Avis n° 120 (2022-2023) de Mme Sabine DREXLER , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 17 novembre 2022
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AVANT-PROPOS
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I. UNE AUGMENTATION DES MOYENS BIENVENUE QUI NE
CORRIGE TOUJOURS PAS CERTAINS DÉSÉQUILIBRES
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II. LES POINTS D'ALERTE DE LA COMMISSION
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I. UNE AUGMENTATION DES MOYENS BIENVENUE QUI NE
CORRIGE TOUJOURS PAS CERTAINS DÉSÉQUILIBRES
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EXAMEN EN COMMISSION
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LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
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ANNEXE
N° 120 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023 |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 novembre 2022 |
AVIS PRÉSENTÉ
au nom de la commission de la culture, de l'éd
ucation et de la communication (1)
sur le projet de
loi
de
finances
,
considéré comme adopté par l'Assemblée
nationale
|
TOME II Fascicule 1 CULTURE Patrimoines |
Par Mme Sabine DREXLER, Sénatrice |
(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon , président ; M. Max Brisson, Mme Laure Darcos, MM. Stéphane Piednoir, Michel Savin, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco , vice-présidents ; Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Else Joseph, Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté , secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Samantha Cazebonne, M. Yan Chantrel, Mme Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mmes Sabine Drexler, Laurence Garnier, Béatrice Gosselin, MM. Jacques Grosperrin, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Michel Laugier, Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial. |
Voir les numéros : Assemblée nationale ( 16 ème législ.) : 273 , 285 , 286 rect., 292 , 337 , 341 , 364 , 369 , 374 , 386 et T.A. 26 Sénat : 114 et 115 à 121 (2022-2023) |
AVANT-PROPOS
Malgré la fin programmée du plan de relance, les crédits des patrimoines continuent de progresser en 2023 (+ 7,5 %) dans un contexte inflationniste générateur de nouvelles tensions . Cet effort financier remarquable ne permet toutefois pas de corriger un certain nombre de déséquilibres préjudiciables à l'efficacité de la politique de l'État en matière de patrimoines.
Le rapporteur regrette notamment la stabilité des crédits destinés aux collectivités territoriales , alors que celles-ci sont confrontées à un effet ciseaux qui freine leurs investissements et que la situation alarmante des effectifs des services déconcentrés chargés du patrimoine ne permet pas de répondre à leurs problèmes d'ingénierie.
Elle s'inquiète également du faible niveau des crédits alloués à l'architecture et aux sites patrimoniaux remarquables face à la montée en puissance des enjeux de revitalisation des centres anciens et de rénovation thermique du patrimoine . Compte tenu de l'urgence de cette transition écologique, un engagement fort et rapide du ministère est impératif pour que le patrimoine ne soit pas la victime de la lutte contre le changement climatique, mais devienne, au contraire, l'un des leviers de la sobriété énergétique.
I. UNE AUGMENTATION DES MOYENS BIENVENUE QUI NE CORRIGE TOUJOURS PAS CERTAINS DÉSÉQUILIBRES
A. UNE POURSUITE INESPÉRÉE DE L'EFFORT FINANCIER EN FAVEUR DES PATRIMOINES
1. Une crise sanitaire pour l'essentiel surmontée
Le soutien de l'État aux patrimoines a atteint, en 2021 et 2022, des niveaux exceptionnels afin de permettre à ce secteur, affecté par un choc sans précédent, de faire face aux conséquences de la crise sanitaire et de reprendre progressivement son activité. Ce soutien massif, en partie financé par le plan de relance, n'aura pas été vain :
de fréquentation par rapport à 2019 |
• Le redressement de la fréquentation des musées et monuments en 2022 a permis aux établissements patrimoniaux d' assainir, au moins partiellement, leur situation financière , les budgets initiaux ayant été bâtis sur une estimation de fréquentation de - 50 %. Les établissements les plus dépendants des visiteurs internationaux, en particulier asiatiques (Versailles, Louvre), continuent d'afficher un déficit malgré les subventions exceptionnelles de l'État. |
de chiffre d'affaires |
• Les entreprises de restauration du patrimoine ont retrouvé des niveaux d'activité soutenus qui ont facilité les embauches , indispensables pour assurer la transmission des savoir-faire. Selon le groupement des monuments historiques, le chiffre d'affaires moyen généré par le plan de relance serait de 1,6 million d'euros par entreprise. |
des crédits probablement consommés |
• La forte mobilisation des services déconcentrés en charge du patrimoine a permis d'éviter l'effet d'éviction initialement redouté des crédits du plan de relance sur la consommation des crédits ordinaires. Le directeur général des patrimoines est confiant sur la consommation des crédits du plan de relance et des crédits habituels d'ici la fin de l'année 2022, dont le taux pourrait avoisiner les 100 % . |
Des interrogations se font néanmoins jour sur la capacité à parvenir à consommer les derniers crédits de paiement du plan de relance avant son terme prévu fin 2023. Le temps nécessaire à la réalisation des études préalables a pu retarder le lancement de certaines opérations complexes, à l'instar de celles du plan cathédrales, plaidant pour permettre le report sur 2024 des derniers crédits du plan de relance qui n'auraient pas été consommés afin de pouvoir achever les chantiers lancés .
2. Une progression des crédits indispensable face à la hausse des coûts
Malgré la fin programmée du plan de relance, les crédits du programme 175 « Patrimoines » poursuivent leur progression en 2023 dans des proportions très légèrement supérieures à l'ensemble de la mission « Culture » (+ 7 % en AE et + 7,4 % en CP). Il faut saluer l'engagement de la ministre de la culture qui est parvenue à convaincre que le soutien à ce secteur devait demeurer une priorité au regard de sa contribution à l'attractivité et la dynamique économique des territoires.
Le rapporteur espère néanmoins que cette progression des crédits correspond à une hausse pérenne , compte tenu des besoins importants du secteur qui préexistaient à la crise sanitaire à la suite de l'érosion des crédits du programme au cours des années 2010. La stabilité des crédits dans la durée est essentielle pour permettre aux acteurs d'engager les investissements de long terme nécessaires à la protection du patrimoine. En l'absence de programmation pluriannuelle des crédits, l'important est d'éviter au maximum les financements par à-coups.
Cet effort financier est salué par les acteurs du secteur qui redoutaient que les crédits ne redescendent à leur niveau antérieur alors qu'ils doivent faire désormais face aux conséquences de la crise économique. L' explosion des coûts (inflation salariale, hausse de la facture énergétique, renchérissement du coût des matières premières), ainsi que la baisse, quoique modeste, des ressources tirées du mécénat (attentisme des entreprises et réorientation progressive de l'intérêt des mécènes vers les actions environnementales ou éducatives) pèsent de plus en plus fortement sur l'activité dans le domaine des patrimoines.
Le budget 2023 comporte une enveloppe de 37,4 millions d'euros destinée à tenir compte de la hausse des coûts (3,4 % du montant total du programme) :
ð 17,8 M€ en fonctionnement répartis entre les opérateurs (15,3 M€) et les services à compétence nationale (2,5 M€) ;
ð 19,6 M€ en investissement répartis entre les DRAC pour les chantiers de restauration de monuments historiques dans les territoires (8,1 M€), les établissements patrimoniaux pour les chantiers sur les monuments qu'ils occupent (8,4 M€) et l'Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (OPPIC) pour les travaux dans les châteaux-musées ayant le statut de services à compétence nationale (3,1 M€).
Si cette enveloppe est bienvenue, le directeur général des patrimoines n'a pas caché qu' elle serait insuffisante pour couvrir la hausse des coûts .
Les opérateurs indiquent que cette enveloppe ne neutralise pas l'augmentation de leurs budgets de fonctionnement, affectés à la fois par la hausse du point d'indice et le triplement en moyenne de leurs dépenses énergétiques en dépit de leurs efforts en matière d'économies d'énergie. Ils alertent également sur l'impact potentiel de l'inflation sur la réalisation de leurs schémas de travaux. Leurs ressources propres , déjà fragilisées par la crise sanitaire et encore soumises à de nombreux aléas compte tenu de la conjoncture économique, devront être mobilisées pour couvrir une partie des surcoûts de fonctionnement et d'investissement.
En matière de restauration, un certain nombre de projets pourraient être reportés en 2024 , faute de crédits suffisants pour les mener à bien. En effet, l'inflation a un double effet sur les chantiers en entraînant une révision du prix des chantiers déjà lancés et un renchérissement du coût des chantiers programmés. Il convient d'espérer que cette situation ne se prolonge pas au-delà de 2023 afin que le nombre de chantiers de restauration ne se retrouve pas significativement réduit.
B. UN EFFORT FINANCIER INÉGAL QUI NE PERMET PAS DE CORRIGER CERTAINS DÉSÉQUILIBRES
1. Un effort concentré sur le patrimoine monumental, les opérateurs nationaux et l'archéologie préventive
Montant et évolution des crédits de
paiement
Mission culture
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Les crédits du plan de relance en 2023 42 M€
en CP uniquement
ð Chantier de Villers-Cotterêts (17 M€) ð Plan « cathédrales » (10 M€) ð Chantiers portant sur des monuments historiques n'appartenant pas à l'État et sur des équipements patrimoniaux appartenant aux collectivités (15 M€) |
L'effort financier de l'État se concentre sur les trois principales actions du programme : les monuments historiques, les musées et l'archéologie préventive. Ce choix est justifié par la volonté de parachever les mesures engagées dans le cadre du plan de relance .
Des mesures nouvelles en 2023 à hauteur de 50,9 M€ en AE et 38,5 M€ en CP |
ð Restaurer les monuments historiques dans les territoires (+ 26,8 M€ en AE et 14,4 M€ en CP) - mise en sécurité incendie des cathédrales (+ 3 M€ en CP) - restauration de la cathédrale de Nantes suite à son incendie (3,7 M€ en AE et 5,7 M€ en CP) - revalorisation du fonds incitatif et partenarial pour les petites communes en difficulté (+ 2 M€) - restauration du grand cloître de l'abbaye de Clairvaux (15 M€ en AE et 2 M€ en CP) - contribution au projet de revalorisation du château de Gaillon (5,1 M€ en AE et 0,7 M€ en CP) - soutien au domaine de Chantilly (1 M€) |
ð Conforter le modèle économique des opérateurs (+ 14,5 M€) - Revalorisation de certaines subventions de fonctionnement (10 M€) : musée du Louvre (+ 5 M€), Centre des monuments nationaux (+ 4 M€ dans la perspective de l'ouverture du château de Villers-Cotterêts), Musée Guimet (+ 0,5 M€), château de Fontainebleau (+ 0,5 M€) - Renforcement des capacités d'investissement de certains opérateurs (4,5 M€) : musée d'Orsay (+ 1,5 M€), Centre des monuments nationaux (+ 3 M€) |
ð Revaloriser les moyens de l'archéologie préventive (+ 9,6 M€) - Remise à niveau de la subvention allouée aux collectivités territoriales pour les diagnostics archéologiques effectués par leurs services (+ 2,4 M€, soit 20 % du montant de la subvention) - Renforcement des moyens des DRAC pour les fouilles programmées et la valorisation scientifique du patrimoine archéologique (+ 5 M€) - Revalorisation de la subvention de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) au titre des diagnostics (+ 2,2 M€) |
En ce qui concerne le patrimoine monumental, on observe un certain rééquilibrage des crédits entre l'Île-de-France et les autres régions . D'une part, l'augmentation des crédits alloués à la restauration des monuments historiques dans les territoires est partiellement couverte par la baisse des crédits alloués aux grands chantiers (- 18,4 M€ en AE et - 5,3 M€ en CP). D'autre part, deux des trois nouveaux grands projets lancés portent sur des monuments qui ne sont pas situés en Île-de-France : la cathédrale de Nantes et la restauration de l'abbaye de Clairvaux.
Même si les crédits du programme 175 continuent donc de profiter majoritairement à l'Île-de-France 1 ( * ) , il faut espérer que ce mouvement de rééquilibrage se poursuive dans les années à venir dans un souci de plus grande équité territoriale .
En ce qui concerne l'archéologie préventive, le rapporteur fera preuve de vigilance afin de s'assurer que les moyens supplémentaires accordés par l'État à l'INRAP et aux collectivités territoriales au titre des diagnostics seront suffisants pour faire face au surcroît d'activité engendré par le dynamisme actuel dans le domaine de la construction. Le cas échéant, il serait important que des crédits puissent être débloqués en gestion pour éviter un allongement des délais de réalisation des diagnostics.
Enfin, en ce qui concerne les opérateurs, beaucoup s'inquiètent de la décorrélation entre l'évolution de leurs missions et les ressources humaines qui leur sont affectées . Selon le Président du Centre des monuments nationaux, cette situation conduit à un recours croissant à l'externalisation pour l'exécution de certaines tâches, au détriment d'une bonne gestion des deniers de l'État.
2. La persistance de déséquilibres
a) La stagnation des crédits destinés à accompagner les collectivités territoriales et les propriétaires privés
Les crédits destinés à la restauration des monuments historiques ou à la rénovation des établissements patrimoniaux qui n'appartiennent pas à l'État en régions ne font l'objet d'aucune revalorisation , alors que les collectivités territoriales, confrontées à un effet ciseaux, ont particulièrement besoin d'accompagnement. Ces dotations apparaissent insuffisantes pour répondre au dynamisme de l'évolution du nombre de chantiers et à leur renchérissement. On peut craindre que l'État ne refuse, l'année prochaine, un certain nombre de demandes de subvention émanant de collectivités ou de propriétaires privés, ou qu'il n'abaisse le niveau du taux de sa subvention afin de satisfaire toutes les demandes.
Seul le fonds incitatif et partenarial pour la restauration des monuments historiques situés dans des communes à faibles ressources (FIP) est revalorisé. Néanmoins, le montant de sa dotation , porté à 18 millions d'euros en 2023, reste très faible au regard des besoins. En outre, l'activation de ce fonds étant conditionnée à la participation de la région au financement de l'opération, il en résulte une inégalité de traitement entre les territoires , dans la mesure où les régions n'ont pas toutes les mêmes critères d'intervention en faveur du patrimoine, la région Normandie n'apportant même aucune aide directe dans ce domaine. Une évolution des critères d'attribution du FIP pourrait être opportune afin d'en accroître l'équité et l'efficacité .
b) Une faible prise en compte des enjeux liés à la protection du patrimoine urbain et paysager
Le rapporteur regrette par ailleurs le faible engagement de l'État sur les questions liées au patrimoine non protégé mais néanmoins remarquable . Même si l'intervention prioritaire de l'État en direction du patrimoine monumental s'explique pour des raisons historiques, le patrimoine ne saurait se résumer aux seuls monuments. La préoccupation croissante des Français pour les enjeux liés à la préservation de leur cadre de vie justifierait une meilleure prise en compte par l'État de ces problématiques.
récoltés pour le patrimoine depuis 2018 |
Il est vrai que la création du Loto du patrimoine en 2018 a donné de nouvelles marges de manoeuvre en faveur de la restauration du patrimoine, y compris non protégé, qui représente à peu près la moitié des projets sélectionnés dans le cadre de la mission Bern. L'annonce de la prolongation du Loto pour cinq années supplémentaires doit être de ce fait saluée. En revanche, l'État ne peut se prévaloir de financer par ce biais la préservation du patrimoine non protégé , dans la mesure où les crédits alloués par le ministère de la culture aux opérations sélectionnées par la mission « Bern » en retour des taxes perçues par l'État sur les jeux du Loto du patrimoine sont exclusivement fléchés vers des monuments historiques. |
À la différence des crédits du patrimoine monumental, les crédits en faveur du patrimoine urbain et paysager (action 2) n'enregistrent aucune progression en 2023 . De l'avis des personnes entendues par le rapporteur, la dotation de l'État dans ce domaine reste pourtant trop faible compte tenu de l'urgence à revitaliser les centres anciens .
Le patrimoine constitue en effet l'un des premiers leviers de revalorisation et de redynamisation des coeurs de bourgs et de villes. Les documents de gestion des sites patrimoniaux remarquables (SPR) - plans de sauvegarde et de mise en valeur ou plan de valorisation de l'architecture et du patrimoine - peuvent constituer des outils pertinents en matière de gestion urbaine. Selon Sites et cités remarquables, de nombreuses communes hésitent pourtant à s'engager dans la création d'un SPR par crainte d'un accompagnement financier et technique insuffisant pour mener à bien le processus.
Comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport relatif à la politique de l'État en faveur du patrimoine monumental du 22 juin 2022, « l'État doit se mobiliser beaucoup plus fortement pour promouvoir des stratégies d'aménagement des quartiers urbains patrimoniaux ». La revalorisation des crédits de l'action 2 apparait comme une priorité pour y contribuer. Une meilleure association du ministère de la culture à l'élaboration des programmes de revitalisation situés dans les SPR est également indispensable pour garantir la bonne prise en compte de la dimension patrimoniale dans cette politique, ceux-ci étant encore peu associés dans la phase amont. Une piste pourrait par exemple consister à affecter un ABF à cet effet.
Face à la faiblesse des crédits destinés à assurer la protection du patrimoine local, les députés ont adopté un amendement, conservé dans le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, majorant d'un million d'euros les crédits de l'action 2 afin de renforcer les moyens des DRAC et des DAC pour leur permettre de mieux accompagner les collectivités territoriales.
Au-delà des dotations de l'État, les outils fiscaux peuvent aussi jouer un rôle primordial pour inciter à la préservation et à la valorisation du patrimoine. Plusieurs de ces dispositifs ont perdu en efficacité avec le temps, à l'instar du dispositif « Malraux » qui n'est pas suffisamment incitatif pour diriger les investissements vers les zones dans lesquelles les besoins de revitalisation sont les plus forts.
Le rapporteur insiste sur la nécessité de lancer un travail interministériel d'évaluation des dispositifs fiscaux dans le domaine du patrimoine, comme l'a recommandé la Cour des comptes dans son rapport précité .
II. LES POINTS D'ALERTE DE LA COMMISSION
A. LA SITUATION ALARMANTE DES SERVICES DÉCONCENTRÉS EN CHARGE DU PATRIMOINE
1. Des effectifs insuffisants compte tenu de leur charge de travail
En mars dernier, la commission de la culture avait déjà souligné les tensions engendrées par la faiblesse des effectifs des services déconcentrés en charge du patrimoine à l'occasion de la mise en oeuvre du plan de relance 2 ( * ) .
L'augmentation des effectifs des conservations régionales des monuments historiques (CRMH) et des unités départementales du patrimoine et de l'architecture (UDAP) depuis 2013 (+ 46,8 ETP au total, dont + 142,6 ETP pour les postes relevant de la filière scientifique et technique) se révèle insuffisante face à l'évolution significative de leur charge de travail sur la même période :
• mise en place du contrôle scientifique et technique destiné à contrôler, en amont et en aval, que les travaux conduits par les collectivités territoriales et les propriétaires privés sur leurs monuments historiques ne portent pas atteinte à la protection et à la conservation de ces monuments ;
• augmentation du nombre de chantiers sur les monuments historiques sous l'effet de la hausse du volume des crédits déconcentrés ;
• augmentation significative du nombre des demandes d'autorisation de travaux ;
• accroissement du niveau de complexité des dossiers traités ;
• allongement des temps de trajet suite à la fusion des régions le 31 décembre 2015.
Source : Commission de la culture, sur la base des informations transmises par le ministère de la culture
Les tensions sont exacerbées depuis un an par la mise en oeuvre du plan de relance, la multiplication des demandes d'autorisation d'urbanisme ainsi que par la mise en place de la dématérialisation de l'ensemble des procédures d'urbanisme , qui se traduit par le déploiement d'une nouvelle application de gestion dénommée « Patronum » dont l'appropriation par les équipes est complexe et alourdit pour l'instant le travail d'instruction des dossiers.
2. Des difficultés de recrutement inquiétantes pour la continuité des missions
Si le nombre des concours a été insuffisant au cours de la période, on observe aussi des difficultés de recrutement en raison de la faible mobilité des agents, de la spécificité des profils recherchés, mais aussi du manque d'attractivité de ces postes. Les agents entendus par le rapporteur soulignent que les conditions de rémunération sont moins avantageuses que dans de nombreux secteurs et que le contenu des missions s'est dégradé sous l'effet d'un accroissement des tâches d'instruction, de contrôle et de surveillance. Les perspectives de carrière des corps techniques restent trop limitées. Les postes de conservateurs et d'architectes urbanistes de l'État sont très exposés face aux élus.
D'après les informations communiquées au rapporteur, ces métiers souffrent aujourd'hui d'une réelle désaffection . Comme dans le reste de la fonction publique, les postes offerts aux concours ne sont pas toujours intégralement pourvus, faute de candidats en nombre suffisant. Le remplacement des postes vacants s'avère délicat, en particulier ceux situés dans des villes moyennes manquant d'attractivité.
La situation est d'autant plus alarmante que les prochaines années devraient être marquées par le départ à la retraite d'une part non négligeable de ces personnels (36 % au sein des CRMH et 33 % au sein des UDAP d'ici 2025).
L'évolution des effectifs fait peser des menaces sur la capacité de l'État à assumer ses missions régaliennes en matière de protection du patrimoine (instruction, contrôle et suivi des opérations sur les monuments historiques ; maîtrise d'ouvrage sur les chantiers portant sur des monuments appartenant à l'État ; travail préparatoire pour le classement de nouveaux immeubles au titre des monuments historiques). Le président de l'association des DRAC souligne le caractère fondamental de la dimension humaine pour garantir l'efficacité des crédits déconcentrés.
L'insuffisance des effectifs est déjà très largement la cause des difficultés rencontrées par l'État pour répondre aux demandes d'accompagnement des collectivités territoriales et des particuliers . À l'exception de trois régions (Bretagne, Hauts-de-France et Pays de la Loire), les DRAC ne proposent pas d'offre d'assistance à maitrise d'ouvrage pour pallier le déficit d'ingénierie des propriétaires. De même, les ABF ne disposent pas d'un temps suffisant pour accompagner les élus et les usagers ou pour se consacrer à la valorisation du patrimoine et de l'architecture (mise en oeuvre des périmètres délimités des abords ou des SPR).
Le rapporteur estime qu' il serait dangereux de sacrifier cette mission d'expertise et de conseil , qui contribue à la solidité de l'ancrage territorial du ministère de la culture et répond à une attente forte des préfets comme des élus locaux. Il est évident que la faible capacité des ABF à dialoguer avec les élus locaux contribue aujourd'hui à fragiliser leur autorité.
3. Des premières mesures qui nécessitent d'être complétées
Plusieurs mesures ont été récemment prises par le ministère de la culture afin de pallier la faiblesse des effectifs :
• les conditions de recrutement ont été assouplies pour favoriser l'embauche d'agents contractuels afin de pourvoir les postes vacants ;
• un concours est organisé en 2023 pour permettre le recrutement de 51 ingénieurs et de 52 techniciens afin de combler les postes vacants et de reconstituer un vivier de personnels ;
• un plan de rattrapage indemnitaire est en cours en direction des architectes urbanistes de l'État et des conservateurs du patrimoine afin d'améliorer l'attractivité de ces métiers ;
• une revue des missions a été engagée en Nouvelle-Aquitaine pour améliorer les conditions d'exercice des métiers, avec pour objectif une priorisation des missions.
Compte tenu de l'urgence de la situation et du temps nécessaire pour inverser la tendance, il est indispensable que ces mesures soient complétées rapidement par des actions permettant :
• d'actualiser et d'améliorer l'offre de formation au regard des compétences recherchées ;
• de promouvoir ces métiers au sein des filières de formation existantes (écoles nationales supérieures d'architecture en particulier) ;
• de revaloriser les missions des différentes catégories d'agents.
Le rythme des concours et le nombre de postes offerts seront également déterminants pour améliorer progressivement la situation.
B. LE DÉFI DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE DU PATRIMOINE
1. Une nouvelle priorité encore imparfaitement traitée
La transition écologique de la culture figure parmi les priorités assignées à la ministre de la culture dans le cadre de sa feuille de route. Face au changement climatique et, désormais, à l'urgence en matière de sobriété énergétique, il est évident que le secteur des patrimoines ne saurait se tenir à l'écart de ce mouvement .
Il reste cependant essentiel que cette transition s'effectue dans le respect du patrimoine, dont la conservation et la transmission constituent également des objectifs de politique publique. Le cadre juridique est déterminant pour assurer une bonne conciliation entre les différentes ambitions.
L'action du ministère de la culture sur les questions de transition écologique apparait encore partielle et timide. Les journées européennes du patrimoine étaient consacrées cette année à la question du patrimoine durable. Des crédits d'investissement sont par ailleurs fléchés vers la réalisation de travaux contribuant à l'isolation thermique et à l'amélioration des performances énergétiques de certains musées et monuments, à l'instar du musée d'Orsay. Mais ces enveloppes devront être complétées dans les années à venir pour atteindre les objectifs. Par ailleurs, l'enjeu pour le ministère ne saurait se réduire à la seule amélioration du bilan énergétique de ses opérateurs ou de ses monuments . Il concerne tout le bâti ancien, tant cette transition pourrait affecter l'aspect et la pérennité du patrimoine urbain et paysager, dont le ministère est également chargé d'assurer la préservation.
Ces questions, qui relèvent du ministère de la transition écologique, ont jusqu'ici très largement échappé au ministère de la culture . La Cour des comptes déplore, dans son rapport précité, « l'absence d'une doctrine claire de l'État articulant protection du patrimoine et transition écologique » et le manque d'association du ministère de la culture à la définition de cette politique. Signe de ce déficit d'association, le rapporteur a été alerté sur le fait que les critères de prix et de délai de réalisation avaient supplanté toute autre considération lors de l'attribution des marchés visant à la rénovation énergétique des bâtiments publics financés par le plan de relance, même lorsqu'il s'agissait de monuments historiques.
2. Les dangers générés par le nouveau cadre juridique en matière de rénovation thermique
Le besoin d'articuler correctement les objectifs de protection du patrimoine et de transition écologique revêt désormais un caractère d'urgence avec l'entrée en vigueur progressive des mesures fixées par la loi du 22 août 2021 dite « Climat et résilience » visant à accélérer la transition énergétique de l'habitat : classement des logements en fonction de leur performance en matière énergétique et en matière d'émission de gaz à effet de serre, gel des loyers et interdiction à la location des passoires thermiques.
Le texte ménage peu d'exceptions en faveur du patrimoine en dehors des monuments historiques. Seuls les immeubles labellisés « Architecture contemporaine remarquable » et ceux faisant l'objet de règles relatives à l'aspect extérieur fixées par le plan local d'urbanisme pourraient aussi échapper à l'obligation de rénovation énergétique performante.
Les modalités de calcul du nouveau diagnostic de performance énergétique (DPE), uniformes quel que soit le type de bâti, ne permettent pas de rendre compte des performances réelles du bâti ancien et conduisent à le classer dans la catégorie des passoires thermiques . Les performances énergétiques sont mesurées en fonction d'un certain nombre d'éléments évalués indépendamment les uns des autres (bâti, qualité de l'isolation, type de fenêtres, système de chauffage, ventilation mécanique), sans tenir compte de leurs interactions. À la différence des constructions récentes, le bâti d'avant 1948 dispose de caractéristiques particulières (parois perspirantes, conception bioclimatique tirant le meilleur parti de l'environnement, grande inertie thermique procurant un confort en été) qui le rendent moins énergivore que les résultats du DPE ne le laissent croire.
Conjuguées à la pression foncière sur les parcelles bâties générées par l'introduction, dans la même loi, du principe du « zéro artificialisation nette », ces nouvelles dispositions pourraient se traduire par un effacement progressif du petit patrimoine et une banalisation des caractéristiques architecturales propres à chaque région . Elles ne laissent aux propriétaires de biens antérieurs à 1948 d'autre choix que de vendre leurs biens, dont la valeur est dépréciée par les résultats du DPE, ou d'engager en urgence des travaux de rénovation. Or, les solutions de rénovation thermique préconisées (isolation par l'extérieur, installation de menuiseries étanches) sont inappropriées à ce type de bâti perspirant . Elles génèrent, d'une part, des pathologies rendant sa dégradation irréversible. Elles font perdre, d'autre part, à ce bâti sa valeur patrimoniale et architecturale. Les principales déperditions de chaleur dans le bâti ancien interviennent au niveau de la toiture : l'isolation du toit et des combles doit faire figure de priorité afin d'améliorer ses performances thermiques.
« Le bâtiment le plus vert est celui qui est déjà construit », Carl Elefante.
La commission est convaincue que la disparition de ce patrimoine serait un désastre d'un point de vue culturel, touristique, économique mais aussi écologique . Au regard de l'impact carbone d'une nouvelle construction et de la quantité de matériaux qu'elle nécessite, dont beaucoup sont importés, la réhabilitation du bâti ancien devrait, au contraire, être privilégiée . Elle n'exige qu'une faible quantité de matériaux, dont l'empreinte environnementale est par ailleurs faible (pierre, bois ou, pour l'isolation, chanvre, lin...), et pouvant être, soit extraits localement, soit récupérés. Elle peut participer au développement de l'économie locale et fournir de nouveaux débouchés à l'agriculture ou à la sylviculture.
3. La nécessité d'un engagement urgent du ministère de la culture
La commission est convaincue que le patrimoine ne doit pas être soustrait à la transition écologique, qu'elle juge nécessaire. En revanche, une très forte mobilisation du ministère de la culture dans les mois à venir est indispensable pour éviter que les travaux de rénovation énergétique appelés à se multiplier ne se traduisent par la perte de patrimoine et de savoir-faire ainsi que par un gaspillage d'argent public.
Plusieurs leviers d'action pourraient être mobilisés :
ð L'adaptation urgente du cadre réglementaire (DPE, labels...) afin d'assurer une meilleure prise en compte de la performance énergétique effective du bâti ancien et d'intégrer une mesure du confort thermique d'été du bâtiment.
Le ministère de la culture a fait part de son intention de constituer un groupe de travail sur la question du cadre réglementaire. La commission de la culture souligne l'importance d'une révision des critères du DPE dès 2023 ;
ð La formation des professionnels : adaptation du contenu de la formation dispensée aux élèves des écoles nationales supérieures d'architecture aux enjeux liés à la restauration du patrimoine et à sa rénovation énergétique ; travail de montée en compétences des diagnostiqueurs, des accompagnateurs rénov', des maîtres d'oeuvre et des entreprises spécialisées sur les spécificités de la performance et de la rénovation thermique en fonction des différents types de bâti.
Le Conseil national de l'ordre des architectes a par ailleurs alerté sur le nombre insuffisant d'architectes formés chaque année en France afin de relever les ambitions fixées par l'État en matière de transition énergétique. Il insiste en particulier sur le fort besoin d'accompagnement en ingénierie des collectivités territoriales à ce sujet ;
ð L'enrichissement des connaissances relatives au bâti ancien et aux moyens d'améliorer ses performances énergétiques : étude des solutions de rénovation thermiques les plus adaptées aux différents types de bâti ancien après sélection d'échantillons de bâtis représentatifs de la diversité de chacune des régions ; soutien aux acteurs et aux associations menant des études sur ce sujet.
Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) a ainsi mis en place, en 2018, un portail dénommé CREBA, en collaboration avec l'école des arts et métiers Paris Tech, le laboratoire de recherche en architecture de l'ENSA de Toulouse et les associations Maisons paysannes de France et Sites & Cités remarquables, destiné à rassembler les ressources permettant une réhabilitation responsable du bâti ancien ;
ð Le soutien à la recherche de solutions de rénovation thermique adaptées au bâti ancien, en lien avec les filières professionnelles : soutien au développement de technologies compatibles avec les caractéristiques du bâti ancien ou moins impactantes sur le plan visuel dans l'objectif d'en réduire les coûts afin de les rendre davantage accessibles ;
ð L'accompagnement du développement de filières de production de matériaux de construction locales ;
ð La sensibilisation des différentes catégories de propriétaires aux enjeux et aux modalités d'une rénovation respectueuse des caractéristiques du bâti ancien : recensement et diffusion des bonnes pratiques, publication de guides pratiques (isolation des combles, des murs et des planchers, menuiseries, chauffage, ventilation...) ; nomination de référents en charge de la transition énergétique dans les DRAC ; renforcement de la collaboration avec les Conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement dans ce domaine ;
ð La remise à plat des aides financières : réduction et encadrement des aides à la démolition dans les programmes d'amélioration de l'habitat et de rénovation urbaine, en soumettant, par exemple, toute démolition à l'élaboration d'un diagnostic patrimonial préalable ; prise en compte des caractéristiques spécifiques du bâti ancien dans le cadre de l'éco-conditionnalité des aides publiques à la rénovation énergétique ; mise en place d'aides à la restauration patrimoniale dans les centres anciens valorisant les éco-matériaux en circuit court ; création d'un label semblable à celui de la Fondation du patrimoine pour les travaux de rénovation énergétique respectueux du bâti ancien.
Un renforcement du dialogue interministériel entre le ministère de la culture et le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires (MTECT) apparait comme l'une des conditions clés de la réussite de la transition écologique du patrimoine. La nomination d'un référent « patrimoine » au sein du MTECT pourrait contribuer à garantir une meilleure articulation entre les objectifs poursuivis par les deux ministères. L'organisation de concertations avec les différentes parties prenantes, tels, par exemple, des États généraux du patrimoine durable , pourrait également constituer une piste permettant d'identifier les différents enjeux et les meilleurs voies et moyens pour y répondre.
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La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a émis, lors de sa réunion plénière du 15 novembre 2022, un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 175 « Patrimoines » du projet de loi de finances pour 2023 .
EXAMEN EN COMMISSION
MERCREDI 16 NOVEMBRE 2022
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M. Laurent Lafon, président . - Nous débutons cette semaine par l'examen des crédits du programme « Patrimoines » au sein de la mission « Culture ».
Mme Sabine Drexler, rapporteur pour avis sur les crédits des patrimoines . - Le monde du patrimoine appréhendait le niveau des crédits en 2023 après les aides exceptionnelles dont il a bénéficié pendant la crise sanitaire. L'État maintient finalement son effort en 2023 : les crédits du programme continuent leur progression dans des proportions significatives : + 7,5 %. Il reste à espérer qu'il s'agira d'une hausse pérenne, compte tenu de la sous-dotation des crédits du patrimoine que nous constations jusqu'alors.
La moitié de cette hausse (37,4 millions d'euros) vise cependant à compenser l'inflation qui affecte le fonctionnement des opérateurs et l'activité des chantiers de restauration. Les montants sont répartis à parts égales entre ces deux enjeux.
Le directeur général des patrimoines n'a pas caché que cette enveloppe serait insuffisante pour couvrir le niveau de l'inflation. Les opérateurs devront puiser dans leurs ressources propres pour financer une partie des surcoûts de fonctionnement et d'investissement. Il est également possible que des chantiers de restauration de monuments historiques soient reportés à 2024, si leur renchérissement se révèle trop important.
Les mesures nouvelles, d'un montant de 38 millions d'euros, sont inégalement réparties entre les différentes actions du programme.
Elles sont concentrées sur les monuments historiques, les opérateurs nationaux et les moyens de l'archéologie préventive. Le Gouvernement justifie ces arbitrages par la volonté de parachever les mesures du plan de relance.
En ce qui concerne les monuments historiques, il me semble que nous pouvons nous réjouir du léger rééquilibrage des crédits entre l'Ile-de-France et les autres régions. Les crédits destinés aux grands chantiers, qui profitent habituellement principalement à l'Ile-de-France, sont en baisse en 2023. Par ailleurs, deux des trois nouveaux grands projets lancés portent sur des monuments non franciliens : la cathédrale de Nantes et l'abbaye de Clairvaux. Néanmoins, il reste à fournir des efforts conséquents pour assurer une plus grande équité territoriale.
De ce point de vue, j'avoue regretter que le ministère de la culture n'ait pas profité de ces nouveaux crédits pour corriger d'autres déséquilibres que nous signalons depuis plusieurs années.
Ainsi, les crédits destinés à la restauration des monuments historiques ou à la rénovation des équipements patrimoniaux des collectivités territoriales n'enregistrent, eux, aucune progression en 2023. Seule exception : les crédits du fonds incitatif et partenarial pour la restauration des monuments historiques situés dans des communes à faibles ressources, revalorisés à hauteur de 2 millions d'euros, pour un montant total de 18 millions d'euros.
Compte tenu de l'effet ciseaux auxquelles les collectivités territoriales sont confrontées, mais aussi des problèmes d'ingénierie qu'elles rencontrent, je regrette vraiment que la question des collectivités territoriales n'ait pas fait l'objet d'une attention spéciale dans ce budget, au-delà des opérations réalisées dans le cadre du plan de relance.
À cet égard, la situation des effectifs dans les services déconcentrés en charge du patrimoine me parait vraiment préoccupante. J'ai abordé cette question avec l'ensemble des personnes que j'ai auditionnées. Il apparait que les conservations régionales des monuments historiques (CRMH), comme les unités départementales de l'architecture et du patrimoine (UDAP) sont proches de la rupture. La progression des effectifs depuis 2013 a été sans commune mesure avec l'augmentation des charges de ces services.
La mise en oeuvre du plan de relance, la multiplication du nombre de demandes d'urbanisme suite à la crise sanitaire, ainsi que la nouvelle application de gestion déployée pour rendre possible la dématérialisation des procédures d'urbanisme, sont encore venues exacerber les tensions depuis un an.
Malheureusement, les départs à la retraite programmés de 36% des effectifs des CRMH et de 33% des effectifs des UDAP dans les trois ans à venir n'augurent rien de bon. Il faut absolument parvenir à inverser la tendance. La tâche s'avère d'autant plus délicate que ces métiers semblent souffrir d'une réelle désaffection. Ce manque d'attractivité s'explique à la fois par le manque d'attrait de la rémunération, des perspectives de carrière limitées et une dégradation de l'intérêt des missions exercées, avec une part croissante prise par les tâches d'instruction, de contrôle, de surveillance et de reporting.
Le ministère de la culture a pris plusieurs mesures afin de pallier ces problèmes d'effectifs : l'embauche de contractuels a été encouragée afin de pourvoir les postes vacants ; un concours est organisé en 2023 pour recruter une centaine d'ingénieurs et de techniciens ; un plan de rattrapage indemnitaire est en cours ; et une revue des missions a été engagée en Nouvelle-Aquitaine afin d'améliorer les conditions d'exercice des métiers.
Ces mesures méritent, à mon sens, d'être complétées par d'autres actions destinées à améliorer l'offre de formation, à promouvoir ces métiers et à revaloriser les missions des agents.
Je crains à terme pour la capacité de l'État à assumer ses missions régaliennes en matière de protection du patrimoine. Ces moyens humains sont indispensables à l'efficacité de la politique et des crédits de l'État en faveur du patrimoine.
Je ne me résous pas non plus à accepter que les services déconcentrés ne soient plus en mesure de répondre aux demandes d'accompagnement des collectivités territoriales et des particuliers, faute de personnel. Il serait dangereux, à mon sens, de sacrifier cette mission d'expertise et de conseil, qui contribue à la solidité de l'ancrage territorial du ministère de la culture et répond à une attente forte des préfets comme des élus locaux. Cela conduirait à fragiliser et à remettre en cause l'autorité des services déconcentrés : nous l'observons bien avec les architectes des Bâtiments de France.
Le second déséquilibre sur lequel je souhaite attirer votre attention, c'est la faiblesse des crédits alloués à l'architecture et aux sites patrimoniaux remarquables (SPR) en comparaison de ceux alloués au patrimoine monumental. Face à la montée en puissance des enjeux de revitalisation des centres anciens, mais aussi de transition écologique et énergétique, il me semble indispensable que le ministère de la culture s'engage davantage. Il reste aujourd'hui très en retrait sur ces questions, qui sont l'apanage du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Son association à l'élaboration de ces politiques publiques me semble primordiale afin de garantir une articulation correcte entre celles-ci et la protection du patrimoine.
J'ai choisi de vous proposer ici un gros plan sur le défi que constitue la transition écologique du patrimoine, dans la mesure où la Première ministre, Élisabeth Borne, a assigné comme priorité à la nouvelle ministre de la culture de réaliser la transition énergétique de son ministère.
Sur le volet patrimoine, l'action du ministère de la culture m'apparait encore partielle et timide. La seule traduction budgétaire de cette priorité, ce sont des crédits fléchés vers l'amélioration des performances énergétiques des bâtiments occupés par les opérateurs. Or, l'enjeu pour le ministère de la culture me semble dépasser largement ce champ, puisque la transition pourrait affecter l'aspect et la pérennité de tout le patrimoine urbain et paysager, dont le ministère est chargé d'assurer la préservation.
En effet, la loi du 22 août 2021 dite « Climat et Résilience » crée une véritable urgence à agir, compte tenu des mesures coercitives qui frapperont progressivement les passoires thermiques dans les années à venir : gel des loyers, interdiction à la location. En dehors des monuments historiques, tout le patrimoine est assujetti à ces nouvelles obligations.
Le problème, c'est que les modalités de calcul du nouveau diagnostic de performance énergétique, qui sont désormais identiques quel que soit le type de bâti, ne permettent pas de rendre compte des performances réelles du bâti ancien et conduisent à le classer dans la catégorie des passoires thermiques. Des études montrent que ce bâti est pourtant beaucoup moins énergivore que les constructions datant de la seconde moitié du XX e siècle, notamment des Trente Glorieuses, grâce à ses caractéristiques particulières : parois perspirantes, conception bioclimatique, forte inertie thermique procurant un confort en été sans besoin de climatisation.
Il ne faudrait pas que tout ce patrimoine non protégé disparaisse progressivement ou se banalise au point de faire perdre aux différentes régions leurs caractéristiques architecturales. Et c'est le risque que font peser ces mesures, sous l'effet conjugué du « zéro artificialisation nette » (ZAN) qui accroit la pression foncière, mais aussi de solutions de rénovations thermiques inappropriées, soutenues par des aides de l'État, qui ont pour effet de faire pourrir peu à peu les bâtiments de l'intérieur.
Une telle mise à sac du patrimoine me paraitrait d'autant moins légitime que je suis convaincue que la réhabilitation du bâti ancien constitue, d'un point de vue écologique, l'avenir de la construction. À la différence de la construction neuve, responsable de plus de 25 % des gaz à effet de serre dans notre pays, son empreinte environnementale est faible, puisqu'il n'est besoin que d'une faible quantité de matériaux, qui plus est durables et disponibles sans recours à l'importation.
Il est de notre devoir d'insister pour que le ministère de la culture se mobilise très fortement autour de cet enjeu.
Mon objectif n'est pas de soustraire le patrimoine aux impératifs de transition écologique. D'une part, parce que ce patrimoine représente environ 30 % du parc de logements en France et que sa rénovation constitue donc un gisement potentiel d'économies d'énergie significatif. D'autre part, parce que les occupants des logements anciens ont besoin d'améliorer leur confort thermique.
En revanche, il me semble utile de faire en sorte que les travaux de rénovation énergétique appelés à se multiplier ne se traduisent pas par la perte de patrimoine et de savoir-faire ainsi que par un gaspillage d'argent public.
À mon sens, le ministère de la culture doit agir sur plusieurs fronts :
Premièrement, il doit se mobiliser pour obtenir une modification du cadre réglementaire, avec notamment l'enjeu d'une révision urgente des modalités de calcul du DPE pour le bâti ancien.
Deuxièmement, il doit intervenir pour améliorer la formation des professionnels intervenant dans le cadre de rénovations énergétiques. La restauration du patrimoine doit devenir un axe majeur de l'enseignement dispensé au sein des écoles d'architecture. Des certifications sur le bâti ancien m'apparaitraient également primordiales pour les diagnostiqueurs, les accompagnateurs « Rénov », les maitres d'oeuvres et les entreprises spécialisées dans la rénovation thermique.
Troisièmement, le ministère doit accompagner l'enrichissement des connaissances relatives au bâti ancien et aux moyens d'améliorer ses performances énergétiques. Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), ainsi que plusieurs associations de sauvegarde du patrimoine (Maisons Paysannes, Sites et Cités remarquables), essaient de rassembler depuis quelques années un maximum de données. Une solution pourrait consister à mobiliser des crédits de l'action 2 pour sélectionner, dans chaque région, un échantillon de bâtiments anciens représentatifs afin d'étudier leurs défaillances thermiques et les solutions qui seraient les plus adaptées pour y remédier.
Quatrièmement, il faut absolument soutenir l'activité de recherche des filières professionnelles en faveur de solutions de rénovation thermique compatibles avec les caractéristiques du bâti ancien ou moins impactantes sur le plan visuel. Il y a aujourd'hui un problème de coût qui pousse les particuliers à se tourner vers les solutions standards qui ne sont pas adaptées. Parallèlement, il faut accompagner le développement de filières locales de production de matériaux de construction et d'isolation.
Sixièmement, le ministère de la culture doit agir pour mieux sensibiliser les différentes catégories de propriétaires aux enjeux et aux modalités d'une rénovation respectueuse des caractéristiques du bâti ancien. C'est tout l'enjeu du recensement et de la diffusion de bonnes pratiques, de la publication de guides pratiques, de la nomination de référents sur les questions énergétiques dans les directions régionales de l'action culturelle (Drac) ou du renforcement de la collaboration avec les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) dans ce domaine.
Enfin, il me semble que le ministère de la culture devrait initier une réflexion autour des aides financières. Il apparait absurde sur le plan écologique qu'il soit aujourd'hui moins cher de démolir pour reconstruire que de réhabiliter. Il me semble nécessaire de mieux encadrer les aides à la démolition en les soumettant, par exemple, à la réalisation d'un diagnostic patrimonial préalable. Il faudrait aussi mettre en place des aides à la restauration patrimoniale dans les centres anciens valorisant les éco-matériaux en circuit court. La Fondation du patrimoine estime que son label pourrait se voir adjoindre un volet pour les travaux de rénovation énergétique respectueux du bâti ancien.
Évidemment, le ministère de la culture ne pourra pas mener cette bataille seul. Il est indispensable qu'un dialogue interministériel régulier se mette en place. La nomination d'un référent « patrimoine » au sein du ministère de la transition écologique pourrait contribuer à garantir une meilleure articulation entre les objectifs poursuivis par les deux ministères.
L'organisation de concertations avec les différentes parties prenantes (ministère, collectivités territoriales, acteurs du patrimoine et de la rénovation énergétique) pourrait constituer une piste pour mieux identifier les différents enjeux et les meilleurs voies et moyens pour y répondre. Après les journées européennes du patrimoine sur le thème du patrimoine durable en 2022, pourquoi pas, en 2023, des « États généraux du patrimoine durable » ? Ce serait une première étape pour permettre progressivement au patrimoine de ne plus être l'otage de la transition écologique, mais bien l'un des leviers de la sobriété énergétique.
Pour le reste, et compte tenu de l'augmentation significative des crédits, je vous propose d'émettre un avis favorable à leur adoption.
Mme Marie-Pierre Monier . - Nous partageons complètement les positions de notre rapporteur. Avec 1,1 milliard d'euros, les crédits du programme 175 augmentent à un rythme équivalent à celui de l'ensemble de la mission par rapport à l'an dernier.
Mais il faut souligner que cette hausse des crédits dédiés au patrimoine pour 2023 doit être relativisée. D'une part, l'inflation s'élève environ à 6% ; d'autre part, les 77 millions supplémentaires du programme sont à comparer avec les 227 millions d'euros de plus qui avaient été budgétés au titre du plan de relance pour le secteur « Patrimoines » en 2022. On peut donc dire que cela revient à une réduction de 150 millions d'euros des moyens.
L'envolée des prix de l'énergie va continuer à peser fortement en 2023 sur l'équilibre financier des musées et des monuments. On peut craindre que l'ensemble du secteur du patrimoine se retrouve à nouveau en difficulté, alors qu'il sort à peine de celles liées à la crise sanitaire. Le patrimoine risque de ne pas être la priorité de nombreuses collectivités, notamment les plus petites. Elles auront besoin de plus de soutien pour assurer la sauvegarde et l'entretien du patrimoine dont elles ont la charge.
Je continue à plaider pour un meilleur équilibre de la répartition territoriale des crédits.
L'action 1 prévoit 490 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) de crédits pour les monuments historiques et le patrimoine monumental. Les crédits en faveur de l'entretien et de la restauration des monuments historiques hors « grands projets » s'élèvent à 382 millions d'euros. Cette augmentation d'environ 24 millions d'euros par rapport à 2022 profite principalement aux crédits déconcentrés mis à disposition des Drac pour la restauration de monuments historiques appartenant à l'État, au plan Cathédrale et au projet de revalorisation du château de Gaillon.
Mais les moyens du fonds incitatif et partenarial (FIP) pour les monuments historiques des collectivités à faibles ressources sont, quant à eux, accrus de 2 millions d'euros, ce dont nous pouvons nous féliciter. Les crédits déconcentrés bénéficient d'un coup de pouce cette année, et j'espère que celui-ci sera durable.
Les crédits de l'action 2, qui avaient augmenté de près de 9% en 2022, retrouvent l'état de stagnation des exercices budgétaires précédents. Compte tenu de l'inflation, le maintien du niveau atteint en 2022 pour les crédits déconcentrés destinés aux CAUE ou au réseau du label Villes et Pays d'art et d'histoire constitue, en réalité, une baisse de leurs moyens, alors qu'ils contribuent par leur travail remarquable à soutenir les efforts des collectivités en faveur de la revalorisation du patrimoine.
Je m'étonne aussi de la stabilité, pour le sixième exercice budgétaire consécutif, des moyens consacrés au développement des sites patrimoniaux remarquables (SPR), outil créé par la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP) et dont les ministres de la culture successifs, depuis 2017, n'ont apparemment pas souhaité se saisir pour rénover les centres anciens.
En ce qui concerne les crédits de l'action 3, « Patrimoine des musées de France », ils sont en hausse, mais je regrette que les crédits en faveur des musées territoriaux stagnent encore, alors qu'ils doivent être justement mobilisés dans le cadre de la nouvelle génération des contrats de plan État-Région (CPER) 2021-2027. Cette stagnation ne favorise pas le rééquilibrage territorial souhaité et va à l'encontre du développement touristique et économique de nos communes et de nos territoires.
Un dernier mot sur l'action 9, « Patrimoine archéologique », dont les crédits sont en hausse de 8,42 %, à hauteur de près de 158 millions d'euros. La mission de service public de l'Inrap est revalorisée à 4,8 millions d'euros en raison de l'inflation et de la réforme du régime indemnitaire des agents contractuels. Parallèlement, les crédits destinés à subventionner les collectivités habilitées à réaliser des diagnostics archéologiques ont aussi été relevés de 2,4 millions d'euros.
Enfin, je salue les fortes augmentations des crédits à destination des centres de conservation et d'étude (CCE) et pour soutenir les fouilles archéologiques programmées, en partenariat avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et les universités. Néanmoins, l'Inrap prévoit le maintien d'une forte activité des chantiers de diagnostic, pour lesquels le respect des délais de réalisation est l'une des conditions de la prospérité du projet d'aménagement concerné. Pour tenir les délais, il est donc nécessaire que les services d'archéologie préventive disposent de moyens suffisants, notamment en personnels qualifiés, et la seule augmentation mécanique des moyens de l'Inrap ne sera pas suffisante.
Pour conclure, on peut se demander si la hausse des crédits du programme « Patrimoines » sera suffisante. Avec l'inflation et les hausses attendues du coût de l'énergie et des matériaux, ce n'est pas certain. Les moyens consacrés à la mission « Patrimoine » seront donc en baisse cette année, après les embellies du plan de relance. En dépit de quelques évolutions positives, il manque une orientation marquée en faveur d'un rééquilibrage au profit des territoires. Toutefois, nous suivrons votre avis et voterons en faveur de l'adoption des crédits de la mission.
Mme Anne Ventalon . - Je félicite notre rapporteur pour la qualité de ses travaux qui nous éclairent sur les choix du Gouvernement et qui ouvrent aussi des perspectives sur les chantiers qui restent à mener dans le domaine de la préservation et de la transmission de notre patrimoine. Nous ne pouvons que nous réjouir de la hausse de 7,5 % des crédits, même si cette hausse sera en bonne partie absorbée par l'inflation. L'un des enjeux majeurs consiste à articuler le legs de notre cadre de vie avec la transition écologique. En effet, nous ne devons pas opposer la protection de l'environnement et la transmission de notre patrimoine historique et architectural.
Or la loi Climat et Résilience pose un certain nombre de difficultés. Ainsi, les diagnostics de performance énergétique ne distinguent pas les logements mal isolés d'après-guerre des constructions anciennes, réalisées avec des matériaux et des savoir-faire qui présentaient d'indéniables qualités thermiques. En préconisant les mêmes travaux d'isolation par l'extérieur pour des façades des années soixante-dix et pour des maisons à colombages, on risque de défigurer de façon irrémédiable le patrimoine bâti de la France. Hélas, ce sinistre a déjà commencé...
De même, avec la politique du « zéro artificialisation nette », nous assistons déjà, au motif de densifier les centres-villes, à la destruction de joyaux du patrimoine au profit d'immeubles sans caractère. Des maisons anciennes, datant de plusieurs siècles, peuvent être démolies parce qu'elles ne sont pas protégées et que les collectivités n'ont pas les moyens techniques et financiers de les rénover.
Notre rapporteur l'a souligné, nous devons renforcer les moyens humains pour accompagner les particuliers et les collectivités. Il convient ainsi de créer davantage de postes en ingénierie, particulièrement chez les architectes des Bâtiments de France.
Enfin, je souhaite aussi évoquer le patrimoine des communes les plus modestes, ces villages ruraux dont la seule richesse est souvent constituée d'édifices religieux non classés. Leur sauvegarde est parfois hors de portée des municipalités. J'avais rédigé un rapport sur le sujet avec Pierre Ouzoulias.
Malgré ces réserves, les sénateurs du groupe Les Républicains voteront en faveur de l'adoption des crédits du programme « Patrimoines ».
M. Pierre Ouzoulias . - Je remercie notre rapporteur pour son rapport très complet et qui ouvre des perspectives très intéressantes. La hausse des crédits masque un renflouement de certains grands opérateurs, comme le Louvre ou Versailles. Je déplore que la crise n'ait pas été l'occasion de mener une réflexion sur le modèle économique de ces établissements, qui repose pour l'essentiel sur l'autofinancement et sur la billetterie : lorsque la fréquentation baisse, les recettes chutent. Je crains le retour d'un financement de ces opérateurs sous la forme d'un subventionnement du ministère.
On constate une crise d'attractivité inquiétante des métiers des services déconcentrés du patrimoine : comme dans l'éducation nationale ou d'autres services publics, les fonctionnaires, usés par les réformes successives, vont ailleurs. Nous perdons des compétences précieuses. Nous pourrions envoyer un signal aux architectes des Bâtiments de France en rétablissant ou en étendant leur avis conforme pour certaines opérations d'urbanisme.
Je souscris aux propos de notre rapporteur sur la protection du patrimoine bâti ancien. Notre commission devrait s'intéresser à cette question. L'enjeu est de déterminer le bon niveau territorial d'expertise et de conseil pour accompagner les collectivités et les citoyens. L'État et les Drac se dessaisissent. On assiste à une forme de décentralisation de facto de cette compétence. Nous devons réfléchir à une nouvelle structuration du système autour des départements ou des régions.
Il apparait absurde sur le plan écologique qu'il soit aujourd'hui moins cher pour des aménageurs de démolir et de reconstruire que de réhabiliter. Les propriétaires de maisons anciennes n'ont pas toujours les moyens de réaliser les travaux de rénovation énergétique et préfèrent souvent vendre, sachant que la maison sera détruite. C'est un cercle vicieux.
Mme Sonia de La Provôté . - On doit saluer la hausse des crédits pour le patrimoine, signe que ce sujet compte aux yeux du ministère, même si, comme cela a été dit, la hausse compensera à peine l'inflation et la hausse des prix de l'énergie et des matières premières, etc.
La situation des ressources humaines au sein du ministère de la culture est préoccupante : les métiers des services du patrimoine semblent souffrir d'une réelle désaffection. Les personnels sont démoralisés.
On observe aussi un déséquilibre entre l'Ile-de-France et les régions dans la contribution de l'État au patrimoine. En province, les cofinancements des collectivités sont beaucoup plus importants qu'en Ile-de-France : les crédits de l'État y ont donc davantage d'effet de levier. Vous avez raison, il y a sans doute un effort cette année pour lancer des chantiers de l'État dans les territoires. Mais même lorsqu'elle présente son budget, la ministre oublie la province et n'en fait pas mention.
À l'action 2, l'effort de sensibilisation aurait dû être plus développé. Il y a pourtant urgence à former, éduquer, informer tant les professionnels que les citoyens si l'on veut concilier rénovation énergétique du patrimoine et protection du climat ; on ne peut pas traiter de la même manière des bâtiments anciens et des bâtiments récents. Or les actions d'éducation et de sensibilisation à l'architecture et au patrimoine ne figurent pas sur la liste des actions accompagnées dans les écoles, signe que cette dimension n'est pas une priorité. C'est dommage.
Il est urgent d'agir dans le cadre de la loi Climat et résilience. La dimension interministérielle est cruciale. Le ministère de la culture doit faire entendre sa voix.
Nous devrons nous intéresser à la formation dispensée dans les écoles d'architecture. L'école de Chaillot insiste sur la nécessité de mettre l'accent sur la restauration du patrimoine non seulement dans les formations initiales, mais aussi dans la formation continue des architectes, afin que ces derniers puissent mieux concilier les objectifs de préservation du patrimoine et de protection de l'environnement.
Nous devons aussi nous interroger sur l'avenir du Centre de ressources sur la réhabilitation responsable du bâti ancien (Creba), structure informelle qui est devenue l'institution de référence en matière de restauration du bâti ancien, mais qui n'est dotée que de 3 ETP.
Je plaide, comme Anne Ventalon et Pierre Ouzoulias, pour un guichet unique au niveau des départements sur l'habitat, pour accompagner les communes dans la conservation de leur patrimoine. Cette recommandation figurait déjà dans le rapport que j'ai réalisé avec Michel Dagbert au nom de la délégation aux collectivités territoriales consacré au patrimoine des communes. Il conviendrait en outre de mener un recensement de notre patrimoine, région par région : c'est un préalable à toute politique de protection.
Enfin, il faut faire en sorte que rénover devienne plus intéressant que détruire. On peut s'appuyer sur les dispositifs Action coeur de ville, Petites Villes de demain, le Denormandie et le Malraux dans l'ancien, etc.
M. Bernard Fialaire . - Je me réjouis en constatant que les effectifs des personnels administratifs baissent quand ceux des personnels techniques du ministère augmentent.
Attention à ne pas opposer les architectes des Bâtiments de France et les élus : si la compétence des premiers ne fait pas de doutes, les élus ne sont pas hors-sol ! Sans doute conviendrait-il de réorienter les fonctions des architectes des Bâtiments de France vers le conseil : leurs interventions s'apparentent parfois à des oukases qui sont mal perçus localement. Il suffit parfois de la nomination d'un nouvel ABF pour qu'une opération élaborée avec son prédécesseur soit remise en cause ! C'est insupportable pour les élus. En revanche, les élus ont besoin d'être aidés et conseillés. Je suis toujours surpris lorsque j'entends des techniciens affirmer qu'il faut raser plutôt que réhabiliter. Nous suivrons l'avis de notre rapporteur et voterons en faveur de l'adoption des crédits.
Mme Monique de Marco . - Je salue les propositions de notre rapporteur. Peut-être notre commission pourrait-elle approfondir la réflexion sur la transition écologique du patrimoine sous la forme d'une mission d'information. J'avais déposé des amendements pour modifier la formation dans les écoles d'architecture, afin de sensibiliser à la rénovation énergétique du patrimoine, mais ils ont été déclarés irrecevables...
Mme Else Joseph . - La protection du patrimoine constitue un enjeu de politique publique. Nos collectivités territoriales sont préoccupées par l'entretien, la restauration, la mise en valeur du patrimoine, souvent dégradé. Le budget du programme augmente certes, mais la hausse ne compensera pas l'inflation. La plupart des aides sont concentrées au profit des monuments historiques et des opérateurs nationaux, et les déséquilibres subsistent. Nous le dénonçons depuis longtemps au Sénat.
Je partage les observations sur la situation préoccupante des services déconcentrés en charge du patrimoine. Les CRMH et les UDAP sont proches de la rupture. Chaque année, plus de 400 000 dossiers de demande d'autorisation de travaux sont instruits par les UDAP. C'est dire si le stock des dossiers en cours de traitement ou à traiter est élevé. Or on annonce des départs programmés importants dans les effectifs des CRMH et des UDAP. Notre rapporteur constate une véritable désaffection pour ces métiers. Comment les rendre attractifs pour que leurs missions continuent d'être assurées ?
Je salue aussi la pertinence de l'analyse sur l'importance du bâti ancien, moins énergivore. Comment réaliser des rénovations thermiques compatibles avec les caractéristiques du bâti ancien ? Comment aider, par exemple, les propriétaires privés qui ne disposent pas d'une information adéquate ?
Dans les secteurs sauvegardés, les rénovations sont très lourdes. Nous avons besoin d'aide et d'informations spécifiques. Les inquiétudes demeurent, car, dans un contexte de marchés infructueux, de retards, de pénurie de matériaux, toutes les opérations lancées avec le plan de relance n'ont pas pu aboutir. La protection du patrimoine n'est malheureusement pas compatible avec un financement au coup par coup. Enfin, je salue l'excellente idée de notre rapporteur de mettre en place des états généraux du patrimoine durable. Qui sait, peut-être aboutiront-ils à des états généreux !
M. Olivier Paccaud . - Les CRMH et des UDAP manquent de personnels. Quel est le salaire dans ces organismes ?
Mme Annick Billon . - Le groupe Union Centriste votera en faveur de l'adoption des crédits du programme. Je souscris aux propos sur le manque d'attractivité des métiers du patrimoine. Cela vaut aussi pour l'accueil du public. Le Centre des monuments nationaux estime qu'il a besoin de plusieurs centaines de postes supplémentaires pour accueillir 9 millions de visiteurs chaque année.
Mme Catherine Morin-Desailly . - En dépit de la hausse du budget, le patrimoine a cruellement besoin d'argent. Peut-être pourrions-nous, en lien avec la commission des affaires européennes, étudier de quelle manière il pourrait être possible de mobiliser davantage les fonds européens pour aider les collectivités à rénover le patrimoine. Le patrimoine n'est-il pas aussi important que la rénovation des routes pour développer l'attractivité d'un territoire ? J'avais formulé des propositions dans un rapport rédigé avec Louis-Jean de Nicolaÿ. La part des fonds européens consacrée à la culture est en hausse pour la période 2021-2027. Il convient de nous assurer que le patrimoine ne sera pas oublié.
M. Jean Hingray . - Notre rapporteur a souligné à juste titre les problèmes soulevés par l'exigence de la rénovation énergétique des bâtiments : elle constitue un défi pour l'identité de nos territoires et pèse sur les catégories populaires qui doivent investir pour rénover des biens qu'elles louent pour avoir un complément de revenu à la retraite. Quel serait selon vous le bon référent pour réaliser le diagnostic patrimonial avant la démolition d'un bâtiment ? Paradoxalement, il coûte plus cher d'utiliser des matériaux locaux que d'importer de la pierre de Chine : comment inverser la donne ? Ne pourrait-on pas utiliser les crédits non utilisés pour la rénovation de Notre-Dame de Paris pour financer les filières de formation de tailleurs de pierre, de charpentiers, de compagnons, etc., afin d'attirer davantage de jeunes dans ces secteurs ? Quid aussi du loto du patrimoine ?
Mme Sabine Drexler, rapporteur pour avis . - L'inflation et la hausse du prix des matières premières constituent un défi pour les collectivités territoriales et pour le patrimoine. Le fonds incitatif et partenarial pour les petites communes n'est pas suffisant. De plus, toutes les régions ne s'engagent pas de la même manière. Dans la mesure où les subventions de l'État en direction des collectivités resteront stables, il est à craindre que les montants dépensés en faveur du patrimoine ne baissent. L'État ne dispose plus des moyens suffisants pour accompagner les petites communes.
Je rejoins vos propos sur les SPR : le Gouvernement ne se donne pas les moyens de financer ses annonces ; le patrimoine constitue pourtant un facteur important de dynamisme économique et d'attractivité touristique des territoires.
La loi Climat et résilience n'a fait qu'accroître l'urgence de renforcer l'ingénierie et de soutenir les porteurs de projet.
Les professionnels du patrimoine souffrent des réformes incessantes. Il faut tout faire pour que ces métiers gardent du sens, pour que les personnels puissent effectuer leur mission de conseil et accompagner des projets. Il serait bon aussi qu'au-delà de leurs actions régaliennes, ils puissent entretenir davantage de liens avec le public.
Je vous rejoins également sur la décentralisation du patrimoine. Les départements sont prêts à reprendre la main. Il conviendrait aussi d'augmenter les moyens du Creba.
Des maisons sont déjà démolies au nom des fameuses règles relatives à la performance énergétique. Il est nécessaire de traiter ces questions en urgence, d'informer les citoyens, de mettre en place un sursis pour ces démolitions. Pourquoi ne pas créer un guichet unique des maisons et de l'habitat au niveau départemental, vers lequel les citoyens pourraient se tourner ? La dimension interministérielle a été évoquée. J'ai l'intention de présenter mon rapport au ministère de la transition écologique, en insistant sur l'urgence. Les ministères de la culture et de la transition écologique doivent travailler étroitement ensemble.
On compte 180 architectes des Bâtiments de France ; ils ont eu à traiter cette année près de 500 000 dossiers compte tenu du dynamisme dans le secteur de la construction. Cela donne la mesure de leur travail, et de leur désespérance. Je n'ai pas de données précises sur les salaires, mais les régimes indemnitaires sont plus favorables au sein du ministère de la transition écologique qu'au sein du ministère de la culture pour les architectes urbanistes de l'État.
Le loto du patrimoine est très utile, car ses fonds sont fléchés à 50 % vers le patrimoine non protégé.
Les diagnostics avant démolition pourraient être réalisés par les CAUE, voire par les associations patrimoniales, car elles disposent d'experts. En Alsace, on a découvert dans une maison inhabitée, sous un vieux crépi, un remarquable colombage sculpté. Or cette maison devait être démolie avant la fin du mois. Un appel aux dons a été lancé, 10 000 euros ont été réunis en deux jours afin de démonter la maison, et ce sont des Suisses qui vont récupérer le colombage... Les Suisses, les Autrichiens, les Allemands ont mieux compris l'urgence de protéger le patrimoine que nous.
Les fonds européens sont en augmentation et il serait judicieux en effet qu'ils puissent être fléchés vers le patrimoine. Le plan « France 2030 » devrait permettre de financer des actions en faveur de la numérisation du patrimoine et de l'architecture ainsi qu'en faveur des savoir-faire des métiers d'art. J'espère que nous pourrons aller plus loin.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 175 « Patrimoines » au sein de la mission Culture du projet de loi de finances pour 2023.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Jeudi 6 octobre 2022
Sites et Cités remarquables de France : M. Martin MALVY , président, Mme Marylise ORTIZ , directrice, M. Jacky CRUCHON , consultant urbanisme et patrimoine, expert auprès de Sites & Cités remarquables.
Lundi 10 octobre 2022
Conseil national de l'ordre des architectes : Mme Christine LECONTE , présidente.
Mardi 11 octobre 2022
Association des Architectes du Patrimoine : M. Christian LAPORTE , président.
Mardi 18 octobre 2022
• Table ronde des représentants des associations de sauvegarde du patrimoine :
- La Demeure historique : Mmes Armelle VERJAT , déléguée générale, et Alexandra PROUST , juriste ;
- Fondation de la sauvegarde de l'art français : M. Olivier DE ROHAN CHABOT , président ;
- Maisons paysannes de France : M. Gilles ALGLAVE , président ;
- Patrimoine-Environnement : M. Christophe BLANCHARD-DIGNAC , président ;
- Rempart : M. Olivier LENOIR , délégué général ;
- Vieilles maisons françaises : M. Philippe TOUSSAINT , président ;
- Sites et Monuments : M. Julien LACAZE , président.
• Groupement des entreprises de restauration de monuments historiques (GMH) : M. Frédéric LÉTOFFÉ , vice-président, Mme Marion ROGAR , secrétaire générale.
• Association nationale des architectes des bâtiments de France : Mme Véronique ANDRÉ et M. Xavier CLARKE DE DROMANTIN , membres du conseil.
Lundi 24 octobre 2022
- Association des DRAC de France : MM. Laurent ROTURIER , président, et Hilaire MULTON , directeur régional des affaires culturelles des Hauts-de-France.
- Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture : M. Jean-Philippe LEFEVRE , vice-président, vice-président en charge de l'action culturelle du Grand Dole, et Mme Anne MISTLER , vice-présidente, maire-adjointe à la culture de Strasbourg.
- Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) : MM. Laurent ARNAUD , directeur du département Bâtiments durables et Andrés LITVAK , chef de groupe, coordinateur du CREBA (Centre de ressources pour la réhabilitation du bâti ancien).
Mardi 25 octobre 2022
- Fondation du patrimoine : M. Alexandre GIUGLARIS , secrétaire général.
- Conservateurs Régionaux des Monuments Historiques (CRMH) : Mme Anne EMBS , conservatrice régionale des monuments historiques (Drac Centre Val-de-Loire), M. Antoine-Marie PREAUT , conservateur régional des monuments historiques (Drac Île-de-France).
Vendredi 28 octobre 2022
Centre des monuments nationaux : M. Philippe BELAVAL , président, Mme Lucile PRÉVOT , directrice administrative, juridique et financière et M. Tangi TASSEL , responsable du département budgétaire et financier
Mercredi 2 novembre 2022
Direction générale des patrimoines : MM. Jean-François HEBERT , directeur général, Stéphane DELANOE , adjoint au sous-directeur, sous-direction des affaires financières et générales, et Mme Marie-Hélène DA SILVA-GONCALVES , adjointe à la cheffe de bureau de la programmation budgétaire.
Contributions écrites
- Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou
- Établissement public du Musée du Louvre
- Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles
- Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (Mucem)
- Réunion des musées nationaux - Grand Palais
ANNEXE
Audition de Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture
MARDI 25 OCTOBRE 2022
M. Laurent Lafon , président . - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture, pour la traditionnelle audition budgétaire d'automne.
Madame la ministre, votre été a certainement été très chargé, tant les défis que traverse le monde de la culture sont nombreux. Comme vous le savez, notre commission a toujours su nouer des relations de travail particulièrement productives avec vos prédécesseurs, et vos premiers pas en juin me paraissent s'inscrire dans cette atmosphère confiante, mais respectueuse de nos singularités et de nos rôles respectifs.
Je le redis donc, vous nous trouverez toujours à vos côtés pour avancer sur les sujets qui nous tiennent à coeur - et ils sont nombreux. Vous pouvez aussi compter sur nous pour vous alerter sur certaines problématiques, comme l'ont montré, je crois, les travaux de contrôle réalisés par nos rapporteurs au cours des mois écoulés.
Revenons-en aux multiples défis du monde de la culture et aux politiques engagées par votre ministère pour y répondre.
L'irrigation territoriale constitue l'un des axes forts de votre budget, que ce soit en matière de patrimoine ou de création. Le rapport de nos collègues Anne Ventalon et Pierre Ouzoulias sur le patrimoine religieux a mis en évidence les besoins importants des collectivités pour entretenir et restaurer ce patrimoine. Au-delà d'aides financières, elles attendent également de l'État un accompagnement technique. Vous nous direz dans quelle mesure le budget pour 2023 permet éventuellement de répondre à ces attentes.
Nous avons noté avec satisfaction la création d'un fonds d'innovation territoriale, très largement inspiré des propositions de Sonia de La Provôté et de Sylvie Robert, dans le cadre de leur rapport sur le plan de relance en matière de création. Elles appelaient de leurs voeux des outils offrant plus de place à la coconstruction avec les collectivités territoriales. Peut-être pourrez-vous nous en dire plus sur le type et le nombre d'actions que ce fonds a vocation à financer, et pour quel montant.
Que ce soit en matière de création ou d'industries culturelles, au sens large, le soutien de l'État a permis à tous les secteurs d'être préservés durant la crise pandémique. Il faut saluer ici l'engagement des pouvoirs publics qui, très rapidement, ont mobilisé des moyens conséquents pour défendre la création, indemniser les cinémas, soutenir la musique et préserver la presse.
Je le dis d'autant plus que ce choix n'a pas été celui de tous les pays, certains ayant littéralement laissé « couler » leur création.
Vous avez en particulier mis en avant la reconquête de notre souveraineté culturelle, avec un milliard d'euros prévus pour les industries culturelles et créatives d'ici 2030, suivant des modalités que vous pourrez peut-être également nous préciser.
Je salue bien entendu ces ambitions, mais je note qu'elles ne répondent pas entièrement aux inquiétudes du moment : je parle bien entendu des conséquences du choc d'inflation actuel, qui plonge les acteurs dans un désarroi assez proche de celui qui était le leur pendant la crise pandémique.
À titre d'exemple, le rapport de Michel Laugier sur la presse quotidienne régionale, publié en juillet dernier, a démontré l'impact sur toute la filière de la hausse des prix du papier, aujourd'hui évaluée à près de 200 millions d'euros, à la charge d'un secteur en crise depuis plus de 10 ans.
Je n'oublie pas les établissements publics, comme la Bibliothèque nationale de France (BnF) ou l'Agence France-Presse (AFP), qui vont devoir composer avec ce contexte inflationniste, ce qui pèsera certainement sur leurs capacités à investir. Je pense aussi à tout notre réseau d'écoles - écoles d'architecture, écoles d'art, conservatoires -, qui sont en grave difficulté pour boucler leurs budgets.
Je veux également enfin mentionner le Centre national de la musique (CNM), auquel nous avons consacré une très riche table ronde la semaine dernière. Vous avez choisi de confier une mission au sénateur Julien Bargeton, ce qui est une reconnaissance de son travail, mais aussi de celui de l'ensemble de la commission sur ce sujet. Pour autant, des interrogations ont été émises sur la capacité du CNM à assurer ses missions en 2023 avec des moyens redevenus modestes.
En un mot, le secteur de la création et nos industries culturelles ont été préservés pendant la crise. Il serait dommage qu'elles succombent faute de soutien aujourd'hui.
S'agissant de l'audiovisuel public, la réforme de la gouvernance de ces entreprises figurait au programme de travail de vos prédécesseurs. Un projet de loi, largement inspiré des travaux de notre commission, a été abandonné en cours de route. Faute de réforme de la gouvernance, les mutualisations entre les différentes entreprises sont restées embryonnaires, tandis que la réduction des coûts qui aurait été permise par un regroupement se fait toujours attendre.
Un rapport rédigé au printemps par notre collègue Jean-Raymond Hugonet et notre collègue de la commission des finances Roger Karoutchi a réaffirmé la nécessité de reprendre ce processus de rapprochement qui, dans notre esprit, est inséparable de la question de la redéfinition des missions et des moyens.
Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que l'absence d'avancée sur la gouvernance s'accompagne de mesures transitoires sur le financement. Le projet de loi de finances prévoit une hausse d'un peu plus de 3 % des crédits à 3,81 milliards d'euros.
Cette hausse des crédits est inégalement répartie puisqu'elle bénéficie essentiellement à Radio France et France Médias Monde. J'observe que cette hausse des crédits est relative, puisqu'elle vise aussi à compenser les effets de la suppression de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) en juillet dernier, qui a eu pour conséquence de soumettre ces entreprises à la taxe sur les salaires, ce qui n'avait pas été explicité lors du débat sur le projet de loi de finances rectificative.
Nous examinerons prochainement les avenants aux contrats d'objectifs et de moyens (COM) des différentes entreprises, qui ont pour objet de préciser la feuille de route telle que définie par l'actionnaire.
Le choix de prolonger les COM d'un an sans définir une véritable vision de long terme, comme les incertitudes qui entourent l'avenir du financement de l'audiovisuel public après 2024, crée un contexte particulier qui nous interpelle.
Alors que l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) doit renouveler les mandats des présidentes de Radio France et de France Médias Monde au début de l'année prochaine, sur la base des projets des candidats, force est de constater qu'une fois de plus ces projets ne pourront prendre en compte la trajectoire financière des entreprises pour les années à venir ni les priorités définies par l'État pour le reste du quinquennat.
Nous avons maintes fois regretté cette gouvernance déficiente de l'audiovisuel public, dont vous n'êtes pas responsable, madame la ministre. C'est la raison pour laquelle nous vous réitérons notre disponibilité pour y apporter des réponses, qui devront être d'autant plus ambitieuses que le temps pour les adopter aura été conséquent.
Madame la ministre, je vais donc vous donner la parole pour un propos liminaire. Nos rapporteurs, puis l'ensemble des sénateurs et des sénatrices qui le souhaiteront, vous interrogeront ensuite sur l'ensemble des crédits budgétaires dont vous avez la maîtrise.
Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture . - Je suis ravie d'être parmi vous ce soir pour parler de ce budget de la culture et des médias, un budget historique et au total en hausse de 7 %, soit 4,2 milliards d'euros pour la partie culture et 3,8 milliards d'euros pour l'audiovisuel public. Nous y reviendrons.
À cela s'ajoutent les taxes et les ressources affectées pour le financement du cinéma, de la musique, du théâtre privé, soit environ 770 millions d'euros. N'oublions pas les crédits d'impôt multiples, qui apportent au total 2 milliards d'euros de soutien à l'ensemble de l'écosystème de la culture. Quant au loto du patrimoine, qui permet d'injecter, en complément de notre budget, 20 millions d'euros par an environ pour soutenir des sites en partie protégés, non classés et non inscrits un peu partout sur le territoire. Ceci représente un total de 11 milliards d'euros dans le périmètre du ministère de la culture en 2023, soit 527 millions d'euros de plus qu'en 2022.
Ce budget nous permet de faire face aux défis du présent et de préparer l'avenir. Il reflète un certain nombre de priorités, pour beaucoup d'entre elles inspirées, comme vous l'avez dit, Monsieur le président, de vos travaux et de nos échanges. C'est en tout cas un budget qui, même si cela ne se voit pas dans toutes les lignes, permet l'irrigation territoriale à tous les niveaux, qu'il s'agisse de patrimoine, de création, de lecture publique, de soutien aux entreprises culturelles, ou de soutien aux radios associatives, qui sont partout sur le territoire. J'insiste particulièrement sur le déploiement territorial de notre action et du budget.
Ce budget prend à bras-le-corps l'enjeu de la transition écologique et le défi de très court terme du choc que représente la hausse des coûts de l'énergie pour les établissements les plus fragiles, les plus impactés, qui sont de réelles passoires thermiques - il en reste malheureusement beaucoup. Ce budget permet de disposer d'une enveloppe d'environ 56 millions d'euros pour soutenir ces établissements.
Je veux insister sur les investissements que nous déployons à plus long terme pour accompagner les acteurs culturels dans leur transition écologique. Notre budget d'investissement s'élèvera à 663 millions d'euros en 2023. 66 millions d'euros d'augmentation vont permettre en priorité de flécher des travaux de rénovation, d'isolation thermique et d'amélioration des performances énergétiques. Un budget supplémentaire également dédié au Centre national de la musique, à hauteur de 900 000 euros, est spécifiquement consacré à la transition écologique de la filière musicale.
Ce budget protège et valorise le patrimoine, avec 1,1 milliard d'euros, soit une hausse de 87 millions d'euros afin de maintenir la dynamique très forte qu'avait permise le plan de relance. Cette somme se répartit entre les cathédrales, leur sécurisation, le fonds incitatif pour le patrimoine, l'archéologie et les fouilles programmées, avec une série de rénovations prioritaires, comme l'abbaye de Clairvaux, la cité de Carcassonne, les tours de La Rochelle, etc.
Ce budget amplifie par ailleurs notre politique d'éducation artistique à l'école, via le pass Culture, qui se déploie au collège dès la 4 e . Une partie du budget relève d'ailleurs de l'éducation nationale. Nous sommes à 24 millions d'euros supplémentaires, avec un focus particulier sur la lecture auquel j'ai tenu, un soutien aux bibliothèques, aux livres accessibles pour les personnes en situation de handicap accompagné par la création d'une plateforme dédiée, un soutien aux librairies, à des manifestations littéraires, à la distribution des livres pour pallier les difficultés d'acheminement, notamment outre-mer.
Ce budget tient également ses promesses pour garantir le pluralisme des médias et l'accès à une information fiable, libre, indépendante. Je l'avais dit devant vous, dans l'hémicycle : la suppression de la redevance ne signifie pas la suppression du budget de l'audiovisuel public, loin de là. Nous avons compensé, comme nous l'avions dit, les effets fiscaux à l'euro près, mais aussi intégré une grande part de l'inflation estimée pour 2023 par la Banque de France, soit un total de 114,4 millions d'euros de budget supplémentaires pour l'audiovisuel public, qui atteint ainsi 3,8 milliards d'euros.
Un budget supplémentaire est prévu pour la presse. Nous avons travaillé avec cette filière sur la réforme de la distribution, prioritaire après le rapport Giannesini, afin d'aller vers plus de portage et moins de postage.
Cette réforme est accompagnée à hauteur de 17 millions d'euros. Notre fonds de soutien à l'expression radiophonique locale augmente par ailleurs d'environ 2 millions d'euros afin de soutenir toutes les radios qui oeuvrent sur l'ensemble du territoire.
Ce budget renforce aussi la création française et les métiers d'art. Il porte la voix de la France dans le monde numérique. Il existe, dans le cadre de France 2030, comme le président Lafon l'a indiqué, une prévision de budget d'un milliard d'euros qui va nous permettre de porter des projets de développement d'infrastructures de tournage, de postproduction, de formation des futurs talents créatifs ou techniques. Ceci va également nous permettre de déployer les nouvelles technologies de l'immersif au service de la culture et du lien entre la culture physique et la culture numérique.
C'est ainsi que 48 millions d'euros viennent en soutien à ce que j'ai appelé notre « souveraineté culturelle dans les mondes physique et numérique », avec le dispositif Mondes nouveaux, la création de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts, ainsi qu'un plan dédié aux métiers d'art, qui permettra de donner à ce secteur une ambition nouvelle à partir de 2023.
Ce budget est aussi le reflet des compétences renforcées des 29 000 agents qui travaillent au sein du ministère. Ils font vivre ce ministère au quotidien, notamment en matière de moyens humains destinés au patrimoine et à l'archéologie. Les architectes des Bâtiments de France (ABF) sont tous les jours aux côtés des collectivités.
La masse salariale du ministère augmente de 38,5 millions d'euros, pour s'établir à 532 millions d'euros. Nous avons consacré 11 millions d'euros à la poursuite du plan de rattrapage indemnitaire, notamment en direction des architectes urbanistes de l'État et des conservateurs du patrimoine avec le financement d'une prime pour les enseignants-chercheurs des Écoles nationales supérieures d'architecture, et avons augmenté la rémunération des contractuels.
Grâce à ce budget, nous allons pouvoir poursuivre la réforme indemnitaire des agents de l'Institut national des recherches archéologiques préventives (INRAP).
Nous prenons évidemment en compte la hausse des 3,5 % de la valeur du point d'indice, qui représente environ 14 millions d'euros. Nous pourrons y revenir.
Il est également important de rappeler l'importance de nos établissements d'enseignement supérieur artistique, qui accueillent 37 000 étudiants en formation. Ils constituent la relève de la création artistique. Je pense notamment aux architectes. Nous comptons en effet près de 20 000 étudiants en école d'architecture et avons donc mis l'accent sur ces écoles dans le budget 2023, où les constats se révélaient assez alarmants depuis quelques années. Nous avons prévu d'attribuer plus de bourses et de revaloriser le cadre des enseignants, d'investir pour améliorer la performance énergétique des bâtiments, avec une enveloppe supplémentaire de 13 millions d'euros.
Ce budget nous permet de consolider la résilience, qui a été possible pour notre secteur culturel après la crise sanitaire qui l'a impacté, et de se projeter dans l'avenir pour penser l'innovation, la création et former la jeunesse à devenir le public de demain.
Comme lors de ma dernière audition, je conclurai mon propos liminaire par un extrait d'un poème de Federico García Lorca intitulé Chants nouveaux .
« Le soir a dit : "Je suis altéré d'ombre !".
La lune a dit : "Moi, d'étoiles brillantes".
La source cristalline veut des lèvres
Et des soupirs le vent.
Mais moi, j'ai soif de parfums et de rires,
J'ai soif de chants nouveaux
Sans lune et sans lys
Et sans amours défuntes,
Soif d'un chant matinal
Qui troublerait les eaux dormantes
De l'avenir, emplissant d'espérance
Leurs ondes et leurs fanges. »
Ce chant qui va emplir l'avenir d'espérance, encore et toujours, c'est celui de la culture !
M. Jean-Raymond Hugonet , rapporteur pour avis sur les crédits de l'audiovisuel public . - L'audiovisuel public voit ses crédits augmenter de 3 %. Cette hausse ne concerne pas l'ensemble des sociétés de la même façon : les crédits de France Télévisions sont stables à + 1 %, ceux de Radio France et de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) augmentent modérément, tandis que ceux d'Arte France et de France Médias Monde connaissent une avancée significative de près de 10 %, ce qui est à souligner.
Quelles raisons expliquent cette distinction opérée entre les entreprises, et comment France Télévisions et l'INA, qui sont parmi les moins favorisés par ce budget, vont-ils faire face à la hausse de l'inflation et à l'assujettissement à la taxe sur les salaires ?
Vous avez par ailleurs choisi de reporter la définition de nouveaux COM à 2024, les avenants aux COM qui nous seront prochainement transmis ne portant que sur l'année 2023. Or l'Arcom devra désigner dès 2023 les présidents de Radio France et de France Médias Monde sur la base du projet stratégique établi par les différents candidats. Comment ces candidats peuvent-ils construire un projet stratégique sans connaître la trajectoire financière pluriannuelle des entreprises qu'ils dirigent ? Comment l'Arcom peut-elle choisir des candidats sur un projet si ce projet est en réalité virtuel ?
N'est-il pas temps, enfin, de réformer la gouvernance des entreprises de l'audiovisuel public, dont on voit une nouvelle fois qu'elle n'est pas cohérente ?
M. Michel Laugier , rapporteur pour avis sur les crédits de la presse . -J'ai publié en juillet un rapport complet, adopté d'ailleurs à l'unanimité par cette commission, sur la presse quotidienne régionale. Il souligne le formidable défi que constitue pour le secteur la hausse des prix du papier. Le projet de loi de finances ne contient cependant aucune mesure spécifique.
Dans le même temps, les 150 millions d'euros que devait coûter sur trois ans le crédit d'impôt premier abonnement, et sur lequel le Gouvernement avait amplement communiqué, a été plus ou moins noyé dans les sables, puis supprimé.
Ne pensez-vous pas qu'il y aurait une justice à réorienter au moins une partie de ces fonds pour aider le secteur à traverser cette crise, même si j'ai vu qu'un amendement a été déposé au sein de la commission de la culture de l'Assemblée nationale ? Je trouve que le montant n'est pas à la hauteur des enjeux, et je crains beaucoup que cet amendement ne survive pas à la navette parlementaire.
Dans mon rapport, je recommandais également de faire évoluer la législation sur CITEO, qui engendre un coût de 22 millions d'euros. Pouvez-vous me dire si la Commission européenne a bien été saisie ou s'il est envisagé de faire sortir la filière papier du régime très contraignant de responsabilité élargie du producteur ? Je rappelle que nous sommes le seul pays européen à avoir fait ce choix.
Comme chaque année, la loi de finances est la triste occasion de constater les difficultés toujours redoutables de la distribution de la presse. Je pense bien entendu à l'opérateur France Messagerie. Ne pensez-vous pas qu'il serait temps de remettre à plat tout le système et de rebâtir un schéma réaliste, qui tiendrait compte de l'attrition inévitable de la vente papier des quotidiens nationaux ?
Enfin, permettez-moi de citer un auteur que vous aimez bien, Khalil Gibran : « Vous êtes bon lorsque vous marchez fermement vers votre but d'un pas intrépide. Pourtant vous n'êtes pas mauvais lorsque vous y allez en boitant. Même ceux qui boitent ne vont pas en arrière ».
M. Julien Bargeton , rapporteur pour avis sur les crédits du livre et des industries culturelles . - La crise du papier pèse beaucoup sur le budget des maisons d'édition indépendantes, qui ne possèdent pas de stock de papier. Comment les aider à faire face à cette hausse ?
Par ailleurs, les librairies indépendantes vont retrouver à peu près les mêmes ventes qu'avant la crise et à peu près la même part de marché, autour de 20 %. Quel bilan peut-on tirer du programme lancé par l'État sur l'aide à la modernisation des librairies et sur d'autres programmes en direction du livre ? Je pense au programme « Jeunes en librairie ».
Enfin, une question au nom de mon groupe : le rapport de la Cour des comptes du 6 octobre sur la cathédrale Notre-Dame de Paris indique que les conditions sont réunies pour rouvrir cet édifice dans les délais impartis, avec un budget maîtrisé. Partagez-vous cette appréciation de la Cour des comptes ?
M. Jérémy Bacchi , rapporteur pour avis sur les crédits du cinéma . - Madame la ministre, une partie de la profession a appelé, le 6 octobre dernier, lors d'un colloque à l'Institut du monde arabe (IMA), à des « Etats généraux du cinéma ». Quel accueil réservez-vous à cette demande et comment expliquez-vous la tonalité, parfois très alarmistes, d'une partie de la presse sur le cinéma, tonalité qui, je le précise, n'est pas unanimement partagée par la profession ?
Par ailleurs, le 4 octobre dernier, le Centre national du cinéma (CNC) a réuni les parties prenantes de la chronologie des médias pour un tour de table sur la dernière version, signée le 24 janvier. À cette occasion, il est apparu que plusieurs acteurs, dont Disney, contestent la chronologie des médias, en particulier concernant l'exclusivité accordée aux chaînes gratuites au bout de 22 mois. Ces chaînes se sont elles-mêmes exprimées sous forme d'une tribune, parue le 28 septembre dans le journal Le Monde , dont je citerai simplement le titre : « Nous sommes responsables de télévisions gratuites. Demandons aux pouvoirs publics de ne pas céder aux diktats des plateformes payantes ». Pensez-vous qu'il soit encore nécessaire de revenir sur cette chronologie ?
Enfin, une étude du CNC, rendue publique à l'occasion du Festival de Cannes, en mai 2022, a essayé de savoir pourquoi les Français vont moins souvent au cinéma. Deux points ont retenu mon attention. Le premier concerne le prix du billet, sachant qu'il est en réalité de 7 euros en moyenne. Le deuxième point touche au manque d'attractivité des films.
Ce deuxième sujet a été très largement débattu, de manière souvent passionnée, avec des propos définitifs, comme ceux du président de Pathé, Jérôme Seydoux, sur France Inter, le 13 octobre dernier : « Les gens ne veulent pas aller au cinéma pour se faire chier » ! On est très loin de la poésie, et je vous prie de m'en excuser. Comment vous situez-vous dans ce débat ?
Mme Sabine Drexler , rapporteur pour avis sur les crédits des patrimoines . - Les réglementations thermiques qui résultent de la loi Climat et résilience nécessitent d'identifier et de rénover les biens énergivores. Ces nouvelles règles, notamment le diagnostic de performance énergétique (DPE), s'avèrent dramatiques pour le patrimoine bâti, qu'il s'agisse de celui qui fait l'objet de protection ou du petit patrimoine de nos régions, comme nos maisons à pans de bois ou en pierres.
En effet, les modalités du DPE ne tiennent aucun compte de la valeur patrimoniale des biens. Les mêmes calculs et les mêmes préconisations s'appliquent aux bâtiments construits entre 1948 et le premier choc pétrolier - qui sont les plus énergivores - et à ceux construits auparavant, notamment les maisons anciennes, qui ont des qualités d'isolation propres, liées à leur orientation, aux matériaux utilisés pour leur construction et surtout à leur inertie, qui leur permet, globalement, d'obtenir des performances énergétiques tout à fait acceptables.
Ces normes d'isolation préconisées sans nuance sont une véritable aubaine pour les professionnels de l'isolation, qui n'hésitent pas à étouffer des architectures remarquables sous des plaques de polystyrène, sans tenir compte de leurs caractéristiques hygrothermiques.
C'est également une aubaine pour les constructeurs qui rachètent, au prix du terrain, des maisons inhabitées et dégradées qui, faute de pouvoir être louées, finiront démolies et remplacées par des constructions neuves, dans le cadre de la mise en oeuvre du plan Zéro artificialisation nette (ZAN). Alors que celui-ci pourrait être une opportunité pour la réhabilitation et la réaffectation du patrimoine bâti, on obtient l'effet inverse, et force est de constater que, dans la perspective de ces mesures, bon nombre de maisons ont déjà fait les frais de ce que certains qualifient de malentendu réglementaire.
Dans ce contexte, quelles sont les mesures envisagées par votre ministère pour contribuer à la préservation du bâti ancien, celui qui confère à notre pays l'identité qui est la sienne et qui contribue à l'attractivité touristique et au dynamisme économique de nos régions ? Compte tenu de l'urgence, comment allez-vous mettre fin à l'application de ces mesures et stopper cette hécatombe ?
Ma deuxième question concerne les services du patrimoine au niveau déconcentré. La meilleure manière de préserver et de sauvegarder le patrimoine, c'est de l'entretenir et de le restaurer. Or ce type de travaux nécessite une expertise dont nos collectivités, en particulier les plus petites, ne disposent pas, pas plus d'ailleurs que les propriétaires privés. L'absence d'aide à la maîtrise d'ouvrage est un handicap qui conduit certains à renoncer à leur projet et, paradoxalement, à la non-consommation des crédits affectés au patrimoine, alors même que l'urgence des travaux est avérée.
L'an dernier déjà, la Cour des comptes et le Sénat pointaient du doigt le manque de moyens humains des directions régionales de l'action culturelle (DRAC) et des unités départementales de l'architecture et du patrimoine (UDAP). Les ABF, en nombre insuffisant, ne sont plus en mesure de remplir leur mission de conseil et sont, de ce fait, souvent mal perçus, notamment par les particuliers, qui ne comprennent pas toujours le sens de leurs préconisations.
Quelles sont les perspectives en termes d'effectifs des services déconcentrés de l'État ? Quels moyens envisagez-vous de mettre en oeuvre pour permettre à ces personnels de mieux remplir leur mission de conseil ?
Mme Sylvie Robert , rapporteure pour avis sur les crédits de la création, et de la transmission des savoirs et la démocratisation de la culture . - Je tiens tout d'abord à me féliciter de la hausse du budget de la culture, même si des inquiétudes demeurent - et je voudrais en exprimer quelques-unes.
La première concerne les difficultés que pourraient rencontrer les évènements et manifestations culturelles pour se tenir à travers le territoire pendant la période des Jeux olympiques de Paris 2024. Je vous avoue que les propos du ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin, que nous avons auditionné plus tôt dans l'après-midi, ne m'ont pas rassurée. Je voudrais que vous nous garantissiez une anticipation interministérielle afin que cette période ne se traduise pas par une saison blanche pour les festivals et qu'aucune décision ne soit prise sans concertation avec les élus et les porteurs de projets.
Je pense qu'il faut différencier Paris et l'Île-de-France du reste des territoires, où il serait dramatique que l'été reste silencieux du fait des JO, comme en 2020, en pleine crise sanitaire. Ma deuxième question a trait à l'augmentation des factures énergétiques. Les critères du bouclier énergétique vous paraissent-ils adaptés au secteur de la création ? Les intermittents du spectacle sont-ils comptabilisés dans le plafond du critère salarial de dix salariés ? La référence au niveau de consommation énergétique de 2021 ne pourrait-elle pas être adaptée, dans la mesure où elle n'apparait pas du tout adaptée aux lieux culturels, qui ont peu consommé cette année-là, ayant été maintenus fermés jusqu'au mois de mai ? Troisièmement, s'agissant du fonds d'innovation territoriale, avez-vous fixé des priorités aux DRAC ? Je pense ici au secteur rural, mais il peut y en avoir d'autres.
Pensez-vous par ailleurs contractualiser avec les collectivités territoriales afin d'éviter la baisse des subventions dans le contexte de crise actuelle ?
Enfin, concernant les arts visuels, disposez-vous d'un bilan chiffré de Mondes nouveaux ? J'ai entendu dire, lors de mes auditions, que la plupart des projets auraient été produits par les mêmes agences d'Île-de-France.
M. Vincent Éblé , rapporteur spécial des crédits de la culture . - Madame la ministre, la situation dans laquelle se trouvent les acteurs et les institutions de la culture, au lendemain d'une crise assez durable est très perturbante pour la conduite des activités culturelles. Beaucoup de compagnies, d'institutions ou de musées se sont trouvés précarisés et sont en grandes difficultés. Les moins soutenus par l'action publique, je veux parler des acteurs privés, doivent parfois réduire leur activité, voire l'interrompre.
L'année 2023 se place sous le triple signe de l'inflation, de la hausse du coût de l'énergie et du retour parfois très partiel du public dans les lieux d'art et de culture. La progression de 7 %, dont vous vous félicitez - il est vrai qu'on ne la trouve pas dans tous les segments de l'action publique -, est à peine supérieure à celle de l'inflation attendue. Ce n'est donc pas une perspective rassurante.
Par ailleurs, il me semble que votre parcours et votre identité font que vous vous intéressez à la question de la présence française à l'international. L'action culturelle internationale est une question déterminante, car si la France est évidemment influente par son économie et sa diplomatie, elle l'est aussi et ô combien par sa présence culturelle dans de très nombreuses régions du monde. De ce point de vue, les crédits portés par le secrétariat général de votre ministère augmentent de 0,7 million d'euros, sur un budget d'environ 7 millions d'euros. Ce n'est pas une fraction négligeable, mais cela ne va pas totalement bouleverser la donne. Quelles sont donc vos priorités en matière d'action culturelle internationale, et quelle est la philosophie de votre action dans ce domaine ?
Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture . - Concernant l'audiovisuel public, je remercie M. Hugonet pour ses interventions récurrentes pour soutenir l'audiovisuel et les réformes destinées à s'adapter aux enjeux de demain.
Les COM ont été effectivement prolongés d'un an, sauf pour Arte, qui bénéficie de deux ans afin de s'aligner avec nos amis Allemands. Il s'agit d'un avenant technique pour le COM 2023. Je le dis toujours, ce sont d'abord les missions, les objectifs, les enjeux, la vision d'avenir dont on doit discuter avant de commencer à parler dans le détail de la trajectoire pour les années qui viennent. J'espère donc que les candidates et les candidats pour France Médias Monde et Radio France sont bien dans cet état d'esprit.
On le sait, dans la discussion avec l'État actionnaire, les entreprises demandent souvent des moyens supplémentaires. C'est ensuite en fonction des priorités qu'elles affichent, des réformes qu'elles souhaitent mener, des synergies qu'elles peuvent développer ensemble qu'on peut travailler avec elles sur le budget.
La répartition des dotations de cette hausse de 114 millions d'euros s'est faite en totale concertation avec les groupes de l'audiovisuel public, en partant de leur plan d'affaires. Nous avons également voulu tenir compte d'enjeux importants sur l'audiovisuel extérieur, et France Télévisions reçoit un supplément de 24 millions d'euros. On a tenu compte à chaque fois des effets fiscaux afin de les neutraliser et du glissement des dépenses en matière de masse salariale pour en prendre une grande partie. Un travail assez fin a été réalisé jusqu'à la dernière minute avec chacun. Il me semble que le résultat est assez consensuel.
Concernant la presse, je remercie le sénateur Laugier de nous rappeler cet enjeu vital pour notre démocratie. On peut se réjouir des 377 millions d'euros qui ont été distribués pendant le plan de relance afin d'accompagner la transition numérique de la presse et la transition écologique. Un fonds de résorption de la précarité pour les journalistes a également été créé. Ce plan de filière a été déterminant. On engage à présent une réforme de la distribution, bien que nous soyons percutés par la flambée du coût du papier. Les entreprises ont déjà accès au bouclier tarifaire « de droit commun », même si la flambée du coût du papier vient s'ajouter aux hausses du prix du gaz et de l'électricité. Énormément de secteurs sont impactés par l'inflation. Avec Bruno Le Maire, nous allons voir comment mieux accompagner ce secteur.
L'écocontribution est effectivement un enjeu crucial. Deux pistes sont possibles : soit monter à nouveau au créneau auprès de la Commission européenne, soit sortir la presse de ce régime de responsabilité élargie du producteur. Le ministère de la culture est en train d'avancer sur ces deux hypothèses. Nous pourrons vous en dire plus très bientôt.
Je rejoins aussi l'inquiétude du sénateur Bargeton concernant les maisons d'édition. Il n'y a pas que la presse à être impactée par le coût du papier. Les maisons d'édition sont amenées à faire des choix, à imprimer avec des polices plus petites, voire à renoncer à certains ouvrages, ce qui peut être préoccupant. Nous allons étudier les choses au cas par cas avec le Centre national du livre (CNL), qui soutient notamment les petits éditeurs.
Les grosses maisons d'édition sont, me semble-t-il, en bonne santé. Même si elles sont impactées par le coût du papier, elles ne vivent pas la même situation que la filière presse. Les années 2020 et 2021 ont été relativement exceptionnelles. L'année 2022 l'est moins, c'est vrai, depuis la guerre en Ukraine. On sent un fléchissement depuis le mois de mars, mais la rentrée littéraire a été très forte. Le prix Nobel reçu par Annie Ernaux, dont on peut être très fier, dope les ventes de Gallimard et vient aider nos libraires. C'est donc tout l'écosystème qui est ainsi soutenu.
Le plan de relance prévoit de nombreuses aides pour les librairies pour réaliser, en plus du pass Culture, comme l'opération Jeunes en librairie, entreprise en Nouvelle-Aquitaine sur le long terme, que nous avons étendue à plusieurs régions. Je n'ai pas le bilan précis sous les yeux, mais je vous le transmettrai dès que possible.
Merci d'avoir rappelé que la Cour des comptes s'est penchée avec précision sur le chantier de la cathédrale Notre-Dame de Paris et a salué une gestion visiblement impeccable, les délais ayant pour l'instant été tenus par rapport aux prévisions. Je ne peux que me réjouir de ces conclusions de la Cour, et renouveler ma confiance au général Georgelin, qui mène ce chantier de main de maître.
Monsieur le sénateur Bacchi, merci de me donner l'occasion d'insister ici sur tout ce que nous mettons en oeuvre pour soutenir le secteur du cinéma, face à une baisse de fréquentation préoccupante. Il en va de même pour le spectacle vivant. Pour le cinéma, nous sommes en moyenne entre 25 % et 28 % de baisse. Un quart du public n'est pas revenu dans les salles depuis le Covid, mais la situation est quand même bien meilleure en France que dans les autres pays : - 60 % de fréquentation en Italie, - moins 40 % en Espagne, - 40 % en Allemagne pour ne citer que ces trois exemples.
Notre écosystème a mieux résisté. Les Français sont plus cinéphiles, et c'est une bonne nouvelle, même si ce n'est pas suffisant pour la vitalité de notre industrie. À court terme, nous avons décidé de soutenir une campagne de communication à hauteur d'un million d'euros. Le slogan d'une campagne d'affichage qui va débuter demain, affirme : « On a tous une bonne raison d'aller au cinéma. Et vous, quelle est la vôtre ? ». Il s'agit de faire rêver les Français et leur redonner envie de voir les films sur grand écran, ce qui est sans commune mesure avec le fait de regarder un film chez soi, sur tablette ou ordinateur.
Les raisons de cette baisse de fréquentation sont multiples. La première résulte de la perte d'habitude entraînée par le confinement et le couvre-feu, ce que j'appelle la « plateformisation » de nos vies. De nouvelles habitudes ont été prises. Le tarif moyen, en France, vous l'avez rappelé, est de 7 euros. En Allemagne, il est de 8,90 euros. Le prix n'est donc pas si élevé en France. Il existe énormément de tarifs réduits dans les salles de cinéma, mais la perception du coût persiste. Un effort reste à faire pour rappeler l'ensemble des tarifs réduits disponibles.
Par ailleurs, le changement d'habitude dû au télétravail explique peut-être aussi le fait qu'on ressorte moins facilement, notamment pour aller au cinéma. Le public est également plus exigeant - sans reprendre la formule de M. Seydoux. On demande aux oeuvres plus de qualité et d'originalité. Les films français sont d'une grande diversité, d'une grande originalité et d'une grande singularité. Novembre , Simone , L'innocent sont des films qui démarrent très bien. Nos concitoyens ont donc l'embarras du choix pour les vacances de la Toussaint.
Je préfère ce discours volontariste et optimiste - sans compter toutes les aides que nous continuons à déployer. Pendant la crise sanitaire, elles s'élevaient à 300 millions d'euros, dont 220 millions d'euros uniquement pour les salles, et nous poursuivons ces efforts.
Je me tourne vers la sénatrice Drexler s'agissant des sujets qu'elle a soulevés à propos de la conciliation nécessaire entre patrimoine, énergies renouvelables, transition écologique et isolation thermique. Il me faudrait plusieurs heures pour y travailler avec vous, mais je vois bien à quoi vous faites allusion.
Nous sommes en train de travailler par exemple sur le photovoltaïque avec le ministère de la transition énergétique, afin de rédiger une instruction ministérielle pour permettre aux ABF d'évaluer plus précisément dans quel cas installer des panneaux photovoltaïques. Des innovations portent sur les nouveaux types de panneaux qui peuvent être pris en compte.
Sur chaque sujet, qu'il s'agisse des fenêtres, des différentes formes d'isolation ou du photovoltaïque, on bénéficie d'une expertise des architectes des Bâtiments de France, l'enjeu étant de ne pas avoir d'installations trop disparates qui abîment le patrimoine. On doit pouvoir concilier les deux.
Merci à Sylvie Robert d'avoir évoqué le sujet des festivals et, plus globalement, l'inquiétude qui plane autour de l'inflation et de l'augmentation du coût de l'énergie.
Les jeux Olympiques constituent une formidable opportunité pour la France. C'est aussi l'occasion de construire un projet culturel ambitieux. Nous avons décidé, avec Amélie Oudéa-Castéra et le Comité des jeux Olympiques, de lancer les Olympiades culturelles. Elles ont déjà démarré et vont se poursuivre jusqu'à mi-2024. Le budget 2023 prévoit d'ailleurs 3 millions d'euros pour ce faire. Le Comité des jeux Olympiques prévoit lui-même, avec Dominique Hervieu comme directrice artistique, ancienne directrice de la Maison de la danse de Lyon, un programme assez ambitieux de concerts et d'événements, qui vont nécessiter des installations techniques, des forces de sécurité. S'ajoutent les festivals habituels qui font l'ADN de la France culturelle de l'été.
Il est très important de prendre en compte l'impact, en France, des Jeux sur les festivals, notamment en termes d'organisation technique. Certains m'alertent sur des pénuries de matériel et des locations déjà bloquées pour les jeux Olympiques et Paralympiques. Quelques sociétés de sécurité privées sont déjà réservées pour les jeux. Il y a là une pression sur nos festivals, et je vais tenter de trouver des solutions.
Concernant la hausse des factures énergétiques, nous disposons dans le budget 2023 d'une enveloppe de 56 millions d'euros, destinée à accompagner les cas les plus critiques, à savoir ceux dont les bâtiments sont des passoires thermiques absolues et, en priorité, les établissements nationaux, qui ne sont soutenus que par l'État. Nous maintenons néanmoins partout nos subventions, avec même des hausses au cas par cas, selon les régions, même là où on enregistre des baisses de certaines collectivités. Nous essayons de venir en aide à des structures comme la Villa Gillet, à Lyon, par exemple, dont nous avons augmenté la subvention qui a été drastiquement amputée par le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes. Nous ne pouvons pas, toutefois, compenser partout les baisses des collectivités. C'est un vrai sujet.
Vous avez évoqué le bilan de Mondes nouveaux. Je crains qu'il existe une confusion. On dénombre trois catégories de projets, ceux qui ont lieu dans les monuments relevant du Centre des monuments nationaux, ceux qui ont lieu dans les sites naturels du Conservatoire du littoral et ceux situés dans d'autres types de lieux - un Ehpad, une cour d'école, une université, une place publique etc. Certains projets nécessitaient qu'une agence accompagne les artistes dans la production de leur projet. Certains sont très jeunes et n'ont pas la capacité à s'en charger. Ces agences de production sont basées à Paris, mais le budget de Mondes nouveaux s'adresse aux 264 projets qui ont été retenus partout en France et permet de soutenir 450 artistes.
En Bretagne, par exemple, 34 projets sont soutenus. Dans les Hauts-de-France, on en compte 21, 14 en Nouvelle-Aquitaine, 35 en Provence-Alpes-Côte d'Azur. On en trouve outremer également : 12 en Martinique, 6 à la Réunion, 6 en Guadeloupe, 4 en Guyane, etc. Il existe même un projet à Mayotte, alors qu'on avait du mal à en trouver. La répartition est assez équitable entre les disciplines artistiques.
Ce qui est intéressant, c'est la mobilisation de collectifs. 26 % des projets sont en fait pluridisciplinaires et portés par des collectifs. Beaucoup de jeunes artistes ont proposé des projets à cheval sur plusieurs disciplines : la danse et l'architecture, le design et la musique, etc., qui se répartissent de manière très équilibrée entre les arts visuels, le spectacle vivant, l'écriture, la littérature, etc.
Enfin, le sénateur Éblé, rapporteur spécial, a affirmé que la hausse du budget ne couvrait pas l'inflation. L'inflation sur laquelle nous nous sommes basés est celle estimée par la Banque de France, soit 4 2 % pour 2023. Avec un budget en hausse de 7 %, on est bien au-dessus.
L'enjeu de la langue française et de l'action française à l'international est très important pour moi. Nous le portons avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui chapeaute le réseau culturel français à l'étranger et partage avec nous la tutelle de l'Institut français, qui déploie cette action. Dans notre budget 2023, nous mettons l'accent sur plusieurs points : je tiens beaucoup au réseau des librairies francophones, qui sont absolument vitales pour continuer à diffuser le livre en langue française. J'ai ainsi débloqué une aide de 500 000 euros à quatre librairies qui allaient faire faillite au Liban, au Brésil et au Mali. Nous allons continuer notre soutien aux librairies francophones via le Centre national du livre. Le soutien à la distribution du livre se fait aussi via la Centrale de l'édition. On a ajouté un million d'euros pour l'international et pour l'outre-mer.
Le soutien à la traduction et aux projets littéraires passe notamment par un nouveau programme issu du sommet des Deux Rives, dénommé Livres des deux rives, qui relie la France et les pays du Maghreb en soutenant des projets littéraires, des éditions en langue française et des traductions.
Le projet de Villers-Cotterêts va évidemment nous mobiliser dans les prochains mois. Son ouverture au public est prévue au printemps 2023. Cette cité internationale de la langue française au coeur des Hauts-de-France, dans le département de l'Aisne, sera créée dans l'ancien château de François 1 er , dans la ville où Alexandre Dumas vit le jour. Cette terre de littérature va pouvoir accueillir des artistes, des écrivains du monde francophone et du monde entier. Des projets vont y être déployés avec des associations locales en matière d'apprentissage du français, avec l'aide d'entreprises françaises en pointe en matière de technologies de la langue et de la traduction. C'est un bien beau projet pour la langue française.
Mme Else Joseph . - Je constate que les festivals, à la suite à la crise sanitaire, ont fait preuve d'une incroyable vitalité dans le cadre de la reprise des activités culturelles. Ils figurent parmi les premiers diffuseurs de la culture dans les territoires et jouent un rôle essentiel dans l'écosystème culturel.
Le groupe d'études « art de la scène, de la rue et des festivals en régions », dont je suis membre, salue le travail amorcé avec les trois actes des états généraux des festivals pour réaffirmer le rôle de l'État et sa politique à destination des festivals. La mise en place d'un nouveau fonds festival est une bonne nouvelle, même si sa dotation de 10 millions d'euros par an, qui est annoncée jusqu'en 2024, reste insuffisante pour couvrir les besoins des 7 300 festivals cartographiés.
Quelle est la prochaine étape concernant l'évolution de cette politique publique ? De nouvelles priorités devraient-elles être définies à court et moyen termes ? L'État entend-il débloquer de nouveaux moyens budgétaires pour accompagner les festivals ?
Par ailleurs, s'agissant des crédits du plan de relance consacré au patrimoine, si le rapport que nous avions rédigé avec Olivier Paccaud avait donné acte au Gouvernement des efforts majoritairement tournés vers le patrimoine national, la France dispose néanmoins d'un autre patrimoine qui appartient à des acteurs qui consacrent de nombreux moyens à son entretien. Qu'est-il prévu pour les monuments n'appartenant pas à l'État, qu'il s'agisse de monuments relevant de propriétaires privés ou de collectivités locales ?
M. Pierre Ouzoulias . - Madame la ministre, plusieurs des questions que je souhaitais poser ont déjà été évoquées, notamment par Sabine Drexler, au sujet du rôle des DRAC dans l'accompagnement des collectivités. Le président Lafon a cité le rapport d'Anne Ventalon et de votre serviteur sur les édifices religieux, qui met en lumière un certain nombre de phénomènes et, surtout, le fait que les maires ne savent comment mobiliser les services de l'État et les financements nécessaires pour rénover leur patrimoine.
Ceci pose la question plus générale de l'action décentralisée de l'État. Avec Anne Ventalon, nous nous sommes aperçus qu'on trouve aujourd'hui autant de politiques d'inventaire que de régions, les compétences étant décentralisées. Toutefois, la somme de ces politiques régionales ne fait pas une politique nationale. Certains domaines, comme celui des synagogues alsaciennes, par exemple, que nous avons signalé dans notre rapport, mériteraient toute l'attention de l'État, faute de quoi ce patrimoine va disparaître. Il témoigne pourtant de ce qu'a été le judaïsme dans le Haut-Rhin, qui est constitutif de notre identité. C'est important de le répéter : si on ne fait rien, ces synagogues vont être vendues et transformées, et il n'existera plus aucune trace de cette culture en Alsace, notamment dans le Haut-Rhin. Il est donc nécessaire que le ministère de la culture définisse de grands axes.
S'agissant de l'archéologie, je ne peux presque rien ajouter, puisque c'est la première fois qu'elle est autant citée dans un discours ministériel. Toutefois, pour ce qui est de l'INRAP, l'effet ciseaux peut être redoutable. L'INRAP subit, comme tous les opérateurs, la hausse des prix de l'énergie et l'inflation, mais le plan de relance a par ailleurs amené une demande beaucoup plus forte de diagnostics, que l'INRAP ne peut réaliser avec ses moyens. L'Institut souhaiterait donc, de façon temporaire, notamment concernant ces demandes de diagnostics supplémentaires, pouvoir dépasser son plafond d'emplois, le risque étant qu'on se retrouve de nouveau face à un conflit entre les collectivités et l'Institut. Ce dernier, faute de moyens financiers, ne pourra en effet réaliser les diagnostics et les fouilles.
Vous avez cité Federico García Lorca. « Dieu le fracas que fait un poète qu'on tue » a dit Aragon. J'en viens à l'Europe de la culture et à Giorgia Meloni. La filiation est malheureusement directe. Le parti Fratelli d'Italia a dit de façon très claire qu'il fallait une culture d'État, que la culture devait se mettre au service du récit national et qu'on pourrait remplacer des fonctionnaires qui ne respecteraient pas cette règle. Ce qui pourrait s'apparenter à un art officiel ou au réalisme soviétique est en train de se mettre en place en Europe. C'est une forme de totalitarisme culturel insupportable.
Vous me permettrez de citer Antonio Gramsci pour finir. Mme Meloni se réclame de Mussolini. Gramsci a payé de sa vie son indépendance d'esprit. Je le cite : « Se connaître soi-même signifie être maître de soi, se différencier, se dégager du chaos, être un élément d'ordre, mais un élément de son ordre propre et de sa propre discipline à l'égard d'un idéal. Et tout ceci ne peut s'obtenir sans connaître aussi les autres, leur histoire, la succession des efforts qu'ils ont faits pour être ce qu'ils sont, pour créer la civilisation qu'ils ont créée. »
Mme Catherine Morin-Desailly . - Je tiens à vous féliciter car vous êtes l'un des rares ministres de la culture qui parle enfin, lors d'une audition budgétaire, de l'action extérieure de l'État et, en tout cas, de la politique culturelle à l'étranger.
Je trouve cela très important. Notre commission vote ces crédits, tout comme la commission des affaires étrangères, mais rares ont été les occasions de dialoguer en direct avec le ou la ministre de la culture sur cette politique, également liée à notre politique nationale. Les ensembles que nous accompagnons, à travers les compagnies ou l'Institut français, oeuvrent aussi sur le territoire national, et il y a forcément des connexions et des stratégies à développer. Les propos que vous avez tenus m'ont donc intéressée.
Ma question porte sur les enseignements artistiques. Je vous ai entendu à deux reprises parler devant notre commission de l'éducation artistique et culturelle. Je ne vous ai toutefois pas entendue au sujet de l'enseignement artistique. Quelle différence faites-vous entre les deux terminologies, et quelle réalité recouvrent-elles en termes de politique publique ?
Si j'évoque cette question, c'est pour vous alerter une nouvelle fois sur le devenir de nos écoles d'art et de nos conservatoires, préoccupation que partagent plusieurs collègues de cette commission. Il ne saurait y avoir d'éducation artistique sans enseignement artistique si l'on veut doter nombre de nos jeunes concitoyennes et concitoyens d'une formation technique. Ce sont en effet les enseignements artistiques qui permettront, par la suite, le déploiement de l'éducation artistique et culturelle et fournissent à la fois nos troupes, nos orchestres, nos scènes, nos salles, lieux de vie que nos jeunes concitoyennes et concitoyens sont amenés à fréquenter.
Ces établissements sont en très grande souffrance depuis pratiquement vingt ans. Rares sont les ministres de la culture qui se sont préoccupés de leur sort, je le dis comme je le pense - et je ne suis pas la seule ici. On a vu disparaître complètement les budgets dédiés aux conservatoires, puis être rétablis quelques années après, mais de façon incomplète. Ces établissements, pour lesquels agissent les collectivités - principalement les communes et les intercommunalités - se voient bloqués parce que les lois de décentralisation ne sont pas accompagnées par le ministère.
Si on doit reparler de décentralisation - j'ai entendu que Mme Borne était très allante sur ce sujet -, il va bien falloir reparler de la décentralisation des enseignements artistiques, et que le ministère de la culture soit partie prenante avec les collectivités territoriales.
Des directrices et des directeurs démissionnent ou abandonnent le métier. Ces établissements sont souvent considérés comme des établissements élitistes : on confond excellence et élitisme ! Ils ont su évoluer pour se doter de missions complémentaires et s'ouvrir sur la cité. Ce sont des pôles de ressources pour des territoires de référence. Ils méritent donc vraiment d'être accompagnés et de connaître une évolution si l'on veut assurer leur devenir.
Jette-t-on un regard sur ces établissements dans cette loi de finances, qui en ont bien besoin et qui comptent certainement sur vous, madame la ministre, alors que vous venez de prendre vos fonctions ?
M. Laurent Lafon , président . - Je souhaiterais vous poser deux questions en lieu et place de Sonia de La Provôté.
La première question concerne les écoles nationales d'architecture. Outre le contexte qui accroît la contrainte budgétaire des établissements, les politiques publiques en matière de développement durable, dont le défi thermique, ont un impact croissant sur le métier d'architecte. Ce métier est d'ailleurs vital dans le cadre de la lutte contre le changement climatique.
Avez-vous prévu un plan de développement de l'enseignement supérieur et de la recherche en architecture ? L'échange au niveau interministériel entre les ministères chargés de l'écologie, du logement, des territoires et le vôtre fonctionne-t-il suffisamment pour co-construire ce plan ?
Par ailleurs, le déséquilibre dans la répartition des crédits consacrés au patrimoine entre Paris et l'Île-de-France et les autres villes et régions s'accentue cette année - je cite Sonia de La Provôté. Même si l'effet de levier des crédits de l'État en régions est sans commune mesure, dès lors que les collectivités participent également au financement, est-il légitime que l'approche et l'accompagnement du ministère soient si déséquilibrés ?
M. David Assouline . - Il est rare que j'aie à le faire - même si je vais ensuite pondérer mon propos -, mais je voudrais saluer, dans un contexte difficile, l'augmentation de 7 % que vous annoncez. On voit que vous savez négocier les budgets. Vous avez occupé des fonctions où vous arbitriez plutôt la baisse. Vous êtes maintenant obligée de monter au front pour obtenir plus, et vous savez le faire.
J'ai dû, sous un Gouvernement que je soutenais pourtant, m'insurger à propos du fait qu'on puisse baisser les crédits de ce secteur. Je suis donc plutôt satisfait, mais je veux vous mettre en garde à propos de la façon dont vous présentez les choses, car cela peut nous faire baisser la garde. Avec une inflation à 4,2 %, l'augmentation de 7 % revient à un peu plus de 2 %. En effet, l'inflation sera peut-être plus importante que prévu, et la hausse du coût de l'énergie va s'additionner. Or les factures sont énormes dans certains secteurs qui consomment beaucoup d'énergie. Au moins n'y aura-t-il pas de baisse.
En second lieu, on trouve malheureusement des secteurs qui augmentent et d'autres qui stagnent, sans qu'on comprenne pourquoi. Je suis d'accord avec le rapporteur des crédits de l'audiovisuel public - c'est rare ! -, qui a raison de dire que France Télévisions, qui a subi pendant plusieurs années des baisses budgétaires, stagne aujourd'hui, l'augmentation de 1 % se situant en dessous de l'inflation. Il s'agit d'une baisse dans les faits. Je passe sur les coûts de l'énergie supportés par France Télévisions, qui consomme beaucoup d'électricité pour réaliser ses programmes. Dans tous les secteurs, la ventilation est inégale.
Par ailleurs, si vous avez tenu parole sur le fait que la redevance est compensée à l'euro près - et même plus -, vous ne nous avez toujours pas rassurés sur la pérennité de ce financement.
Enfin, la commission d'enquête sur la concentration des médias en France, dont j'étais rapporteur, que M. Lafon présidait, a de manière consensuelle établi que la ventilation des aides à la presse ne convenait pas. Vous nous parlez de volumes, mais nous attendons une réforme pour faire en sorte que ceux qui ont les moyens et qui touchent le plus touchent moins, et que tous les petits et les nouveaux médias puissent recevoir l'aide qu'ils n'ont pas aujourd'hui. On aimerait donc une refonte plus juste, indépendamment du montant global, car c'est ce qui est aujourd'hui attendu.
M. Bernard Fialaire . - Je voudrais saluer à la fois l'augmentation du budget et les grandes priorités que vous avez fixées à votre ministère, mais j'aimerais néanmoins obtenir quelques éclaircissements sur deux points.
Je salue le fait que vous vouliez attirer de nouveaux publics dans les lieux culturels, et en particulier les jeunes. On sait toutefois que les jeunes ont une utilisation excessive des écrans - les réseaux sociaux, majoritairement TikTok, mais aussi les jeux vidéo -, qu'on nous présente comme une activité culturelle, mais qui ne peut être la seule et qui entraîne une addiction et une sédentarité grandissantes qui ont de vrais retentissements sur la santé physique et psychique des enfants.
Que souhaitez-vous faire concrètement pour que les jeunes puissent bouger un peu plus, aillent assister à des spectacles vivants, reviennent à la lecture et visitent des lieux de culture ? Vous avez évoqué des Olympiades de la culture. Comment comptez-vous associer les ministères des sports et de l'éducation pour sortir les jeunes de ces addictions ?
En second lieu, vous avez dit vouloir garantir la fiabilité de l'information. Selon un sondage du Cevipof, seuls 29 % des sondés déclarent avoir confiance dans les médias. Quelle piste envisagez-vous pour garantir que l'information dispensée par nos médias soit vérifiée, fiable et redonne confiance à nos concitoyens ? C'est un enjeu important de la démocratie et de la société dans laquelle nous vivons. Pensez-vous que des réflexions sur une déontologie des médias mais aussi des journalistes puissent être envisagées ?
Mme Marie-Pierre Monier . - Madame la ministre, la stagnation des crédits en faveur des musées territoriaux se poursuit cette année. Elle s'inscrit dans un contexte de forte inflation qui interroge alors que, dans le même temps, les crédits destinés aux musées nationaux sont en hausse de 5 %. Merci de veiller à irriguer la culture dans nos territoires, au-delà des grands musées nationaux.
Le budget évoque une reprise de la fréquentation des institutions patrimoniales cette année, après deux ans de crise sanitaire. Cette reprise est-elle homogène sur l'ensemble du territoire français ?
Par ailleurs, on constate une stagnation des crédits prévus pour les études et travaux des sites patrimoniaux remarquables (SPR), qui sont reconduits à 8,9 millions d'euros depuis 2018. Pourquoi cette enveloppe n'a-t-elle pas évolué ?
L'année 2022 a connu une hausse budgétaire au profit des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) et du réseau Villes et d'art et d'histoire, qui sont maintenus à 6,5 millions d'euros, comme en 2022, ce qui constitue une baisse réelle compte tenu de l'inflation. Nous sommes pourtant nombreux à être très attachés au rôle des CAUE, dont nous souhaiterions une présence dans tous les départements. Ils apportent une aide précieuse aux maires des petites communes, qui font régulièrement appel à eux pour leurs projets patrimoniaux.
Par ailleurs, lors d'une audition préparatoire à l'examen du projet de loi de finances, le président de l'association des DRAC de France nous a alertés sur le manque d'attractivité des professions en leur sein, qui conduit à laisser des postes vacants, notamment dans les territoires, entraînant en conséquence une surcharge de travail pour les personnels en place. Cette dynamique risque encore de s'aggraver au vu d'une démographie actuellement plutôt âgée. On nous a parlé de douze postes ouverts, dont seulement quatre sortis de Chaillot. Quelles sont les pistes envisagées par le ministère pour répondre à ce déficit d'attractivité ?
Enfin, depuis que la maîtrise d'ouvrage des travaux sur les monuments a été rendue aux propriétaires, il est prévu par le code du patrimoine que les DRAC puissent apporter une assistance à maîtrise d'ouvrage à titre onéreux ou gratuit. Or le récent rapport de la Cour des comptes, intitulé « La politique de l'État en faveur du patrimoine monumental » établit que cette disposition a eu très peu d'effets. Seules trois DRAC - Bretagne, Hauts-de-France et Pays de Loire - ont mis en place une offre qui demeure marginale. Ce rapport souligne les limites d'initiatives portées par d'autres acteurs, à l'instar des départements. Au regard de ce tableau, une évolution du cadre et des effectifs associés aux DRAC est-elle envisagée ?
Mme Monique de Marco . - Madame la ministre, les salles de concerts, comme de nombreuses entreprises, sont frappées de plein fouet par la crise énergétique et la hausse des factures. Le syndicat des musiques actuelles a lancé une enquête auprès de ses adhérents sur le sujet. Les premiers résultats indiquent que les salles font face, par rapport à 2021, à une hausse de plus de 100 % de leurs factures énergétiques et de 87 % de leurs factures de gaz.
Le problème vient du fait que ces entreprises sont en dehors des dispositifs d'aide. Pour rappel, il en existe aujourd'hui deux. Le premier réside dans le bouclier tarifaire, qui limite à 15 % d'augmentation les factures des entreprises de moins dix salariés faisant moins de 2 millions d'euros de chiffre d'affaires. Or les seuils, quand on compte les salariés à temps complet et les intérimaires, sont souvent inférieurs à dix salariés.
Le deuxième problème vient de l'aide spécifique pour les entreprises qui consomment plus de 3 % de leur chiffre d'affaires. On sait que le Gouvernement compte revoir ces dispositifs pour inclure plus d'entreprises, mais j'attire votre attention sur cette question, afin que les salles de concert ne soient pas oubliées.
Par ailleurs, vous annoncez un plan d'investissement d'un milliard d'euros pour les industries culturelles et créatives, notamment les technologies du métavers. Il me semble que se pose une question d'intérêt public, et qu'il faut distinguer les expériences culturelles - réalité virtuelle, réalité augmentée - des opérations spéculatives, telles que l'arrivée des systèmes NFT et des cryptomonnaies sur le marché de l'art. Le plan d'investissement d'un milliard d'euros permettra-t-il de soutenir aussi le développement de ces NFT ?
M. Max Brisson . - Vous avez annoncé que le budget de la culture était en augmentation forte, et nous nous en sommes tous réjouis. Cette hausse, comme vous nous l'avez indiqué, concerne particulièrement le patrimoine culturel de l'État, qui compte plusieurs grands projets. Vous avez largement parlé du château de Villers-Cotterêts, au sujet duquel notre commission, vous le savez, a eu l'occasion d'émettre un certain nombre de réserves à propos du projet muséal, dont nous avons souligné le côté hors-sol quelque peu surprenant à l'heure de la sobriété. Qu'en est-il de la trajectoire financière du chantier, de ses éventuels dépassements et de l'état de son exécution ? Ne pensez-vous pas que ce projet est facteur de déséquilibre face au soutien que nécessiterait notre réseau de centres culturels et d'instituts à travers le monde, qui crient souvent misère ?
Par ailleurs, notre commission est très attentive à la circulation des biens culturels et à la préservation de l'intégrité des collections nationales. Avec Catherine Morin-Desailly et Pierre Ouzoulias, nous avons proposé à votre prédécesseur un cadre permettant de fonder cette politique, qui a souvent pris des tournures déplaisantes. Le Président de la République a annoncé lui-même une loi-cadre depuis le musée du Quai Branly - Jacques Chirac, lors du départ du trésor d'Abomey vers le Bénin : où en sommes-nous de ce projet de loi annoncé par le Président de la République ?
Mme Béatrice Gosselin . - Depuis son origine, le dispositif Malraux vise à contribuer à la conservation du petit patrimoine historique dans les quartiers anciens et dégradés des villes. C'est un outil très précieux dans le cadre des politiques de revitalisation des centres-bourgs et centres-villes, d'autant qu'il peut permettre à votre ministère de vous assurer que la préservation du patrimoine soit prise en compte lors de ces opérations de revitalisation.
L'Inspection générale des finances (IGF), ainsi que l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) avaient rendu en décembre 2018 un rapport préconisant l'adaptation du dispositif Malraux pour une contribution plus efficace à la restauration des centres-bourgs et des centres-villes. De nombreuses associations de sauvegarde du patrimoine ont fait des propositions, comme l'augmentation du crédit d'impôt pour les bâtiments dans lesquels les loyers ne peuvent être très élevés, ou encore une extension pour les propriétaires occupants. Des discussions ont-elles été engagées au niveau interministériel pour faire évoluer ce dispositif ? Enfin, quelle est la position du ministère de la culture à ce sujet ?
M. Lucien Stanzione . - Je souhaiterais que vous puissiez revenir sur la question de la hausse des coûts de l'énergie et des fluides. Qu'allez-vous entreprendre par rapport à la vague qui arrive ?
En second lieu, sans anticiper le travail que va faire notre collègue Bargeton sur le CNM, comment pensez-vous faire en sorte que les majors cotisent ce qu'elles devraient cotiser, ce qui n'est pas le cas en ce moment, semble-t-il ?
Concernant la sortie de la crise sanitaire, un nombre important de petits et moyens festivals sont en train de fermer parce qu'ils n'atteignent pas des niveaux de fréquentation suffisants pour couvrir la hausse de leurs dépenses. Avez-vous un plan dans ce cadre ?
Par ailleurs, certains opérateurs de spectacle se produisent dans des locaux mis à leur disposition par les collectivités territoriales. Or l'effet de l'augmentation du prix de l'énergie et des fluides va se répercuter sur les collectivités. Quelle est la position du ministère ? Y aura-t-il une aide au niveau des opérateurs de spectacles ou des collectivités pour éviter les fermetures de salles ? Face à l'évolution salutaire des salaires et de la masse salariale et au surcoût des prix de l'énergie et des fluides, comment souhaitez-vous venir en aide au secteur ?
Enfin, du fait des jeux Olympiques de 2024, une grande quantité de techniciens, d'éclairagistes, de manutentionnaires et de personnels de sécurité sont d'ores et déjà mobilisés partout en France. Quels dispositifs allez-vous pouvoir mettre au point pour l'ensemble des festivals, en particulier les plus gros ? En tant que régional de l'étape, je plaiderai bien sûr pour celui d'Avignon !
Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture . - Mon premier bloc de réponses portera sur le patrimoine. Je sens une certaine confusion par rapport à vote perception centralisée de notre politique du patrimoine, alors que tel n'est pas le cas. Le montant des budgets alloués à la protection des monuments historiques concerne l'Île-de-France à seulement 9 %, contre 91 % partout ailleurs. Le plan relatif aux cathédrales consacre ainsi 4 % à l'Île-de-France et 96 % aux autres régions. Notre politique du patrimoine est donc totalement territoriale.
Je rappelle l'existence du fonds incitatif pour le patrimoine que nous avons créé avec les régions, qui permet de soutenir davantage, avec les collectivités, le patrimoine de proximité - sans compter le loto du patrimoine qui permet aussi d'aider les sites non protégés.
C'est depuis la loi de 2004 qu'existe la séparation entre la responsabilité de l'État sur le patrimoine protégé, inscrit, classé, et le patrimoine qui ne l'est pas. Ainsi, la majorité des églises relèvent des collectivités. C'est un partage qui a été fait dans la loi. On peut évidemment y déroger au cas par cas, ou via le loto du patrimoine, soutenir le patrimoine des communes et des propriétaires privés, mais refonder complètement la répartition entre l'État et les collectivités constituerait un énorme chantier, la France comptant 40 000 à 50 000 monuments historiques.
Je n'ai pas été très précise dans mes réponses concernant les effectifs, mais le budget 2023 offre un certain nombre de réponses. Les effectifs déconcentrés dans le domaine du patrimoine représentent 2 400 équivalents temps plein (ETP). C'est un énorme moteur pour les agents du ministère. Un effort est fait pour réduire les vacances de postes, avec plusieurs concours pour les services des DRAC. 101 postes de nouveaux agents, techniciens et ingénieurs vont pouvoir être ventilés entre les UDAP, en soutien aux architectes des Bâtiments de France, et auprès des conservateurs régionaux des monuments historiques (CRMH). Tout cela va permettre de soutenir l'activité de maîtrise d'ouvrage et d'assistance aux propriétaires.
Concernant le patrimoine religieux, je ne pourrai jamais être aussi éloquente que le rapport d'Anne Ventalon et de Pierre Ouzoulias. Une grande partie des restaurations des monuments historiques que nous soutenons est dédiée au patrimoine religieux. Cela représente environ 100 millions d'euros par an sur le budget des DRAC, soit 82 % des projets des années passées. 576 projets ont été menés à bien entre 2018 et 2021. Environ un quart des projets liés au loto du patrimoine concernent le patrimoine religieux.
Je suis d'accord avec vous sur la nécessité de préserver les synagogues. Le loto du patrimoine permet régulièrement de soutenir toute la diversité du patrimoine religieux. Je pense ici à la synagogue de Verdun. Les synagogues d'Alsace constituent un sujet assez spécifique sur lequel nous devons nous pencher de manière prioritaire, vous avez raison. Nous sommes en train de recruter un nouveau ou une nouvelle responsable pour la DRAC Grand Est. Dès que cette personne sera arrivée, nous devrions entamer une campagne de protection spécifique pour protéger les synagogues les plus emblématiques. Nous vous associerons bien sûr à ces travaux.
Vous avez par ailleurs mentionné le dispositif Malraux. Il s'agit d'une réduction d'impôt sur le revenu en faveur des dépenses effectuées en vue de la restauration complète d'un immeuble bâti, pour lequel une demande de permis de construire ou une déclaration préalable de travaux a été déposée. Le taux de réduction d'impôt est compris entre 22 % et 30 %, sous certaines conditions. Le PLF 2023 ne comporte pas de modifications de ce dispositif. Nous cherchons simplement à le rendre plus efficient pour notre patrimoine - et plus lisible.
Quant à Villers-Cotterêts, je suis un peu surprise, monsieur le sénateur Brisson. On ne peut, d'une part, nous demander de mieux soutenir le patrimoine abandonné ou en déshérence dans les collectivités hors Île-de-France et, d'autre part, nous reprocher de sauver ce château magnifique de François 1 er , qui était dans un état désastreux et abandonné depuis des dizaines d'années.
M. Max Brisson . - Je n'ai pas dit cela !
Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture . - Vous avez émis des réserves et avez trouvé surprenant que nous nous occupions de ce chantier à l'heure de la sobriété...
M. Max Brisson . - Je parlais du projet muséal. Ne me faites pas de procès d'intention !
Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture . - Tant mieux ! Quoi qu'il en soit, le projet muséal avance bien. Quatre commissaires de grand talent travaillent sur le parcours permanent de visite, Barbara Cassin, académicienne, Xavier North, qui dirigeait le département de la langue française au ministère de la culture, Zeev Gourarier, qui dirigeait les collections du Mucem et Hassane Kouyaté, qui dirige le festival des Francophonies de Limoges. C'est ce quatuor qui pense le parcours de la partie muséale, mais le château de Villers-Cotterêts ne constitue pas un musée. Ce sera une cité, un lieu de résidence avec une douzaine de studios, un auditorium qui accueillera des concerts, des films. Ce sera un lieu vivant pour toutes les disciplines, où les activités associatives et éducatives vont pouvoir se déployer.
C'est en tout cas un projet qui n'a rien de hors-sol, qui est construit avec un grand réseau de partenaires de la francophonie, d'associations locales et d'établissements scolaires. À chaque journée du patrimoine, j'ai l'occasion de voir à quel point cela suscite l'engouement au niveau local. Une maison du chantier permet de faire vivre celui-ci auprès de la population. Un camion des langues de France s'est également déplacé dans les Hauts-de-France. Je serai ravie d'inviter la commission à visiter le chantier avant l'ouverture, si cela vous intéresse. Je pense qu'il est nécessaire de voir sur place. Je suis sûre que vous serez convaincus !
Concernant l'éducation artistique, l'enseignement artistique et tous les enjeux que nous partageons pour la jeunesse, vos interventions montrent à quel point vous avez raison et combien il est important que les jeunes pratiquent l'art et la culture. Il ne s'agit pas de faire d'eux des « consommateurs », entre guillemets, qui vont acheter des billets pour assister à des spectacles ou visiter des musées, mais les amener à être des protagonistes, des acteurs de la vie culturelle et leur permettre de s'essayer à la musique, à l'art, à la danse, au théâtre, voire d'en faire leur métier s'ils le souhaitent plus tard.
C'est ce que permet aujourd'hui de plus en plus le pass Culture, qu'on a voulu transformer afin de permettre aux jeunes d'acheter des instruments de musique ou de prendre des cours. Cette dimension sera très importante dans le pass collectif au collège et au lycée, afin que les enseignants puissent non seulement réaliser des sorties scolaires, invitent des auteurs, des musiciens, et permettent la pratique en classe de manière plus libre que dans certains cours de musique ou d'arts plastiques.
Quant aux établissements d'enseignement, il en existe de deux sortes, les conservatoires à rayonnement régional financés par l'État et tous ceux qui relèvent des collectivités. Vous le savez, madame Morin-Desailly, on compte 1 500 structures d'enseignement artistique spécialisé au total. C'est un réseau gigantesque. C'est une très bonne nouvelle pour notre pays, mais la répartition est assez subtile. J'ai moi-même travaillé en collectivité auprès de Bertrand Delanoë, qui était très attaché à l'enjeu du développement des conservatoires. Je connais donc bien le sujet. L'État ne peut totalement se substituer aux collectivités pour ce qui est des conservatoires municipaux de musique.
Reste la prise en compte du développement des autres établissements classés par l'État, qui sont environ 382. J'ai insisté, lors de la présentation du budget, sur les établissements supérieurs d'enseignement artistique, pour lesquels l'aide aux étudiants les plus en difficulté est prioritaire, afin de soutenir plus particulièrement les écoles d'architecture, où l'enjeu est particulier. Merci de les avoir présentés comme les laboratoires de la transition écologique du futur. Ces 20 000 étudiants, qui vont en effet être les bâtisseurs de demain, auront forcément une autre manière de construire, plus écoresponsable,
J'insiste sur la lecture : certaines actions coûtent de l'argent, comme le fait de soutenir une manifestation littéraire, des résidences d'auteurs dans les écoles que le Centre national du livre va déployer dans la continuité du programme consacrant la lecture comme grande cause nationale. D'autres actions ne coûtent pas très cher budgétairement, mais demandent beaucoup de mobilisation, d'énergie et de coordination, comme le quart d'heure de lecture, auquel je tiens beaucoup. J'en reparle régulièrement avec mon collègue Pap Ndiaye.
Dans les régions et les départements où cette action est mise en place, comme en Bretagne, les choses se passent très bien. Quand les élèves s'arrêtent 15 minutes pour lire pour le plaisir, que ce soit un livre, un magazine, une BD, cela fait une énorme différence au bout de quelques mois en termes de concentration, d'amélioration du vocabulaire, de relations entre élèves. Cet impact n'a pas de prix. Si on arrive un jour à faire en sorte que toute la France, tous les jours, s'arrête 15 minutes pour lire, on aura gagné ! On peut rêver, mais cela me semble atteignable. On peut également fournir plus de livres si ceux-ci manquent. On développe également la lecture à voix haute.
Concernant les aides à la presse, je vous rejoins, monsieur Assouline. Je pense qu'on a devant nous un gros chantier de réformes. Nous nous y attelons. J'attends avec impatience les états généraux du droit à l'information pour entendre toutes les recommandations et préconisations qui sortiront à ce moment-là. J'ai commencé à me plonger dans le détail des aides à la presse et aux radios. Je pense qu'il s'agit là d'une modernisation, d'un ajustement et d'une réforme de fond. Je suis d'accord avec votre diagnostic.
Les états généraux débuteront début décembre et dureront jusqu'au mois d'avril-mai. Nous pourrons vous en dire plus bientôt.
Concernant le Centre national de la musique, nous attendons le démarrage de la mission du sénateur Bargeton, qui va permettre de faire le point sur tous les enjeux de financement de la filière musicale et sur les positions des uns et des autres. Tous les acteurs de la filière ne sont pas d'accord.
Enfin, s'agissant du métavers, des NFT et des mondes numériques, avec leurs opportunités et leurs menaces, je vous invite à lire le rapport de trois experts, Camille François, Adrien Basdevant et Rémi Ronfard, qui ont tenté de définir et d'embrasser tous les enjeux liés au monde « métaversique ». Ce sera une excellente base pour nos discussions lors de nos prochains échanges.
Merci pour votre engagement en faveur de la culture !
M. Laurent Lafon , président . - Madame la ministre, vous avez terminé votre propos liminaire par des vers de García Lorca. Je conclurai cette réunion par une citation de Nietzsche : « Je connais ma destinée : un jour s'attachera à mon nom quelque chose de formidable. » Je ne sais si nous utiliserons ce qualificatif à l'issue du débat sur le PLF, mais je ne doute pas que, si vous reprenez à votre compte les amendements du Sénat, on s'en rapprochera !
* 1 En 2021, 67 % des crédits du programme ont été exécutés en Île-de-France. Ce chiffre s'explique très largement par le poids des opérateurs dans les crédits du programme et leur concentration en Île-de-France pour des raisons historiques. Moins de 40 % des crédits destinés au patrimoine monumental ont été exécutés en dehors de l'Île-de-France.
* 2 Rapport d'information n° 591 (2021-2022) de Mme Else Joseph et M. Olivier Paccaud, au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, sur le bilan du plan de relance en faveur des patrimoines.