III. HANDICAP ET DÉPENDANCE : UNE RÉFORME INSATISFAISANTE DE L'AAH
A. UN DÉSACCORD SUR LA NATURE DE L'AAH
1. Le traitement incohérent des bénéficiaires de l'AAH en couple
L'article 51 du PLF propose une réforme du calcul de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) consistant à créer un abattement forfaitaire annuel sur les revenus du conjoint . Le montant de cet abattement serait fixé par décret à 5 000 euros et majoré de 1 100 euros par enfant à charge. Ce dispositif viendrait se substituer, avec un effet plus redistributif, à l'abattement proportionnel de 20 % qui s'applique actuellement sur les revenus du conjoint. Selon la DGCS, cette mesure permettra à 130 000 foyers de bénéficier d'une augmentation moyenne de 120 euros par mois de leur allocation, pour un coût total estimé à 185 millions d'euros par an.
Cette mesure est préférée par le Gouvernement à la déconjugalisation de l'AAH que le Sénat a votée, à deux reprises, dans le cadre de la proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale 4 ( * ) , au motif que cette réforme serait plus coûteuse (environ 700 millions d'euros par an en tenant compte de la mesure transitoire proposée par le Sénat) et qu'elle remettrait en cause les principes sur lesquels est bâti notre système de solidarité.
Le mécanisme proposé est toutefois loin de répondre à l'objectif de favoriser l'autonomie financière des bénéficiaires de l'AAH.
De plus, il convient de rappeler que les règles de prise en compte de la situation familiale des bénéficiaires de l'AAH ont récemment été rapprochées des règles, moins favorables, qui s'appliquent aux bénéficiaires du RSA. Ainsi, le coefficient multiplicateur pour calculer le plafond de ressources d'un allocataire en couple, égal à 2 jusqu'au 31 octobre 2018, a été réduit à 1,89 au 1 er novembre 2018 puis à 1,81 à compter du 1 er novembre 2019.
Au total, le traitement par le Gouvernement des bénéficiaires de l'AAH en couple apparaît incohérent . Il serait en effet plus simple et plus efficace de revenir sur les précédentes mesures d'économie que d'introduire un nouvel abattement sur les revenus du conjoint, comme le montre l'exemple ci-dessous. La différence entre ces scénarios s'accroît avec le revenu du conjoint pour atteindre environ 160 euros par mois à 1,6 Smic.
Calcul de l'AAH - Cas d'un allocataire sans
revenus professionnels
et sans enfant à charge dont le conjoint est
rémunéré au niveau du Smic
(en euros)
Mode de calcul actuel |
Après abattement forfaitaire sur les revenus du conjoint |
Après rétablissement du coefficient 2 |
Après déconjugalisation |
|
Revenus de l'allocataire |
0 € |
0 € |
0 € |
0 € |
Revenus du conjoint |
1 260 € |
1 260 € |
1 260 € |
1 260 € |
Revenus du ménage pris en compte |
1 008 € |
843 € |
1 008 € |
0 € |
Montant forfaitaire de l'AAH |
903,60 € |
903,60 € |
903,60 € |
903,60 € |
Coefficient multiplicateur |
1,81 |
1,81 |
2 |
|
Plafond de ressources |
1 635,52 € |
1 635,52 € |
1 807,20 € |
903,60 € |
Montant d'AAH versé |
627,52 € |
792,52 € |
799,20 € |
903,60 € |
Source : Commission des affaires sociales du Sénat
Seule la déconjugalisation de la prestation permettrait toutefois de donner corps à la nature de revenu de compensation de l'AAH, que l'on ne peut réduire à un minimum social.
La commission a donc émis un avis défavorable à l'adoption de l'article 51, ainsi qu'à l'article 52 qui prévoit la remise d'un rapport au Parlement.
2. L'enjeu financier lié au montant de l'AAH
Les dépenses liées à l'AAH sont dynamiques à la fois en raison de l'augmentation du montant de l'allocation et de la croissance du nombre de bénéficiaires. Au total, ces dépenses ont crû de 27,5 % entre 2015 et 2021 , soit une augmentation moyenne annuelle de 4 %.
• Le montant forfaitaire de l'AAH a fait l'objet d'une revalorisation exceptionnelle en deux temps : de 819 euros en mai 2018, son montant maximum a été porté à 860 euros au 1 er novembre 2018, puis à 900 euros à compter du 1 er novembre 2019. Depuis le 1 er avril 2021, ce montant est de 903,60 euros. Le coût de ces revalorisations exceptionnelles a été de 52 millions d'euros en 2018, 648 millions d'euros en 2019 et 775 millions d'euros en 2020. Cet effort budgétaire a été en partie compensé par des mesures d'économies : la diminution du plafond de ressources pour les allocataires en couple ( cf. supra ) et la suppression du complément de ressources au profit de la majoration pour la vie autonome, d'un montant inférieur.
En 2022, l'AAH sera revalorisée, comme le prévoit la loi, en fonction de l'évolution de la moyenne annuelle des prix à la consommation hors tabac. Le taux de cette revalorisation, qui dépendra de l'évolution des prix dans les prochains mois, est estimé par la CNAF à 1,4 %, ce qui porterait le montant de l'AAH à 916,25 euros au 1 er avril 2022 .
Ce montant, à comparer au montant forfaitaire de 565,34 euros du RSA, tend à distinguer l'AAH d'un minimum social. Il n'atteignait cependant que 82 % du seuil de pauvreté en 2019 (contre 78 % en 2017).
• L'augmentation du nombre de bénéficiaires de l'AAH est en partie liée à la hausse de son montant, qui élargit mécaniquement le public éligible, mais résulte également de l'accroissement de la population et de son vieillissement ainsi que des mesures de simplification de son attribution et de l'élargissement de la notion de handicap. Ce nombre a augmenté régulièrement pour atteindre 1,28 million en 2021 selon les prévisions de la DREES.
Évolutions du montant moyen et du nombre
de
bénéficiaires de l'AAH depuis 2012
Source : Commission des affaires sociales du Sénat
• Pour 2022, les crédits dédiés à l'AAH s'élèveraient à 11,8 milliards d'euros , en hausse de 5 % par rapport aux crédits ouverts en LFI pour 2021.
Hors l'effet de la réforme du mode de calcul de l'AAH pour les allocataires en couple, ce montant représente une hausse de 3 % par rapport aux crédits rectifiés par le deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2021 5 ( * ) .
Évolution des crédits ouverts ou demandés au titre de l'AAH
LFI pour 2020 |
LFI pour 2021 |
2 e PLFR pour 2021 |
PLF pour 2022 |
10 863 M€ |
11 220 M€ |
11 310 M€ |
11 783 M€ |
Source : Commission des affaires sociales du Sénat
• Le pilotage de l'AAH par l'État a fait l'objet de critiques, notamment de la part de la Cour des comptes dans un rapport thématique de 2019. Son intégration au périmètre de la nouvelle branche Autonomie de la sécurité sociale, proposée par le rapport Vachey en 2020, ne semble pas être à l'ordre du jour. Cette évolution devrait en tout état de cause être envisagée dans le cadre d'une réforme plus globale des revenus liés au handicap et à l'invalidité.
* 4 Proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale, consultable sur le site internet du Sénat à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl19-319.html
* 5 Deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2021, consultable sur le site internet du Sénat : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl21-147.html