Avis n° 168 (2021-2022) de M. Michel LAUGIER , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 18 novembre 2021

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N° 168

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 novembre 2021

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2022 ,

TOME IV

Fascicule 2

MEDIAS LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES

Presse

Par M. Michel LAUGIER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; M. Max Brisson, Mme Laure Darcos, MM. Stéphane Piednoir, Michel Savin, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco, vice-présidents ; Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Else Joseph, Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Samantha Cazebonne, M. Yan Chantrel, Mme Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mmes Sabine Drexler, Béatrice Gosselin, MM. Jacques Grosperrin, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Michel Laugier, Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 4482 , 4502 , 4524 , 4525, 4526 , 4527 , 4597 , 4598 , 4601 , 4614 et T.A. 687

Sénat : 162 et 163 à 169 (2021-2022)

AVANT-PROPOS

Le secteur de la presse bénéficie d'une attention constante des pouvoirs publics, qui ont cherché, parfois au prix de lourds efforts financiers, à lui permettre de solder les comptes du passé , comme dans le cas de Presstalis, mais également à entamer l'indispensable transition numérique . Dans ce contexte, le rapporteur estime que la répartition des crédits mais aussi, et peut-être surtout, les projets de réforme structurelle vont dans le bon sens.

Il n'en reste pas moins que la volonté de mener à bien ces projets se heurte encore à l'inertie de certains acteurs et à un accompagnement qui pourrait être mieux affirmé, par exemple dans le cas « emblématique » des droits voisins . Il sera nécessaire en 2022 de suivre attentivement l'évolution de ces différents dossiers pour ne pas accumuler un retard préjudiciable à l'ensemble du secteur .

INTRODUCTION :
UNE PRESSE PLUS QUE JAMAIS EN CRISE

Les recettes de la presse ont diminué de 60 % depuis 2000 . Le secteur apparait donc comme durablement sinistré . La transition vers le numérique et d'autres types de ressources est loin d'être achevée, même si certains titres obtiennent d'ores et déjà des résultats prometteurs. La baisse est extrêmement prononcée pour la presse quotidienne nationale ainsi que sur le marché publicitaire, une tendance encore renforcée en 2020 avec un effondrement des investissements publicitaires de 19,4 % des recettes de publicité.

Source : ministère de la culture

Dans ce contexte marqué par les effets de la pandémie et la chute finale de la société Presstalis, les soutiens publics apparaissent comme vitaux. Ils n'ont pas fait défaut, que ce soit pour parer à l'urgence ou accélérer la modernisation.

Pour autant, les pouvoirs publics ne peuvent se contenter de maintenir à flot un secteur qui dispose de la capacité de développer un modèle économique viable. Une fois l'onde de choc de la pandémie et de la faillite de Presstalis encaissée, deux changements significatifs pourraient voir le jour en 2022 : d'une part, la réforme du portage et du postage , destinée à créer un système de distribution des abonnements plus efficaces, d'autre part, la conclusion attendue, mais toujours repoussée, du « feuilleton » des droits voisins , qui pourrait compenser au moins partiellement les pertes sur le marché publicitaire.

I. LA PRESSE BÉNÉFICIE DE SOUTIENS PUBLICS RÉCURRENTS ET A PU COMPTER PENDANT LA CRISE SUR LE SOUTIEN DE L'ÉTAT

A. UN SOUTIEN PUBLIC QUI POURSUIT PLUSIEURS OBJECTIFS

La presse écrite bénéficie en France d'un fort engagement des pouvoirs publics, destiné à assurer le pluralisme des médias, l'égalité dans la diffusion et aider à la modernisation du secteur.

d'aides à la presse écrite

Les aides spécifiquement ciblées sur la presse écrite regroupent les crédits budgétaires et les dépenses fiscales, dont le crédit d'impôt pour un premier abonnement estimé à 60 millions d'euros en année pleine.

B. DES CRÉDITS BUDGÉTAIRES STABILISÉS

Les crédits budgétaires destinés à la presse écrite affichent une baisse de 5 %, qui s'explique par les mouvements suivants :

Ø un quasi triplement des aides à la diffusion sur le programme 180. Cette hausse « en trompe-l'oeil » reflète un transfert depuis le programme 134 dans le cadre de la réforme de l'aide au postage et au portage (voir infra ). Les crédits destinés à l'aide au portage enregistrent une baisse qui correspond aux nouvelles modalités de calcul liées à la réforme, dont l'impact budgétaire devra être pleinement couvert en 2023 ;

Ø les aides au pluralisme connaissent une baisse de 5,5 %, qui correspond à des besoins moindres enregistrés en exécution. Les deux dotations destinées au soutien de la presse outre-mer et à la presse en ligne (respectivement 2 M€ et 4 M€) sont reconduites ;

Ø les aides à la modernisation resteraient stables, avec en particulier 9 M€ destinés au soutien de France Messagerie ;

Ø enfin, l'enveloppe globale de la compensation versée à La Poste, qui a vocation à disparaitre en 2023, est amputée du transfert de crédits et diminué conformément au protocole passé entre l'établissement et l'État.

Évolution des aides à la presse en 2022

(en millions d'euros)

Aide

PLF 2022

Évolution 2022/2021

Aides à la diffusion

101,7

+ 158 %

Aides au pluralisme

22,03

- 5,5 %

Aides à la modernisation

55,47

=

Total programme 180

179,2

+ 51 %

Compensation versée à La Poste - programme 134

16,1

- 81 %

Total des deux programmes

195,3

- 5,1 %

C. LE SOUTIEN ET LA RELANCE DU SECTEUR DE LA PRESSE

Au-delà des crédits budgétaires annuels, les pouvoirs publics ont mené une politique destinée à permettre à la presse de passer le cap de la crise pandémique, pendant laquelle son utilité a été majeure pour informer les Français, lutter contre les fausses informations, et à l'accompagner dans son développement.

Deux vecteurs ont été utilisés :

Ø des mesures d'urgence , adoptées en 2020, pour un montant total de 166 millions d'euros ;

Ø en plus du crédit d'impôt de 60 millions d'euros, un plan de relance, dit « plan filière » , doté de 140 millions d'euros en 2021 et 2022.

Le plan de relance de la presse en 2021 et 2022

En plus des dispositifs de droit commun, la presse aura donc bénéficié sur trois ans d'un abondement de crédits de 326 millions d'euros, qui doit lui permettre de surmonter le choc de la pandémie et les derniers soubresauts de la faillite de Presstalis.

D. DES COÛTS QUI AUGMENTENT

Comme de nombreux autres secteurs, la presse écrite est fragilisée par l'envolée du coût des matières premières. Selon les informations transmises au rapporteur, depuis janvier 2021, des hausses de prix de 25 % à 30 % pour le papier , 4 % sur les encres et 50 % sur l'emballage sont constatées. Au-delà de l'augmentation tarifaire, un second constat inquiétant pour le futur de la presse écrite est celui de la simple disponibilité du papier . En effet, une part importante de la matière collectée et triée est aujourd'hui redirigée vers la fabrication de carton d'emballage , au détriment de l'économie circulaire du papier graphique, pour laquelle les éditeurs de presse acquittent pourtant une éco-contribution .

S'il est difficile pour les pouvoirs publics d'intervenir pour orienter des prix de marché, le rapporteur estime que la question d'un soutien rapide et transitoire pourrait être posée , d'autant plus que la presse se retrouve une nouvelle fois victime du succès des plateformes de l'internet, qui ont popularisé la livraison à domicile et donc la production de carton au détriment du papier.

Le rapporteur salue les efforts inscrits dans la durée de l'État en faveur de la presse,
efforts indispensables pour permettre au secteur d'engager sa transition numérique
et écologique et résister à l'impact de la pandémie.

II. L'ÉTERNELLE QUESTION DE LA DIFFUSION DANS UN MARCHÉ EN BAISSE STRUCTURELLE

A. DE PRESSTALIS À FRANCE MESSAGERIE

Pendant des années, le rapport pour avis de la commission a décrit la chute de la société Presstalis, victime tout à la fois d'un marché structurellement baissier, des incohérences de son actionnariat et d'une productivité très inférieure aux normes du secteur. Le soutien public, sous forme de subventions et de prêts garantis, n'a finalement servi qu'à maintenir à flot un opérateur profondément déficient, et à retarder un drame social.

La coopérative des quotidiens (CDQ) a été la seule à déposer une offre de reprise des actifs du niveau 1 de Presstalis (siège, activité de messagerie) ainsi que du niveau 2 pour Paris (site de Bobigny, dépositaire) le 12 mai 2020. La liquidation des activités en province a entraîné le licenciement de 512 salariés, à ajouter aux 133 salariés licenciés au niveau 1.

Le plan présenté par la CDQ représente un coût total évalué de 127 M€ . L'État s'est engagé le 26 mai 2020 dans le financement à hauteur de 80 M€ , composé d'un prêt de 12 M€ directement accordé à la CDQ et d'une subvention de 68 M€.

Le plan présenté par la CDQ représente un coût total évalué de 127 M€. L'État s'est engagé le 26 mai 2020 dans le financement à hauteur de 80 M€, composé d'un prêt de 12 M€ directement accordé à la CDQ et d'une subvention de 68 M€.

France Messagerie est donc dorénavant une société d'une taille nettement plus réduite, ses effectifs étant passée de 1090 au moment de la faillite à 269 aujourd'hui, d'autres départs étant d'ores et déjà envisagés. Elle bénéficie de plus de la subvention prévue pour assurer la distribution des quotidiens (27 millions d'euros en 2022) et d'un mécanisme de péréquation en provenance des Messageries lyonnaises de presse (MLP).

B. QUEL FUTUR POUR LA DISTRIBUTION DE LA PRESSE ?

La faillite de Presstalis a permis, au prix de pertes nettes pour l'État et les éditeurs, d'apurer les comptes de la société de messagerie, désormais d'une taille plus conforme à ses missions. Les dépositaires centraux (le « niveau 2 ») sont apparus durant la crise comme des interlocuteurs précieux pour les diffuseurs, et constituent aujourd'hui un échelon efficace dans la distribution.

Deux problématiques apparaissent aujourd'hui centrales.

a) Quel délai pour les assortiments ?

L'article 5 de la loi « Bichet » du 2 avril 1947 a été profondément modifié lors de l'examen par le Sénat du projet de loi de modernisation de la distribution de la presse du 18 octobre 2019, dont le rapporteur pour avis était également rapporteur.

Il avait pour objet de mettre un terme à « l'écrasement » des diffuseurs sous le volume des titres livrés par les deux messageries, sans réelle considération pour les caractéristiques du lieu de vente et la volonté du vendeur. Le dispositif prévoit dorénavant, pour les titres autres que d'information politique et générale (IPG), la capacité de constituer un assortiment selon des règles fixées par un accord interprofessionnel . L'article avait été enrichi lors de son examen au Sénat par un amendement de Jean-Pierre Leleux prévoyant un droit de « première présentation » pour les nouveaux titres, avec la faculté pour le vendeur de les refuser.

Plus de deux ans après la promulgation de la loi de modernisation, cet assortiment n'a toujours pas vu le jour .

Les difficultés invoquées sont nombreuses, et ne peuvent être sous-estimées. La faillite du principal opérateur ainsi que la pandémie ont inévitablement pesé sur les délais.

Pour autant, et alors que les principaux acteurs semblent s'accorder sur mi-2022 pour l'entrée en vigueur de l'assortiment (soit plus de deux ans et demi après l'adoption de la loi), il y a des raisons d'être inquiet sur ce calendrier de déploiement .

En effet, l'assortiment nécessite la mise à niveau d'un système informatique considéré comme antédiluvien il y a 10 ans et qui assure déjà imparfaitement ses fonctions. La commission, a systématiquement alerté sur ce sujet dans tous ses rapports consacrés à la distribution de la presse. Alors que l'aide de l'État à France Messagerie était conditionnée à des avancées sur ce dossier, force est de constater que le nouveau système informatique, qui nécessite à la fois des investissements très lourds, un travail en commun des messageries entre elles, avec les dépositaires et les vendeurs de presse, et l'accord de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), est toujours au stade de projet .

b) Quelle structure pour le secteur ?

Le secteur est actuellement divisé entre deux acteurs :

• la nouvelle société France Messagerie , qui assure la distribution des quotidiens nationaux et des autres publications périodiques ;

• les MLP , qui assurent la distribution de toutes les publications hors périodicité quotidienne. Elles ont doublé de taille en récupérant de nombreux titres de Presstalis qui n'ont pas souhaité poursuivre avec France Messagerie et sont désormais dominantes.

En dépit des possibilités offertes par la loi de modernisation, aucune autre entreprise n'a pour le moment manifesté son intérêt pour le secteur.

La concurrence entre ces deux acteurs s'exerce sur le seul segment des publications hors quotidiens. Historiquement, il existe une tradition d'opposition entre les deux messageries. Témoignent encore aujourd'hui de cette atmosphère dégradée les oppositions exprimées sur les barèmes, où chacun accuse l'autre de subterfuges.

Dans un marché de la distribution en décroissance constante, et sans perspective plus optimiste qu'une stabilisation à bas niveau, la question posée par le rapporteur au moment des discussions de la loi de modernisation de la distribution sur la coexistence de deux sociétés, concurrentes sur le seul segment porteur du marché, se pose donc inévitablement, afin de ne pas créer un « nouveau Presstalis » dans les années à venir.

III. UNE RÉFORME ATTENDUE ET NÉCESSAIRE DU PORTAGE ET DU POSTAGE

Par un communiqué de presse en date du 20 septembre 2021, les ministres de l'économie et de la culture ont annoncé une réforme ambitieuse du transport de presse . Si ses contours exacts ne sont pas encore connus, elle serait mise en place par voie réglementaire à compter du début de l'année 2022 . Cette réforme serait très largement inspirée des travaux d'Emmanuel Giannesini, conseiller maitre à la Cour des comptes, qui a remis en 2015 et 2020 deux rapports appelant à une profonde évolution des soutiens publics à l'acheminement des abonnements de presse , par voie postale ou par la voie de portage 1 ( * ) .

A. UN SYSTÈME À BOUT DE SOUFFLE

L'aide de l'État à l'acheminement des abonnements prend en compte le postage et le portage .

a) Le postage : une aide sous forme de compensation insuffisante et sans garantie sur la qualité du service

Le transport et la distribution des journaux et des publications périodiques constituent, en application de l'article 2 de la loi du 2 juillet 1990, une mission de service public et d'intérêt général de La Poste . Les éditeurs bénéficient, dans le cadre de cette prestation, de tarifs postaux préférentiels ayant pour objectif de favoriser le pluralisme de la presse.

Il existe ainsi trois familles de tarifs : les tarifs « Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) », les tarifs « Presse IPG » et tarifs « quotidiens à faible ressources publicitaires (QFRP) ».

Le groupe La Poste reçoit chaque année une compensation pour cette mission de service public. Son montant a évolué en application d'une convention passée entre l'État et La Poste entre 2016 et 2020. En 2021, la compensation s'est élevée à 87,8 millions d'euros .

Les volumes distribués par La Poste ont connu une baisse de 38 % entre 2018 et 2021, passant de 780 millions d'exemplaires à 545 millions .

L'évolution des tarifs postaux depuis plus de 10 ans n'a pas permis de résoudre les difficultés qui gangrènent aujourd'hui le régime de tarification spécifique.

D'une part, la compensation versée à La Poste ne couvre pas son coût . L'opérateur se retrouve donc déficitaire sur cette activité, pour un montant estimé à 186 millions d'euros en 2021, avec une qualité de service jugée comme déclinante.

D'autre part, le régime ne permet pas une évolution favorisant le recours au portage de presse , jugé comme étant, dans beaucoup de zones du territoire, la solution économiquement la plus viable.

b) Une aide au portage insuffisamment incitative

Le portage de presse constitue la seconde grande modalité de distribution des abonnements.

Le portage est fortement majoritaire dans l'acheminement des abonnements, avec une part de 78,16 % en 2019 . On observe cependant de fortes disparités, puisque si près de 90 % de la presse quotidienne régionale est portée, seule 23 % de la presse magazine et moins de 45 % de la presse quotidienne nationale usent de ce canal pour leur distribution.

Le portage bénéficie d'une enveloppe d'aide d'un montant de 26,5 millions d'euros en 2022, soit trois fois moins que la compensation versée à La Poste, pour un nombre d'exemplaires quatre fois supérieur .

Le régime actuel s'avère insuffisamment incitatif pour développer un réseau de portage mutualisé, en particulier entre la presse nationale et régionale, et trop coûteux pour La Poste.

B. UN RÉFORME INDISPENSABLE

a) Les grands axes de la réforme

La réforme s'articule autour de deux grands principes.

Premier principe , l'instauration d'une seule grille tarifaire postale . Les publications se verront dorénavant appliquer le tarif de service public de droit commun. Il évoluerait comme l'inflation pendant les six premières années.

Second principe , la suppression de l'aide au portage sous sa forme actuelle et la création d'une aide à l'exemplaire réservée aux titres d'information politique et générale (IPG) , autrefois bénéficiaires d'un tarif postal privilégié. Cette aide sera scindée en deux parties :

• une aide à l'exemplaire « posté », financée par redéploiement à partir de la compensation aujourd'hui versée à La Poste, qui neutralisera le surcoût engendré par le passage au tarif unique sur les années 2021-2023, cette aide étant ensuite dégressive ;

• et une aide à l'exemplaire « porté ».

Le montant de l'enveloppe serait progressivement amené à un niveau permettant une réelle incitation au portage, ce qui passe par une hausse de l'enveloppe dédiée au portage .

Le montant de l'aide à l'exemplaire posté serait calculé de manière à être neutre financièrement pour les éditeurs les deux premières années, puis dégressif, sauf dans les zones « peu denses » où le développement du portage n'est pas envisageable. Ces zones représentent en 2020 45 % des exemplaires de la presse QFRP et 46 % de la presse IPG.

b) Les conditions de la réussite

La réforme proposée réalise pour l'instant une rare unanimité , tant l'inadaptation du système actuel est régulièrement dénoncée. Elle offre de surcroit l'avantage d'offrir une réelle visibilité à la profession sur plusieurs années. Son succès et des éventuels gains budgétaires à l'horizon 2023 reposent cependant largement sur la volonté des réseaux de portage , détenus par la presse régionale, de s'ouvrir à la distribution de la presse nationale.

À ce titre, le contrôle de l'Arcep sur les réseaux de portage, comme prévu dans le projet initial, devra rapidement être mis en place. Par ailleurs, on ne peut que déplorer le délai de plus d'un an entre la remise du rapport et l'annonce des ministres. Il aurait pu être précisément mis à profit pour entamer les négociations avec les réseaux de portage.

Cette réforme d'ampleur met en place, selon le rapporteur, les conditions d'un rééquilibrage vertueux entre postage et portage. Encore faut-il qu'elle soit menée à bien dans la plus large concertation et sans pénaliser in fine les territoires ruraux.

IV. LES DROITS VOISINS : UN ESPOIR QUI TARDE ENCORE À SE CONCRÉTISER

A. LES ESPOIRS DÉÇUS DES DROITS VOISINS

Par le biais de la proposition de loi de David Assouline, le Sénat a été à l'origine de la première transposition en Europe de l'article 15 de la directive du 17 avril 2019, avec la promulgation le 24 juillet 2019 de la loi relative aux droits voisins des agences de presse et des éditeurs de presse.

Chronologie des droits voisins

La commission a consacré à cette question une table ronde avec les éditeurs le mercredi 14 avril 2021 2 ( * ) , ainsi qu'une audition des représentants de Google et Facebook le 23 juin 2021 3 ( * ) .

Le constat est toujours identique depuis plus de deux ans, comme le montre la chronologie simplifiée en supra : la société Google se livre à des manoeuvres dilatoires, toutes repoussées par la justice, dans l'espoir d'échapper aux règles nationales et européennes qui s'imposent pourtant à elle. La puissance de l'entreprise lui permet sans difficulté de mener une véritable guérilla juridique face à des acteurs éclatés, frappés par la crise pandémique, et financièrement aux abois.

B. LES SUITES DE LA DÉCISION DE L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Dans ce contexte particulièrement mouvant, la décision du 23 juillet de l'Autorité de la Concurrence marque par la sévérité de ses attendus 4 ( * ) , par le montant de l'amende infligée à Google - 500 millions d'euros - et par celui de l'astreinte pouvant aller jusqu'à 900 000 euros par jour de retard si, au terme d'un délai de deux mois, la société refuse de formuler une offre de rémunération correcte.

Les éditeurs ont adressé la demande de réouverture des négociations mi-septembre, faisant ainsi courir le délai de deux mois. Les négociations sont donc actuellement en cours . Sans surprise, Google a une nouvelle fois fait appel de la décision de l'Autorité.

Deux événements récents invitent cependant à un prudent optimisme.

D'une part, la toute première signature d'un accord est intervenue le 21 octobre, entre Facebook, jusque-là demeurée en retrait dans la négociation, et l'Association de la presse d'information générale (APIG) .

D'autre part, la création d'un organisme de gestion collective « Société des droits voisins de presse » », dont la présidence a été confiée à Jean-Marie Cavada, a été actée le 26 octobre. Cette organisation, dont la gestion opérationnelle sera assurée par la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), regroupe une très large partie de la presse, à l'exception notable de celle d'information politique et générale , qui confirme ainsi son « cavalier seul » perceptible dès la promulgation de la loi.

Plus de deux ans après l'adoption de la loi, il est plus que temps que les entreprises se soumettent enfin à la règle de droit. Le cas échéant, il pourrait être nécessaire
de compléter la législation nationale, ce que la commission est prête à faire si les décisions pourtant très lourdes de l'Autorité de la Concurrence ne suffisaient pas.

*

* *

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication
a émis, lors de sa réunion plénière du 10 novembre 2021, un avis favorable
à l'adoption des crédits du programme 180 « presse » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2022.

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 10 NOVEMBRE 2021

___________

M. Laurent Lafon , président . - Chers collègues, nous nous retrouvons pour l'examen de trois avis budgétaires, et nous commençons par les crédits relatifs à la presse.

M. Michel Laugier , rapporteur pour avis des crédits du programme 180 « Presse et médias » . - La presse traverse dans notre pays une zone de turbulence qui se prolonge et s'étire. Elle a perdu plus de 60 % de ses recettes depuis 2000, et peu d'autres secteurs ont eu à souffrir autant sur cette période.

Dans ce contexte général sinistré, la pandémie a constitué un nouveau drame, mais aussi et de façon paradoxale, une chance. Un drame parce que la crise s'est traduite par un effondrement de près de 20 % des recettes publicitaires et la mise à l'arrêt des activités annexes comme l'événementiel.

Cependant, elle a aussi représenté une chance puisque nos concitoyens ont pu mesurer l'importance et la valeur d'une information fiable, vérifiée de manière professionnelle. Ainsi, selon le baromètre annuel de la société Kantar, la crédibilité de la presse écrite a augmenté de deux points en 2021. Si le niveau de 48 % reste insatisfaisant, il révèle toutefois une progression à l'oeuvre ces deux dernières années, pour la première fois depuis longtemps.

Dans ce contexte, les pouvoirs publics ont apporté un soutien important et unanimement salué par la profession. La presse écrite a ainsi bénéficié d'aides s'élevant à 425 millions d'euros en 2022, répartis entre dotations et dépenses fiscales.

En outre, la presse a bénéficié de 166 millions d'euros d'aides en 2020, et d'un plan de relance de 140 millions d'euros en 2021 et 2022. En trois ans et en complément des crédits budgétaires habituels, 326 millions d'euros ont donc été versés.

En 2022, sur le programme qui nous rassemble aujourd'hui, on observe une hausse des crédits de 50 %, qui est cependant largement le résultat d'un effet d'optique, puisqu'elle est causée par le transfert des crédits utilisés pour compenser la mission de service public de La Poste, dans le cadre de la réforme du postage et du portage. Son premier effet est d'ailleurs paradoxalement de diminuer les crédits budgétaires en 2022, mais une hausse est prévue en 2023.

Par ailleurs, les crédits de l'Agence France-Presse (AFP) restent stables, et le fonds destiné aux radios associatives augmente de 1,1 million d'euros, après une hausse de 1,25 million en 2021, pour répondre à la diminution des recettes publicitaires de ces acteurs fragiles, et à la progression du nombre de radios éligibles.

Il me faut à ce stade lever un malentendu persistant : la vocation des aides à la presse n'est pas de soutenir à bout de bras un secteur connaissant un irrésistible déclin, erreur ruineuse déjà commise avec Presstalis. Je voudrais aussi rappeler que nous croyons tous ici au futur de la presse, qui a été très rentable pendant la majeure partie de son histoire.

Les aides sont une contrepartie normale pour la place essentielle qu'occupe une presse diversifiée et pluraliste dans le débat public et le fonctionnement de nos démocraties. Par ailleurs, ces soutiens ont pour vocation première d'accompagner la presse vers un modèle économique viable et ambitieux. Or, la cause première des difficultés rencontrées par les publications reste l'irruption du numérique, qui a bien failli emporter la musique et menace aujourd'hui le cinéma. Il appartient donc aux pouvoirs publics de s'emparer de ce sujet, comme nous l'avons fait dans cette commission, à l'initiative de David Assouline, sur le sujet des droits voisins.

Cette mise au point faite, je voudrais revenir sur la façon dont le Gouvernement accompagne la presse. Tout d'abord, dans le secteur de la distribution, il s'agit de solder les comptes très lourds laissés par Presstalis, désormais « France Messagerie », et mettre ainsi fin à un interminable feuilleton. Le plan d'aide prévoit encore 80 millions d'euros de l'État pour 2020 et 2021, et 47 millions d'euros supplémentaires doivent provenir des éditeurs. Je ne voudrais pas me montrer trop optimiste, mais la nouvelle société est d'une taille bien plus modeste - 269 salariés contre 1 069 au moment de la faillite -, et ne présente plus de réel risque systémique.

Cependant, je voudrais relever deux sujets de préoccupation. D'abord, une lutte continue d'opposer les messageries lyonnaises de presse (MLP) et France Messagerie sur la distribution hors quotidien, et cette concurrence se traduit par des barèmes touffus, des négociations sans fin avec l'Autorité des régulations des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), et ne profite à personne dans un secteur déclinant.

L'assortiment constitue un second sujet de préoccupation. L'une des dispositions essentielles de la loi de modernisation de la distribution permettait aux marchands de choisir en partie les titres qu'ils proposent, pour éviter l'effet désastreux sur la clientèle des cartons éventrés et des étalages trop fournis. Plus de deux ans après la promulgation de cette loi, rien n'est encore fait. Certes, la crise sanitaire a frappé, mais le vrai sujet demeure l'existence d'un système informatique qui était déjà antédiluvien il y a dix ans. Je suis donc un peu sceptique quand j'entends que tout sera prêt pour le mois de juin ; ce serait un réel exploit !

Par ailleurs, il s'agira de se montrer vigilant quant à la réforme du postage et du portage. Le projet des ministres de la culture et de l'économie, présenté en septembre, consiste à optimiser les réseaux de portage, possédés la plupart du temps par la presse locale, en leur confiant la distribution, partout où cela est possible, de toutes les publications nationales aux abonnés. Pour ce faire, les tarifs postaux très avantageux de la presse d'information politique et générale (IPG) seraient supprimés dans les zones dites « denses », qui concentrent un peu plus de la moitié des volumes. Une aide à l'exemplaire porté, calculée de manière à être neutre financièrement, serait instituée à la place.

Cette réforme me semble présenter trois avantages. Tout d'abord, elle permet de sortir par le haut de l'éternel débat sur la compensation versée à la Poste, qui affiche un déficit sur la presse de 186 millions d'euros. De plus, si elle est menée comme prévu - ce à quoi nous veillerons, elle offrira aux éditeurs une visibilité tarifaire sur les six prochaines années. Enfin, elle permettra de mieux utiliser des réseaux de portage performants, qui devront cependant accepter de s'ouvrir à d'autres publications. Tel est d'ailleurs le principal défi de l'année 2022 : passer d'une culture de l'exclusivité à une culture de l'ouverture ; la rationalité économique le réclame. Dans l'ensemble, je suis convaincu par cette réforme qui permet, à enveloppe équivalente, de créer un système d'incitation au portage plus judicieux et efficace.

Par ailleurs, il faudra être vigilant au sujet des droits voisins. Le constat est implacable : plus de deux ans après la promulgation de la loi, rien n'a été versé aux éditeurs, mais beaucoup aux avocats. Notre commission y a consacré deux auditions cette année, qui ont démontré le manque d'unité de la profession et la multiplication des manoeuvres dilatoires de Google, qui abuse de subterfuges juridiques pour retarder l'échéance, voire y échapper. Heureusement, la décision de l'Autorité de la concurrence, enfin rendue le 13 juillet 2021, a été d'une sévérité exemplaire en sanctionnant Google à hauteur de 500 millions d'euros et en lui ordonnant de mener des négociations sous peine d'astreintes. J'ai interrogé hier Mme la ministre Roselyne Bachelot au sujet des droits voisins, lors de son audition devant la commission, mais elle m'a renvoyé vers Bercy. Les échos sur les négociations en cours ne sont pas tous très rassurants, même si je note avec satisfaction la conclusion d'un accord entre la presse IPG et Facebook, et la création d'un nouvel organisme de gestion collective (OGC) pour l'ensemble de la presse - à l'exception, cela ne surprendra personne, de la presse IPG... Plus de deux ans après l'adoption de la loi, il est plus que temps que les entreprises se soumettent enfin à la règle de droit.

Un dernier sujet a fait son apparition récemment : la hausse du prix des matières premières, qui frappe la presse écrite comme de nombreux secteurs. Selon mes informations, on observe depuis janvier 2021 des hausses de prix de 25 à 30 % pour le papier et de 50 % pour les emballages. Au-delà de l'augmentation tarifaire, la disponibilité même du papier pose question et inquiète. En effet, une part importante de la matière collectée et triée est aujourd'hui redirigée vers la fabrication de cartons d'emballage, au détriment de l'économie circulaire du papier graphique, pour laquelle les éditeurs de presse acquittent pourtant une éco-contribution.

S'il est difficile pour les pouvoirs publics d'intervenir pour orienter les prix du marché, la question d'un soutien rapide et temporaire pourrait se poser, d'autant que la presse se retrouve une nouvelle fois victime du succès des plateformes de l'Internet, qui ont popularisé la livraison à domicile et la production de carton au détriment du papier.

Au vu de ces observations, je propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à la presse pour 2022.

M. Max Brisson . - Notre groupe partage les conclusions de notre rapporteur, dont l'expertise sur le sujet est connue et remarquable ! La presse fait en effet partie de ces filières dont les problématiques structurelles ont été accentuées par la crise sanitaire, à cause de l'érosion de ses deux principales sources de revenus : la vente des journaux papier et les recettes publicitaires. Il était donc important que l'État poursuive son effort financier, non pour tenir à bout de bras une filière en difficulté mais bien pour tenter de maintenir et de faire vivre le pluralisme de l'information.

Le plan repose cette année encore sur plusieurs dispositifs, dont l'aide au transport postal, le plan de relance pour 50 millions d'euros et les crédits de la mission que nous examinons aujourd'hui, à hauteur de 179 millions d'euros.

Certes, nous constatons une forte augmentation des aides à la presse grâce aux 62 millions d'euros de transfert de crédits pour la réforme de la distribution de la presse, qui traduit les recommandations du rapport d'Emmanuel Giannesini. Cette réforme concerne la presse dite « abonnée », vise à stabiliser les tarifs postaux pour l'ensemble des titres et à inciter les éditeurs à recourir davantage au portage. Néanmoins, nous serons attentifs à sa mise en oeuvre. Nous serons également vigilants quant aux résultats de l'évaluation qui suivra la diminution de l'aide à l'exemplaire posté en zone dense à partir de 2024.

Les aides liées à la crise sanitaire sont également reconduites, notamment l'aide au pluralisme des services de presse en ligne, qui permet d'accompagner la recherche de nouveaux modèles économiques, ainsi que les crédits du plan de relance. De même, le crédit d'impôt adopté en juillet 2020 pour le premier abonnement souscrit à un journal, à une publication périodique ou à un service de presse en ligne IPG est reconduit, ce qui est positif, même si l'on peut regretter une communication insuffisante sur cette disposition.

Je serai moins positif sur la situation des territoires ultramarins, dont vous n'avez pas parlé cher collègue, et dont les crédits de 2 millions d'euros sont certes reconduits mais ne résoudront pas toutes les difficultés rencontrées, tant la diffusion de la presse y subit des contraintes lourdes, notamment en termes d'acheminement et de stockage du papier.

Malgré cette réserve importante, notre groupe sera favorable au vote des crédits consacrés à la presse parce qu'ils viennent protéger différents acteurs du secteur, garantissant ainsi le maintien du pluralisme et de la qualité de l'information dans notre pays.

M. Jérémy Bacchi . - Je commencerai par saluer la stabilité plutôt encourageante des crédits de l'AFP.

Néanmoins, la diffusion de la presse connaît une mutation et cela crée des inquiétudes pour un certains nombres de petits journaux à travers le pays, qui ont le sentiment de perdre la maîtrise de la distribution.

De plus, on observe une légère baisse de l'aide au pluralisme, d'1,22 million d'euros. Il s'agit peut-être d'une stabilisation des crédits, certains journaux ayant disparu pendant la crise sanitaire. Cependant, dans une année d'élections présidentielles, cette aide méritait d'être substantielle, d'autant qu'un certain nombre de journaux sont en grande difficulté, notamment, vous l'avez mentionné, à cause de l'explosion du prix du papier et de la raréfaction de cette ressource. Le seul apport au pluralisme réside dans les 60 millions d'euros pérennisés au titre du crédit d'impôt pour le premier abonnement.

Pour ces raisons, nous nous abstiendrons lors du vote.

Mme Monique de Marco . - La presse a été confrontée à plusieurs crises et a connu une baisse des ventes de 40 % depuis 2007, et ce phénomène tend à s'accélérer. Par ailleurs, le nombre de marchands de journaux est aussi en forte diminution.

Nous tenons à saluer le soutien d'un secteur en difficulté, mais le régime des aides à la presse mériterait une réforme en profondeur, davantage de transparence, d'équité entre les médias, et de contreparties, notamment sur l'emploi et l'indépendance des journalistes. En effet, certains titres sont aujourd'hui subventionnés alors qu'ils appartiennent à des grands groupes, que des licenciements ont cours dans les rédactions et que les conditions dans lesquelles l'information y est produite se dégradent. Les aides à la presse pourraient servir de levier pour lutter contre la concentration des médias et renforcer leur indépendance par rapport au pouvoir économique.

J'aimerais enfin poser une question de fonctionnement : la question des radios est-elle incluse dans ce programme ?

Et pour conclure, malgré la qualité du rapport, nous nous abstiendrons lors du vote.

M. Pierre-Antoine Levi . - Nous avons la chance d'avoir un État qui protège le pluralisme de la presse. Vous avez rappelé l'aide massive qu'il fournit, l'augmentation du budget, ainsi que la mise en oeuvre du crédit d'impôt pour un premier abonnement, qui permettra une démocratisation plus grande encore de l'accès à la presse.

Sur les tarifs postaux bonifiés, il faudra peut-être s'interroger sur le maintien de cette disposition pour certains journaux qui ne respectent pas les valeurs républicaines.

Par ailleurs, je salue l'augmentation des crédits pour le fonds de soutien et l'expression radiophonique locale d'1 million d'euros, pour accompagner le passage vers la norme digital audio broadcasting (DAB+) pour les radios locales et associatives. Enfin, le soutien à Medi 1, radio francophone du Maroc, semble très positif, surtout dans un contexte où le besoin de compréhension interculturelle est important.

Le groupe Union Centriste suivra donc l'avis du rapporteur.

M. David Assouline . - On observe une très forte hausse de l'aide à la diffusion, qui aurait pu nous inciter à voter en faveur des crédits.

Cependant, deux lignes sont en baisse : celle de l'aide au pluralisme et celle de la modernisation. Or, le pluralisme est l'enjeu majeur pour la presse, à l'heure des concentrations, qui tuent cette diversité sur le territoire. La multiplicité de titres crée une illusion de pluralisme, mais les lignes éditoriales sont similaires et, de fait, les mêmes cinq ou six banques et assurances contrôlent presque toute la presse quotidienne régionale (PQR).

Par ailleurs, la modernisation est l'outil essentiel pour traverser ce moment de révolution technologique, qui a en grande partie tué la presse papier. Ces baisses sont mal venues, ou pour le moins maladroites. Nous nous abstiendrons donc lors du vote.

M. Michel Laugier , rapporteur pour avis . - Pour répondre à Monique de Marco, nous traitons bien des questions liées aux radios, mais seulement associatives. Depuis l'an dernier celles-ci sont aidées et les aides ont été maintenues cette année, ce qui est très positif.

Pour rassurer Max Brisson, la presse ultramarine fait bien partie intégrante du rapport, mais il m'était difficile d'évoquer tous les sujets dans ma présentation. Je précise toutefois que l'aide à la presse a été renforcée dans les outre-mer l'an dernier, et qu'elle est maintenue en 2022.

L'aide au pluralisme est effectivement au coeur du rôle que nous avons à jouer en examinant ce budget. Néanmoins, il nous faut aussi être vigilants sur la réforme du postage et du portage, qui représente une grande nouveauté dans ce budget, et sur les résultats de laquelle nous nous montrerons attentifs l'an prochain. Elle devrait en tout cas être efficace car les grands problèmes rencontrés dans la distribution ne le sont pas au niveau régional ni local, mais national. Ma seule inquiétude demeure la course au tarif à laquelle se livrent les deux messageries.

Je finirai en rappelant qu'un nouveau défi attend la presse : celui de la pénurie et du prix du papier. J'ai également interrogé à ce sujet Mme la ministre hier, qui m'a renvoyé vers ses collègues du Gouvernement.

M. Laurent Lafon , président . - Je remercie Michel Laugier pour la qualité de son rapport et mets son avis aux voix.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 180 « Presse et médias» de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2022.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Mercredi 6 octobre 2021

- Sous-direction de la presse écrite et des métiers de l'information : M. Alexandre KOUTCHOUK , sous-directeur.

- Messageries lyonnaises de presse (MLP) : M. José FERREIRA , président.

Jeudi 7 octobre 2021

- Alliance de la presse d'information générale (APIG) : M. Pierre PETILLAULT , directeur général.

Mercredi 13 octobre 2021

- Syndicat national des dépositaires de presse (SNDP) : M. Bruno AUSSANT , président.

- Culture Presse : M. Daniel PANETTO , président.

Jeudi 14 octobre 2021

- France Messagerie : M. Sandro MARTIN , directeur général.

Mardi 19 octobre 2021

- Cour des comptes : M. Emmanuel GIANNESINI , conseiller maitre.

- Syndicat des radios indépendantes : M. Kevin MOIGNOUX , secrétaire général.

ANNEXE

Audition de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture

MARDI 9 NOVEMBRE 2021

___________

M. Laurent Lafon , président . - Mes chers collègues, nous poursuivons cet après-midi notre cycle d'auditions sur le projet de loi de finances (PLF) 2022 en accueillant Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture, que je remercie de s'être rendue disponible.

Madame la ministre, l'année qui vient de s'écouler nous a donné l'occasion d'oeuvrer de concert pour tenter de juguler les effets de la terrible crise pandémique sur le secteur culturel, mais également d'anticiper les évolutions du monde de demain. Je suis à ce titre heureux de relever que le Sénat a été saisi en premier lieu du projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique, sur lequel, après des débats vifs et passionnés, nous avons pu parvenir à un accord en commission mixte paritaire (CMP). Le Sénat a également été à l'origine de deux propositions de loi, l'une de Sylvie Robert consacrée aux bibliothèques, l'autre de Laure Darcos, avec Céline Boulay-Espéronnier comme rapporteur, sur l'économie du livre. À chaque fois, nous avons pu mener un travail approfondi avec vos équipes, et je salue l'excellent climat de confiance qui existe entre nous.

Je ne doute pas qu'il en sera de même dans quelques semaines lorsque nous examinerons la proposition de loi de nos collègues Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Pierre Ouzoulias relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques. En dépit de nos positions parfois divergentes sur ce sujet, nous poursuivons un objectif commun : celui de doter notre pays d'un cadre plus pérenne et plus transparent.

Nous vous recevons aujourd'hui dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances. Nul n'ignore les difficultés du secteur, nul cependant ne dirait que le gouvernement y a été sourd. Je pense d'ailleurs que vous nous préciserez les masses budgétaires en jeu.

Nous commencerons par la culture. Vous avez pu prendre connaissance du rapport de nos collègues Sonia de La Provôté et Sylvie Robert relatif à la mise en oeuvre du plan de relance dans le domaine de la création que nous avons adopté la semaine passée.

Sur le sujet du plan de relance, comme sur le projet de budget, nous ne pouvons que saluer l'effort conséquent du gouvernement pour accompagner le monde de la culture, qui a payé un lourd tribut à la crise sanitaire.

Nous avons néanmoins constaté que le secteur culturel attendait de l'État un accompagnement qui ne soit pas seulement financier, mais aussi politique et technique. Les demandes en faveur d'une plus grande adaptation se font de plus en plus pressantes. Le secteur est également préoccupé parce que le public ne retourne pas aussi massivement que nous l'espérions dans les salles de spectacles.

Nous évoquerons ensuite l'audiovisuel public, qui a bien résisté à la crise sanitaire. Je me réjouis à nouveau que la chaîne France 4 dédiée à la jeunesse et à la culture ait été maintenue et je crois que le Sénat a joué un rôle en ce sens.

Vous avez indiqué, madame la ministre, le lancement de deux missions d'inspection sur l'avenir de la contribution à l'audiovisuel public et sur les règles relatives à la concentration. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les objectifs et sur les délais de ces travaux ?

Le Sénat, assemblée des territoires, est particulièrement attentif à la présence de l'audiovisuel public au niveau local. Les coopérations entre France 3 et France Bleu ont du mal à se nouer, en particulier dans le domaine du numérique. Je crois que vous partagez notre souci. Comment vous envisagez de dynamiser ces coopérations ?

À l'issue de votre intervention liminaire, nous aurons une première séquence autour de la mission culture. Nos rapporteures, Sylvie Robert, pour les crédits de la création et de la transmission des savoirs et de la démocratisation de la culture, et Else Joseph, en lieu et place de Sabine Drexler pour les crédits des patrimoines, seront les premières à vous interroger.

Dans un second temps, nous aborderons le débat relatif à la mission Médias, Livre et industries culturelles. Je donnerai la parole aux rapporteurs Jean-Raymond Hugonet sur l'audiovisuel, Michel Laugier sur la presse, Julien Bargeton sur les industries culturelles et Jérémy Bacchi sur le cinéma, avant que nos autres collègues vous interrogent.

Je rappelle que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site du Sénat. Madame la ministre, vous avez la parole !

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - Je suis très heureuse de vous retrouver pour vous présenter le dernier projet de budget du ministère de la culture du quinquennat.

Je suis également fière du budget des missions Culture, Médias, Livre et industries culturelles, qui connaît une augmentation sans précédent avec 273 millions d'euros de mesures nouvelles. Pour la première fois de son histoire, il dépassera 4 milliards d'euros, à 4,08, hors audiovisuel public. Cette hausse parachève un effort continu mené depuis 2017 en faveur de la culture. En cinq ans, le budget du ministère a augmenté de 15 %, soit 507 millions d'euros.

Ce budget a plusieurs objectifs. Tout d'abord, accompagner la sortie de crise, qui a bouleversé la condition de vie des artistes, des créateurs et des publics, d'un point de vue économique mais aussi d'un point de vue moral. La succession de périodes d'ouverture et de fermeture sur les 18 derniers mois a provoqué une chute sans précédent de la fréquentation des lieux culturels et le lien avec le public s'est distendu, malgré les efforts des lieux culturels pour le préserver et la mobilisation de l'État. Celle-ci a été rapide, forte et continue. Elle a d'ores et déjà mobilisé 13,6 milliards d'euros et certaines actions vont continuer. Pourtant, la reprise reste fragile, avec des niveaux de fréquentation encore bien en deçà de ceux de 2019. L'étude que j'ai commandée à la fin de l'été a montré qu'une partie des Français, environ 30 %, hésitaient à fréquenter les lieux publics en raison de la situation sanitaire.

Le budget a donc vocation à accompagner cette sortie de crise et la reprise d'activité, mais nous devons aussi préparer l'avenir de la culture en France. La crise a accéléré des mutations qui étaient en cours. Les pratiques et les modèles évoluent extrêmement vite, nous devons adapter nos politiques et c'est le sens des priorités de ce budget, tourné vers la jeunesse, qui renforce notre soutien sur le terrain, au plus près des territoires et qui repense l'accès de tous à la culture, en répondant au défi des transitions numériques et des transitions écologiques.

J'ai la double ambition de consolider le présent et de structurer l'avenir. Au-delà des 4,08 milliards d'euros de moyens budgétaires pérennes alloués à la culture et des 3,7 milliards d'euros alloués à l'audiovisuel public, la culture bénéficiera à la fois de l'annuité 2022 de France Relance, soit 463 millions d'euros, de la poursuite du déploiement des 400 millions d'euros du programme d'investissements d'avenir (PIA4), des taxes affectées au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), au Centre national de la musique et à l'Association pour le soutien du théâtre privé (ASTP), soit 752 millions d'euros, des dépenses fiscales, dont l'impact progressera en 2022 à 1,12 milliard d'euros et enfin de 600 millions d'euros de crédits dans le cadre du programme France 2030, dont 265 millions en crédits de paiement dès 2022, qui permettront d'investir massivement dans les infrastructures de tournage, dans la formation aux métiers de l'audiovisuel, du cinéma, des jeux vidéo ainsi que dans les technologies de réalité virtuelle et augmentée.

Enfin, les grands opérateurs du ministère bénéficieront d'un soutien exceptionnel à hauteur de 234 millions d'euros dans le cadre du second projet de loi de finances rectificative pour 2021 qui vous sera soumis dans quelques semaines.

En 2022, la mission Culture progressera de 8,6 %, avec 259 millions d'euros de mesures nouvelles.

La priorité à la jeunesse se matérialise dans le programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » créé en 2021 qui bénéficiera de 181 millions d'euros de crédits supplémentaires à travers deux grandes priorités du quinquennat : le déploiement de l'éducation artistique et culturelle (EAC) et la mise en oeuvre du pass culture. Je connais la réticence d'une partie du Sénat à ce dispositif et je reconnais que je m'étais moi aussi posé un certain nombre de questions lors de mon arrivée au ministère de la culture. J'avais alors appelé à un bilan apaisé.

L'expérimentation menée dans 14 départements a permis d'affiner l'analyse des forces et des faiblesses du dispositif et de le faire largement évoluer avant de le généraliser à tous les jeunes de 18 ans comme le président de la République l'a annoncé en mai dernier. C'est un vrai succès ! Depuis le 20 mais près de 641 000 utilisateurs bénéficient d'un crédit de 300 euros sur une cohorte annuelle de 850 000 jeunes de 18 ans. Chaque semaine, nous enregistrons entre 10 000 et 12 000 abonnements supplémentaires. Lors de mes déplacements, notamment pendant le dernier à La Réunion, je rencontre des partenaires qui montrent un véritable engouement pour le pass culture. En ajoutant les personnes inscrites dans le cadre de l'expérimentation, ce sont plus de 800 000 jeunes qui utilisent cette application. Ce succès nous oblige et nous incite à nous mobiliser encore davantage.

Le pass culture tient compte du résultat de l'étude décennale du ministère sur les pratiques culturelles des Français de juillet 2020. En donnant aux jeunes la possibilité de choisir, tout en les diversifiant, leurs pratiques culturelles, il invite les différents acteurs culturels à proposer une offre adaptée et diversifiée répondant aux attentes du jeune public.

La politique culturelle repose depuis 60 ans sur une logique d'offres. Celle-ci a permis l'aménagement culturel du territoire dans une action conjointe du ministère de la culture et des collectivités territoriales. Elle repose aussi sur une politique de la demande qui constitue une révolution dans notre approche et il serait vain d'opposer ces deux logiques.

Cette démarche doit également reposer sur un renforcement de la médiation. C'est tout le sens de l'extension du pass aux jeunes de la 4 e à la terminale. Le décret permettant cette extension a été publié ce dimanche. Dans les classes de 4 e , dans tous les établissements scolaires, les élèves pourront bénéficier d'offres élaborées par les structures culturelles dans le cadre de projets collectifs pilotés par les professeurs. Il y aura également une part individuelle permettant aux jeunes, à partir de 15 ans, de commencer à faire leurs propres choix, dans la logique d'émancipation du pass. Le budget 2022 prévoit près de 200 millions d'euros de crédits pour le pass culture, dont 140 millions d'euros de mesures nouvelles.

La mise en oeuvre de ce projet ne s'est pas faite au détriment d'autres actions. Ces nouveaux crédits bénéficieront à tous les acteurs culturels : cinémas, librairies indépendantes, salles de spectacle vivant, etc. Je rappelle également que le ministère de l'éducation nationale dispose d'un budget de 45 millions d'euros pour financer le volet collectif du pass au collège et au lycée.

C'est un bon exemple de l'excellente coopération entre nos ministères, en faveur de l'EAC et de l'émancipation culturelle. Cette ambition s'articule étroitement avec l'objectif de généralisation de l'EAC engagé depuis 2017. En cinq ans, nous avons presque doublé les crédits qui lui sont consacrés, pour les porter à 100 millions d'euros en 2022 et ainsi poursuivre l'objectif 100 % EAC fixé par le président de la République.

Parallèlement, ce budget témoigne d'un engagement sans précédent pour l'enseignement supérieur de la culture. Ses crédits augmentent de 11 %, soit 26 millions d'euros, pour permettre la rénovation des écoles, l'amélioration de la vie étudiante et l'insertion professionnelle des jeunes diplômés. À ces crédits, s'ajoute l'effort exceptionnel de 70 millions d'euros sur deux ans, engagé dans le cadre de France Relance, pour accélérer la rénovation et la digitalisation de nos écoles.

Nous poursuivrons également nos efforts pour placer les habitants, les territoires et les artistes au coeur de nos politiques culturelles, avec 12,5 millions d'euros de mesures nouvelles consacrés aux politiques territoriales.

Je sais l'attachement de votre commission et du Sénat pour le pilotage et l'affectation des moyens au plus près des territoires. Ce budget en est l'incarnation. En 2022, les crédits déconcentrés dans les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) augmenteront de 4 %. Avec 37 millions d'euros de moyens nouveaux depuis 2017, ils auront progressé de 22 %, signe de l'attachement de ce gouvernement à la territorialisation des politiques publiques.

Cet attachement aux territoires passe également par un cadre d'action de l'État renouvelé en matière de soutien aux festivals. C'est un sujet de préoccupation de nombre d'entre vous. Les deux premières éditions des états généraux des festivals ont permis de poser les termes du débat, de partager des analyses, des études et la troisième édition est programmée dans une quinzaine de jours à Toulouse. En 2022, les moyens des festivals augmenteront de 10 millions d'euros. Dix millions d'euros supplémentaires seront consacrés aux institutions, labels, réseaux et aux équipes artistiques en régions, dans le prolongement de l'effort important réalisé en 2021.

Les crédits de la création artistique s'élèveront à 909 millions d'euros avant transferts, soit une hausse de 5,6 %. C'est 100 millions d'euros de plus qu'en 2017.

L'effort porté sur nos territoires est très présent dans le programme Patrimoine qui bénéficiera en 2022 d'un budget de 1,019 milliard d'euros avant transferts. Les moyens consacrés aux monuments historiques, grâce à l'appui de France Relance, seront en hausse de 3,5 % et atteindront 470 millions d'euros. Nous poursuivrons notamment le déploiement du plan cathédrales. Hors relance, le soutien au patrimoine aura progressé de 7 % au cours des cinq dernières années.

Le Fonds incitatif et partenarial (FIP) pour les monuments historiques situés dans les communes à faibles ressources sera doté de 16 millions d'euros, soit une hausse de 6,7 %.

La protection de notre patrimoine a également été consolidée par le recours à des financements innovants, notamment le loto du patrimoine. Depuis sa mise en place, il a financé la restauration de plus de 500 monuments en péril pour 115 millions d'euros, l'État apportant son soutien à ce dispositif à due concurrence des taxes afférentes.

Le budget de la culture traduit un soutien indéfectible aux artistes, aux auteurs et aux créateurs. Tout au long de la crise, nous avons agi en faveur de l'emploi intermittent. L'année blanche a été prolongée jusqu'au 31 décembre et nous y avons associé des dispositifs réglementaires garantissant aux intermittents, à compter du 31 août 2021, un accompagnement pouvant aller jusqu'à 16 mois. Le ministère est déterminé à garantir la sortie de crise du secteur créatif et nous suivons au jour le jour sa situation.

Le ministère a également soutenu l'emploi artistique et culturel avec trois dispositifs dotés chacun de 10 millions d'euros pour faciliter le recrutement d'intermittents et mieux structurer l'emploi. Par ailleurs, les ressources du Fonds national pour l'emploi pérenne dans le spectacle (Fonpeps) seront abondées de 5 millions d'euros.

Tous les outils disponibles ont été mobilisés pour soutenir les auteurs et les créateurs affectés par la crise. Le fonds de solidarité a versé 245 millions d'euros à 45 000 bénéficiaires. Les exonérations de cotisations mises en place en 2020 ont été renouvelées en 2021 et sont prolongées en 2022. Pour compléter ces dispositifs, des aides spécifiques ont été mises en oeuvre à travers le Centre national de la musique (CNM), le CNC, le Centre national du livre (CNL), le Centre national des arts plastiques (CNAP) à hauteur de 35 millions en 2020 et en 2021.

En 2022, nous continuerons à déployer le programme ambitieux en faveur des artistes auteurs que j'ai présenté en mars dernier.

Le président de la République a dévoilé hier soir les 264 projets retenus dans le cadre de l'appel à projet « Monde nouveau ». 179 sont portés par des artistes individuels, 85 par des collectifs. 430 artistes seront donc soutenus, 60 % ont moins de 40 ans. Toutes les disciplines sont représentées, avec une dominante des arts visuels qui représentent 30 % des projets. Cet appel à projets marque une nouvelle manière d'accompagner les artistes dont nous pouvons tous nous réjouir.

La mission Médias, Livre et industries culturelles est également en hausse de 2,4 %. Nous concrétisons notre volonté de renforcer ces filières stratégiques au service de la diversité culturelle. Elles ont été affectées par la crise sanitaire et connaissent de profondes mutations. C'est pourquoi le soutien public au secteur de la presse, du livre, des médias et du cinéma a été massif et constant. Il se poursuivra en 2022.

Sur le secteur de la presse, nous poursuivons le déploiement du plan de filière ambitieux doté de 483 millions d'euros sur 2020-2022, dont 140 millions au titre de France Relance. Les 70 millions prévus pour 2022 dans ce cadre continueront à soutenir la modernisation et la transformation de la filière et à garantir le pluralisme de la presse. C'est un enjeu de démocratie et de cohésion sociale et territoriale.

2022 verra aussi la mise en oeuvre de la réforme du transport postal de la presse, très attendue par tous les acteurs. Elle encouragera la presse dite chaude à se tourner vers le portage et unifiera les tarifs postaux pour l'ensemble des titres. Le projet de budget traduit cette réforme, notamment avec le rapatriement des crédits dédiés à la compensation du transport postal de la presse sur les crédits du programme presse à hauteur de 62,3 millions d'euros.

Un soutien massif a été apporté au livre pendant la crise et il bénéficiera en 2022 d'un appui important à travers le rehaussement de la subvention pour charges de service public de la Bibliothèque nationale de France (BnF) de 2 millions d'euros et des crédits d'intervention du CNL de 7 millions. Ces mesures s'accompagnent du prolongement des dispositifs en faveur des librairies et des bibliothèques prévus par France Relance à hauteur de 23 millions d'euros. La lecture, érigée en grande cause nationale par le président de la République, fera encore l'objet d'un soutien décisif de l'État.

Le secteur de la musique a bénéficié en 2020 de la création du Centre national de la musique. Il a prouvé combien il était essentiel pour la filière en mobilisant 152 millions d'euros de moyens exceptionnels en 2020 et une enveloppe de 200 millions sur deux ans dans le cadre de France Relance. Nous avons décidé d'accroître notre soutien au secteur et nous examinerons, dans le cadre des articles non rattachés de ce projet de loi de finances, un amendement prolongeant l'exonération de taxe sur les spectacles sur le second semestre 2021.

Nous avons aussi beaucoup oeuvré en faveur des filières cinématographiques et audiovisuelles. Les aides mises en place depuis le début de la crise se sont élevées à 436 millions d'euros d'aides sectorielles et à 1,3 milliard d'euros de dispositifs transversaux. Ils ont permis de sauver nos entreprises et d'accompagner les créateurs. Le fonds assurantiel pour les tournages a été prolongé jusqu'à la fin de l'année, un fonds d'urgence sectoriel a été mis en place pour le CNC et une aide de 34 millions d'euros a été débloquée en faveur des distributeurs, des producteurs et des exploitants afin de compenser pour partie des effets de l'instauration du passe sanitaire sur la fréquentation.

Au-delà des aides conjoncturelles, ce quinquennat aura permis de mener une réforme ambitieuse du financement de la création et de la régulation des secteurs : directive SMA, directive droit d'auteur en voie d'achèvement, loi relative à la régulation. L'ensemble de ces réformes permettra de mieux protéger la création française et le droit d'auteur en prévoyant la contribution de l'ensemble des diffuseurs à la création française et en organisant un partage de la valeur plus équitable entre les plateformes, les producteurs et les auteurs. Grâce à cette réforme, les investissements dans le cinéma l'audiovisuel pourraient augmenter de 20 % dès 2022, soit 250 millions d'euros supplémentaires.

Depuis le début du quinquennat, le soutien pérenne aux filières des ICC aura progressé de 9 %, soit 49 millions d'euros. Cet appui s'est accompagné du déploiement du fonds dédié aux investissements dans les entreprises créatives doté de 250 millions d'euros et de 400 millions d'euros débloqués dans le cadre du PIA4. À ces sommes, s'ajoute le volet culture du plan France 2030 visant à produire les contenus culturels de demain, soit 600 millions d'euros : 200 millions pour la réalité virtuelle et la réalité augmentée, 300 millions pour les nouvelles structures de tournage et de production numérique et 100 millions pour la formation.

Enfin, le financement de l'audiovisuel public continuera à respecter la trajectoire exigeante mais réaliste engagée en 2018 et confirmée dans les contrats d'objectifs et de moyens des sociétés de l'audiovisuel public signés au printemps. La baisse de 190 millions d'euros entre 2018 et 2022 représente une diminution des crédits d'environ 5 % sur quatre ans. Les entreprises du secteur ont ainsi contribué à l'effort de maîtrise des dépenses publiques, chacune à la mesure de ses marges de manoeuvre.

Je rappelle que ces trajectoires constituent un engagement ferme du gouvernement, qui a ainsi garanti au secteur une visibilité pluriannuelle sur ses ressources. Ces trajectoires ont été respectées à l'euro près, sans compter le soutien exceptionnel de 73 millions d'euros versé pour l'aider à surmonter les effets de la crise sanitaire. L'impact de cette trajectoire n'a pas affecté l'accomplissement des missions de l'audiovisuel public. Les engagements en faveur de la création ont été préservés, des offres territoriales communes ont été lancées, Culture Box a été créée et France 4 pérennisée.

Par ailleurs, le gouvernement n'a pas renoncé à poursuivre la transformation du secteur. Le développement des coopérations et des synergies entre les sociétés de l'audiovisuel public est au coeur du plan de transformation annoncé par le gouvernement en 2018.

Cette ambition s'est traduite par la conclusion de contrats d'objectifs et de moyens 2020-2022 qui pour la première fois comprennent un volet commun dédié à leurs missions communes ainsi qu'à leur engagement à coopérer encore davantage. La mise en oeuvre de ce volet commun s'est déjà traduite par des réalisations concrètes comme la signature le 22 octobre d'un pacte pour la jeunesse et d'un pacte pour la visibilité des Outre-mer. D'ici la fin de l'année, un pacte pour le soutien et l'exposition de la culture et de la musique sera également signé.

Elle se traduira aussi par le lancement par France Télévisions et Radio France d'une offre numérique de proximité partagée à la fin du premier trimestre 2022 avec la création d'un grand média numérique de la vie locale. Les Français auront ainsi accès à l'actualité autour de chez eux et disposeront d'une multitude de services pour faciliter leur vie quotidienne en termes et d'une grande diversité de programmes (culture, découverte, sport, divertissement, etc.). Ils pourront ainsi se retrouver autour de centres d'intérêt partagés.

Les deux entreprises créeront une structure légère opérationnelle, à la gouvernance paritaire, pour porter cette nouvelle offre éditoriale complétant le rapprochement engagé avec le déploiement de matinales communes à France Bleu et France 3. En trois ans, nous aurons accompli des avancées considérables sur les deux piliers de l'offre de proximité du service public. C'est une étape vers des coopérations encore plus étroites, y compris sur leurs offres linéaires, auxquelles j'ai demandé aux deux entreprises de travailler.

L'enjeu est que le service public soit présent aux côtés des Français, là où aucun autre média ne va. C'est une de ses spécificités. Je réaffirme avec force, face aux attaques et aux mises en cause dont il est l'objet, que le service public remplit des missions essentielles pour nos concitoyens, que les médias privés ne peuvent ou ne veulent assurer.

Il n'y aura pas de changement en 2022 sur la contribution à l'audiovisuel public (CAP) mais la suppression de la taxe d'habitation pose la question de son avenir. Différentes pistes de réformes ont été identifiées mais ce recensement ne permet pas d'arbitrage définitif. Un travail d'analyse approfondi sera conduit par une mission dédiée confiée à l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) et à l'Inspection générale des finances (IGF) à laquelle les parlementaires seront associés. Je sais les travaux qui ont été menés ici et à l'Assemblée nationale.

Je tiens à souligner que le financement de l'audiovisuel public par le budget général est exclu du champ de la réflexion. La mission devra identifier une ressource pérenne, adaptée à la réalité des usages audiovisuels actuels, qui permette d'assurer un rendement équivalent à la CAP et comptable avec la garantie d'indépendance de l'audiovisuel public et l'exigence de prévisibilité de ses moyens.

J'ai donc l'honneur de défendre le dernier budget de ce quinquennat au cours duquel nous avons fait face à de nombreux défis et nous avons défendu l'avenir et le rayonnement de nos secteurs culturels. Ce budget est doté de moyens inédits et toute mon action vise à consolider le présent tout en préparant l'avenir.

Je me livre maintenant à vos questions.

M. Laurent Lafon , président . - Je donne successivement la parole à Sylvie Robert, pour les crédits de la création et de la transmission des savoirs et de la démocratisation de la culture, et à Else Joseph, qui interviendra au nom de Sabine Drexler, pour les crédits « Patrimoines ».

Mme Sylvie Robert . - Je me réjouis que le budget de la mission culture augmente de manière substantielle.

J'attire néanmoins votre attention sur un point de vigilance. Nous avons tous été stupéfaits de voir que le public ne revenait pas dans les salles, ce qui pose des problèmes économiques aux différents acteurs. Le passe sanitaire est obligatoire dans les lieux culturels et la jauge de 75 % pour les concerts debout s'applique de nouveau dans certains départements. Pourquoi ne pas envisager une jauge à 100 %, avec port du masque obligatoire, pour permettre aux programmateurs de concerts de sortir de l'impasse ? Nous vous invitons à suivre avec la plus grande attention l'évolution du secteur pour, le cas échéant, proroger l'année blanche des intermittents de quelques mois.

Par ailleurs, le secteur des arts visuels est toujours fragilisé, non seulement en termes de crédits par rapport au spectacle vivant mais aussi parce que c'est un secteur peu structuré. Le 1 % artistique est de moins en moins appliqué et les artistes visuels souffrent globalement d'un problème de rémunération. Dans le rapport rédigé avec Sonia de La Provôté, nous préconisons la création d'un observatoire des arts visuels pour disposer de données socio-économiques sur ce secteur très compliqué à appréhender et ainsi mieux le soutenir.

Pour que le pass culture devienne un vrai levier de l'action publique, il pourrait être plus prescriptif. En effet, les jeunes se tournent plus volontiers vers les livres, le cinéma ou la musique que vers le spectacle vivant, les musées et les centres d'art.

Enfin, le budget prévoit 5 millions d'euros de crédits dans le cadre d'un appel à projets pour des initiatives locales. C'est une bonne nouvelle puisque nous sommes favorables à la déconcentration des crédits. J'ai constaté que l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) avait débloqué un million d'euros pour les tiers lieux. Il serait intéressant que votre ministère et celui de la cohésion des territoires travaillent ensemble pour repérer ces lieux à vocation culturelle en lien avec les collectivités.

Mme Else Joseph . - J'interviens au nom de Sabine Drexler, rapporteur pour avis des crédits du programme « Patrimoines ».

Les auditions conduites ces dernières semaines ont souligné l'obstacle du déficit d'ingénierie des collectivités territoriales et des propriétaires privés pour mener à bien leurs projets de restauration du patrimoine. C'est une conséquence directe de la réforme de la maîtrise d'ouvrage de 2005, qui avait pour but de mieux responsabiliser les propriétaires de monuments historiques. Pendant quelque temps, les services du ministère de la culture avaient mis en place une assistance à maîtrise d'ouvrage pour les dans leur nouvelle responsabilité. Or aujourd'hui, seules quelques rares régions proposent encore ce service et les agences départementales spécialisées sont à peine une poignée. C'est une vraie difficulté, dans la mesure où les collectivités territoriales, notamment les plus petites qui concentrent l'essentiel du patrimoine à protéger, ne sont généralement pas formées au rôle de maître d'ouvrage. Serait-il envisageable que les services déconcentrés assurent une mission d'assistance à la maîtrise d'ouvrage ? Il faudrait alors renforcer les effectifs de ces services. Êtes-vous capable de chiffrer le nombre d'équivalents temps plein (ETP) supplémentaires ? Sinon, quelles solutions alternatives proposez-vous pour mieux accompagner les collectivités et les propriétaires privés ?

Ma deuxième question porte sur le fonds incitatif et partenarial. Cet outil est plébiscité, mais il est encore très méconnu des communes rurales auxquelles il est pourtant destiné et les cas dans lesquels il est activé restent relativement opaques. Nous avons le sentiment que vous avez développé un très bon outil, mais que le faible niveau de sa dotation vous oblige à ne pas en faire la publicité, d'où des résultats limités. Pouvez-vous nous confirmer que ce sont aujourd'hui les DRAC qui choisissent seules les projets qui bénéficieront de ce fonds ? Pourquoi ne pas envisager d'en accroître la dotation, avec une partie des crédits de restauration réservés chaque année aux monuments historiques n'appartenant pas à l'État ?

Enfin, lors de nos dernières auditions, les musées nous ont alertés sur un risque accru de sortie d'un certain nombre de trésors nationaux, compte tenu de la forte augmentation des demandes de certificat d'exportation. Peu d'entreprises sont en mesure d'aider l'État, par le biais du mécénat, à acquérir ces chefs-d'oeuvre de notre patrimoine. Ce risque vous paraît-il avéré ? Votre ministère travaille-t-il à des pistes pour le limiter ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - Si j'ai lancé une enquête sur la fréquentation des lieux culturels, c'est pour suivre finement et à intervalle régulier l'évolution du secteur. En effet, la fréquentation des cinémas est en baisse de 25 % par rapport à 2019, qui était une excellente année grâce au film Joker, mais de seulement 15 % par rapport à 2018. Par ailleurs, après un choc important au moment de l'instauration du passe sanitaire, du 13 au 19 septembre, pour la première fois depuis mi-juillet, la fréquentation était supérieure à celle de la même période de 2019. Cette amélioration a été de courte durée puisque la semaine 38, elle, était inférieure de 8 % à celle de 2019 puis de 26 % la semaine 39. Je considère que nous sommes globalement sur une baisse de 25 %.

Les établissements patrimoniaux nationaux ont enregistré une baisse importante de leur fréquentation par rapport à 2019 avant l'instauration du passe sanitaire. Cette chute oscille entre 56 % pour la semaine 35 et 41 % pour semaine 39. L'écart se résorbe légèrement en semaine 42, avec - 38 %. Les établissements souffrent non pas du passe sanitaire mais de l'absence des touristes étrangers. J'ai visité plusieurs expositions, celle consacrée à Georgia O'Keeffe à Pompidou ou celle consacrée au cinéma au musée d'Orsay, et j'ai bon espoir que la situation évolue.

Pour le spectacle vivant, les opérateurs avaient accueilli mi-octobre 75 000 spectateurs, soit une baisse de 15 % par rapport à 2019. La situation est très hétérogène. La Villette n'a enregistré que 2,4 % de baisse, alors que le remplissage de l'Opéra national de Paris a diminué de 24 %. La situation s'améliore et aujourd'hui les salles de l'Opéra sont pleines.

Les opérateurs sont gênés par un changement de pratiques. Avant la crise, en début de saison, les abonnements et les réservations représentaient 45 % de la jauge. Aujourd'hui, ce chiffre n'est que de 25 %. Ils ont donc moins de visibilité mais il y a plus de fluidité dans les places. Les grands acheteurs captaient une grande partie des places et de nombreux spectateurs n'en trouvaient pas. Nous ne savons pas si ses comportements deviendront pérennes.

Grâce au système d'information billetterie SIBIL, nous disposons de nouvelles informations. En septembre 2021, le nombre de billets vendus était inférieur de 28 % par rapport à 2019 mais en hausse de 36 % par rapport à 2020. Le chiffre d'affaires était en baisse de 85 % par rapport à 2019 et de 53 % par rapport à 2020.

La dégradation de la situation sanitaire a en effet conduit le Gouvernement, dans les départements où le taux d'incidence dépassait 50 cas pour 100 000 habitants, à maintenir les mesures de freinage. 60 départements sont désormais concernés, contre une vingtaine il y a peu, par l'abaissement des jauges à 75 %. Je comprends les difficultés des opérateurs et je m'interroge, avec vous, sur la territorialisation des mesures de sécurité sanitaire.

Je suis favorable à la création d'un observatoire des arts visuels. Nous avons constitué un groupe de travail avec le Conseil national des professions des arts visuels. Il s'intéresse à l'observation et vise à établir les besoins pour le secteur et à mieux mobiliser les différents acteurs : le département des statistiques du ministère, le CNAP ou les pôles régionaux.

Tous les acteurs culturels demandent la sanctuarisation de lignes du pass culture à hauteur de 5 ou de 10 %. Il me paraît difficile d'accéder à leurs demandes, d'autant plus que le pass culture est un outil d'autonomisation. Pourquoi empêcher un jeune de consacrer ses 300 euros à l'achat d'une guitare ? Je suis donc très réservée sur le côté prescriptif du pass culture et il serait, de plus, impossible de satisfaire tous les secteurs.

Je suis très attentivement la situation des intermittents avec ma collègue Élisabeth Borne. Je n'ai pas d'inquiétude en raison de la prolongation de l'année blanche et des mesures d'accompagnement que nous avons mises en place. Nous manquons même d'intermittents dans certains secteurs !

La maîtrise d'ouvrage des travaux sur les monuments a été rendue aux propriétaires. Pour atténuer les conséquences défavorables de cette réforme, le code du patrimoine prévoit que les DRAC peuvent assurer une mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) à titre gratuit. Certaines DRAC y parviennent, d'autres rencontrent des difficultés compte tenu de leurs effectifs très faibles en ingénieurs des services culturels et en techniciens des bâtiments de France. Les DRAC peuvent également aider les propriétaires privés et les collectivités à assurer leur rôle de maître d'ouvrage en participant par subvention au coût du recrutement d'une AMO privée.

La situation des effectifs des personnels techniques des DRAC est sensible et fait l'objet de mon attention constante. Le recrutement est complexe et les départs à la retraite à venir exigent l'organisation de concours pour assurer les remplacements. Le ministère a également engagé un plan pour résorber la vacance d'emplois et mieux répondre aux besoins sur l'ensemble du territoire. En 2020, sur les 30 ETP obtenus pour accompagner la déconcentration, 7 postes ont été consacrés au renforcement de certaines UDAP. Je souhaite, qu'à côté de l'offre de l'État, les collectivités territoriales développent une offre propre pour la réalisation des études préalables aux travaux.

Il est peut-être excessif d'affirmer que nous ne faisons pas la publicité du FIP car il manquerait de moyens. C'est un outil utile et novateur, intégralement déconcentré. Il associe les régions et permet un soutien renforcé de l'État, jusqu'à 80 %, sous réserve d'une participation financière des régions de 15 %, 5 % en Outre-mer. Toutes les régions métropolitaines, à l'exception de la Normandie, se sont engagées avec l'État et 500 opérations ont été financées. Les communes de moins de 2 000 habitants représentent 65 % des bénéficiaires du FIP. Pour répondre à ce succès, sa dotation est portée de 15 à 16 millions d'euros. Cette augmentation est mesurée pour préserver l'effet de levier des crédits de l'État.

Enfin, nous sommes évidemment très attentifs à la sortie du territoire des trésors nationaux. À ce jour, je n'observe pas de multiplication inquiétante du nombre de demandes de certificats, qui est compris entre 10 000 et 11 000 par an. Ce chiffre a baissé en raison de la crise sanitaire et de la hausse des seuils de valeur. Néanmoins, d'importants trésors nationaux sont actuellement en attente d'acquisition et malgré nos efforts, ils ne pourront pas tous rejoindre les collections publiques. Les montants en jeu sont phénoménaux, un Rembrandt est par exemple estimé entre 175 et 180 millions d'euros. Une seule oeuvre pourrait absorber la capacité d'achat d'un établissement public. Les musées ne ménagent pas leurs efforts pour trouver des mécènes ou organiser des opérations participatives et nous suivons la situation avec la plus grande attention comme nous l'avons fait pour le Baiser de Brancusi.

M. Laurent Lafon , président . - Merci madame la ministre. Je donne la parole à mes collègues pour une nouvelle série de questions en les invitant à être synthétiques.

Mme Céline Boulay-Espéronnier . - Le budget consacré au patrimoine est en augmentation de 200 millions d'euros par rapport à 2021 et les investissements prévus par le plan de relance sont nécessaires voire vitaux. Certains opérateurs risquent de connaître une situation encore plus difficile qu'en 2020. L'ouverture partielle ne leur a pas permis de réaliser des économies comme lors du premier confinement où les activités étaient totalement arrêtées. Le public ne revient que très progressivement du fait d'une jauge stricte et l'absence des touristes étrangers pèse toujours. Les grands musées parisiens, dont le modèle économique repose largement sur l'autofinancement, sont particulièrement concernés par cet arrêt du tourisme international qui représentait, avant la crise, 75 % des visiteurs. La RMN-Grand Palais dépend à 76 % de ses ressources propres et le musée du Louvre à 63 % comme nous l'a indiqué sa nouvelle présidente Mme des Cars.

Des ruptures de trésorerie ont dû être anticipées, par exemple avec le versement pour les travaux du Grand Palais du PIA dès le mois de juillet. Par ailleurs, malgré le soutien de l'État, les pertes du musée du Louvre ne sont qu'à moitié couvertes. Cette situation doit nous amener à réfléchir sur le modèle économique de ces grands établissements.

Je souhaite également évoquer la baisse de fréquentation de l'Opéra de Paris, qui traverse une période difficile et rencontre d'importants problèmes de trésorerie. Il a été contraint de stopper le projet d'aménagement d'une salle modulable. Pouvez-vous faire le point sur la situation de l'établissement à partir du rapport qui vous a été remis par messieurs Tardieu et Hirsch ? Pouvez-vous nous confirmer qu'un accompagnement financier supplémentaire est envisagé dans le cadre du second projet de loi de finances rectificative (PLFR) ?

Enfin, le Grand Palais a renoncé à des transformations dispendieuses pour se concentrer plus raisonnablement et à la demande du gouvernement sur les aménagements indispensables. Pouvez-vous préciser l'état d'avancement des travaux et l'utilisation du budget attribué, qui reste stable malgré la transformation du projet initial ?

Mme Sonia de La Provôté . - Pour le patrimoine, vous avez répondu sur le FIP et sur l'AMO. Sur l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), malgré l'augmentation de son budget, nous nous attendons à un embouteillage des demandes. Comment allez-vous suivre les compétences en matière d'études archéologiques sur le terrain ? Les référents ruralité, annoncés au sein des DRAC par l'Agenda rural pour accompagner les questions patrimoniales, ont-ils été mis en place ?

Les conseils locaux des territoires pour la culture (CLTC) peinent à s'installer dans certaines régions. Comment envisagez-vous d'accompagner les politiques publiques dans les territoires et la mise en place de ces CLTC ? Pourquoi ne pas prévoir une part de co-construction entre les DRAC et les collectivités locales et de co-finacement des politiques culturelles ? En effet, entre les labels et les appels à projets, il ne reste qu'une portion congrue pour les initiatives locales.

Enfin, le nombre d'étudiants dans les écoles d'architecture stagne, alors qu'elles forment à des métiers d'avenir sur lesquels repose une partie des enjeux environnementaux.

M. Pierre Ouzoulias . - Je partage l'interrogation de Céline Boulay-Espéronnier sur la pérennité du modèle économique des grands opérateurs. La politique de mécénat est soumise à des contraintes très difficiles à gérer pour les établissements. Il n'est par exemple pas aisé de faire financer une nouvelle salle sur les arts byzantins par l'Azerbaïdjan qui exposera du mobilier arménien.

La crise du Covid a révélé une fragilité sous-jacente. Par ailleurs, une partie du mécénat se dirige vers des structures privées, au détriment des établissements publics. Je crains que les soutiens exceptionnels de l'État deviennent pérennes et votre ministère soit contraint de négocier avec Bercy, qui vous demandera la fin de ces dispositifs exceptionnels qui sont structurellement indispensables pour ces grands opérateurs.

Dans ce contexte, je m'interroge sur l'opportunité de transformer le mobilier national en établissement public, ce qui le soumettra lui aussi à des contraintes de recherche de ressources propres.

Enfin, j'ai assisté la semaine dernière au Collège de France à un hommage rendu à Jack Ralite. Grâce à son initiative, pendant des années, des professeurs au Collège de France sont allés à Aubervilliers pour présenter leurs recherches. C'est un magnifique exemple d'intermédiation culturelle qui va vers ceux qui n'ont pas l'habitude de fréquenter ce niveau de savoir. Je considère que le pass culture est à l'inverse de cette démarche et je ne suis pas certain que nous puissions trouver la même révélation dans une forme de consommation culturelle sans intermédiation.

M. Julien Bargeton . - Je me félicite de ce budget historique qui dépasse pour la première fois 4 milliards d'euros. Les crédits de la mission Culture ont progressé de 500 millions d'euros en cinq ans et de 8 % en 2022.

Sur la mission Livre, Médias et industries culturelles, la progression est de près de 12 % et le plan de relance apporte 600 millions d'euros supplémentaires.

Je vous félicite pour cet effort, pour le Fonpeps et l'emploi dans le secteur de la culture et pour votre engagement dans le secteur culturel.

Le Centre national de la musique (CNM) devrait retrouver en 2023 un étiage normal et il a besoin de ressources pérennes, notamment à la suite de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) sur les droits à répartir. Quelles sont les pistes pour le financer à long terme ?

La conservation de la presse de la III e République est un projet porté par la Bibliothèque nationale de France (BnF) qui présente un intérêt patrimonial et historique majeur. Pouvez-vous nous rassurer sur ce projet ?

Enfin, le jeu vidéo est un domaine très concurrentiel de l'excellence française. Le crédit d'impôts dont il bénéficie est parfois attaqué alors qu'il semble efficace. Pouvez-vous nous communiquer des éléments objectifs sur son efficacité, notamment en termes de création d'emplois ? En effet, le secteur du jeu vidéo a un lien très fort avec l'innovation et nous devons le défendre et l'encourager.

Mme Marie-Pierre Monier . - La mission de service public de l'Inrap est revalorisée de 2 %, aux dépens des subventions destinées aux services d'archéologie départementaux agréés et grâce au transfert des moyens du département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM) en provenance du programme 361 de la mission culture. Or, l'archéologie préventive a été perturbée par la crise sanitaire et a besoin de moyens.

Dans le cadre des crédits restant du plan de relance, la ligne de 10 millions d'euros destinée à aider les collectivités territoriales peut-elle être sollicitée pour aider les communautés de communes à financer des travaux de fouilles et d'archéologie préventive ?

Par ailleurs, les crédits alloués aux sites patrimoniaux remarquables stagnent depuis 2018. Pourquoi cette enveloppe n'a-t-elle pas évolué ?

Enfin, le bleu budgétaire du programme 131 prévoit la transition du mobilier national d'un service à compétence nationale vers un statut d'établissement public à caractère administratif. Comment les partenaires sociaux appréhendent cette évolution et quel est pour vous l'intérêt de ce changement ?

Je vous remercie également pour l'entrevue que nous avons eue sur le patrimoine culturel immatériel. Avez-vous retenu quelques-unes de nos propositions ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - La compensation des pertes de recettes des opérateurs sera examinée dans le cadre de la LFR qui sera examinée d'ici la fin de l'année. Ces pertes s'élèvent à 969 millions d'euros.

Pour les établissements du programme 175, nous allons mobiliser 169 millions d'euros répartis de la manière suivante :

- le CMN 30 millions d'euros ;

- la Villette 24 millions d'euros ;

- le Louvre 53 millions d'euros ;

- le musée d'Orsay 18 millions d'euros ;

- le Grand Palais 12 millions d'euros ;

- le musée Rodin 5 millions d'euros ;

Sur le programme 361, Universcience bénéficiera de 23 millions d'euros.

Pour le programme 131, la Philharmonie recevra 8 millions d'euros, l'Opéra de Paris 25 millions, la Comédie française près de 6 millions, Pompidou 1 million, le Palais de Tokyo 709 000 euros, le musée de Sèvres 320 000 euros et l'Odéon un million d'euros.

Nous verserons donc aux opérateurs un total de 234 millions d'euros.

La salle modulable de l'Opéra de Paris n'a pas été abandonnée sous l'effet de la crise mais après évaluation des besoins structurels de l'établissement. J'ai en effet demandé un rapport de travail à Georges-François Hirsch et à Christophe Tardieu et j'ai engagé des échanges avec la direction et le conseil d'administration de l'Opéra de Paris pour construire une nouvelle feuille de route.

À l'issue de ces échanges, j'ai demandé à Alexander Neef d'engager, en étroite collaboration avec les représentants du personnel, la réforme du modèle artistique, économique et social de l'Opéra de Paris. Le projet stratégique s'articule autour des priorités suivantes : faire évoluer les méthodes de programmation artistique et la planification pour mieux maîtriser en exécution les coûts de production et la masse salariale variable ; redéfinir l'organisation des services et des règles de fonctionnement pour réduire les charges fixes ; retrouver progressivement les recettes perçues avant la crise sanitaire ; revenir en 2024 à un budget équilibré. En contrepartie de ces efforts, l'État maintient son important soutien et les crédits initialement dédiés au projet de salle modulable seront utilisés pour la transformation de l'établissement. Enfin, ses moyens seront consolidés avec la hausse de 0,9 million d'euros de la subvention de fonctionnement et de 3,5 millions d'euros de la subvention d'investissement. Le projet global sera validé par les tutelles dans les prochaines semaines.

Pour le Grand Palais, l'enveloppe budgétaire de 470 millions d'euros est strictement respectée. Il est totalement fermé depuis le 12 mars et le Grand Palais éphémère a été inauguré le 9 juin. Il remplit parfaitement ses fonctions et les travaux se déroulent selon le coût d'objectif et le calendrier prévus.

Dans le cadre du plan de relance, les crédits de l'Inrap ont été abondés de 20 millions d'euros au titre des missions non concurrentielles. Cet établissement contribue parfaitement à la relance économique et à l'aménagement du territoire. Il fait face à une augmentation de 20 % de l'activité de diagnostic. La trajectoire de redressement est confirmée par la hausse du chiffre d'affaires, les charges sont maîtrisées et son éligibilité au crédit impôts recherche est confirmée. Plusieurs réformes de fond sont menées, comme la mise en oeuvre d'une comptabilité analytique, la réduction des implantations ou le redressement des prix de vente. En 2022, la subvention progressera de 1,5 million d'euros au titre de la réforme indemnitaire des agents contractuels sur le secteur non concurrentiel.

Pour les écoles d'architecture, l'effort budgétaire 2022 est sans précédent, avec 8,2 millions d'euros sur le programme 361. Par ailleurs, dix emplois supplémentaires seront dégagés en gestion pour poursuivre le renforcement des effectifs. Les écoles nationales supérieures d'architecture (ENSA) bénéficient de 60 millions d'euros dans le cadre du plan de relance. Elles doivent se mettre en ordre de marche pour la bonne mise en oeuvre de la réforme de 2018 et occuper une place centrale dans la définition et la diffusion des solutions pour la transition écologique et sociale des bâtiments. J'ai remis hier l'écharpe de commandeur des Arts et Lettres à Mme Lacaton et à M. Vassal qui ont obtenu le prix Pritzker et qui sont les chantres de cette nouvelle façon de considérer l'architecture.

Le Mobilier national est une institution de référence pour les métiers d'art et de design. Ses ateliers perpétuent un savoir-faire d'excellence. La transformation de ce service à compétence nationale en établissement public à caractère administratif est en cours. Un rapport de la Cour des comptes et le rapport parlementaire « France métiers d'excellence » ont montré la nécessité de faire évoluer son statut pour valoriser son utilité sociale en libérant les leviers de modernisation. Un effort supplémentaire de 4,5 millions d'euros et de 10 ETP est porté au PLF 2022 afin d'accompagner cette transformation et porter une nouvelle ambition pour le rayonnement des savoir-faire français et engager le schéma directeur de cet établissement.

Cette réforme est nécessaire. Les organisations syndicales craignaient qu'elle se déroule à budget et à emplois constants, ce n'est pas le cas !

Un arrêt de la CJUE a reporté durablement la contribution des organismes de gestion collective au financement du CNM. Nous devons explorer d'autres solutions pour créer une plus grande symétrie entre les acteurs du spectacle et ceux de la musique enregistrée. L'une d'entre elles serait la taxation des ventes de musique, notamment par abonnement. Elle l'aurait l'avantage de permettre, comme pour le spectacle, la taxation de la filière par et pour elle-même. Il est un peu tôt pour que le ministère se positionne sur ce dossier, que je suis avec la plus grande attention.

À travers la collection des journaux de la III e République, vous posez le problème de la numérisation des collections de presse de la BnF qui sont les plus vastes et les plus anciennes du monde avec 270 000 titres de presse. Une grande partie des collections est menacée de disparition et la numérisation est la seule solution. Pour accélérer ce chantier, la BnF a besoin de 80 millions d'euros sur six ans. La numérisation des contenus culturels fait partie des dispositifs financés par le PIA4. La BnF pourra donc candidater en 2022 à un financement à ce titre, sous réserve qu'elle en remplisse les critères.

Le fonds d'aide aux jeux vidéo dispose d'un budget limité de 4 millions d'euros et la dépense fiscale du crédit d'impôts jeux vidéo a atteint en 2020 63 millions d'euros. Pour approfondir la connaissance statistique du secteur, les ministères de la culture et de l'économie ont publié cette année une étude sur le tissu économique et la compétitivité de la filière. L'industrie française du jeu vidéo s'est considérablement renforcée avec 1 000 entreprises actives sur l'ensemble du territoire qui emploient 12 000 personnes. La France se distingue par la qualité de ses formations, la créativité de ses studios mais le secteur fait face à deux défis majeurs. La consommation culturelle s'inscrit de plus dans un environnement tout numérique. Il bénéficie de la confiance d'investisseurs extra-européens et connaît une très forte accélération du mouvement de consolidation industrielle, ce qui pose la question de l'indépendance du modèle français. Enfin, le jeu vidéo sera au coeur du plan France 2030.

M. Laurent Lafon , président . - Je donne la parole à Jean-Raymond Hugonet pour les crédits de l'audiovisuel, puis à Michel Laugier pour la presse et enfin à Jérémy Bacchi pour le cinéma.

M. Jean-Raymond Hugonet . - Il y a maintenant six ans, en 2015, notre commission avait proposé une réforme « clé en main » de l'audiovisuel public, portant à la fois sur la gouvernance avec la création d'une holding et sur son financement avec la création d'une taxe universelle « à l'allemande ».

Au terme de ce quinquennat, nous sommes au regret de constater que rien n'a avancé. La réforme de la gouvernance a été abandonnée en mars 2020 et celle du financement a été chaque année reportée, suscitant aujourd'hui une inquiétude réelle et grandissante chez les différents acteurs.

Alors que les médias privés se regroupent pour essayer de résister à la concurrence des plateformes, comment expliquez-vous cette absence d'ambition du gouvernement pour le service public de l'audiovisuel tout au long du quinquennat ?

Concernant la réforme de la CAP, vous avez demandé que le rapport des inspections générales soit rendu en mai 2022. Compte tenu des échéances électorales et des contraintes inhérentes à la préparation du budget 2023, pensez-vous qu'il sera techniquement possible pour le prochain gouvernement d'inscrire cette réforme dans le PLF 2023 ou faudra-t-il envisager une solution de transition consistant, par exemple, à maintenir en 2023 la CAP en l'état avec un rôle fiscal propre ?

Ma seconde question porte sur la chaîne jeunesse de France Télévisions, France 4. Alors que le contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions adopté en début d'année prévoyait encore sa suppression, elle a été finalement maintenue au lendemain de l'adoption, par notre commission, d'un amendement prévoyant de l'inscrire dans la loi.

Pour autant, le budget de France Télévisions ne comporte aucune rallonge pour financer cette chaîne dont le coût est estimé entre 20 et 40 millions d'euros. Confirmez-vous, dans ces conditions, que le budget de France Télévisions pourrait être en déficit en 2022, du fait de cette charge nouvelle non compensée ?

Enfin, vous avez annoncé la création d'une offre numérique commune à France 3 et à France Bleu avec une structure partagée. Pouvez-vous préciser le cadre juridique de cette coopération ? S'agira-t-il d'un groupement d'intérêt public ? Quel sera son périmètre ? Cette structure comprendra-t-elle l'ensemble des moyens humains de France Bleu et des antennes régionales de France 3 ou seulement une équipe restreinte, dédiée à cette nouvelle offre numérique ?

M. Michel Laugier . - La mauvaise volonté de Google à jouer le jeu de la négociation sur les droits voisins est dorénavant établie par une décision d'une sévérité inédite de l'Autorité de la concurrence en date du 23 juillet dernier. Or les échos que nous en avons semblent montrer que l'incitation à une négociation de bonne foi n'est pas suivie d'effet. Google a-t-il réglé les 500 millions d'amende ? Les astreintes ont-elles commencé à tomber ou bien sommes-nous dans un jeu qui, manifestement, ne mène nulle part ?

Comme d'autres secteurs, la presse subit une forte hausse du prix des matières premières. Le papier a augmenté de 25 % à 30 %, quand il est disponible, et les emballages de 50 %. Je constate que les incitations mises en place avec l'éco-contribution ne sont pas suffisantes puisque tout semble finir en carton. Madame la ministre, quelle solution pourrions-nous proposer à ce secteur déjà fragile avant la crise et désormais aux abois ?

M. Jérémy Bacchi . - Le secteur du cinéma a plutôt bien résisté à la crise grâce au soutien massif de l'État. Cependant, le secteur manque de techniciens et de scénaristes pour la relance de la production. Vous avez évoqué un chiffre de 600 millions d'euros, dont 100 millions dédiés à la formation. Pouvez-vous préciser l'affectation de ces crédits ?

Par ailleurs, le CNC va ouvrir ses aides aux nouveaux diffuseurs. Ce soutien représentera environ 30 millions d'euros chaque année. Si le CNC a mis en place un fonds sélectif de 5 millions d'euros, il subsiste un écart de 25 millions d'euros qui n'est pas compensé. Comment cet écart sera-t-il compensé dans les années à venir ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - L'analyse des travaux réalisés sur la CAP constitue un élément de perplexité. L'énumération de mon propos liminaire n'était pas hiérarchisée et les propositions de réforme doivent être jugées à l'aune d'une grande impopularité et d'un défaut d'acceptation de l'opinion publique.

La holding avait pour objectif d'améliorer les coopérations entre les sociétés de l'audiovisuel public mais je pense que ces coopérations peuvent être mises en oeuvre sans structure chapeau, qui aurait été source de conflit et de dépenses supplémentaires (président, directeur, secrétaires, frais de fonctionnement, etc.). Par ailleurs, elle était rejetée par l'ensemble des personnels des différents établissements.

Le rapprochement entre France 3 et France Bleu est essentiel. Il s'est concrétisé avec la mise en place de matinales communes depuis janvier 2019. Leur généralisation est prévue à l'horizon 2023. Les contrats d'objectifs et de moyens de France Télévisions et de Radio France engagent les deux sociétés à amplifier la coopération de leurs réseaux régionaux qui se concrétise par l'offre numérique de proximité. Il y aura donc un grand média numérique de la vie locale au plus tard à la fin du premier trimestre 2022. Sur proposition des deux entreprises, le gouvernement leur a demandé de porter et de piloter cette offre de manière paritaire, à travers une structure légère et opérationnelle, qui prendra la forme d'un groupement d'intérêts économiques (GIE). Ce GIE sera chargé de piloter l'offre éditoriale, de définir la marque et de porter la plateforme technologique.

Radio France et France Télévisions, au cours d'une réunion de travail avec le Premier ministre, nous ont fait part de leur intention de multiplier les initiatives communes de terrain, notamment dans le cadre de la couverture des échéances électorales. Par ailleurs, je les ai invitées à engager une réflexion sur l'approfondissement de leur coopération avec un objectif d'accroissement de l'offre de proximité en télévision et en radio, d'amélioration de son exposition et d'accroissement du maillage territorial des deux réseaux. Le résultat de cette réflexion a vocation à être inscrit dans la prochaine génération des contrats d'objectifs et de moyens.

La mission commune de l'IGAC et de l'IGF devra tenir compte de ces objectifs et identifier une ressource permettant d'accompagner l'enrichissement de cette offre de proximité.

Pour l'amende infligée à Google par l'Autorité de la concurrence (ADLC), le recouvrement des sanctions pécuniaire est du ressort de la direction générale des Finances publiques (DGFiP). À notre connaissance, le titre de perception a été émis. Je précise également que le produit des amendes dressées pour sanctionner le non-respect des injonctions prononcées par l'ADLC alimente le budget général de l'État. Il ne peut être affecté à la réparation du préjudice subi par l'une des parties.

La hausse des prix du papier et ses conséquences pour la presse ne sont pas directement de mon ressort mais de celui du ministre de l'Industrie. Vous en connaissez les raisons structurelles, restructuration de la filière papetière, fortes tensions sur le marché du papier recyclé, mais aussi des raisons conjoncturelles, forte reprise de l'activité économique mondiale, hausse globale du prix des matières premières, de l'énergie.

Le plan France 2030 prévoit 300 millions d'euros pour doter notre pays d'infrastructures de production de niveau international. De nombreux professionnels ont été interrogés et ils nous ont indiqué qu'ils avaient besoin de nombreux besoins de studios adaptés aux techniques nouvelles de production audiovisuelle. L'objectif est de faire émerger quelques grandes infrastructures dans des territoires stratégiques. Le président de la République a fait une première annonce pour le site de Marseille, qui dispose déjà d'un écosystème de studios qu'il faut adapter. Nous pensons aussi à la région parisienne et à Lille.

Un volet de 100 millions d'euros est consacré à la formation. Sur les 20 meilleures écoles du monde, 4 sont françaises, dont l'école des Gobelins, la Femis ou l'école Louis Lumière.

Notre ambition est de pallier la pénurie d'auteurs, de techniciens, de cadres de production, d'ingénieurs, de webdesigners, de codeurs ou de logisticiens. Nous voulons aussi développer des formations plus courtes, centrées sur l'apprentissage. J'ai passé une matinée à la Ciné Fabrique de Lyon, 50 % des étudiants sont boursiers et certains entrent sans le bac. Nous devons pousser la démocratisation de ces métiers.

Enfin, 200 millions d'euros sont destinés aux technologies de réalité virtuelle et augmentée. La production directe de contenus audiovisuels en bénéficiera. J'ai vu à Chaillot le spectacle de Blanca Li en réalité virtuelle, c'est impressionnant. Il y a là une source extraordinaire de création et de divertissement. Ces technologies peuvent profiter à l'ensemble du secteur culturel, avec la visite de musées, de sites patrimoniaux ou de sites naturels exceptionnels.

Pour le spectacle vivant en streaming, il faut imaginer d'autres produits et ne pas se contenter de planter deux caméras sur une scène. Il existe une collaboration très intéressante entre le Châtelet et la troupe (la)horde de Marseille et la mode peut également bénéficier de ces nouvelles technologies.

Enfin, les grandes plateformes participeront à la création française à hauteur de 20 à 25 % de leur chiffre d'affaires grâce à la publication du décret sur les services de médias audiovisuels à la demande (SMAD). C'est une première étape historique et la contrepartie de ces obligations nouvelles est l'accès à des aides du CNC. Les services du CNC ont travaillé à l'ouverture progressive des soutiens, en concertation avec les producteurs audiovisuels et les plateformes. Le conseil d'administration du CNC a voté vendredi dernier la création d'un fonds de soutien sélectif pour les producteurs qui travaillent avec les plateformes. Cette avancée est conditionnée à l'acception du décret SMAD dans toutes ses composantes.

Mme Laure Darcos . - Sur le spectacle vivant, les jauges sont revenues à 75 %. La crise sanitaire a amplifié la règle selon laquelle les producteurs doivent rembourser les places des spectacles annulés ce qui a considérablement fragilisé le secteur, étranglé par le remboursement de la billetterie. Quelles seraient les pistes pour améliorer la situation ?

Vous n'avez pas abordé les problèmes de harcèlement rencontrés dans certaines écoles d'architecture.

Enfin, dans le cadre de la recherche, j'ai réalisé un focus sur la culture scientifique. J'ai constaté qu'à Universcience ou au Muséum d'histoire naturelle, les particuliers reviennent mais pas les groupes scolaires. Je vous demande de nous appuyer auprès du ministère de l'éducation nationale pour que les groupes scolaires retournent dans les musées et dans les salles de spectacle. Nous n'amènerons pas nos jeunes à aimer la science si nous ne les envoyons pas à Universcience.

M. David Assouline . - En 2018, les ressources de l'audiovisuel public ont diminué de 39 millions d'euros, de 35 millions en 2019, de 70 millions en 2020 et en 2021 et le budget 2022 prévoit une nouvelle diminution de 18 millions. Sur le quinquennat, la dotation à l'audiovisuel aura baissé de 240 millions d'euros.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - La baisse est de 5 %.

M. David Assouline . - Les ministres successifs ont tous assuré que l'audiovisuel public était absolument nécessaire pour la démocratie, l'information, pour les investissements dans la création. Or, je constate que ces baisses vont à l'encontre de ces déclarations. Pendant plusieurs années, l'État nous a expliqué que l'offre publique était pléthorique et que France 4 pouvait être supprimée. Aujourd'hui France 4 est maintenue, avec une offre un peu différente, mais sans accompagnement budgétaire. Soit cette chaîne ne coûtait pas très cher, soit il manque 30 millions dans le budget pour la financer. Comment justifiez-vous le maintien de France 4 tout en diminuant le budget de France Télévisions ?

Sur la redevance, je suis très inquiet. Je pense que le ministère de la culture sous-estime l'action de Bercy, qui semble freiner toute réforme. Or, en l'absence de réforme, la suppression de la taxe d'habitation va plonger l'audiovisuel dans un gouffre puisqu'il n'y aura plus de recettes. Dans ces conditions, la proposition de certains candidats à l'élection présidentielle de privatiser l'audiovisuel public prendra corps. Si aucune décision n'est prise, l'audiovisuel public sera fragilisé. Ce n'est pas une accusation, c'est un avertissement. Je prends date et malheureusement la réalité ne m'a jamais donné tort sur ce type de prévision.

J'aimerais en savoir plus sur la mission que vous avez confiée à l'IGAC et à l'IGF. À quel moment ses travaux débuteront-ils ? Qui la compose ? Quand les parlementaires seront-ils sollicités ?

Plusieurs ministères ont nommé une mission pour travailler sur la question des concentrations. J'ai le sentiment que nos réflexions ne vont pas dans le même sens et nous allons créer une commission d'enquête. Nous pouvons considérer que les hyperconcentrations présentent un danger et qu'il faut les évaluer ou estimer que la réglementation est caduque car il est nécessaire de permettre plus de concentrations, pour que les acteurs soient mieux positionnés par rapport aux plateformes. Certains pensent que c'est la meilleure manière de répondre aux géants. Comme nous ne disposerons jamais de géants à la hauteur d'Amazon, je suis convaincu que nous devons mettre en avant d'autres atouts, comme la pluralité et la diversité de l'offre.

Quel est l'objectif du gouvernement ? Adapter la législation pour permettre plus de concentrations ou conserver la loi de 1986 ?

Mme Monique de Marco . - Je vous remercie, madame la ministre, pour cette annonce sur l'offre numérique locale. Sera-t-elle gérée au niveau local ? En effet, je me souviens de la suppression de certaines stations locales de FIP qui assuraient une information de proximité.

Par ailleurs, quel sera le budget consacré à cette nouvelle offre ? Bénéficiera-t-elle de nouveaux moyens ou d'une nouvelle répartition de moyens déjà alloués ? Les syndicats de France Télévisions nous ont en effet alertés sur un manque de moyens financiers et humains.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - Je considère que le service public de l'audiovisuel bénéficie de moyens puissants. La trajectoire de diminution a été modérée, 5 % sur ensemble du quinquennat et elle a tenu compte de la capacité de réorganisation et de réforme de ce secteur. Il a également bénéficié de 73 millions d'euros pour compenser les effets de la crise sanitaire.

Grâce à une réorganisation modérée, il remplit l'intégralité de ses missions, taille des croupières à l'audiovisuel privé et a conservé la même capacité de création.

La mission conjointe de l'IGAC et de l'IGF sur la CAP a été lancée fin octobre. Nous les réunirons prochainement pour examiner la manière dont elles vont s'emparer de ce sujet et associer les parlementaires à leurs travaux.

Sur la concentration des médias, nous pouvons effectivement nous interroger sur l'efficacité des textes dont nous disposons. La loi du 30 septembre 1986 ne traite que de la diffusion hertzienne et de la presse papier et ne concerne que les concentrations horizontales, comme celle de TF1 et de M6, mais pas les concentrations verticales entre la production, la distribution et la diffusion. Nous devons réfléchir à de nouveaux textes, sur un terrain vierge, ce qui demande un très gros travail.

J'ai rappelé à l'Assemblée nationale le calendrier de l'étude du projet de rapprochement entre TF1 et M6, qui aboutira ou non fin 2022. Les instances représentatives du personnel ont voté à l'unanimité pour cette fusion. Le conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) mène des auditions et rendra son avis dans le courant du premier semestre 2022. Enfin, l'Autorité de la concurrence, qui étudie l'impact de cette fusion sur le marché publicitaire, se prononcera à l'été 2022. Si elle est créée, la nouvelle entité devra vendre trois de ses dix chaînes et je serai très attentive au respect des différentes échéances.

La gestion de l'offre numérique locale sera de la responsabilité de France Télévisions et de Radio France.

Des mécanismes permettent de transformer les remboursements de billetterie en avoirs sur des spectacles à venir.

Sur les ENSA, les questions de harcèlement font l'objet d'une action spécifique du ministère. Nous avons lancé une mission de l'IGAC et de l'inspection de l'enseignement supérieur pour évaluer les techniques de charrette, extrêmement violentes pour les étudiants.

Enfin, vous avez raison, les Français manquent singulièrement de culture scientifique. Les grands établissements comme Universcience sont bien adaptés pour répondre à cet enjeu et je suis favorable à ce que les écoles retournent dans les établissements culturels. Pour autant, vous avez souligné l'effet contre-productif de certaines déclarations ministérielles que je me garderais bien de prononcer.

M. Laurent Lafon , président . - Je vous remercie pour vos réponses.


* 1 Il convient de noter que Patrick Chaize a déposé le 30 avril 2021 une proposition de loi pour l'encadrement du service postal qui reprend plusieurs propositions d'Emmanuel Giannesini.

* 2 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20210412/cult.html#toc6

* 3 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20210621/cult.html#toc4

* 4 https://www.autoritedelaconcurrence.fr/fr/decision/relative-au-respect-des-injonctions-prononcees-lencontre-de-google-dans-la-decision-ndeg

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