II. UNE DÉFENSE DE LA SOUVERAINETÉ ÉCONOMIQUE FRANÇAISE TOUJOURS BALBUTIANTE, EN DÉPIT DU PROJET BIENVENU DE NATIONALISATION D'EDF

A. LE GOUVERNEMENT N'A TOUJOURS PAS CLARIFIÉ LA FAÇON DONT IL ENTEND ASSURER LA SOUVERAINETÉ ÉCONOMIQUE DU PAYS EN TANT QU'ÉTAT ACTIONNAIRE

La doctrine d'investissement de l'État actionnaire a évolué au cours du quinquennat précédent. En effet, en 2017, le Gouvernement a souhaité recentrer son portefeuille sur trois types d'entreprises : celles stratégiques qui contribuent à la souveraineté du pays (défense, nucléaire), celles participant à des missions de service public ou d'intérêt général, et celles en difficulté dont la disparition pourrait entraîner un risque systémique. La mise en oeuvre de cette doctrine l'a conduit, notamment, à céder ses titres de la Française des jeux.

Pour autant, ainsi que l'a notée la commission des affaires économiques du Sénat à plusieurs reprises, cette doctrine reste floue et ne garantit pas, en l'état, la sauvegarde de la souveraineté économique française. En effet, l'enchaînement de crises depuis 2020 met en lumière des produits, des entreprises et des filières qui sont tout à fait stratégiques et qui, pour autant, ne rentrent dans aucune des catégories susmentionnées (équipements de protection, batteries électriques, recherches médicales, etc.). Interrogée à ce sujet, l'Agence des participations de l'État a, du reste, confirmé la vision de la rapporteure, en reconnaissant que la définition de la souveraineté retenue en 2017 était trop restrictive

La commission a donc accueilli avec satisfaction les propos du Commissaire aux participations de l'État, rapportés dans le rapport annuel d'activité pour l'année 2020 de l'APE, selon lesquels : « la crise a à la fois fragilisé la situation financière des entreprises, surtout dans les secteurs les plus exposés, mais aussi mis en exergue la dispersion du capital de certaines grandes sociétés cotées, qui les expose à des prises de contrôle inamicales et non souhaitées et qui peuvent mettre en péril le maintien de centres de décision en France ou en Europe. C'est pourquoi l'État actionnaire devra davantage intégrer cette préoccupation dans la gestion de ses interventions en capital ». Dans le rapport annuel d'activité pour l'année 2021, le nouveau commissaire aux participations de l'État a confirmé cette vision, et le ministre de l'Économie affirme par ailleurs que les décisions de l'État actionnaire « sont fondées sur des logiques de souveraineté économique et de consolidation de filières au-delà des seuls enjeux patrimoniaux et de rentabilité, contrairement aux investisseurs privés ».

Ces propos confirment un constat (et les solutions) avancé par le Sénat depuis de nombreuses années, et encore récemment largement documenté dans le rapport Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique de 2022 3 ( * ) , qui propose 50 solutions en la matière. Les rapporteurs notaient ainsi que « dans les faits, la perte de souveraineté économique progressive de notre pays depuis les années 1980, a fortiori au cours des années récentes, est bien plus transversale et bien plus profonde qu'on ne le soupçonne. Elle frappe l'ensemble des secteurs [...] et des thématiques [...] étudiés, dans des proportions rarement soulignées par les travaux préexistants consultés par les rapporteurs ».

Pour autant, il persiste deux ombres au tableau :

• d'une part, le Commissaire aux participations de l'État ajoutait, dans ses propos, que : « cette hyper-crise nous amène à amender notre stratégie d'intervention, pour un moment du moins [...] ». Or rien ne justifie, aujourd'hui, que la défense de la souveraineté économique du pays ne soit que temporairement mise au coeur de la stratégie de l'État actionnaire : elle doit au contraire être un axe transversal, permanent, la boussole principale de son action. L'inaction des pouvoirs publics ces dernières années, une forme de « laissez-faire » poursuivant avant tout l'objectif d'optimiser les coûts des chaînes de valeur au détriment de l'objectif de sécurisation des approvisionnements, ont rendu l'économie française vulnérable et captive, et c'est donc d'une action résolument volontariste et constante que cette dernière a besoin ;

• d'autre part, la rapporteure peine à trouver des exemples de mises en oeuvre de cette modification de la doctrine au profit de la souveraineté économique. Certes le sauvetage ou le soutien d'entreprises importantes (Air France, SNCF, Renault, etc.) participe de la défense du tissu industriel, mais un objectif aussi ambitieux que celui de renforcer la souveraineté économique française ne peut être atteint uniquement en « défensif », c'est-à-dire en évitant que des acteurs ne fassent faillite. Une vision de long-terme nécessite bien davantage que réagir aux crises et éteindre les incendies. À ce titre, l'éparpillement des quelques crédits investis dans des fonds (aéronautique, automobile, nucléaire), s'ils sont bien entendu utiles, ne suffisent pas à inverser cette tendance.

Certes, l'Agence des participations de l'État a élaboré une nouvelle « feuille de route » afin de mieux prendre en compte les enjeux de défense de la souveraineté économique du pays (cybersécurité, santé, métaux stratégiques, etc.), document qui a été transmis au ministre. Il convient donc que sa publication par le Gouvernement se fasse au plus vite, et que ce dernier inscrive ces axes au coeur de son action.


* 3 Rapport d'information n° 755 (2021-2022) de Mmes Sophie Primas, Amel Gacquerre et M. Franck Montaugé, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 6 juillet 2022.

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