Avis n° 165 (2021-2022) de MM. Hugues SAURY et Rachid TEMAL , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 18 novembre 2021

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N° 165

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 novembre 2021

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2022 ,

TOME IV

AIDE PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT

Aide économique et financière au développement (Programme 110) et Solidarité à l'égard des pays en développement (Programme 209)

Par MM. Hugues SAURY et Rachid TEMAL,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Olivier Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Philippe Paul, Cédric Perrin, Gilbert Roger, Jean-Marc Todeschini, vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Isabelle Raimond-Pavero, M. Hugues Saury, secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Abdallah Hassani, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Stéphane Ravier, Bruno Sido, Rachid Temal, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 4482 , 4502 , 4524 , 4525, 4526 , 4527 , 4597 , 4598 , 4601 , 4614 et T.A. 687

Sénat : 162 et 163 à 169 (2021-2022)

L'ESSENTIEL

Les crédits des programmes 209 « solidarité à l'égard des pays en développement » et 110 « aide économique et financière au développement » progresseront à nouveau sensiblement entre 2021 et 2022. L'objectif d'atteindre 0,55% du RNB consacré à l'APD en 2022, fixé par la loi de programmation du 4 août 2021, sera probablement atteint .

La commission se félicite de cette augmentation et en particulier de celle des crédits en dons permettant de financer des projets de développement de l'AFD dans les domaines de l'éducation, de la santé ou encore de l'agriculture. Elle salue également la forte hausse des crédits d'aide humanitaire .

En revanche, la commission sera vigilante sur l'amélioration effective de l'évaluation de la politique de solidarité internationale, avec la mise en place prochaine de la nouvelle commission d'évaluation prévue par la loi du 4 août 2021. La question de l'efficacité et des modalités de mise en oeuvre de l'aide se pose d'ailleurs avec une particulière acuité au moment où plusieurs pays africains faisant partie du groupe des « pays prioritaires » de l'aide française viennent de subir des coups d'Etat.

I. UNE FORTE PROGRESSION DES CRÉDITS QUI CONFIRME L'ÉLAN DONNÉ PAR LA LOI DE PROGRAMMATION DU 4 AOÛT 2021

A. DES CRÉDITS EN FORTE HAUSSE

Les crédits consacrés à l'aide publique au développement (APD) connaissent à nouveau une forte croissance dans le PLF 2022. Les crédits de paiement du programme 110 progressent ainsi de 27% pour atteindre 1,86 milliard d'euros. Les crédits de paiement du programme 209 progressent quant à eux de 581,2 millions d'euros, hors dépenses de personnel, soit une hausse de 25%. Le montant global de l'APD devrait s'établir à 17,3 milliards d'euros en 2021 (en incluant l'annulation de la dette du Soudan, remise en cause par le coup d'Etat) et à 14,6 milliards d'euros en 2022.

Un montant de :

Une hausse de :

Pour les programmes 209 et 110

Par rapport à 2021

Cette progression remarquable répond au nouvel élan donné par la loi de programmation du 4 août 2021 relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Celle-ci fixe en effet pour la première fois, conformément à la volonté du Parlement et en particulier du Sénat, un objectif de 0,7% du RNB consacré à l'APD en 2025 , avec des cibles intermédiaires de 0,55% en 2022, 0,61% en 2023 et 0,66% en 2024.

B. DES GRANDES PRIORITÉS CONFIRMÉES, UN RATTRAPAGE POUR L'HUMANITAIRE

Les priorités sectorielles de l'APD pour 2022 sont, comme l'année précédente, la santé, le climat, l'égalité entre les femmes et les hommes, l'éducation, la prévention des crises et le traitement des fragilités. Les priorités géographiques restent les dix-neuf pays prioritaires de l'aide française.

En 2022, au sein des programmes 209 et 110, la composante bilatérale de l'APD poursuivra sa progression :

• Les moyens alloués à l'Agence française de développement (AFD) au titre de l'aide-projet et des dons-ONG, progresseront respectivement de 18,5% et 10,3% en crédits de paiement. Ces moyens atteignent ainsi, en crédits de paiement, près d'un milliard d'euros . Concernant le programme 110, il prévoit à nouveau un milliard d'euros d'AE et 260 millions d'euros de CP pour bonifier les prêts octroyés par l'AFD. Il s'agit d'une stabilisation des AE par rapport aux années précédentes, cohérente avec la volonté de mettre fin à l'augmentation rapide et constante des engagements de l'agence (cf. le graphique ci-après) pour stabiliser son activité à 12 milliards d'euros par an. La commission a approuvé cette stabilisation, qui permettra à l'agence de se concentrer davantage sur la consolidation de ses interventions dans les pays les plus pauvres, en limitant son activité de prospection de nouveaux prêts dans les pays émergents .

Bafd : banque africaine de développement, Basd : banque asiatique de développement ; BIad : banque inter-américaine de développement ; KFW+DEG+GIZ : banque et agences allemandes de développement ; JICA : agence japonaise de développement.

• L'aide humanitaire atteindra 500 M€ en 2022 . Les crédits humanitaires progresseront ainsi de près de 170 M€ par rapport à 2021 : +57 M€ pour les contributions volontaires aux Nations unies, +59 M€ pour le Fonds d'urgence humanitaire et +42 M€ pour l'aide alimentaire programmée. Au sein de ces moyens, 50 M€ sont réservés à l'aide humanitaire en Syrie. Cette progression était souhaitée de longue date, la France étant jusqu'à présent très en retard sur ses grands partenaires.

La rapide progression des crédits humanitaires (en millions d'euros) :

• les crédits relatifs à l'appui à la coopération décentralisée seront portés à 14,2 M€, en hausse de 2,7 M€ par rapport à la loi de finances pour 2021.

Les crédits multilatéraux progresseront également :

• Les contributions françaises se concentreront en particulier sur la santé . La contribution au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme se montera ainsi à 539 M€, dont 212,4 M€ sont pris en charge par le programme 209 et le reste par le Fonds de solidarité pour le développement (FSD). La contribution française à l'initiative ACT-A sera augmentée pour faire mieux face à la crise sanitaire de la Covid-19 : 250 M€ supplémentaires seront mobilisés, pour moitié en gestion de 2021 et pour moitié sur le budget 2022, en vue de garantir un meilleur accès à la vaccination dans les pays les moins bien dotés. D'ici à la fin du mois de juin 2022, 120 millions de doses seront données.

• Le programme 110 permettra comme chaque année d'alimenter les grands fonds multilatéraux (Association internationale de développement de la banque mondiale, Fonds africain de développement, Fonds vert pour le climat, Fonds pour l'environnement mondial, etc) pour un total de 1,9 milliard d'euros en AE et 1,3 milliard d'euros en CP.

C. UNE TAXE SUR LES TRANSACTIONS FINANCIÈRES DYNAMIQUE MAIS QUI ALIMENTE TOUJOURS PRINCIPALEMENT LE BUDGET GÉNÉRAL

Après une augmentation de 340 millions d'euros en 2020 qui lui a permis d'atteindre environ 1,7 milliard d'euros, le produit de la TTF devrait rester stable en 2021. Or, avec le plafonnement à 528 millions d'euros du produit reversé au Fonds de solidarité pour le développement (FSD), toute nouvelle hausse du produit bénéficie au budget général, ce qui est paradoxal pour une taxe ayant été pensée, dès l'origine, comme un instrument de solidarité internationale devant équilibrer la finance mondiale.

Le Sénat avait souligné ce paradoxe lors de l'examen du projet de loi de programmation et avait obtenu que le Gouvernement remette au Parlement, dans un délai de six mois suivant la promulgation de cette loi, un rapport sur les modalités de l'affectation du produit de cette taxe. La commission sera attentive aux conclusions de ce rapport et fera des propositions pour améliorer l'affectation du produit de la TTF à la solidarité internationale .

II. LA MISE EN oeUVRE DE LA LOI DE PROGRAMMATION

Certaines dispositions de la loi du 4 août 2021 ont des effets immédiats sur le dispositif français d'aide publique au développement.

A. LA LOI DU 4 AOÛT 2021 TRANSFORME L'AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT EN UNE VÉRITABLE POLITIQUE PUBLIQUE, AUX CÔTÉS DE LA DIPLOMATIE ET DE LA DÉFENSE

Cette consécration est cohérente, d'une part, avec la forte augmentation des moyens de cette politique au cours des dernières années, la loi de programmation ayant fixé un objectif de 0,7% du RNB consacrés à l'APD en 2025, et, d'autre part, avec le constat qu'une approche complète dite « 3D » (diplomatie, défense, développement) est nécessaire dans les pays les plus en difficultés, comme ceux du Sahel. Désormais, le programme 209 est même le premier poste de dépense du Quai d'Orsay .

B. LA LOI TRANSFORME LE MANDAT « BINAIRE » DE L'AFD (PAYS ÉTRANGERS ET OUTRE-MER) EN UN MANDAT « TERNAIRE » (PAYS LES PLUS PAUVRES, PAYS ÉMERGENTS, OUTRE-MER)

La loi remédie ainsi à une certaine confusion entre les missions de l'agence, très différentes dans leur finalité et qui ne mobilisent pas les mêmes instruments financiers. Il s'agit, d'un côté, des aides essentiellement en dons ou en prêts à taux réduit à destination des pays en difficulté , notamment en Afrique subsaharienne et singulièrement au Sahel, visant à réduire la pauvreté et à assurer les services de première nécessité ; de l'autre, des prêts à taux de marché en direction des pays émergents ou grands émergents , permettant d'y encourager un développement plus respectueux de l'environnement. S'agissant enfin de l'outre-mer, la loi prévoit une approche davantage fondée sur la dimension internationale, ce qui s'avère particulièrement pertinent actuellement compte-tenu de la nécessité de préserver la place de la France dans la zone indopacifique.

Selon les rapporteurs, cette évolution des missions implique d'ores et déjà une évolution de la manière de « rendre compte » de l'agence à ses tutelles et au public ainsi que des modalités d'évaluation de ses actions

Les trois grands domaines d'action de l'AFD selon la loi du 4 août 2021

L'un des principaux enjeux pour l'agence sera également de concilier un pilotage plus précis, avec davantage d'indicateurs dans le COM et un contrôle plus étroit des tutelles prévu par la loi, et la préservation de la souplesse nécessaire pour s'adapter aux pays d'intervention et à leurs besoins .

C. VERS LA RESTITUTION DES BIENS MAL ACQUIS

En vertu de l'article 2 de la loi de programmation, la mission budgétaire « Aide publique au développement » est désormais dotée d'un nouveau programme 370 consacré à la restitution des « biens mal acquis » . La vente de ces biens sera effectuée par l'Agence de gestion et de recouvrement des biens saisis et confisqués (AGRASC). Ce programme sera doté au fur et à mesure des ventes des biens mal acquis sur le budget général de l'État et mobilisera ses crédits pour financer des projets de coopération et de développement dans les pays concernés, dans une logique de restitution directe aux populations. La première restitution devrait concerner la Guinée équatoriale.

Enfin, la loi du 4 août 2021 prévoit que le Gouvernement doit fournir au Parlement de nombreux rapports (sur l'amélioration du produite de la TTF, sur le criblage des bénéficiaires de l'aide, sur les différentes activités pouvant être comptabilisées au titre de l'aide publique au développement de la France, sur les coopérations opérationnelles entre l'Agence française de développement et la Caisse des dépôts, sur la stratégie de la France en matière de mobilité internationale en entreprise et en administration, etc.). À ce jour, la commission ne dispose pas d'une visibilité optimale sur l'état d'avancement de ces rapports, dont certains doivent constituer le socle de réformes très attendues (sur la TTF et sur le criblage notamment).

III. LES ENSEIGNEMENTS DE L'ÉVALUATION DU DISPOSITIF D'ÉVALUATION AU SEIN DE L'AFD

La demande en évaluation des projets de développement s'est accrue au cours des dernières années, tant de la part des tutelles ministérielles que de celle des Parlementaires, à mesure que les moyens de l'AFD augmentaient. En conséquence, l'agence a progressivement augmenté les moyens consacrés à cette fonction. Récemment, l'AFD a réalisé une évaluation de son dispositif d'évaluation. Le rapport identifie trois principaux types d'évaluation :

• les évaluations de résultats. Ce type d'évaluation souffre notamment d'un manque de données quantitatives disponibles ;

• la mesure de l'impact des projets a en revanche beaucoup progressé, avec davantage de crédits et de nouvelle méthodes ;

• la mesure de la cohérence avec les grands engagements de l'agence et des tutelles a également progressé mais doit encore être améliorée. C'est sans doute l'un des domaines où la future commission d'évaluation aura un rôle-clef à jouer .

L'étude montre que les évaluations ne sont pas traitées de manière suffisamment stratégique par l'agence

Leurs résultats n'ont pas d'influence sur ses activités et ses projets ; elles ne sont pas vraiment utilisées pour orienter les décisions et les équipes sont peu mobilisées sur la mise en oeuvre des recommandations des rapports d'évaluation.

L'une des principales raisons de cette situation serait la prédominance, au sein de l'AFD, d'une « culture de l'octroi » qui s'est installée avec la progression constante des moyens et l'ouverture permanente de nouveaux champs sectoriels et géographiques . La phase de consolidation qui s'ouvre, avec la limitation du chiffre d'affaires global, sera sans doute propice à faire évoluer cette culture.

IV. L'AIDE AU DÉVELOPPEMENT EN AFRIQUE APRÈS LES COUPS D'ETAT: DES CHOIX DIFFICILES

A. MALGRÉ LES CONTRAINTES POSÉES PAR LA SITUATION SÉCURITAIRE, L'AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT FRANÇAISE EN FAVEUR DES PAYS DU G5 SAHEL CONTINUE À AUGMENTER

Décaissés par l'AFD au Sahel en 2020

Décaissés par le MEAE
au Sahel en 2020

• au Sahel, entre 2016 et 2019, l'APD totale française est passée de 382 à 556 M€. Pour la seule année 2020, ce sont 506 M€ qui ont été octroyés et 348 M€ décaissés par l'AFD (prêts et subventions) et 38 M€ décaissés par le MEAE dans les pays du G5 Sahel ;

• entre 2016 et 2021, la Délégation pour l'action extérieure des collectivités territoriales (DAECT) a financé 164 projets (10,5 M€) de coopération décentralisée.

Lors du Sommet de N'Djamena, qui s'est tenu les 15 et 16 février 2021, les chefs d'Etat du G5 Sahel se sont engagés à accélérer le déploiement des services de l'Etat, des administrations et des services sociaux de base dans le cadre d'un « sursaut civil et politique ». La France soutient cette dynamique, en particulier dans la zone des 3 frontières. Un total de 460 projets ont ainsi été réalisés au premier semestre 2021.

B. LES RÉCENTS ÉVÉNEMENTS AU MALI ONT CONDUIT À LA SUPPRESSION DE L'AIDE BUDGÉTAIRE MAIS LES PROJETS DE DÉVELOPPEMENT SE POURSUIVENT

Concernant le Mali, la France et l'ensemble de ses partenaires de l'Union européenne ont soutenu la position de fermeté adoptée par la CEDEAO, à la fois sur la question du respect du cadre politique de la transition et sur celle des discussions entre les autorités maliennes de transition et la société militaire privée russe Wagner.

Ceci a conduit à la suspension de notre aide budgétaire (10 M€) pour l'année 2021. Cependant, les projets de développement déjà en cours, au profit direct des populations et répondant à la logique du « sursaut civil », ne sont pas impactés . Enfin, il semble que seule une évolution positive de la situation politique du pays pourrait permettre le lancement de nouveaux projets de développement.

L'activité de l'AFD au Mali depuis 10 ans

Millions € -

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

Autorisations

57

4

57

166

116

28

198

29

201,5

109,9

Subventions projet

9

1

33

21

36

25

37

27

96,5

56,4

Subventions budgétaires

15

69

20

10

Prêts souverains

44

67

70

130

85

Prêts non souverains

1

5

5

30

40

Garanties Ariz

4

2

4

4

10

3

1

2,4

3,5

Décaissements

31,7

3,6

47,5

41,8

37,1

36,1

63, 1

48

70,6

72,8

À noter que les mêmes difficultés et interrogations se font jour en Guinée (coup d'Etat du 5 septembre 2021) et au Soudan (coup d'Etat du 25 octobre 2021), le processus d'annulation de la dette ayant été suspendu pour ce dernier pays.

Le mercredi 17 novembre 2021, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Aide publique au développement ».

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 17 novembre 2021, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits de la mission « Aide publique au développement ».

M. Hugues Saury, rapporteur pour avis. - Les crédits consacrés à l'aide publique au développement connaissent à nouveau une forte hausse d'une loi de finances à l'autre. Les crédits de paiement des deux programmes 110 et 209 croissent en effet d'environ 25%. La cible des 0,55% du RNB consacrés à l'APD en 2022, fixée par la loi du 4 août 2021, sera atteinte.

La progression des crédits budgétaires résulte d'abord de celle des engagements multilatéraux, en particulier à travers l'initiative ACT-A pour faire face à la crise sanitaire et économique. Mais elle correspond également à une forte progression de notre aide bilatérale.

C'est d'abord notre aide humanitaire qui poursuit sa remise à niveau, atteignant 500 millions d'euros en 2022. Il s'agit d'une progression de près de 170 millions d'euros par rapport à 2021, qui concerne tous les aspects de l'aide humanitaire. Nous corrigeons ainsi ce qui constituait, par rapport à nos partenaires, un point faible de notre politique de solidarité internationale.

Deuxième aspect en progression sur le bilatéral : les dons de l'AFD et les crédits que celle-ci octroie aux ONG. Si l'on y ajoute les crédits gérés directement par le ministère, ce sont plus de 900 millions d'euros de dons qui pourront être consacrés à des projets de développement en 2022.

En revanche, après les fortes hausses de ces dernières années, le PLF confirme la stabilisation à environ un milliard d'euros des autorisations d'engagement accordées à l'AFD pour faire des prêts. Cette évolution est due à deux facteurs : d'une part, le plan d'activité de l'agence a été revu à la baisse avec le COVID, d'autre part, il a été décidé de stabiliser son activité à environ 12 milliards d'euros par an. La conjoncture donne donc l'occasion à l'agence de modifier sa « culture d'entreprise », orientée depuis des années vers une augmentation permanente des octrois dans les pays émergents. L'AFD devra désormais mettre davantage l'accent sur la consolidation de ses interventions et sur l'évaluation de leur efficacité. En outre, l'agence a beaucoup embauché récemment, passant de 1 870 à 2 400 agents entre 2016 et 2020, soit 28% d'augmentation : il faudra donc gérer une masse salariale plus lourde tout en freinant son activité.

Après avoir ainsi tracé les grandes lignes du budget de la mission APD pour 2022, je souhaiterais évoquer le contexte dans lequel notre politique de solidarité internationale va continuer à se déployer l'année prochaine dans les pays prioritaires en Afrique.

Ce contexte est marqué par des problèmes sécuritaires persistants et des problèmes politiques qui se multiplient. Les problèmes sécuritaires ne nous ont certes pas empêchés d'augmenter nos interventions au Sahel. En 2020, ce sont 348 M€ qui y ont été décaissés par l'AFD. Lors du Sommet de N'Djamena des 15 et 16 février 2021, les chefs d'Etat du G5 Sahel se sont engagés à accélérer le déploiement des administrations et des services sociaux dans le cadre d'un « sursaut civil et politique » soutenu par la France, en particulier dans la zone des 3 frontières.

Une partie de ces efforts est cependant remise en cause par les deux coups d'Etat intervenus au Mali. Le non-respect par la junte du cadre politique de la transition, ainsi que les discussions entre les autorités maliennes et la société militaire privée russe Wagner, n'ont fait qu'aggraver la situation. Dans ces circonstances, quelle doit être notre attitude ? Pour le moment, la France et l'ensemble de ses partenaires de l'Union européenne ont soutenu la position de fermeté adoptée par la CEDEAO, qui vient de décréter des sanctions individuelles. Ceci a conduit à la suspension de notre aide budgétaire (10 M€) pour l'année 2021. Nous avons également agi pour que la Banque mondiale annule un projet de 250 millions d'euros à Bamako, ce qui constitue une mesure très forte. Cependant, les projets de développement déjà en cours, au profit des populations, n'ont pas été interrompus. En tout état de cause, nous devons suivre la situation de très près car nous savons bien que notre aide n'aurait aucune efficacité à long terme si le nouveau régime ne revenait pas à la légalité et ne reprenait pas sa place dans les instances économiques régionales.

Le problème est d'ailleurs plus général. Nous rencontrons les mêmes difficultés en Guinée après le coup d'Etat du 5 septembre dernier et au Soudan après celui du 25 octobre, pays où nous venons de suspendre l'annulation de la dette. La situation très dégradée en Libye ou encore en Éthiopie soulèvent également de nombreuses difficultés pour notre aide. Encore une fois, celle-ci ne peut en effet être efficace que si des conditions minimales de sécurité et de bonne gouvernance sont réunies.

Dernier point que je voulais signaler, mais que Rachid Temal abordera aussi : le processus de création de la nouvelle commission d'évaluation ne semble pas aller dans le bon sens. D'après nos informations, elle risque de trop d'appuyer sur les services déjà existants au sein des ministères, ce qui ne serait pas cohérent avec l'objectif d'indépendance.

Sous réserve de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « APD ».

M. Rachid Temal, rapporteur pour avis. - Je souhaiterais d'abord apporter un complément s'agissant des moyens consacrés par le PLF 2022 à l'aide publique au développement. Comme Hugues Saury l'a expliqué, les crédits de la mission sont en forte hausse, ce dont nous nous félicitons : il est indispensable de mettre davantage d'argent sur la table pour soutenir le développement de certains pays, surtout en Afrique ; c'est bien notre intérêt partagé avec ce continent dont nous sommes voisins et qui affronte actuellement de multiples crises. Il faut également faire face à la concurrence des Russes, des Chinois ou encore des Turcs.

En revanche, en ce qui concerne les ressources extrabudgétaires, le produit de la taxe sur les transactions financières (TTF) qui alimente l'APD est toujours plafonné à 528 millions d'euros, quand le produit total de la taxe a été de 1,7 milliard d'euros en 2020 et devrait rester stable en 2021. Au-delà de 528 millions d'euros, tout va au budget général : c'est une véritable manne pour Bercy. Pourtant, dès l'origine, la TTF devait constituer une contrepartie en termes de solidarité internationale au développement de la finance. Il est regrettable que cette situation se prolonge un an de plus ; espérons que le rapport prévu par cette même loi nous soit remis assez tôt pour que nous puissions faire évoluer les choses dans la prochaine loi de finances, d'autant que nous ne pouvons pas compter sur la taxe sur les billets d'avion (TSBA).

Deuxième aspect que je souhaitais aborder : la mise en oeuvre, précisément, de la loi de programmation du 4 août 2021. En effet le Parlement, et singulièrement le Sénat, l'ont profondément amendée : il importe donc de suivre attentivement son application. Nous avons donc posé la question de cette mise en oeuvre à l'ensemble des personnes que nous avons auditionnées, y compris le ministre ici même.

Du côté des points positifs, il faut citer la progression des dons-projets, conformément à ce que nous avions prévu dans l'article premier. Par ailleurs, Rémi Rioux nous a indiqué qu'il considérait que la loi avait bel et bien modifié le mandat de son agence. En effet, comme nous l'avons prévu dans l'article 10 de la loi, le mandat de l'AFD n'est plus binaire : pays en développement/outre-mer, mais ternaire : pays les plus pauvres/pays émergents/outre-mer. C'est une clarification essentielle, qui acte que l'aide aux pays pauvres, qui passe davantage par des dons, n'a rien à voir avec le financement du développement durable dans les pays émergents. Le directeur général de l'AFD s'est engagé à nous rendre compte de l'activité de l'agence en suivant cette nouvelle organisation de ses missions, ce qui est un élément positif.

Autre changement dû à la loi et déjà partiellement mis en oeuvre : le principe de la restitution des biens mal acquis. Un nouveau programme budgétaire n°370 a en effet été créé au sein de la mission APD pour accueillir les fonds issus de la vente de ces biens. Il sera doté de crédits au fur et à mesure de l'encaissement des fonds par l'Agence de recouvrement des biens saisis et confisqués. C'est un progrès très important, grâce auquel nous rejoignons les rares pays (Suisse et États-Unis) qui ont déjà ce système.

En ce qui concerne les aspects moins positifs, nous ne disposons toujours pas du rapport sur le criblage des bénéficiaires de l'aide prévu par la loi, qui devait nous arriver le 4 novembre. Il semblerait que les ministères ne parviennent pas à se mettre d'accord. Nous sommes assez inquiets sur ce sujet. Par ailleurs, comme l'indiquait Hugues Saury, ce que l'on nous dit sur la création de la commission d'évaluation est un peu inquiétant. Il serait question qu'elle fasse réaliser ses études par les services d'évaluation déjà existants au sein du Quai d'Orsay, de Bercy et de l'AFD. Ce serait alors un simple donneur d'ordre. Ce n'est pas du tout la lettre ni l'esprit de ce que nous avons voté. Nous avons demandé au directeur du développement durable de faire part de nos fortes interrogations au ministre sur ce point. Il y va de l'indépendance et de la crédibilité de cette commission.

Sous réserve de l'ensemble de ces remarques, je vous propose également de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Aide publique au développement ».

Mme Marie-Arlette Carlotti. - Nous sommes favorables à l'adoption de ces crédits du fait de leur hausse et des évolutions qui résultent de la loi du 4 août 2021 à laquelle nous avons beaucoup contribué. Il faut cependant suivre avec vigilance la mise en place de la commission d'évaluation, qui est un apport essentiel de la loi. S'agissant des pays pauvres prioritaires, nous avons véritablement rectifié le tir au sein de la loi, ce qui est aussi un point positif pour nos militaires engagés au Sahel. Il est par ailleurs normal de sanctionner les auteurs des coups d'Etat, sans toutefois sanctionner les populations pauvres. Il convient également de surveiller nos versements au Fonds mondial, qui doivent impérativement être conformes à nos engagements, ce qui ne serait pas le cas actuellement. La mise en place du fonds pour l'état civil constitue également un sujet à suivre. Les rapports prévus par la loi de programmation sont très importants, notamment celui sur le criblage. Enfin, je suis inquiète de la tournure qu'ont pris les débats sur la TTF à l'Assemblée nationale.

M. Jacques Le Nay. - L'évolution est positive et nous conduit à être favorables à ce budget. À travers vos auditions, avez-vous perçu un effet de la crise de la Covid-19 sur l'aide au développement ?

Mme Michelle Gréaume. - Notre groupe s'abstiendra. Malgré l'augmentation des crédits, selon l'OMS, il manque 90 millions d'euros de versements français s'agissant du Fonds mondial, et 600 millions d'euros sur ACT-A par rapport aux engagements du Président de la République.

M. André Gattolin. - Il a récemment été question sur une radio des 140 millions d'euros d'APD dont bénéficie la Chine. La moitié de cette aide serait consacrée aux étudiants chinois. Avez-vous des précisions ?

M. Hugues Saury, rapporteur pour avis. - Nous avions fait des concessions sur des aspects importants de la loi de programmation, il serait vraiment dommageable que la commission indépendante ne soit pas celle qui était prévue par le texte.

M. Rachid Temal, rapporteur pour avis. - Tout part d'un problème de pilotage. C'est parce que le pilotage ne fonctionne pas bien qu'on veut évaluer en fin de parcours. La première question est donc celle du pilotage et de portage politique. Le compromis trouvé ne semble pas convenir à l'administration...

M. Hugues Saury, rapporteur pour avis. - Les rapports, pas loin d'une dizaine prévus par la loi, avec des dates de publication différentes, constituent un travail important et je crains qu'il n'y ait des retards. Nous devons maintenir la pression pour les avoir en temps et en heure. S'agissant de la crise sanitaire, nous avons débloqué des financements et distribué des vaccins. En revanche, l'activité de l'AFD a chuté.

M. Rachid Temal, rapporteur pour avis. - Il nous faut une forme de tableau de bord pour contrôler l'exécution de la loi de programmation et en particulier la publication des rapports. Sur la vaccination, il y a désormais un problème de nombre de doses ; il faut aider les pays à produire car si tout le monde n'est pas vacciné, la pandémie se poursuivra. S'agissant de la Chine, il y a, d'une part, les frais d'écolage et, d'autre part, le fait que l'AFD est une banque qui doit faire des profits avec ses prêts, et qui prospecte à cette fin dans les pays émergents. Or la somme des prêts reste très supérieure, nécessairement, à celle des dons. Nous avons fait un premier pas en distinguant les deux missions mais c'est toujours la même structure. Idéalement il faudrait distinguer complètement deux entités, quitte à les maintenir dans un seul groupe.

M. Hugues Saury, rapporteur pour avis. - C'est aussi un problème de communication. Il est évident que les chiffres que l'on présente sont plus élevés si l'on fait la somme des prêts et des dons.

Mme Marie-Arlette Carlotti. - Je me souviens que sur le criblage, nous avions accepté de sursoir au débat en échange de ce rapport. Il ne serait pas acceptable qu'il ne nous soit pas présenté.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Avec Henri de Raincourt, nous avions préconisé qu'il y ait un ministre chargé du développement. Ne faut-il pas insister à nouveau sur ce sujet ?

M. Hugues Saury, rapporteur pour avis. - Il y a un consensus sur le fait qu'il serait logique d'avoir un ministre spécifique sur ce sujet, mais la décision ne nous appartient pas. Le fait d'avoir un ministre unique permettrait aussi de remédier aux désaccords entre le Quai et Bercy.

M. Christian Cambon, président. - Sous la cinquième République il y a toujours eu, auparavant, un ministre chargé de la coopération ou du développement, avec un portefeuille variable.

M. André Vallini. - Le problème est surtout celui de l'absence de longévité ministérielle. J'ai moi-même occupé ce poste pendant un an, c'est trop peu. J'avais choisi de mettre l'accent sur la santé maternelle et infantile, mais il faudrait cinq ans pour avoir une véritable action.

M. Christian Cambon, président. - Nous allons écrire aux ministres sur la question de la commission d'évaluation. C'était un apport important du Sénat et cela ne doit pas être remis en cause. C'est déjà assez regrettable qu'il n'y ait pas de ministre dédié.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Aide publique au développement ».

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées :

M. Emmanuel Moulin, Directeur général du Trésor, et M. Christophe Bories, sous-directeur « affaires financières multilatérales et développement » à la Direction général du Trésor.

Par les rapporteurs :

M. Philippe Lacoste, directeur du développement durable et M. Luc Chevaillier, adjoint au sous-directeur du développement à la direction générale de la mondialisation du Quai d'Orsay.

M. Rémy Rioux, directeur général de l'agence française de développement (AFD).

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