport pionnier réalisé en 2013 au nom de la commission par André Gattolin et Bruno Retailleau : « Jeux vidéo : une industrie culturelle innovante pour nos territoires » .
Trois grandes problématiques soulevées lors de l'audition :
1. la préservation de l'excellence française dans la formation des meilleurs créateurs et concepteurs de jeu et dans l'accueil des studios. Cela passe par le développement des écoles et dans la stabilité du cadre réglementaire. Le rapporteur rappelle à ce propos son souhait déjà exprimé l'année dernière d'une évaluation précise du crédit d'impôt jeu vidéo ;
2. l'attention à accorder à la préservation de l'intérêt des plus jeunes publics . Laissés sans surveillance, comme c'est au demeurant le cas pour l'ensemble des activités en ligne, les enfants peuvent en effet s'exposer à des productions qui ne leur sont pas destinées, que ce soit en raison de leur caractère violent ou explicite, ou bien d'un modèle économique fondé sur les achats dans le jeu auxquels les mineurs sont particulièrement exposés ;
3. la consolidation en cours dans le secteur au niveau mondial , avec le projet de rachat d'Activision-Blizzard par Microsoft pour près de 70 milliards de dollars, qui avait déjà acquis pour 7,5 milliards de dollars en 2020 le studio Bethesda. Cette opération, actuellement en cours d'examen par les autorités américaines de la concurrence, pose en effet des problèmes, notamment autour de l'exclusivité de l'accès de jeux parmi les plus populaires au monde comme Call of Duty .
V. L'AMBITION DE « FRANCE 2030 »
Annoncé par le Président de la République le 12 octobre 2021, le plan d'investissement d'avenir dit « France 2030 » représente un montant global d'engagement de 30 milliards d'euros sur 5 ans , répartis entre 10 objectifs. Les modalités sont identiques à celles retenues pour les programmes d'investissements d'avenir (PIA) initiés en 2010, et qui reposent sur des appels à projets et des programmes dans des secteurs précis.
L'objectif n° 8 est intégralement dédié aux industries culturelles et créatives, avec un plan de près d'un milliard d'euros .
Les deux axes d'ores et déjà avancés concernent :
Ø l'appel à projet « Fabrique de l'image » , piloté par le CNC et la Caisse des dépôts et consignation. Il doit permettre de favoriser un secteur de la production cinématographique et audiovisuel qui subit actuellement des goulots d'étranglement, liés à la différence entre une demande qui connait une forte progression, suite notamment à la transposition des directives « SMA », et une offre encore limitée, que ce soit en matière d'infrastructure ou de formations ;
Ø l'accélération des industries culturelles et créatives rassemble un grand nombre de thématiques, comme la diffusion numérique du spectacle vivant, des solutions de billetterie électronique ou la transition écologique. A l'heure actuelle, en plus de la Fabrique de l'Image, six projets en lien avec la culture ont ainsi déjà été lancés, dont le programme « Cultur'Export », opéré par la BPI, qui accompagne les industries créatives dans leurs démarches à l'international, ou l'appel à projets « Expérience augmentée du spectacle vivant » et « Numérisation du patrimoine et de l'architecture ».
Le succès de ces initiatives, selon la logique désormais éprouvée des PIA, doit faire l'objet d'évaluations périodiques.
S'il est encore trop tôt pour mesurer l'impact de France 2030, le rapporteur pour avis se félicite de la prise en compte, au plus haut niveau de l'État, de la spécificité des industries culturelles et créatives, ainsi que de l'ampleur des moyens dégagés .
Compte tenu de la nécessité d'aborder ces sujets dans une perspective de « temps long », il est tout aussi important que le plan France 2030 se déploie sur plusieurs années, afin de proposer aux créateurs un cadre stabilisé et pluriannuel.
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* *
La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a émis, lors de sa réunion plénière du 9 novembre 2022, un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 334 « Livre et industries culturelles », au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2023 .
EXAMEN EN COMMISSION
MERCREDI 9 NOVEMBRE 2022
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M. Laurent Lafon, président . - Nous examinons ce matin le rapport pour avis de notre collègue Julien Bargeton sur le projet de loi de finances pour 2023.
M. Julien Bargeton, rapporteur pour avis sur les crédits du livre et des industries culturelles . - Comme nous le pressentions l'année dernière, les industries culturelles ont fait montre d'une très belle résistance durant la crise, soutenue il est vrai massivement par les pouvoirs publics. Fort logiquement, avec le retour à une vie plus normale, elles ont progressé en 2022 de près de 10 % en chiffre d'affaires, pour s'établir à 18,2 milliards d'euros. La tendance pour le futur demeure très prometteuse.
Je vais vous présenter successivement les quatre grandes familles de ce programme : le livre et la lecture, la Bibliothèque nationale de France, la musique et les jeux vidéo.
Premier point, le secteur du livre et de la lecture.
La crise pandémique a été, vous vous en rappelez, l'occasion de marquer l'attachement des français au livre et aux libraires qui les font vivre. L'année 2021 s'était logiquement avérée spectaculaire, l'année 2022 devrait enregistrer un léger tassement des ventes de l'ordre de 5 %. Ce qu'il faut retenir cependant, c'est que 2022 devrait être bien meilleur que 2019, avec une progression des ventes de l'ordre de 15 %. Il n'est donc pas interdit de dire que la crise a renforcé le secteur. A ce propos, je note avec une grande satisfaction le succès du Pass Culture dans le domaine du livre. Il a permis aux libraires d'augmenter leur chiffre d'affaire de près de 100 millions d'euros, et pas uniquement pour acquérir des mangas, même si ce genre reste dominant avec 51 % des ventes - en baisse cependant de 24 points en 2021, signe peut-être que les lecteurs élargissent leur horizon... Par ailleurs, 60 % des jeunes achetant un manga avec le Pass repartent avec un autre livre.
En dépit de ce constat très positif, tout n'est pourtant pas rose dans le monde des livres.
D'une part, au niveau conjoncturel, j'ai interrogé la ministre sur l'impact de la hausse des prix du papier, dont notre collège collègue Michel Laugier a relevé l'acuité pour la presse la semaine dernière. La ministre a indiqué s'être saisie de la question avec le CNL, j'espère donc que nous pourrons disposer d'éléments prochainement.
L'inflation ne se limite cependant pas au papier, elle implique aussi des hausses de rémunération. Or je rappelle que les libraires ne dégagent que de très faibles marges, de l'ordre de 2 %, qui peuvent être littéralement « dévorées » par la hausse des salaires.
Comme vous le voyez donc, la conjoncture pourrait rapidement dégrader la situation.
D'autre part, un dossier plus structurel pose problème, celui des relations entre les auteurs et les éditeurs.
Nous le savons, il s'agit d'une relation complexe, souvent passionnelle, en tout cas qui porte en elle de fortes oppositions.
C'est également un dossier à rebondissements.
Pour tracer un portrait à grands traits, des négociations se tiennent de manière continue depuis 2013, pour régler des questions en apparence techniques, comme par exemple la périodicité et la nature des informations que doit apporter l'éditeur à l'auteur. Le Sénat a pris ses responsabilités, avec la proposition de loi de Laure Darcos sur l'économie du livre qui a gravé dans le marbre de la loi les dispositions de l'accord signé entre les organisations représentatives du 29 juin 2017.
Pourtant, les relations se sont dernièrement tendues, autour d'un sujet si j'ose dire crucial, celui de la rémunération, à tel point qu'il est devenu « bloquant » dans les relations entre les partis. Les auteurs souhaitent obtenir des conditions plus favorables, dans la lignée des propositions du rapport de Bruno racine en 2020, les éditeurs ne souhaitent pas ouvrir ce chantier qui leur parait mettre en péril l'exercice même de leur métier. Très récemment, un accord pourtant technique n'a pas pu être signé comme prévu le 24 octobre. C'est là le principal défi du secteur dans les années à venir.
Deuxième point, la Bibliothèque nationale de France.
La BnF représente à elle seule 70 % des crédits du programme. Sa dotation évolue de 3,9 % en 2023, conformément aux engagements pris.
Nous nous réjouissons du très grand succès populaire de sa réouverture le 17 septembre, à l'occasion des Journées européennes du patrimoine. Je peux vous dire que les équipes de l'établissement, très mobilisées autour de ces travaux, apprécient à sa juste mesure les files d'attente pour accéder à la splendide salle de lecture et la satisfaction des nouveaux usagers.
La BnF est pourtant face à une année 2023 difficile. Les trois quart de son budget sont consacrés au fonctionnement. Le site de Tolbiac possède 500 000 m² de surface vitrée, ce qui nécessite chauffage en hiver et climatisation en été, pour l'accueil des usagers, mais également pour assurer la conservation des documents précieux. Pour vous donner un ordre d'idée, la BnF consomme la même quantité d'électricité qu'une ville de 20 000 habitants.
Selon les premières estimations, le surcoût lié à la hausse des prix de l'énergie serait de 3,6 millions d'euros en 2023, ce qui est beaucoup pour un budget très contraint, et frappera inévitablement les initiatives qui pouvaient être envisagées.
Il reste à espérer que cette crise n'aura pas de conséquence sur le chantier du nouveau centre de stockage. Plus de 70 villes avaient déposé leur candidature, c'est finalement Amiens qui a été retenu. Le projet s'élève à l'heure actuelle à 96 millions d'euros, dont 40 à la charge des collectivités. A terme, il accueillera le Conservatoire national de la presse, auquel je suis très attaché.
Comme vous le voyez donc, entre grands projets, gestion du quotidien et flambée des prix, la BnF va devoir faire face à des défis d'ampleur en 2023, comme hélas de nombreux établissements publics.
Troisième point, la musique enregistrée
Après avoir été à deux doigts de disparaitre au tournant des années 2000, la musique a retrouvé une nouvelle vigueur, que l'on peut résumer en un mot, avec ses promesses, mais également ses failles : le streaming.
Ce mode d'écoute a été popularisé par Spotify à l'origine. Clin d'oeil de la « pop culture », une série suédoise sur Netflix intitulée « The Playlist » retrace avec beaucoup d'intelligence le lancement de cette plateforme. 10 millions de Français sont actuellement abonnés à un service de streaming, et la moitié des 35-64 ans disposent d'un accès payant.
Les perspectives au niveau mondial sont florissantes. Une étude de la banque Goldman Sachs rendue publique le 13 juin dernier estime que les revenus au niveau mondial devraient plus que doubler d'ici 2030, passant de 23 à 56 milliards de dollars, avec une proportion croissante financée par la publicité.
Nous ne pouvons bien entendu que nous en réjouir. Pour autant, de redoutables questions ont émergé : quelle rémunération pour les auteurs, les interprètes, les compositeurs ? Quel modèle économique pour ces plateformes qui, pour l'heure, perdent encore de l'argent ? Quelle exposition des esthétiques les plus fragiles ?
Sur ces sujets cruciaux pour toute la filière, un acteur a émergé en France, je veux bien entendu parler du Centre national de la musique (CNM), à l'origine issu d'une initiative parlementaire, avec une loi adoptée à l'unanimité des deux chambres - je salue au passage le rapporteur Jean-Raymond Hugonet qui s'est beaucoup investi sur le sujet et continue de le suivre.
Nous avons organisé une table ronde passionnante sur le CNM le 19 octobre dernier. Comme vous le savez, la question de ses moyens se pose depuis la fin d'une crise pandémique qui lui a offert une formidable légitimité par la qualité de ses interventions. Cependant, comme je vous le disais l'année dernière, cet accueil enthousiaste repose sur un malentendu : le CNM n'a pas vocation à distribuer des subventions ad vitam , il n'a pas été conçu en ce sens. Il est donc nécessaire de nous interroger, et d'interroger la profession, sur ses attentes, sur ses besoins, et d'en inférer la surface budgétaire que le Centre doit atteindre pour ne pas trahir les espoirs placés en lui à l'origine. Pour mener ce travail, comme vous le savez, j'ai été chargé d'une mission par la ministre de la culture, que j'aborde avec beaucoup d'humilité, mais également d'enthousiasme et de conviction.
Je compte bien entendu m'appuyer sur les travaux de notre commission, et je souhaite pouvoir vous présenter mes conclusions dans quelques mois.
Quatrième point, le jeu vidéo.
Là encore, notre commission a été en pointe, avec une table ronde organisée le 12 octobre dernier.
Je peux vous dire que le secteur a été sensible à cette marque de reconnaissance de notre part.
Le jeu vidéo affiche une santé presque insolente, inoxydable. L'année 2020 avait bien entendu été exceptionnelle avec la pandémie, on pouvait donc légitimement s'attendre à une baisse en 2021. Il n'en a rien été, le secteur a encore connu une progression de 1,6 %, pour s'établir à 5,6 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Le résultat aurait pu être encore meilleur si les consoles de nouvelles génération Xbox Serie et PS5 avaient été plus largement disponibles, mais la production a été freinée par les pénuries de composants.
Nous n'allons pas rouvrir le débat d'une culture « noble » contre une culture moins légitime, incarnée hier par la bande dessiné et la télévision, aujourd'hui par le jeu vidéo.
Notons cependant qu'il existe une très grand diversité de pratiques et donc de jeu : les petites distractions que nous pouvons pianoter sur nos téléphones dans les transports ou bien les énormes productions à plusieurs centaines de millions de dollars sur consoles et ordinateurs. Au passage, le Palais du Luxembourg a lui-même été intégralement numérisé pour les besoins d'un jeu sorti en 2014, Assassin's Creed Unity , dont vous pouvez trouver des extraits assez saisissants en ligne.
Ce qui est important cependant pour nous, comme l'a bien souligné la table ronde, c'est de conforter la place déjà mondialement reconnue de la France dans ce secteur d'avenir, qui embauche massivement des personnels qualifiés et passionnés, présent dans tous les territoires. Notre position enviable repose sur la combinaison réussie d'un système de formation adapté, avec des écoles réputées, et l'existence d'un crédit d'impôt qui nous permet de lutter à armes égales avec les autres pays, notamment anglo-saxon. Nous avons su, pour les jeux, développer et préserver une excellence française dont je souhaite qu'elle perdure.
Je dois enfin dire un mot de l'ambition portée par « France 2030 ».
Lors de la présentation de ce plan le 12 octobre 2021, le Chef de l'État a choisi de consacrer un objectif spécifique aux Industries culturelles et créatives, pour un montant estimé à près d'un milliard d'euros. La démarche est très proche de celle des différents PIA.
Pour l'heure, le projet le plus emblématique est celui de « Fabrique de l'Image » pour 350 millions d'euros, qui a pour objectif de mettre un terme aux « goulets d'étranglement » de la production cinématographique et audiovisuelle.
Je crois que nous pouvons nous féliciter de l'ampleur des moyens comme de la reconnaissance des industries culturelles et créatives au plus haut niveau de l'État.
Il est cependant essentiel que les parlementaires que nous sommes gardions un oeil sur le déroulé de programmes et sur leur impact réel.
Mes chers collègues, comme vous l'avez compris, nous pouvons porter un regard optimiste sur les industries culturelles, même si la vigilance demeure de mise, je pense notamment à la question des auteurs, à la BnF et aux perspectives du CNM.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Livre et industries culturelles » pour 2023.
Mme Céline Brulin . - Je déplore l'insuffisante prise en compte de l'inflation et des conséquences de la crise énergétique. Nous avons su faire face durant la crise pandémique mais la réponse ne me parait cette fois-ci pas au niveau. Ainsi, la BnF est dans une situation complexe, plus encore que l'année précédente, qui se traduit déjà par des mouvements sociaux et les plaintes des usagers. Sur la musique, nous devrions avoir un vrai débat sur le financement du CNM qui pourrait passer par une taxe sur les plateformes ou sur la publicité. Suite à la table ronde sur les jeux vidéos, je regrette le manque d'évaluation du crédit d'impôt. Il me semble qu'il pourrait être soumis à des critères comme le respect des conditions de travail ou bien l'éthique des jeux eux-mêmes. A la lumière de ces éléments, le groupe CRCE ne votera pas ces crédits.
Mme Laure Darcos . - La situation entre les auteurs et les éditeurs est effectivement très tendue et me préoccupe beaucoup. Le point de départ de la situation actuelle est le rapport de Bruno Racine remis en 2021 et la volonté de la précédente ministre de la culture de trouver une solution aux statuts des auteurs en nommant un médiateur. Or le dialogue est aujourd'hui dans une impasse, notamment sur la question des rémunérations. Le contrat qui lie auteurs et éditeurs est de nature privé. Il nous est donc difficile d'intervenir. Je sais que le ministère est de son côté très conscient de la difficulté mais manque pour l'instant d'idées pour en sortir. Je tiens par ailleurs à faire état de ma déception sur l'application de la loi relative à l'économie du livre. L'arrêté pris pour la fixation des frais de port par le gouvernement, sur proposition de l'Arcep, constitue à mes yeux un ralliement au modèle d'Amazon et une forme de trahison.
Enfin, sur la taxe streaming, je crois que nous ne sommes pas encore prêts. Il nous faudra par contre surveiller les débats au Sénat pour la préservation des crédits d'impôt. Pour toutes ces raisons, le groupe LR suivra l'avis du rapporteur.
M. Pierre-Antoine Levi . - Le livre continue de bien se porter, malgré un léger repli des ventes après une année 2021 exceptionnelle en librairie. L'industrie du livre fait plus que résister : le niveau des ventes reste sensiblement supérieur à celui de 2019. L'actualité du secteur est marquée par la mise en oeuvre de la loi du 30 décembre 2021 visant à conforter l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs.
Du côté de l'industrie phonographique, c'est également une bonne nouvelle, avec une cinquième année d'affilée de croissance en 2021 avec une progression de 14,3 %. À l'inverse, le spectacle vivant ne s'est pas totalement remis du choc qu'a représenté la pandémie.
Dans ce contexte, on peut saluer au moins une mesure nouvelle en crédits budgétaires qu'est le lancement du portail national de l'édition accessible.
Le Centre national du livre semble doté des moyens financiers et juridiques d'accomplir ses missions : il est doté d'un nouveau contrat d'objectifs et de performance pour la période 2022-2026 qui a pour objectif de rééquilibrer les missions du centre, centrées jusqu'à présent sur le soutien économique à la filière, en ajoutant l'objectif de développement du soutien à la lecture. Un point a été soulevé par la Cour des comptes : il pourrait être judicieux que le CNL accompagne la mise en place d'un outil permettant une remontée des ventes réelles de livres.
La situation de la Bibliothèque national de France est à surveiller car l'établissement doit faire face à de nouvelles missions à plafonds d'emploi constant, comme la réouverture du site Richelieu, la création du musée et le développement du dépôt légal numérique. L'impasse budgétaire liée à l'inflation va conduire la BnF à repousser des investissements importants. L'établissement a été conduit à diminuer drastiquement ses dépenses d'investissement et ce freinage se poursuivra en 2023.
Nous espérons que les principaux investissements ne seront pas trop ralentis (création du centre de conservation d'Amiens, sécurisation de l'esplanade du site de Tolbiac et renouvellement du système SSI de Tolbiac).
Pour voir un peu plus loin, le Centre national de la musique continue de soulever de vives interrogations. L'accompagnement de la filière musicale par cette institution impose une réflexion approfondie quant à ses missions et aux financements supplémentaires éventuellement nécessaires pour que le CNM puisse les remplir. Le CNM a soutenu efficacement la filière durant la crise sanitaire. Mais les ressources qui lui seront allouées seront-elles suffisantes en 2023 ? Elles sont inférieures à ce qui avait été envisagé au moment de la création de l'établissement. Nous attendons le résultat de la mission de notre collègue Julien Bargeton pour pérenniser son financement.
Pour ce qui concerne le secteur du jeu vidéo, le fonds d'aide aux jeux vidéo (FAJV) joue un rôle clef pour le soutien à l'écriture, la préproduction et la production des entreprises de création. Politiquement et économiquement, il est nécessaire que le Gouvernement réaffirme son soutien à la filière.
Compte tenu de ces éléments, le groupe de l'Union centriste se ralliera à l'avis favorable proposé par le rapporteur.
Mme Sylvie Robert . - J'abonde dans le sens des fortes inquiétudes relayées par mes collègues sur les conséquences pour les établissements culturels de la crise énergétique et de l'inflation, qui pèsent massivement sur les coûts de fonctionnement. Je suis également inquiète sur le CNM dont le président nous a indiqué manquer de 20 M€ pour cette année. Peut-être cela appelle-t-il à une première réponse rapide. Je me félicite cependant des crédits de 1 M€ pour l'acheminement des livres en outre-mer.
Mme Monique de Marco . - Je trouve les propos du rapporteur extrêmement optimistes. Pour ma part, je remarque le léger tassement des ventes de livres ainsi que la baisse de fréquentation des bibliothèques. La situation de la BnF doit également recueillir toute notre attention. En tout état de cause, notre groupe ne votera pas les crédits alloués au Livre et aux industries culturelles.
M. Jean-Raymond Hugonet . - Sur la musique enregistrée, le rapport que j'avais présenté devant vous prévoyait déjà les difficultés d'aujourd'hui. Il y a un déséquilibre au sein du CNM entre spectacle vivant et musique enregistrée. L'écosystème de la musique est fragile et je souhaite que les auteurs-compositeurs qui sont au centre de la création ne soient pas oubliés. En un mot, il faut moins d'administration et plus de stratégie politique.
M. Pierre Ouzoulias . - Je partage pleinement les propos de Laure Darcos sur la loi du 30 décembre 2021. J'estime que l'arrêté du gouvernement sur les montants de frais de port viole ouvertement l'esprit de la loi et je regrette que nous manquions de moyens pour le contester.
M. Julien Bargeton, rapporteur pour avis . - Les préoccupations sur l'inflation ont été entendues au moins partiellement. Elles sont communes à beaucoup de secteurs de l'économie. La BnF, par exemple, voit ses crédits progresser de 8 M€ en 2023, ce qui n'est malgré tout, pas négligeable. Je suis cependant bien conscient que ce sujet doit faire l'objet de toute notre attention. Comme Laure Darcos, je regrette l'absence d'accord entre auteurs et éditeurs. Sur la question des frais de port, nous parlons bien de l'esprit de la loi, le texte étant respecté. Cela dit, nous pourrons peut-être aller plus loin une fois le dispositif établi. Sur le CNM je crois nécessaire de s'intéresser tout d'abord aux besoins de la filière et à la stratégie à mettre en oeuvre avant d'aborder la question des moyens. Sur ce sujet, il est prématuré de se prononcer ou de fermer des portes. Enfin, je regrette également la baisse de fréquentation des bibliothèques ; elle me parait devoir être mise en parallèle avec le cinéma et le théâtre. Il est nécessaire pour l'ensemble des secteurs culturels de redonner le goût de fréquenter ces lieux à nos concitoyens.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 334 « Livre et industries culturelles », au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2023.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Jeudi 6 octobre 2022
- Syndicat national de l'édition (SNE) : M. Vincent MONTAGNE , président.
- Bibliothèque nationale de France (BnF) : Mme Laurence ENGEL , présidente, MM. Kevin RIFFAULT , directeur général, et Nicolas FEAU , conseiller auprès de la Présidente.
Jeudi 13 octobre 2022
- Syndicat de la librairie française (SLF) : Mme Anne MARTELLE , présidente, M. Guillaume HUSSON , délégué général.
ANNEXE
Audition de Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture
MARDI 25 OCTOBRE 2022
M. Laurent Lafon , président . - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture, pour la traditionnelle audition budgétaire d'automne.
Madame la ministre, votre été a certainement été très chargé, tant les défis que traverse le monde de la culture sont nombreux. Comme vous le savez, notre commission a toujours su nouer des relations de travail particulièrement productives avec vos prédécesseurs, et vos premiers pas en juin me paraissent s'inscrire dans cette atmosphère confiante, mais respectueuse de nos singularités et de nos rôles respectifs.
Je le redis donc, vous nous trouverez toujours à vos côtés pour avancer sur les sujets qui nous tiennent à coeur - et ils sont nombreux. Vous pouvez aussi compter sur nous pour vous alerter sur certaines problématiques, comme l'ont montré, je crois, les travaux de contrôle réalisés par nos rapporteurs au cours des mois écoulés.
Revenons-en aux multiples défis du monde de la culture et aux politiques engagées par votre ministère pour y répondre.
L'irrigation territoriale constitue l'un des axes forts de votre budget, que ce soit en matière de patrimoine ou de création. Le rapport de nos collègues Anne Ventalon et Pierre Ouzoulias sur le patrimoine religieux a mis en évidence les besoins importants des collectivités pour entretenir et restaurer ce patrimoine. Au-delà d'aides financières, elles attendent également de l'État un accompagnement technique. Vous nous direz dans quelle mesure le budget pour 2023 permet éventuellement de répondre à ces attentes.
Nous avons noté avec satisfaction la création d'un fonds d'innovation territoriale, très largement inspiré des propositions de Sonia de La Provôté et de Sylvie Robert, dans le cadre de leur rapport sur le plan de relance en matière de création. Elles appelaient de leurs voeux des outils offrant plus de place à la coconstruction avec les collectivités territoriales. Peut-être pourrez-vous nous en dire plus sur le type et le nombre d'actions que ce fonds a vocation à financer, et pour quel montant.
Que ce soit en matière de création ou d'industries culturelles, au sens large, le soutien de l'État a permis à tous les secteurs d'être préservés durant la crise pandémique. Il faut saluer ici l'engagement des pouvoirs publics qui, très rapidement, ont mobilisé des moyens conséquents pour défendre la création, indemniser les cinémas, soutenir la musique et préserver la presse.
Je le dis d'autant plus que ce choix n'a pas été celui de tous les pays, certains ayant littéralement laissé « couler » leur création.
Vous avez en particulier mis en avant la reconquête de notre souveraineté culturelle, avec un milliard d'euros prévus pour les industries culturelles et créatives d'ici 2030, suivant des modalités que vous pourrez peut-être également nous préciser.
Je salue bien entendu ces ambitions, mais je note qu'elles ne répondent pas entièrement aux inquiétudes du moment : je parle bien entendu des conséquences du choc d'inflation actuel, qui plonge les acteurs dans un désarroi assez proche de celui qui était le leur pendant la crise pandémique.
À titre d'exemple, le rapport de Michel Laugier sur la presse quotidienne régionale, publié en juillet dernier, a démontré l'impact sur toute la filière de la hausse des prix du papier, aujourd'hui évaluée à près de 200 millions d'euros, à la charge d'un secteur en crise depuis plus de 10 ans.
Je n'oublie pas les établissements publics, comme la Bibliothèque nationale de France (BnF) ou l'Agence France-Presse (AFP), qui vont devoir composer avec ce contexte inflationniste, ce qui pèsera certainement sur leurs capacités à investir. Je pense aussi à tout notre réseau d'écoles - écoles d'architecture, écoles d'art, conservatoires -, qui sont en grave difficulté pour boucler leurs budgets.
Je veux également enfin mentionner le Centre national de la musique (CNM), auquel nous avons consacré une très riche table ronde la semaine dernière. Vous avez choisi de confier une mission au sénateur Julien Bargeton, ce qui est une reconnaissance de son travail, mais aussi de celui de l'ensemble de la commission sur ce sujet. Pour autant, des interrogations ont été émises sur la capacité du CNM à assurer ses missions en 2023 avec des moyens redevenus modestes.
En un mot, le secteur de la création et nos industries culturelles ont été préservés pendant la crise. Il serait dommage qu'elles succombent faute de soutien aujourd'hui.
S'agissant de l'audiovisuel public, la réforme de la gouvernance de ces entreprises figurait au programme de travail de vos prédécesseurs. Un projet de loi, largement inspiré des travaux de notre commission, a été abandonné en cours de route. Faute de réforme de la gouvernance, les mutualisations entre les différentes entreprises sont restées embryonnaires, tandis que la réduction des coûts qui aurait été permise par un regroupement se fait toujours attendre.
Un rapport rédigé au printemps par notre collègue Jean-Raymond Hugonet et notre collègue de la commission des finances Roger Karoutchi a réaffirmé la nécessité de reprendre ce processus de rapprochement qui, dans notre esprit, est inséparable de la question de la redéfinition des missions et des moyens.
Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que l'absence d'avancée sur la gouvernance s'accompagne de mesures transitoires sur le financement. Le projet de loi de finances prévoit une hausse d'un peu plus de 3 % des crédits à 3,81 milliards d'euros.
Cette hausse des crédits est inégalement répartie puisqu'elle bénéficie essentiellement à Radio France et France Médias Monde. J'observe que cette hausse des crédits est relative, puisqu'elle vise aussi à compenser les effets de la suppression de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) en juillet dernier, qui a eu pour conséquence de soumettre ces entreprises à la taxe sur les salaires, ce qui n'avait pas été explicité lors du débat sur le projet de loi de finances rectificative.
Nous examinerons prochainement les avenants aux contrats d'objectifs et de moyens (COM) des différentes entreprises, qui ont pour objet de préciser la feuille de route telle que définie par l'actionnaire.
Le choix de prolonger les COM d'un an sans définir une véritable vision de long terme, comme les incertitudes qui entourent l'avenir du financement de l'audiovisuel public après 2024, crée un contexte particulier qui nous interpelle.
Alors que l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) doit renouveler les mandats des présidentes de Radio France et de France Médias Monde au début de l'année prochaine, sur la base des projets des candidats, force est de constater qu'une fois de plus ces projets ne pourront prendre en compte la trajectoire financière des entreprises pour les années à venir ni les priorités définies par l'État pour le reste du quinquennat.
Nous avons maintes fois regretté cette gouvernance déficiente de l'audiovisuel public, dont vous n'êtes pas responsable, madame la ministre. C'est la raison pour laquelle nous vous réitérons notre disponibilité pour y apporter des réponses, qui devront être d'autant plus ambitieuses que le temps pour les adopter aura été conséquent.
Madame la ministre, je vais donc vous donner la parole pour un propos liminaire. Nos rapporteurs, puis l'ensemble des sénateurs et des sénatrices qui le souhaiteront, vous interrogeront ensuite sur l'ensemble des crédits budgétaires dont vous avez la maîtrise.
Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture . - Je suis ravie d'être parmi vous ce soir pour parler de ce budget de la culture et des médias, un budget historique et au total en hausse de 7 %, soit 4,2 milliards d'euros pour la partie culture et 3,8 milliards d'euros pour l'audiovisuel public. Nous y reviendrons.
À cela s'ajoutent les taxes et les ressources affectées pour le financement du cinéma, de la musique, du théâtre privé, soit environ 770 millions d'euros. N'oublions pas les crédits d'impôt multiples, qui apportent au total 2 milliards d'euros de soutien à l'ensemble de l'écosystème de la culture. Quant au loto du patrimoine, qui permet d'injecter, en complément de notre budget, 20 millions d'euros par an environ pour soutenir des sites en partie protégés, non classés et non inscrits un peu partout sur le territoire. Ceci représente un total de 11 milliards d'euros dans le périmètre du ministère de la culture en 2023, soit 527 millions d'euros de plus qu'en 2022.
Ce budget nous permet de faire face aux défis du présent et de préparer l'avenir. Il reflète un certain nombre de priorités, pour beaucoup d'entre elles inspirées, comme vous l'avez dit, Monsieur le président, de vos travaux et de nos échanges. C'est en tout cas un budget qui, même si cela ne se voit pas dans toutes les lignes, permet l'irrigation territoriale à tous les niveaux, qu'il s'agisse de patrimoine, de création, de lecture publique, de soutien aux entreprises culturelles, ou de soutien aux radios associatives, qui sont partout sur le territoire. J'insiste particulièrement sur le déploiement territorial de notre action et du budget.
Ce budget prend à bras-le-corps l'enjeu de la transition écologique et le défi de très court terme du choc que représente la hausse des coûts de l'énergie pour les établissements les plus fragiles, les plus impactés, qui sont de réelles passoires thermiques - il en reste malheureusement beaucoup. Ce budget permet de disposer d'une enveloppe d'environ 56 millions d'euros pour soutenir ces établissements.
Je veux insister sur les investissements que nous déployons à plus long terme pour accompagner les acteurs culturels dans leur transition écologique. Notre budget d'investissement s'élèvera à 663 millions d'euros en 2023. 66 millions d'euros d'augmentation vont permettre en priorité de flécher des travaux de rénovation, d'isolation thermique et d'amélioration des performances énergétiques. Un budget supplémentaire également dédié au Centre national de la musique, à hauteur de 900 000 euros, est spécifiquement consacré à la transition écologique de la filière musicale.
Ce budget protège et valorise le patrimoine, avec 1,1 milliard d'euros, soit une hausse de 87 millions d'euros afin de maintenir la dynamique très forte qu'avait permise le plan de relance. Cette somme se répartit entre les cathédrales, leur sécurisation, le fonds incitatif pour le patrimoine, l'archéologie et les fouilles programmées, avec une série de rénovations prioritaires, comme l'abbaye de Clairvaux, la cité de Carcassonne, les tours de La Rochelle, etc.
Ce budget amplifie par ailleurs notre politique d'éducation artistique à l'école, via le pass Culture, qui se déploie au collège dès la 4 e . Une partie du budget relève d'ailleurs de l'éducation nationale. Nous sommes à 24 millions d'euros supplémentaires, avec un focus particulier sur la lecture auquel j'ai tenu, un soutien aux bibliothèques, aux livres accessibles pour les personnes en situation de handicap accompagné par la création d'une plateforme dédiée, un soutien aux librairies, à des manifestations littéraires, à la distribution des livres pour pallier les difficultés d'acheminement, notamment outre-mer.
Ce budget tient également ses promesses pour garantir le pluralisme des médias et l'accès à une information fiable, libre, indépendante. Je l'avais dit devant vous, dans l'hémicycle : la suppression de la redevance ne signifie pas la suppression du budget de l'audiovisuel public, loin de là. Nous avons compensé, comme nous l'avions dit, les effets fiscaux à l'euro près, mais aussi intégré une grande part de l'inflation estimée pour 2023 par la Banque de France, soit un total de 114,4 millions d'euros de budget supplémentaires pour l'audiovisuel public, qui atteint ainsi 3,8 milliards d'euros.
Un budget supplémentaire est prévu pour la presse. Nous avons travaillé avec cette filière sur la réforme de la distribution, prioritaire après le rapport Giannesini, afin d'aller vers plus de portage et moins de postage.
Cette réforme est accompagnée à hauteur de 17 millions d'euros. Notre fonds de soutien à l'expression radiophonique locale augmente par ailleurs d'environ 2 millions d'euros afin de soutenir toutes les radios qui oeuvrent sur l'ensemble du territoire.
Ce budget renforce aussi la création française et les métiers d'art. Il porte la voix de la France dans le monde numérique. Il existe, dans le cadre de France 2030, comme le président Lafon l'a indiqué, une prévision de budget d'un milliard d'euros qui va nous permettre de porter des projets de développement d'infrastructures de tournage, de postproduction, de formation des futurs talents créatifs ou techniques. Ceci va également nous permettre de déployer les nouvelles technologies de l'immersif au service de la culture et du lien entre la culture physique et la culture numérique.
C'est ainsi que 48 millions d'euros viennent en soutien à ce que j'ai appelé notre « souveraineté culturelle dans les mondes physique et numérique », avec le dispositif Mondes nouveaux, la création de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts, ainsi qu'un plan dédié aux métiers d'art, qui permettra de donner à ce secteur une ambition nouvelle à partir de 2023.
Ce budget est aussi le reflet des compétences renforcées des 29 000 agents qui travaillent au sein du ministère. Ils font vivre ce ministère au quotidien, notamment en matière de moyens humains destinés au patrimoine et à l'archéologie. Les architectes des Bâtiments de France (ABF) sont tous les jours aux côtés des collectivités.
La masse salariale du ministère augmente de 38,5 millions d'euros, pour s'établir à 532 millions d'euros. Nous avons consacré 11 millions d'euros à la poursuite du plan de rattrapage indemnitaire, notamment en direction des architectes urbanistes de l'État et des conservateurs du patrimoine avec le financement d'une prime pour les enseignants-chercheurs des Écoles nationales supérieures d'architecture, et avons augmenté la rémunération des contractuels.
Grâce à ce budget, nous allons pouvoir poursuivre la réforme indemnitaire des agents de l'Institut national des recherches archéologiques préventives (INRAP).
Nous prenons évidemment en compte la hausse des 3,5 % de la valeur du point d'indice, qui représente environ 14 millions d'euros. Nous pourrons y revenir.
Il est également important de rappeler l'importance de nos établissements d'enseignement supérieur artistique, qui accueillent 37 000 étudiants en formation. Ils constituent la relève de la création artistique. Je pense notamment aux architectes. Nous comptons en effet près de 20 000 étudiants en école d'architecture et avons donc mis l'accent sur ces écoles dans le budget 2023, où les constats se révélaient assez alarmants depuis quelques années. Nous avons prévu d'attribuer plus de bourses et de revaloriser le cadre des enseignants, d'investir pour améliorer la performance énergétique des bâtiments, avec une enveloppe supplémentaire de 13 millions d'euros.
Ce budget nous permet de consolider la résilience, qui a été possible pour notre secteur culturel après la crise sanitaire qui l'a impacté, et de se projeter dans l'avenir pour penser l'innovation, la création et former la jeunesse à devenir le public de demain.
Comme lors de ma dernière audition, je conclurai mon propos liminaire par un extrait d'un poème de Federico García Lorca intitulé Chants nouveaux .
« Le soir a dit : "Je suis altéré d'ombre !".
La lune a dit : "Moi, d'étoiles brillantes".
La source cristalline veut des lèvres
Et des soupirs le vent.
Mais moi, j'ai soif de parfums et de rires,
J'ai soif de chants nouveaux
Sans lune et sans lys
Et sans amours défuntes,
Soif d'un chant matinal
Qui troublerait les eaux dormantes
De l'avenir, emplissant d'espérance
Leurs ondes et leurs fanges. »
Ce chant qui va emplir l'avenir d'espérance, encore et toujours, c'est celui de la culture !
M. Jean-Raymond Hugonet , rapporteur pour avis sur les crédits de l'audiovisuel public . - L'audiovisuel public voit ses crédits augmenter de 3 %. Cette hausse ne concerne pas l'ensemble des sociétés de la même façon : les crédits de France Télévisions sont stables à + 1 %, ceux de Radio France et de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) augmentent modérément, tandis que ceux d'Arte France et de France Médias Monde connaissent une avancée significative de près de 10 %, ce qui est à souligner.
Quelles raisons expliquent cette distinction opérée entre les entreprises, et comment France Télévisions et l'INA, qui sont parmi les moins favorisés par ce budget, vont-ils faire face à la hausse de l'inflation et à l'assujettissement à la taxe sur les salaires ?
Vous avez par ailleurs choisi de reporter la définition de nouveaux COM à 2024, les avenants aux COM qui nous seront prochainement transmis ne portant que sur l'année 2023. Or l'Arcom devra désigner dès 2023 les présidents de Radio France et de France Médias Monde sur la base du projet stratégique établi par les différents candidats. Comment ces candidats peuvent-ils construire un projet stratégique sans connaître la trajectoire financière pluriannuelle des entreprises qu'ils dirigent ? Comment l'Arcom peut-elle choisir des candidats sur un projet si ce projet est en réalité virtuel ?
N'est-il pas temps, enfin, de réformer la gouvernance des entreprises de l'audiovisuel public, dont on voit une nouvelle fois qu'elle n'est pas cohérente ?
M. Michel Laugier , rapporteur pour avis sur les crédits de la presse . -J'ai publié en juillet un rapport complet, adopté d'ailleurs à l'unanimité par cette commission, sur la presse quotidienne régionale. Il souligne le formidable défi que constitue pour le secteur la hausse des prix du papier. Le projet de loi de finances ne contient cependant aucune mesure spécifique.
Dans le même temps, les 150 millions d'euros que devait coûter sur trois ans le crédit d'impôt premier abonnement, et sur lequel le Gouvernement avait amplement communiqué, a été plus ou moins noyé dans les sables, puis supprimé.
Ne pensez-vous pas qu'il y aurait une justice à réorienter au moins une partie de ces fonds pour aider le secteur à traverser cette crise, même si j'ai vu qu'un amendement a été déposé au sein de la commission de la culture de l'Assemblée nationale ? Je trouve que le montant n'est pas à la hauteur des enjeux, et je crains beaucoup que cet amendement ne survive pas à la navette parlementaire.
Dans mon rapport, je recommandais également de faire évoluer la législation sur CITEO, qui engendre un coût de 22 millions d'euros. Pouvez-vous me dire si la Commission européenne a bien été saisie ou s'il est envisagé de faire sortir la filière papier du régime très contraignant de responsabilité élargie du producteur ? Je rappelle que nous sommes le seul pays européen à avoir fait ce choix.
Comme chaque année, la loi de finances est la triste occasion de constater les difficultés toujours redoutables de la distribution de la presse. Je pense bien entendu à l'opérateur France Messagerie. Ne pensez-vous pas qu'il serait temps de remettre à plat tout le système et de rebâtir un schéma réaliste, qui tiendrait compte de l'attrition inévitable de la vente papier des quotidiens nationaux ?
Enfin, permettez-moi de citer un auteur que vous aimez bien, Khalil Gibran : « Vous êtes bon lorsque vous marchez fermement vers votre but d'un pas intrépide. Pourtant vous n'êtes pas mauvais lorsque vous y allez en boitant. Même ceux qui boitent ne vont pas en arrière ».
M. Julien Bargeton , rapporteur pour avis sur les crédits du livre et des industries culturelles . - La crise du papier pèse beaucoup sur le budget des maisons d'édition indépendantes, qui ne possèdent pas de stock de papier. Comment les aider à faire face à cette hausse ?
Par ailleurs, les librairies indépendantes vont retrouver à peu près les mêmes ventes qu'avant la crise et à peu près la même part de marché, autour de 20 %. Quel bilan peut-on tirer du programme lancé par l'État sur l'aide à la modernisation des librairies et sur d'autres programmes en direction du livre ? Je pense au programme « Jeunes en librairie ».
Enfin, une question au nom de mon groupe : le rapport de la Cour des comptes du 6 octobre sur la cathédrale Notre-Dame de Paris indique que les conditions sont réunies pour rouvrir cet édifice dans les délais impartis, avec un budget maîtrisé. Partagez-vous cette appréciation de la Cour des comptes ?
M. Jérémy Bacchi , rapporteur pour avis sur les crédits du cinéma . - Madame la ministre, une partie de la profession a appelé, le 6 octobre dernier, lors d'un colloque à l'Institut du monde arabe (IMA), à des « Etats généraux du cinéma ». Quel accueil réservez-vous à cette demande et comment expliquez-vous la tonalité, parfois très alarmistes, d'une partie de la presse sur le cinéma, tonalité qui, je le précise, n'est pas unanimement partagée par la profession ?
Par ailleurs, le 4 octobre dernier, le Centre national du cinéma (CNC) a réuni les parties prenantes de la chronologie des médias pour un tour de table sur la dernière version, signée le 24 janvier. À cette occasion, il est apparu que plusieurs acteurs, dont Disney, contestent la chronologie des médias, en particulier concernant l'exclusivité accordée aux chaînes gratuites au bout de 22 mois. Ces chaînes se sont elles-mêmes exprimées sous forme d'une tribune, parue le 28 septembre dans le journal Le Monde , dont je citerai simplement le titre : « Nous sommes responsables de télévisions gratuites. Demandons aux pouvoirs publics de ne pas céder aux diktats des plateformes payantes ». Pensez-vous qu'il soit encore nécessaire de revenir sur cette chronologie ?
Enfin, une étude du CNC, rendue publique à l'occasion du Festival de Cannes, en mai 2022, a essayé de savoir pourquoi les Français vont moins souvent au cinéma. Deux points ont retenu mon attention. Le premier concerne le prix du billet, sachant qu'il est en réalité de 7 euros en moyenne. Le deuxième point touche au manque d'attractivité des films.
Ce deuxième sujet a été très largement débattu, de manière souvent passionnée, avec des propos définitifs, comme ceux du président de Pathé, Jérôme Seydoux, sur France Inter, le 13 octobre dernier : « Les gens ne veulent pas aller au cinéma pour se faire chier » ! On est très loin de la poésie, et je vous prie de m'en excuser. Comment vous situez-vous dans ce débat ?
Mme Sabine Drexler , rapporteur pour avis sur les crédits des patrimoines . - Les réglementations thermiques qui résultent de la loi Climat et résilience nécessitent d'identifier et de rénover les biens énergivores. Ces nouvelles règles, notamment le diagnostic de performance énergétique (DPE), s'avèrent dramatiques pour le patrimoine bâti, qu'il s'agisse de celui qui fait l'objet de protection ou du petit patrimoine de nos régions, comme nos maisons à pans de bois ou en pierres.
En effet, les modalités du DPE ne tiennent aucun compte de la valeur patrimoniale des biens. Les mêmes calculs et les mêmes préconisations s'appliquent aux bâtiments construits entre 1948 et le premier choc pétrolier - qui sont les plus énergivores - et à ceux construits auparavant, notamment les maisons anciennes, qui ont des qualités d'isolation propres, liées à leur orientation, aux matériaux utilisés pour leur construction et surtout à leur inertie, qui leur permet, globalement, d'obtenir des performances énergétiques tout à fait acceptables.
Ces normes d'isolation préconisées sans nuance sont une véritable aubaine pour les professionnels de l'isolation, qui n'hésitent pas à étouffer des architectures remarquables sous des plaques de polystyrène, sans tenir compte de leurs caractéristiques hygrothermiques.
C'est également une aubaine pour les constructeurs qui rachètent, au prix du terrain, des maisons inhabitées et dégradées qui, faute de pouvoir être louées, finiront démolies et remplacées par des constructions neuves, dans le cadre de la mise en oeuvre du plan Zéro artificialisation nette (ZAN). Alors que celui-ci pourrait être une opportunité pour la réhabilitation et la réaffectation du patrimoine bâti, on obtient l'effet inverse, et force est de constater que, dans la perspective de ces mesures, bon nombre de maisons ont déjà fait les frais de ce que certains qualifient de malentendu réglementaire.
Dans ce contexte, quelles sont les mesures envisagées par votre ministère pour contribuer à la préservation du bâti ancien, celui qui confère à notre pays l'identité qui est la sienne et qui contribue à l'attractivité touristique et au dynamisme économique de nos régions ? Compte tenu de l'urgence, comment allez-vous mettre fin à l'application de ces mesures et stopper cette hécatombe ?
Ma deuxième question concerne les services du patrimoine au niveau déconcentré. La meilleure manière de préserver et de sauvegarder le patrimoine, c'est de l'entretenir et de le restaurer. Or ce type de travaux nécessite une expertise dont nos collectivités, en particulier les plus petites, ne disposent pas, pas plus d'ailleurs que les propriétaires privés. L'absence d'aide à la maîtrise d'ouvrage est un handicap qui conduit certains à renoncer à leur projet et, paradoxalement, à la non-consommation des crédits affectés au patrimoine, alors même que l'urgence des travaux est avérée.
L'an dernier déjà, la Cour des comptes et le Sénat pointaient du doigt le manque de moyens humains des directions régionales de l'action culturelle (DRAC) et des unités départementales de l'architecture et du patrimoine (UDAP). Les ABF, en nombre insuffisant, ne sont plus en mesure de remplir leur mission de conseil et sont, de ce fait, souvent mal perçus, notamment par les particuliers, qui ne comprennent pas toujours le sens de leurs préconisations.
Quelles sont les perspectives en termes d'effectifs des services déconcentrés de l'État ? Quels moyens envisagez-vous de mettre en oeuvre pour permettre à ces personnels de mieux remplir leur mission de conseil ?
Mme Sylvie Robert , rapporteure pour avis sur les crédits C réation, transmission des savoirs et démocratisation de la culture . - Je tiens tout d'abord à me féliciter de la hausse du budget de la culture, même si des inquiétudes demeurent - et je voudrais en exprimer quelques-unes.
La première concerne les difficultés que pourraient rencontrer les évènements et manifestations culturelles pour se tenir à travers le territoire pendant la période des Jeux olympiques de Paris 2024. Je vous avoue que les propos du ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin, que nous avons auditionné plus tôt dans l'après-midi, ne m'ont pas rassurée. Je voudrais que vous nous garantissiez une anticipation interministérielle afin que cette période ne se traduise pas par une saison blanche pour les festivals et qu'aucune décision ne soit prise sans concertation avec les élus et les porteurs de projets.
Je pense qu'il faut différencier Paris et l'Île-de-France du reste des territoires, où il serait dramatique que l'été reste silencieux du fait des JO, comme en 2020, en pleine crise sanitaire. Ma deuxième question a trait à l'augmentation des factures énergétiques. Les critères du bouclier énergétique vous paraissent-ils adaptés au secteur de la création ? Les intermittents du spectacle sont-ils comptabilisés dans le plafond du critère salarial de dix salariés ? La référence au niveau de consommation énergétique de 2021 ne pourrait-elle pas être adaptée, dans la mesure où elle n'apparait pas du tout adaptée aux lieux culturels, qui ont peu consommé cette année-là, ayant été maintenus fermés jusqu'au mois de mai ? Troisièmement, s'agissant du fonds d'innovation territoriale, avez-vous fixé des priorités aux DRAC ? Je pense ici au secteur rural, mais il peut y en avoir d'autres.
Pensez-vous par ailleurs contractualiser avec les collectivités territoriales afin d'éviter la baisse des subventions dans le contexte de crise actuelle ?
Enfin, concernant les arts visuels, disposez-vous d'un bilan chiffré de Mondes nouveaux ? J'ai entendu dire, lors de mes auditions, que la plupart des projets auraient été produits par les mêmes agences d'Île-de-France.
M. Vincent Éblé , rapporteur spécial des crédits de la culture . - Madame la ministre, la situation dans laquelle se trouvent les acteurs et les institutions de la culture, au lendemain d'une crise assez durable est très perturbante pour la conduite des activités culturelles. Beaucoup de compagnies, d'institutions ou de musées se sont trouvés précarisés et sont en grandes difficultés. Les moins soutenus par l'action publique, je veux parler des acteurs privés, doivent parfois réduire leur activité, voire l'interrompre.
L'année 2023 se place sous le triple signe de l'inflation, de la hausse du coût de l'énergie et du retour parfois très partiel du public dans les lieux d'art et de culture. La progression de 7 %, dont vous vous félicitez - il est vrai qu'on ne la trouve pas dans tous les segments de l'action publique -, est à peine supérieure à celle de l'inflation attendue. Ce n'est donc pas une perspective rassurante.
Par ailleurs, il me semble que votre parcours et votre identité font que vous vous intéressez à la question de la présence française à l'international. L'action culturelle internationale est une question déterminante, car si la France est évidemment influente par son économie et sa diplomatie, elle l'est aussi et ô combien par sa présence culturelle dans de très nombreuses régions du monde. De ce point de vue, les crédits portés par le secrétariat général de votre ministère augmentent de 0,7 million d'euros, sur un budget d'environ 7 millions d'euros. Ce n'est pas une fraction négligeable, mais cela ne va pas totalement bouleverser la donne. Quelles sont donc vos priorités en matière d'action culturelle internationale, et quelle est la philosophie de votre action dans ce domaine ?
Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture . - Concernant l'audiovisuel public, je remercie M. Hugonet pour ses interventions récurrentes pour soutenir l'audiovisuel et les réformes destinées à s'adapter aux enjeux de demain.
Les COM ont été effectivement prolongés d'un an, sauf pour Arte, qui bénéficie de deux ans afin de s'aligner avec nos amis Allemands. Il s'agit d'un avenant technique pour le COM 2023. Je le dis toujours, ce sont d'abord les missions, les objectifs, les enjeux, la vision d'avenir dont on doit discuter avant de commencer à parler dans le détail de la trajectoire pour les années qui viennent. J'espère donc que les candidates et les candidats pour France Médias Monde et Radio France sont bien dans cet état d'esprit.
On le sait, dans la discussion avec l'État actionnaire, les entreprises demandent souvent des moyens supplémentaires. C'est ensuite en fonction des priorités qu'elles affichent, des réformes qu'elles souhaitent mener, des synergies qu'elles peuvent développer ensemble qu'on peut travailler avec elles sur le budget.
La répartition des dotations de cette hausse de 114 millions d'euros s'est faite en totale concertation avec les groupes de l'audiovisuel public, en partant de leur plan d'affaires. Nous avons également voulu tenir compte d'enjeux importants sur l'audiovisuel extérieur, et France Télévisions reçoit un supplément de 24 millions d'euros. On a tenu compte à chaque fois des effets fiscaux afin de les neutraliser et du glissement des dépenses en matière de masse salariale pour en prendre une grande partie. Un travail assez fin a été réalisé jusqu'à la dernière minute avec chacun. Il me semble que le résultat est assez consensuel.
Concernant la presse, je remercie le sénateur Laugier de nous rappeler cet enjeu vital pour notre démocratie. On peut se réjouir des 377 millions d'euros qui ont été distribués pendant le plan de relance afin d'accompagner la transition numérique de la presse et la transition écologique. Un fonds de résorption de la précarité pour les journalistes a également été créé. Ce plan de filière a été déterminant. On engage à présent une réforme de la distribution, bien que nous soyons percutés par la flambée du coût du papier. Les entreprises ont déjà accès au bouclier tarifaire « de droit commun », même si la flambée du coût du papier vient s'ajouter aux hausses du prix du gaz et de l'électricité. Énormément de secteurs sont impactés par l'inflation. Avec Bruno Le Maire, nous allons voir comment mieux accompagner ce secteur.
L'écocontribution est effectivement un enjeu crucial. Deux pistes sont possibles : soit monter à nouveau au créneau auprès de la Commission européenne, soit sortir la presse de ce régime de responsabilité élargie du producteur. Le ministère de la culture est en train d'avancer sur ces deux hypothèses. Nous pourrons vous en dire plus très bientôt.
Je rejoins aussi l'inquiétude du sénateur Bargeton concernant les maisons d'édition. Il n'y a pas que la presse à être impactée par le coût du papier. Les maisons d'édition sont amenées à faire des choix, à imprimer avec des polices plus petites, voire à renoncer à certains ouvrages, ce qui peut être préoccupant. Nous allons étudier les choses au cas par cas avec le Centre national du livre (CNL), qui soutient notamment les petits éditeurs.
Les grosses maisons d'édition sont, me semble-t-il, en bonne santé. Même si elles sont impactées par le coût du papier, elles ne vivent pas la même situation que la filière presse. Les années 2020 et 2021 ont été relativement exceptionnelles. L'année 2022 l'est moins, c'est vrai, depuis la guerre en Ukraine. On sent un fléchissement depuis le mois de mars, mais la rentrée littéraire a été très forte. Le prix Nobel reçu par Annie Ernaux, dont on peut être très fier, dope les ventes de Gallimard et vient aider nos libraires. C'est donc tout l'écosystème qui est ainsi soutenu.
Le plan de relance prévoit de nombreuses aides pour les librairies pour réaliser, en plus du pass Culture, comme l'opération Jeunes en librairie, entreprise en Nouvelle-Aquitaine sur le long terme, que nous avons étendue à plusieurs régions. Je n'ai pas le bilan précis sous les yeux, mais je vous le transmettrai dès que possible.
Merci d'avoir rappelé que la Cour des comptes s'est penchée avec précision sur le chantier de la cathédrale Notre-Dame de Paris et a salué une gestion visiblement impeccable, les délais ayant pour l'instant été tenus par rapport aux prévisions. Je ne peux que me réjouir de ces conclusions de la Cour, et renouveler ma confiance au général Georgelin, qui mène ce chantier de main de maître.
Monsieur le sénateur Bacchi, merci de me donner l'occasion d'insister ici sur tout ce que nous mettons en oeuvre pour soutenir le secteur du cinéma, face à une baisse de fréquentation préoccupante. Il en va de même pour le spectacle vivant. Pour le cinéma, nous sommes en moyenne entre 25 % et 28 % de baisse. Un quart du public n'est pas revenu dans les salles depuis le Covid, mais la situation est quand même bien meilleure en France que dans les autres pays : - 60 % de fréquentation en Italie, - moins 40 % en Espagne, - 40 % en Allemagne pour ne citer que ces trois exemples.
Notre écosystème a mieux résisté. Les Français sont plus cinéphiles, et c'est une bonne nouvelle, même si ce n'est pas suffisant pour la vitalité de notre industrie. À court terme, nous avons décidé de soutenir une campagne de communication à hauteur d'un million d'euros. Le slogan d'une campagne d'affichage qui va débuter demain, affirme : « On a tous une bonne raison d'aller au cinéma. Et vous, quelle est la vôtre ? ». Il s'agit de faire rêver les Français et leur redonner envie de voir les films sur grand écran, ce qui est sans commune mesure avec le fait de regarder un film chez soi, sur tablette ou ordinateur.
Les raisons de cette baisse de fréquentation sont multiples. La première résulte de la perte d'habitude entraînée par le confinement et le couvre-feu, ce que j'appelle la « plateformisation » de nos vies. De nouvelles habitudes ont été prises. Le tarif moyen, en France, vous l'avez rappelé, est de 7 euros. En Allemagne, il est de 8,90 euros. Le prix n'est donc pas si élevé en France. Il existe énormément de tarifs réduits dans les salles de cinéma, mais la perception du coût persiste. Un effort reste à faire pour rappeler l'ensemble des tarifs réduits disponibles.
Par ailleurs, le changement d'habitude dû au télétravail explique peut-être aussi le fait qu'on ressorte moins facilement, notamment pour aller au cinéma. Le public est également plus exigeant - sans reprendre la formule de M. Seydoux. On demande aux oeuvres plus de qualité et d'originalité. Les films français sont d'une grande diversité, d'une grande originalité et d'une grande singularité. Novembre , Simone , L'innocent sont des films qui démarrent très bien. Nos concitoyens ont donc l'embarras du choix pour les vacances de la Toussaint.
Je préfère ce discours volontariste et optimiste - sans compter toutes les aides que nous continuons à déployer. Pendant la crise sanitaire, elles s'élevaient à 300 millions d'euros, dont 220 millions d'euros uniquement pour les salles, et nous poursuivons ces efforts.
Je me tourne vers la sénatrice Drexler s'agissant des sujets qu'elle a soulevés à propos de la conciliation nécessaire entre patrimoine, énergies renouvelables, transition écologique et isolation thermique. Il me faudrait plusieurs heures pour y travailler avec vous, mais je vois bien à quoi vous faites allusion.
Nous sommes en train de travailler par exemple sur le photovoltaïque avec le ministère de la transition énergétique, afin de rédiger une instruction ministérielle pour permettre aux ABF d'évaluer plus précisément dans quel cas installer des panneaux photovoltaïques. Des innovations portent sur les nouveaux types de panneaux qui peuvent être pris en compte.
Sur chaque sujet, qu'il s'agisse des fenêtres, des différentes formes d'isolation ou du photovoltaïque, on bénéficie d'une expertise des architectes des Bâtiments de France, l'enjeu étant de ne pas avoir d'installations trop disparates qui abîment le patrimoine. On doit pouvoir concilier les deux.
Merci à Sylvie Robert d'avoir évoqué le sujet des festivals et, plus globalement, l'inquiétude qui plane autour de l'inflation et de l'augmentation du coût de l'énergie.
Les jeux Olympiques constituent une formidable opportunité pour la France. C'est aussi l'occasion de construire un projet culturel ambitieux. Nous avons décidé, avec Amélie Oudéa-Castéra et le Comité des jeux Olympiques, de lancer les Olympiades culturelles. Elles ont déjà démarré et vont se poursuivre jusqu'à mi-2024. Le budget 2023 prévoit d'ailleurs 3 millions d'euros pour ce faire. Le Comité des jeux Olympiques prévoit lui-même, avec Dominique Hervieu comme directrice artistique, ancienne directrice de la Maison de la danse de Lyon, un programme assez ambitieux de concerts et d'événements, qui vont nécessiter des installations techniques, des forces de sécurité. S'ajoutent les festivals habituels qui font l'ADN de la France culturelle de l'été.
Il est très important de prendre en compte l'impact, en France, des Jeux sur les festivals, notamment en termes d'organisation technique. Certains m'alertent sur des pénuries de matériel et des locations déjà bloquées pour les jeux Olympiques et Paralympiques. Quelques sociétés de sécurité privées sont déjà réservées pour les jeux. Il y a là une pression sur nos festivals, et je vais tenter de trouver des solutions.
Concernant la hausse des factures énergétiques, nous disposons dans le budget 2023 d'une enveloppe de 56 millions d'euros, destinée à accompagner les cas les plus critiques, à savoir ceux dont les bâtiments sont des passoires thermiques absolues et, en priorité, les établissements nationaux, qui ne sont soutenus que par l'État. Nous maintenons néanmoins partout nos subventions, avec même des hausses au cas par cas, selon les régions, même là où on enregistre des baisses de certaines collectivités. Nous essayons de venir en aide à des structures comme la Villa Gillet, à Lyon, par exemple, dont nous avons augmenté la subvention qui a été drastiquement amputée par le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes. Nous ne pouvons pas, toutefois, compenser partout les baisses des collectivités. C'est un vrai sujet.
Vous avez évoqué le bilan de Mondes nouveaux. Je crains qu'il existe une confusion. On dénombre trois catégories de projets, ceux qui ont lieu dans les monuments relevant du Centre des monuments nationaux, ceux qui ont lieu dans les sites naturels du Conservatoire du littoral et ceux situés dans d'autres types de lieux - un Ehpad, une cour d'école, une université, une place publique etc. Certains projets nécessitaient qu'une agence accompagne les artistes dans la production de leur projet. Certains sont très jeunes et n'ont pas la capacité à s'en charger. Ces agences de production sont basées à Paris, mais le budget de Mondes nouveaux s'adresse aux 264 projets qui ont été retenus partout en France et permet de soutenir 450 artistes.
En Bretagne, par exemple, 34 projets sont soutenus. Dans les Hauts-de-France, on en compte 21, 14 en Nouvelle-Aquitaine, 35 en Provence-Alpes-Côte d'Azur. On en trouve outremer également : 12 en Martinique, 6 à la Réunion, 6 en Guadeloupe, 4 en Guyane, etc. Il existe même un projet à Mayotte, alors qu'on avait du mal à en trouver. La répartition est assez équitable entre les disciplines artistiques.
Ce qui est intéressant, c'est la mobilisation de collectifs. 26 % des projets sont en fait pluridisciplinaires et portés par des collectifs. Beaucoup de jeunes artistes ont proposé des projets à cheval sur plusieurs disciplines : la danse et l'architecture, le design et la musique, etc., qui se répartissent de manière très équilibrée entre les arts visuels, le spectacle vivant, l'écriture, la littérature, etc.
Enfin, le sénateur Éblé, rapporteur spécial, a affirmé que la hausse du budget ne couvrait pas l'inflation. L'inflation sur laquelle nous nous sommes basés est celle estimée par la Banque de France, soit 4 2 % pour 2023. Avec un budget en hausse de 7 %, on est bien au-dessus.
L'enjeu de la langue française et de l'action française à l'international est très important pour moi. Nous le portons avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui chapeaute le réseau culturel français à l'étranger et partage avec nous la tutelle de l'Institut français, qui déploie cette action. Dans notre budget 2023, nous mettons l'accent sur plusieurs points : je tiens beaucoup au réseau des librairies francophones, qui sont absolument vitales pour continuer à diffuser le livre en langue française. J'ai ainsi débloqué une aide de 500 000 euros à quatre librairies qui allaient faire faillite au Liban, au Brésil et au Mali. Nous allons continuer notre soutien aux librairies francophones via le Centre national du livre. Le soutien à la distribution du livre se fait aussi via la Centrale de l'édition. On a ajouté un million d'euros pour l'international et pour l'outre-mer.
Le soutien à la traduction et aux projets littéraires passe notamment par un nouveau programme issu du sommet des Deux Rives, dénommé Livres des deux rives, qui relie la France et les pays du Maghreb en soutenant des projets littéraires, des éditions en langue française et des traductions.
Le projet de Villers-Cotterêts va évidemment nous mobiliser dans les prochains mois. Son ouverture au public est prévue au printemps 2023. Cette cité internationale de la langue française au coeur des Hauts-de-France, dans le département de l'Aisne, sera créée dans l'ancien château de François 1 er , dans la ville où Alexandre Dumas vit le jour. Cette terre de littérature va pouvoir accueillir des artistes, des écrivains du monde francophone et du monde entier. Des projets vont y être déployés avec des associations locales en matière d'apprentissage du français, avec l'aide d'entreprises françaises en pointe en matière de technologies de la langue et de la traduction. C'est un bien beau projet pour la langue française.
Mme Else Joseph . - Je constate que les festivals, à la suite à la crise sanitaire, ont fait preuve d'une incroyable vitalité dans le cadre de la reprise des activités culturelles. Ils figurent parmi les premiers diffuseurs de la culture dans les territoires et jouent un rôle essentiel dans l'écosystème culturel.
Le groupe d'études « art de la scène, de la rue et des festivals en régions », dont je suis membre, salue le travail amorcé avec les trois actes des états généraux des festivals pour réaffirmer le rôle de l'État et sa politique à destination des festivals. La mise en place d'un nouveau fonds festival est une bonne nouvelle, même si sa dotation de 10 millions d'euros par an, qui est annoncée jusqu'en 2024, reste insuffisante pour couvrir les besoins des 7 300 festivals cartographiés.
Quelle est la prochaine étape concernant l'évolution de cette politique publique ? De nouvelles priorités devraient-elles être définies à court et moyen termes ? L'État entend-il débloquer de nouveaux moyens budgétaires pour accompagner les festivals ?
Par ailleurs, s'agissant des crédits du plan de relance consacré au patrimoine, si le rapport que nous avions rédigé avec Olivier Paccaud avait donné acte au Gouvernement des efforts majoritairement tournés vers le patrimoine national, la France dispose néanmoins d'un autre patrimoine qui appartient à des acteurs qui consacrent de nombreux moyens à son entretien. Qu'est-il prévu pour les monuments n'appartenant pas à l'État, qu'il s'agisse de monuments relevant de propriétaires privés ou de collectivités locales ?
M. Pierre Ouzoulias . - Madame la ministre, plusieurs des questions que je souhaitais poser ont déjà été évoquées, notamment par Sabine Drexler, au sujet du rôle des DRAC dans l'accompagnement des collectivités. Le président Lafon a cité le rapport d'Anne Ventalon et de votre serviteur sur les édifices religieux, qui met en lumière un certain nombre de phénomènes et, surtout, le fait que les maires ne savent comment mobiliser les services de l'État et les financements nécessaires pour rénover leur patrimoine.
Ceci pose la question plus générale de l'action décentralisée de l'État. Avec Anne Ventalon, nous nous sommes aperçus qu'on trouve aujourd'hui autant de politiques d'inventaire que de régions, les compétences étant décentralisées. Toutefois, la somme de ces politiques régionales ne fait pas une politique nationale. Certains domaines, comme celui des synagogues alsaciennes, par exemple, que nous avons signalé dans notre rapport, mériteraient toute l'attention de l'État, faute de quoi ce patrimoine va disparaître. Il témoigne pourtant de ce qu'a été le judaïsme dans le Haut-Rhin, qui est constitutif de notre identité. C'est important de le répéter : si on ne fait rien, ces synagogues vont être vendues et transformées, et il n'existera plus aucune trace de cette culture en Alsace, notamment dans le Haut-Rhin. Il est donc nécessaire que le ministère de la culture définisse de grands axes.
S'agissant de l'archéologie, je ne peux presque rien ajouter, puisque c'est la première fois qu'elle est autant citée dans un discours ministériel. Toutefois, pour ce qui est de l'INRAP, l'effet ciseau peut être redoutable. L'INRAP subit, comme tous les opérateurs, la hausse des prix de l'énergie et l'inflation, mais le plan de relance a par ailleurs amené une demande beaucoup plus forte de diagnostics, que l'INRAP ne peut réaliser avec ses moyens. L'Institut souhaiterait donc, de façon temporaire, notamment concernant ces demandes de diagnostics supplémentaires, pouvoir dépasser son plafond d'emplois, le risque étant qu'on se retrouve de nouveau face à un conflit entre les collectivités et l'Institut. Ce dernier, faute de moyens financiers, ne pourra en effet réaliser les diagnostics et les fouilles.
Vous avez cité Federico García Lorca. « Dieu le fracas que fait un poète qu'on tue » a dit Aragon. J'en viens à l'Europe de la culture et à Giorgia Meloni. La filiation est malheureusement directe. Le parti Fratelli d'Italia a dit de façon très claire qu'il fallait une culture d'État, que la culture devait se mettre au service du récit national et qu'on pourrait remplacer des fonctionnaires qui ne respecteraient pas cette règle. Ce qui pourrait s'apparenter à un art officiel ou au réalisme soviétique est en train de se mettre en place en Europe. C'est une forme de totalitarisme culturel insupportable.
Vous me permettrez de citer Antonio Gramsci pour finir. Mme Meloni se réclame de Mussolini. Gramsci a payé de sa vie son indépendance d'esprit. Je le cite : « Se connaître soi-même signifie être maître de soi, se différencier, se dégager du chaos, être un élément d'ordre, mais un élément de son ordre propre et de sa propre discipline à l'égard d'un idéal. Et tout ceci ne peut s'obtenir sans connaître aussi les autres, leur histoire, la succession des efforts qu'ils ont faits pour être ce qu'ils sont, pour créer la civilisation qu'ils ont créée. »
Mme Catherine Morin-Desailly . - Je tiens à vous féliciter car vous êtes l'un des rares ministres de la culture qui parle enfin, lors d'une audition budgétaire, de l'action extérieure de l'État et, en tout cas, de la politique culturelle à l'étranger.
Je trouve cela très important. Notre commission vote ces crédits, tout comme la commission des affaires étrangères, mais rares ont été les occasions de dialoguer en direct avec le ou la ministre de la culture sur cette politique, également liée à notre politique nationale. Les ensembles que nous accompagnons, à travers les compagnies ou l'Institut français, oeuvrent aussi sur le territoire national, et il y a forcément des connexions et des stratégies à développer. Les propos que vous avez tenus m'ont donc intéressée.
Ma question porte sur les enseignements artistiques. Je vous ai entendu à deux reprises parler devant notre commission de l'éducation artistique et culturelle. Je ne vous ai toutefois pas entendue au sujet de l'enseignement artistique. Quelle différence faites-vous entre les deux terminologies, et quelle réalité recouvrent-elles en termes de politique publique ?
Si j'évoque cette question, c'est pour vous alerter une nouvelle fois sur le devenir de nos écoles d'art et de nos conservatoires, préoccupation que partagent plusieurs collègues de cette commission. Il ne saurait y avoir d'éducation artistique sans enseignement artistique si l'on veut doter nombre de nos jeunes concitoyennes et concitoyens d'une formation technique. Ce sont en effet les enseignements artistiques qui permettront, par la suite, le déploiement de l'éducation artistique et culturelle et fournissent à la fois nos troupes, nos orchestres, nos scènes, nos salles, lieux de vie que nos jeunes concitoyennes et concitoyens sont amenés à fréquenter.
Ces établissements sont en très grande souffrance depuis pratiquement vingt ans. Rares sont les ministres de la culture qui se sont préoccupés de leur sort, je le dis comme je le pense - et je ne suis pas la seule ici. On a vu disparaître complètement les budgets dédiés aux conservatoires, puis être rétablis quelques années après, mais de façon incomplète. Ces établissements, pour lesquels agissent les collectivités - principalement les communes et les intercommunalités - se voient bloqués parce que les lois de décentralisation ne sont pas accompagnées par le ministère.
Si on doit reparler de décentralisation - j'ai entendu que Mme Borne était très allante sur ce sujet -, il va bien falloir reparler de la décentralisation des enseignements artistiques, et que le ministère de la culture soit partie prenante avec les collectivités territoriales.
Des directrices et des directeurs démissionnent ou abandonnent le métier. Ces établissements sont souvent considérés comme des établissements élitistes : on confond excellence et élitisme ! Ils ont su évoluer pour se doter de missions complémentaires et s'ouvrir sur la cité. Ce sont des pôles de ressources pour des territoires de référence. Ils méritent donc vraiment d'être accompagnés et de connaître une évolution si l'on veut assurer leur devenir.
Jette-t-on un regard sur ces établissements dans cette loi de finances, qui en ont bien besoin et qui comptent certainement sur vous, madame la ministre, alors que vous venez de prendre vos fonctions ?
M. Laurent Lafon , président . - Je souhaiterais vous poser deux questions en lieu et place de Sonia de La Provôté.
La première question concerne les écoles nationales d'architecture. Outre le contexte qui accroît la contrainte budgétaire des établissements, les politiques publiques en matière de développement durable, dont le défi thermique, ont un impact croissant sur le métier d'architecte. Ce métier est d'ailleurs vital dans le cadre de la lutte contre le changement climatique.
Avez-vous prévu un plan de développement de l'enseignement supérieur et de la recherche en architecture ? L'échange au niveau interministériel entre les ministères chargés de l'écologie, du logement, des territoires et le vôtre fonctionne-t-il suffisamment pour co-construire ce plan ?
Par ailleurs, le déséquilibre dans la répartition des crédits consacrés au patrimoine entre Paris et l'Île-de-France et les autres villes et régions s'accentue cette année - je cite Sonia de La Provôté. Même si l'effet de levier des crédits de l'État en régions est sans commune mesure, dès lors que les collectivités participent également au financement, est-il légitime que l'approche et l'accompagnement du ministère soient si déséquilibrés ?
M. David Assouline . - Il est rare que j'aie à le faire - même si je vais ensuite pondérer mon propos -, mais je voudrais saluer, dans un contexte difficile, l'augmentation de 7 % que vous annoncez. On voit que vous savez négocier les budgets. Vous avez occupé des fonctions où vous arbitriez plutôt la baisse. Vous êtes maintenant obligée de monter au front pour obtenir plus, et vous savez le faire.
J'ai dû, sous un Gouvernement que je soutenais pourtant, m'insurger à propos du fait qu'on puisse baisser les crédits de ce secteur. Je suis donc plutôt satisfait, mais je veux vous mettre en garde à propos de la façon dont vous présentez les choses, car cela peut nous faire baisser la garde. Avec une inflation à 4,2 %, l'augmentation de 7 % revient à un peu plus de 2 %. En effet, l'inflation sera peut-être plus importante que prévu, et la hausse du coût de l'énergie va s'additionner. Or les factures sont énormes dans certains secteurs qui consomment beaucoup d'énergie. Au moins n'y aura-t-il pas de baisse.
En second lieu, on trouve malheureusement des secteurs qui augmentent et d'autres qui stagnent, sans qu'on comprenne pourquoi. Je suis d'accord avec le rapporteur des crédits de l'audiovisuel public - c'est rare ! -, qui a raison de dire que France Télévisions, qui a subi pendant plusieurs années des baisses budgétaires, stagne aujourd'hui, l'augmentation de 1 % se situant en dessous de l'inflation. Il s'agit d'une baisse dans les faits. Je passe sur les coûts de l'énergie supportés par France Télévisions, qui consomme beaucoup d'électricité pour réaliser ses programmes. Dans tous les secteurs, la ventilation est inégale.
Par ailleurs, si vous avez tenu parole sur le fait que la redevance est compensée à l'euro près - et même plus -, vous ne nous avez toujours pas rassurés sur la pérennité de ce financement.
Enfin, la commission d'enquête sur la concentration des médias en France, dont j'étais rapporteur, que M. Lafon présidait, a de manière consensuelle établi que la ventilation des aides à la presse ne convenait pas. Vous nous parlez de volumes, mais nous attendons une réforme pour faire en sorte que ceux qui ont les moyens et qui touchent le plus touchent moins, et que tous les petits et les nouveaux médias puissent recevoir l'aide qu'ils n'ont pas aujourd'hui. On aimerait donc une refonte plus juste, indépendamment du montant global, car c'est ce qui est aujourd'hui attendu.
M. Bernard Fialaire . - Je voudrais saluer à la fois l'augmentation du budget et les grandes priorités que vous avez fixées à votre ministère, mais j'aimerais néanmoins obtenir quelques éclaircissements sur deux points.
Je salue le fait que vous vouliez attirer de nouveaux publics dans les lieux culturels, et en particulier les jeunes. On sait toutefois que les jeunes ont une utilisation excessive des écrans - les réseaux sociaux, majoritairement TikTok, mais aussi les jeux vidéo -, qu'on nous présente comme une activité culturelle, mais qui ne peut être la seule et qui entraîne une addiction et une sédentarité grandissantes qui ont de vrais retentissements sur la santé physique et psychique des enfants.
Que souhaitez-vous faire concrètement pour que les jeunes puissent bouger un peu plus, aillent assister à des spectacles vivants, reviennent à la lecture et visitent des lieux de culture ? Vous avez évoqué des Olympiades de la culture. Comment comptez-vous associer les ministères des sports et de l'éducation pour sortir les jeunes de ces addictions ?
En second lieu, vous avez dit vouloir garantir la fiabilité de l'information. Selon un sondage du Cevipof, seuls 29 % des sondés déclarent avoir confiance dans les médias. Quelle piste envisagez-vous pour garantir que l'information dispensée par nos médias soit vérifiée, fiable et redonne confiance à nos concitoyens ? C'est un enjeu important de la démocratie et de la société dans laquelle nous vivons. Pensez-vous que des réflexions sur une déontologie des médias mais aussi des journalistes puissent être envisagées ?
Mme Marie-Pierre Monier . - Madame la ministre, la stagnation des crédits en faveur des musées territoriaux se poursuit cette année. Elle s'inscrit dans un contexte de forte inflation qui interroge alors que, dans le même temps, les crédits destinés aux musées nationaux sont en hausse de 5 %. Merci de veiller à irriguer la culture dans nos territoires, au-delà des grands musées nationaux.
Le budget évoque une reprise de la fréquentation des institutions patrimoniales cette année, après deux ans de crise sanitaire. Cette reprise est-elle homogène sur l'ensemble du territoire français ?
Par ailleurs, on constate une stagnation des crédits prévus pour les études et travaux des sites patrimoniaux remarquables (SPR), qui sont reconduits à 8,9 millions d'euros depuis 2018. Pourquoi cette enveloppe n'a-t-elle pas évolué ?
L'année 2022 a connu une hausse budgétaire au profit des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) et du réseau Villes et d'art et d'histoire, qui sont maintenus à 6,5 millions d'euros, comme en 2022, ce qui constitue une baisse réelle compte tenu de l'inflation. Nous sommes pourtant nombreux à être très attachés au rôle des CAUE, dont nous souhaiterions une présence dans tous les départements. Ils apportent une aide précieuse aux maires des petites communes, qui font régulièrement appel à eux pour leurs projets patrimoniaux.
Par ailleurs, lors d'une audition préparatoire à l'examen du projet de loi de finances, le président de l'association des DRAC de France nous a alertés sur le manque d'attractivité des professions en leur sein, qui conduit à laisser des postes vacants, notamment dans les territoires, entraînant en conséquence une surcharge de travail pour les personnels en place. Cette dynamique risque encore de s'aggraver au vu d'une démographie actuellement plutôt âgée. On nous a parlé de douze postes ouverts, dont seulement quatre sortis de Chaillot. Quelles sont les pistes envisagées par le ministère pour répondre à ce déficit d'attractivité ?
Enfin, depuis que la maîtrise d'ouvrage des travaux sur les monuments a été rendue aux propriétaires, il est prévu par le code du patrimoine que les DRAC puissent apporter une assistance à maîtrise d'ouvrage à titre onéreux ou gratuit. Or le récent rapport de la Cour des comptes, intitulé « La politique de l'État en faveur du patrimoine monumental » établit que cette disposition a eu très peu d'effets. Seules trois DRAC - Bretagne, Hauts-de-France et Pays de Loire - ont mis en place une offre qui demeure marginale. Ce rapport souligne les limites d'initiatives portées par d'autres acteurs, à l'instar des départements. Au regard de ce tableau, une évolution du cadre et des effectifs associés aux DRAC est-elle envisagée ?
Mme Monique de Marco . - Madame la ministre, les salles de concerts, comme de nombreuses entreprises, sont frappées de plein fouet par la crise énergétique et la hausse des factures. Le syndicat des musiques actuelles a lancé une enquête auprès de ses adhérents sur le sujet. Les premiers résultats indiquent que les salles font face, par rapport à 2021, à une hausse de plus de 100 % de leurs factures énergétiques et de 87 % de leurs factures de gaz.
Le problème vient du fait que ces entreprises sont en dehors des dispositifs d'aide. Pour rappel, il en existe aujourd'hui deux. Le premier réside dans le bouclier tarifaire, qui limite à 15 % d'augmentation les factures des entreprises de moins dix salariés faisant moins de 2 millions d'euros de chiffre d'affaires. Or les seuils, quand on compte les salariés à temps complet et les intérimaires, sont souvent inférieurs à dix salariés.
Le deuxième problème vient de l'aide spécifique pour les entreprises qui consomment plus de 3 % de leur chiffre d'affaires. On sait que le Gouvernement compte revoir ces dispositifs pour inclure plus d'entreprises, mais j'attire votre attention sur cette question, afin que les salles de concert ne soient pas oubliées.
Par ailleurs, vous annoncez un plan d'investissement d'un milliard d'euros pour les industries culturelles et créatives, notamment les technologies du métavers. Il me semble que se pose une question d'intérêt public, et qu'il faut distinguer les expériences culturelles - réalité virtuelle, réalité augmentée - des opérations spéculatives, telles que l'arrivée des systèmes NFT et des cryptomonnaies sur le marché de l'art. Le plan d'investissement d'un milliard d'euros permettra-t-il de soutenir aussi le développement de ces NFT ?
M. Max Brisson . - Vous avez annoncé que le budget de la culture était en augmentation forte, et nous nous en sommes tous réjouis. Cette hausse, comme vous nous l'avez indiqué, concerne particulièrement le patrimoine culturel de l'État, qui compte plusieurs grands projets. Vous avez largement parlé du château de Villers-Cotterêts, au sujet duquel notre commission, vous le savez, a eu l'occasion d'émettre un certain nombre de réserves à propos du projet muséal, dont nous avons souligné le côté hors-sol quelque peu surprenant à l'heure de la sobriété. Qu'en est-il de la trajectoire financière du chantier, de ses éventuels dépassements et de l'état de son exécution ? Ne pensez-vous pas que ce projet est facteur de déséquilibre face au soutien que nécessiterait notre réseau de centres culturels et d'instituts à travers le monde, qui crient souvent misère ?
Par ailleurs, notre commission est très attentive à la circulation des biens culturels et à la préservation de l'intégrité des collections nationales. Avec Catherine Morin-Desailly et Pierre Ouzoulias, nous avons proposé à votre prédécesseur un cadre permettant de fonder cette politique, qui a souvent pris des tournures déplaisantes. Le Président de la République a annoncé lui-même une loi-cadre depuis le musée du Quai Branly - Jacques Chirac, lors du départ du trésor d'Abomey vers le Bénin : où en sommes-nous de ce projet de loi annoncé par le Président de la République ?
Mme Béatrice Gosselin . - Depuis son origine, le dispositif Malraux vise à contribuer à la conservation du petit patrimoine historique dans les quartiers anciens et dégradés des villes. C'est un outil très précieux dans le cadre des politiques de revitalisation des centres-bourgs et centres-villes, d'autant qu'il peut permettre à votre ministère de vous assurer que la préservation du patrimoine soit prise en compte lors de ces opérations de revitalisation.
L'Inspection générale des finances (IGF), ainsi que l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) avaient rendu en décembre 2018 un rapport préconisant l'adaptation du dispositif Malraux pour une contribution plus efficace à la restauration des centres-bourgs et des centres-villes. De nombreuses associations de sauvegarde du patrimoine ont fait des propositions, comme l'augmentation du crédit d'impôt pour les bâtiments dans lesquels les loyers ne peuvent être très élevés, ou encore une extension pour les propriétaires occupants. Des discussions ont-elles été engagées au niveau interministériel pour faire évoluer ce dispositif ? Enfin, quelle est la position du ministère de la culture à ce sujet ?
M. Lucien Stanzione . - Je souhaiterais que vous puissiez revenir sur la question de la hausse des coûts de l'énergie et des fluides. Qu'allez-vous entreprendre par rapport à la vague qui arrive ?
En second lieu, sans anticiper le travail que va faire notre collègue Bargeton sur le CNM, comment pensez-vous faire en sorte que les majors cotisent ce qu'elles devraient cotiser, ce qui n'est pas le cas en ce moment, semble-t-il ?
Concernant la sortie de la crise sanitaire, un nombre important de petits et moyens festivals sont en train de fermer parce qu'ils n'atteignent pas des niveaux de fréquentation suffisants pour couvrir la hausse de leurs dépenses. Avez-vous un plan dans ce cadre ?
Par ailleurs, certains opérateurs de spectacle se produisent dans des locaux mis à leur disposition par les collectivités territoriales. Or l'effet de l'augmentation du prix de l'énergie et des fluides va se répercuter sur les collectivités. Quelle est la position du ministère ? Y aura-t-il une aide au niveau des opérateurs de spectacles ou des collectivités pour éviter les fermetures de salles ? Face à l'évolution salutaire des salaires et de la masse salariale et au surcoût des prix de l'énergie et des fluides, comment souhaitez-vous venir en aide au secteur ?
Enfin, du fait des jeux Olympiques de 2024, une grande quantité de techniciens, d'éclairagistes, de manutentionnaires et de personnels de sécurité sont d'ores et déjà mobilisés partout en France. Quels dispositifs allez-vous pouvoir mettre au point pour l'ensemble des festivals, en particulier les plus gros ? En tant que régional de l'étape, je plaiderai bien sûr pour celui d'Avignon !
Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture . - Mon premier bloc de réponses portera sur le patrimoine. Je sens une certaine confusion par rapport à vote perception centralisée de notre politique du patrimoine, alors que tel n'est pas le cas. Le montant des budgets alloués à la protection des monuments historiques concerne l'Île-de-France à seulement 9 %, contre 91 % partout ailleurs. Le plan relatif aux cathédrales consacre ainsi 4 % à l'Île-de-France et 96 % aux autres régions. Notre politique du patrimoine est donc totalement territoriale.
Je rappelle l'existence du fonds incitatif pour le patrimoine que nous avons créé avec les régions, qui permet de soutenir davantage, avec les collectivités, le patrimoine de proximité - sans compter le loto du patrimoine qui permet aussi d'aider les sites non protégés.
C'est depuis la loi de 2004 qu'existe la séparation entre la responsabilité de l'État sur le patrimoine protégé, inscrit, classé, et le patrimoine qui ne l'est pas. Ainsi, la majorité des églises relèvent des collectivités. C'est un partage qui a été fait dans la loi. On peut évidemment y déroger au cas par cas, ou via le loto du patrimoine, soutenir le patrimoine des communes et des propriétaires privés, mais refonder complètement la répartition entre l'État et les collectivités constituerait un énorme chantier, la France comptant 40 000 à 50 000 monuments historiques.
Je n'ai pas été très précise dans mes réponses concernant les effectifs, mais le budget 2023 offre un certain nombre de réponses. Les effectifs déconcentrés dans le domaine du patrimoine représentent 2 400 équivalents temps plein (ETP). C'est un énorme moteur pour les agents du ministère. Un effort est fait pour réduire les vacances de postes, avec plusieurs concours pour les services des DRAC. 101 postes de nouveaux agents, techniciens et ingénieurs vont pouvoir être ventilés entre les UDAP, en soutien aux architectes des Bâtiments de France, et auprès des conservateurs régionaux des monuments historiques (CRMH). Tout cela va permettre de soutenir l'activité de maîtrise d'ouvrage et d'assistance aux propriétaires.
Concernant le patrimoine religieux, je ne pourrai jamais être aussi éloquente que le rapport d'Anne Ventalon et de Pierre Ouzoulias. Une grande partie des restaurations des monuments historiques que nous soutenons est dédiée au patrimoine religieux. Cela représente environ 100 millions d'euros par an sur le budget des DRAC, soit 82 % des projets des années passées. 576 projets ont été menés à bien entre 2018 et 2021. Environ un quart des projets liés au loto du patrimoine concernent le patrimoine religieux.
Je suis d'accord avec vous sur la nécessité de préserver les synagogues. Le loto du patrimoine permet régulièrement de soutenir toute la diversité du patrimoine religieux. Je pense ici à la synagogue de Verdun. Les synagogues d'Alsace constituent un sujet assez spécifique sur lequel nous devons nous pencher de manière prioritaire, vous avez raison. Nous sommes en train de recruter un nouveau ou une nouvelle responsable pour la DRAC Grand Est. Dès que cette personne sera arrivée, nous devrions entamer une campagne de protection spécifique pour protéger les synagogues les plus emblématiques. Nous vous associerons bien sûr à ces travaux.
Vous avez par ailleurs mentionné le dispositif Malraux. Il s'agit d'une réduction d'impôt sur le revenu en faveur des dépenses effectuées en vue de la restauration complète d'un immeuble bâti, pour lequel une demande de permis de construire ou une déclaration préalable de travaux a été déposée. Le taux de réduction d'impôt est compris entre 22 % et 30 %, sous certaines conditions. Le PLF 2023 ne comporte pas de modifications de ce dispositif. Nous cherchons simplement à le rendre plus efficient pour notre patrimoine - et plus lisible.
Quant à Villers-Cotterêts, je suis un peu surprise, monsieur le sénateur Brisson. On ne peut, d'une part, nous demander de mieux soutenir le patrimoine abandonné ou en déshérence dans les collectivités hors Île-de-France et, d'autre part, nous reprocher de sauver ce château magnifique de François 1 er , qui était dans un état désastreux et abandonné depuis des dizaines d'années.
M. Max Brisson . - Je n'ai pas dit cela !
Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture . - Vous avez émis des réserves et avez trouvé surprenant que nous nous occupions de ce chantier à l'heure de la sobriété...
M. Max Brisson . - Je parlais du projet muséal. Ne me faites pas de procès d'intention !
Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture . - Tant mieux ! Quoi qu'il en soit, le projet muséal avance bien. Quatre commissaires de grand talent travaillent sur le parcours permanent de visite, Barbara Cassin, académicienne, Xavier North, qui dirigeait le département de la langue française au ministère de la culture, Zeev Gourarier, qui dirigeait les collections du Mucem et Hassane Kouyaté, qui dirige le festival des Francophonies de Limoges. C'est ce quatuor qui pense le parcours de la partie muséale, mais le château de Villers-Cotterêts ne constitue pas un musée. Ce sera une cité, un lieu de résidence avec une douzaine de studios, un auditorium qui accueillera des concerts, des films. Ce sera un lieu vivant pour toutes les disciplines, où les activités associatives et éducatives vont pouvoir se déployer.
C'est en tout cas un projet qui n'a rien de hors-sol, qui est construit avec un grand réseau de partenaires de la francophonie, d'associations locales et d'établissements scolaires. À chaque journée du patrimoine, j'ai l'occasion de voir à quel point cela suscite l'engouement au niveau local. Une maison du chantier permet de faire vivre celui-ci auprès de la population. Un camion des langues de France s'est également déplacé dans les Hauts-de-France. Je serai ravie d'inviter la commission à visiter le chantier avant l'ouverture, si cela vous intéresse. Je pense qu'il est nécessaire de voir sur place. Je suis sûre que vous serez convaincus !
Concernant l'éducation artistique, l'enseignement artistique et tous les enjeux que nous partageons pour la jeunesse, vos interventions montrent à quel point vous avez raison et combien il est important que les jeunes pratiquent l'art et la culture. Il ne s'agit pas de faire d'eux des « consommateurs », entre guillemets, qui vont acheter des billets pour assister à des spectacles ou visiter des musées, mais les amener à être des protagonistes, des acteurs de la vie culturelle et leur permettre de s'essayer à la musique, à l'art, à la danse, au théâtre, voire d'en faire leur métier s'ils le souhaitent plus tard.
C'est ce que permet aujourd'hui de plus en plus le pass Culture, qu'on a voulu transformer afin de permettre aux jeunes d'acheter des instruments de musique ou de prendre des cours. Cette dimension sera très importante dans le pass collectif au collège et au lycée, afin que les enseignants puissent non seulement réaliser des sorties scolaires, invitent des auteurs, des musiciens, et permettent la pratique en classe de manière plus libre que dans certains cours de musique ou d'arts plastiques.
Quant aux établissements d'enseignement, il en existe de deux sortes, les conservatoires à rayonnement régional financés par l'État et tous ceux qui relèvent des collectivités. Vous le savez, madame Morin-Desailly, on compte 1 500 structures d'enseignement artistique spécialisé au total. C'est un réseau gigantesque. C'est une très bonne nouvelle pour notre pays, mais la répartition est assez subtile. J'ai moi-même travaillé en collectivité auprès de Bertrand Delanoë, qui était très attaché à l'enjeu du développement des conservatoires. Je connais donc bien le sujet. L'État ne peut totalement se substituer aux collectivités pour ce qui est des conservatoires municipaux de musique.
Reste la prise en compte du développement des autres établissements classés par l'État, qui sont environ 382. J'ai insisté, lors de la présentation du budget, sur les établissements supérieurs d'enseignement artistique, pour lesquels l'aide aux étudiants les plus en difficulté est prioritaire, afin de soutenir plus particulièrement les écoles d'architecture, où l'enjeu est particulier. Merci de les avoir présentés comme les laboratoires de la transition écologique du futur. Ces 20 000 étudiants, qui vont en effet être les bâtisseurs de demain, auront forcément une autre manière de construire, plus écoresponsable,
J'insiste sur la lecture : certaines actions coûtent de l'argent, comme le fait de soutenir une manifestation littéraire, des résidences d'auteurs dans les écoles que le Centre national du livre va déployer dans la continuité du programme consacrant la lecture comme grande cause nationale. D'autres actions ne coûtent pas très cher budgétairement, mais demandent beaucoup de mobilisation, d'énergie et de coordination, comme le quart d'heure de lecture, auquel je tiens beaucoup. J'en reparle régulièrement avec mon collègue Pap Ndiaye.
Dans les régions et les départements où cette action est mise en place, comme en Bretagne, les choses se passent très bien. Quand les élèves s'arrêtent 15 minutes pour lire pour le plaisir, que ce soit un livre, un magazine, une BD, cela fait une énorme différence au bout de quelques mois en termes de concentration, d'amélioration du vocabulaire, de relations entre élèves. Cet impact n'a pas de prix. Si on arrive un jour à faire en sorte que toute la France, tous les jours, s'arrête 15 minutes pour lire, on aura gagné ! On peut rêver, mais cela me semble atteignable. On peut également fournir plus de livres si ceux-ci manquent. On développe également la lecture à voix haute.
Concernant les aides à la presse, je vous rejoins, monsieur Assouline. Je pense qu'on a devant nous un gros chantier de réformes. Nous nous y attelons. J'attends avec impatience les états généraux du droit à l'information pour entendre toutes les recommandations et préconisations qui sortiront à ce moment-là. J'ai commencé à me plonger dans le détail des aides à la presse et aux radios. Je pense qu'il s'agit là d'une modernisation, d'un ajustement et d'une réforme de fond. Je suis d'accord avec votre diagnostic.
Les états généraux débuteront début décembre et dureront jusqu'au mois d'avril-mai. Nous pourrons vous en dire plus bientôt.
Concernant le Centre national de la musique, nous attendons le démarrage de la mission du sénateur Bargeton, qui va permettre de faire le point sur tous les enjeux de financement de la filière musicale et sur les positions des uns et des autres. Tous les acteurs de la filière ne sont pas d'accord.
Enfin, s'agissant du métavers, des NFT et des mondes numériques, avec leurs opportunités et leurs menaces, je vous invite à lire le rapport de trois experts, Camille François, Adrien Basdevant et Rémi Ronfard, qui ont tenté de définir et d'embrasser tous les enjeux liés au monde « métaversique ». Ce sera une excellente base pour nos discussions lors de nos prochains échanges.
Merci pour votre engagement en faveur de la culture !
M. Laurent Lafon , président . - Madame la ministre, vous avez terminé votre propos liminaire par des vers de García Lorca. Je conclurai cette réunion par une citation de Nietzsche : « Je connais ma destinée : un jour s'attachera à mon nom quelque chose de formidable. » Je ne sais si nous utiliserons ce qualificatif à l'issue du débat sur le PLF, mais je ne doute pas que, si vous reprenez à votre compte les amendements du Sénat, on s'en rapprochera !
* 1 https://www.senat.fr/rap/a19-145-43/a19-145-43.html
* 2 https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Rapports/L-auteur-et-l-acte-de-creation
* 3 https://www.goldmansachs.com/insights/pages/music-in-the-air-2022.html
* 4 https://videos.senat.fr/video.3039626_634f951450b4a.table-ronde-sur-la-situation-du-centre-national-de-la-musique-
* 5 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20221010/4154.html#toc2