II. EXAMEN DU RAPPORT (1ER JUIN 2021)
Réunie le mardi 1 er juin 2021, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné le rapport de Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis, sur le projet de loi n° 551 (2020-2021) portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
M. Claude Raynal , président . - Nous examinons le rapport de Mme Christine Lavarde sur le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
Mme Christine Lavarde , rapporteur pour avis . - Nous nous sommes saisis de quelques articles seulement, sur les 218 que comptait ce texte à l'issue de son examen par l'Assemblée nationale. Il s'agit des articles 25, 25 bis , 30, 32, 35, 60 bis , 62 et 63.
Ces articles financiers concernent d'une part, sur le volet « se déplacer » le transport routier de marchandises et le transport aérien et d'autre part, sur le volet « se nourrir », une disposition sur le « chèque alimentation durable » et la perspective d'une taxation des engrais minéraux dans l'agriculture.
Les transports représentent 30 % des émissions carbone en 2019, dont 94 % est le fait du transport routier ; 24 % est le fait des poids lourds, 20 % des véhicules utilitaires légers, et 55 % relèvent des voitures particulières. En 2019, la France se situait au sixième rang européen pour l'émission moyenne des voitures neuves. En 2020, le parc de voitures particulières neuves ne compte néanmoins que 6 % de voitures électriques et 4 % de véhicules hybrides rechargeables contre 48 % de véhicules à essence et 31 % de motorisations diesel. Cependant, début 2021, la France se situe en cinquième position des pays européens avec la plus forte pénétration de véhicules électriques dans les ventes de voitures neuves. Quant à l'aviation civile, elle représente 4 % des émissions de CO 2 , ce qui est dans la moyenne mondiale.
Le cadre réglementaire est fixé par plusieurs normes européennes. Le règlement du 17 avril 2019 fixe des normes d'émissions de CO 2 pour les voitures particulières neuves et les véhicules utilitaires légers (VUL), avec un objectif d'une baisse de 15 % des émissions des véhicules neufs d'ici 2025, de 37,5 % pour les voitures particulières d'ici 2030 et de 31 % pour les VUL. En décembre 2020, le Conseil européen a décidé de réduire les émissions de l'Union européenne de 55 % d'ici 2030 par rapport à 1990, contre 40 % auparavant, obligeant à revoir les objectifs de la réglementation européenne ; on pourrait passer à une réduction de 50 % pour les voitures particulières en 2030.
La directive « eurovignette » du 17 juin 1999 permet de couvrir les coûts d'usage du réseau par les poids lourds et d'internaliser le coût des externalités négatives. C'est le fondement juridique de la taxe LKW-Maut en Allemagne, de la vignette commune au Danemark, à la Suède, aux Pays-Bas et au Luxembourg, ou encore de la taxe d'aménagement du territoire en France sur le réseau autoroutier concédé.
Le secteur aérien participe au système communautaire d'échange de quotas d'émission (EU ETS) depuis 2012, mais il ne s'applique pas aux vols internationaux au départ ou à l'arrivée d'un aéroport situé dans des pays qui n'appartiennent pas à l'espace économique européen. Ce système repose sur des objectifs d'émissions établis au niveau européen puis distribués aux États membres responsables de leur attribution aux opérateurs de transport aérien. Une partie significative - 44 % en 2019 - des quotas d'émissions attribués au secteur aérien dans ce cadre sont gratuits : le secteur aérien européen s'acquitte globalement d'un prix du carbone qui ne représente qu'un peu plus de la moitié du prix fixé sur le marché d'échange des quotas d'émission.
En 2016, l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) a adopté le système Corsia ( Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation ) qui devait être mis en oeuvre à compter de 2021 sur les vols internationaux, avec une compensation par les compagnies aériennes des émissions de leurs vols internationaux qui excèdent le niveau constaté en 2019 - sachant qu'à 5 euros la tonne de carbone sur le marché de la compensation, le signal prix est modeste. Compte tenu de la réduction du trafic et des émissions liée à la crise sanitaire, l'application effective du système ne sera pas immédiate.
La France dispose d'une fiscalité lourde qui couvre toutes les externalités négatives. Le Conseil général du développement durable (CGDD) considère que la taxe de l'aviation civile (TAC) et la taxe de solidarité sur les billets d'avion (TSBA) sont des taxes environnementales au sens de la nomenclature d'Eurostat, alors que la TSBA a été détournée de son objet initial, qui était de soutenir l'organisation de solidarité internationale Unitaid. S'y ajoute l'éco-contribution introduite par la loi de finances 2020.
Dans ce cadre, que propose ce projet de loi ? Essentiellement du programmatique, du déclaratif mais pas de normatif.
Il propose de compléter l'engagement, pris par la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM), d'une décarbonation complète du secteur des transports terrestres en 2050 par deux nouveaux objectifs intermédiaires : descendre à 5 % la part des voitures légères fortement émettrices dans les ventes de véhicules neufs en 2030 - l'objectif ne porte pas une interdiction de vente contraignante à cette date, ce qui est conforme au droit européen ; une fin de la vente des poids lourds thermiques en 2040.
Le texte fixe également cet objectif : « pour le gazole routier utilisé pour la propulsion des véhicules lourds de transports de marchandises, il sera procédé à une évolution de la fiscalité des carburants dans l'objectif d'atteindre un niveau équivalent au tarif normal d'accise sur le gazole », ce qui désigne la fin progressive du remboursement partiel du tarif de TICPE qui le porte à un montant réduit de 45,19 euros par hectolitre, au lieu de 59,4 euros pour le tarif de droit commun, pour un coût estimé à 1,3 milliard d'euros cette année ; dans la loi de finances pour 2020, il a déjà été décidé de relever ce tarif de 2 euros par hectolitre.
Le texte donne la possibilité aux régions d'expérimenter une contribution régionale sur le transport routier de marchandises, sur le modèle de celle instaurée pour la Collectivité européenne d'Alsace.
Pour l'aérien, l'État se donne pour objectif que le transport aérien « s'acquitte d'un prix du carbone suffisant à partir de 2025 », « au moins équivalent au prix moyen constaté sur le marché du carbone pertinent ».
Ces objectifs sont donc tout à fait déclaratifs, ils ne décident rien à proprement parler - ce qui est une bonne chose cependant, car ces objectifs ne sont pas du tout évalués.
Dans le secteur aérien, la déclaration s'accompagne de la demande de deux rapports : le premier sur le dispositif lui-même, le second sur l'accompagnement du secteur aérien par l'État dans sa stratégie de décarbonation. Or, l'aviation civile représente 4,3 % du PIB français et environ 320 000 emplois directs.
Même défaut d'étude d'impact sur la contribution régionale, l'évaluation est renvoyée à l'ordonnance. Cependant, le transfert du réseau n'étant pas encore effectif, la région lèverait un impôt sur un réseau routier qui ne lui appartient pas ; le système de contrôle n'est pas défini, pas plus que le partage de recettes pour le cas où un département entre dans le dispositif régional, ni encore la répartition du surcoût entre transporteurs et donneurs d'ordre - je suis personnellement favorable à ce que la contribution figure en pied de facture, pour que les transporteurs, petits et fragiles, ne soient pas victimes des négociations de prix avec les gros donneurs d'ordre et autres géants du secteur de la logistique. Surtout, aucune étude d'impact n'est faite sur les risques de report des véhicules de plus de 3,5 tonnes vers des véhicules utilitaires légers, ou d'une voirie taxée vers une voirie limitrophe qui ne l'est pas.
Même indifférence à l'impact, quand le texte fixe l'objectif pour 2030 d'interdire à la vente les véhicules particuliers émettant plus de 95 grammes de CO 2 par kilomètre - le texte se contente de mentionner qu'il n'est « pas exclu qu'une telle mesure ait un impact sur le volume des ventes d'automobile, et donc sur l'emploi dans le secteur automobile français ». Or, il y a 400 000 emplois dans la filière automobile en France.
L'étude d'impact du texte estime que la fin du remboursement de TICPE ferait augmenter de 15 % le prix du carburant et, par voie de conséquence, de 3,5 % le prix du transport ; les conséquences sur le secteur sont floues, faute de pouvoir évaluer les capacités des transporteurs à se défaire de la dépendance au gazole. Or, le transport routier de marchandises a des difficultés structurelles qui sont ici ignorées, en particulier le fait qu'il est composé pour beaucoup de PME et que les marges y sont très faibles, dans un contexte de concurrence intra-européenne très forte - et l'on parle ici encore de 400 000 emplois...
Les transporteurs trouvent-ils au moins l'offre de véhicules propres qui leur permette de répondre aux objectifs que le Gouvernement entend leur fixer ? Nous avons auditionné les très nombreux acteurs de la production décarbonée, et le moins qu'on puisse dire, outre qu'ils sont très nombreux, c'est qu'ils en sont à l'étude bien plus qu'à la production. Sur le marché, il n'y a quasiment aucun camion de plus de 3,5 tonnes à motorisation électrique ou hydrogène. Ensuite, il faut tenir compte des pertes de productivité associées aux motorisations électrique et hydrogène, avec les changements de plans de transports, l'augmentation de la flotte de véhicules nécessaire à offre constante ou encore les pertes de volume utile. Il y a aussi le problème du coût : entre 2022 et 2025, les véhicules lourds hybrides ou à batteries seraient encore deux à quatre fois plus onéreux que des véhicules diesel. À l'achat, d'après les groupements de transporteurs, le prix d'un véhicule électrique peut être 3,5 à 4,5 fois plus important que celui d'un véhicule diesel. Le différentiel serait même de 5 à 7 fois pour un véhicule hydrogène. L'hydrogène présente un coût total de possession 2 à 3 fois plus élevé que toutes les autres motorisations. Pour les plus gros tonnages, les motorisations électriques présentent également des coûts totaux de possession élevés. En revanche, le biogaz et les biocarburants présentent des coûts proches des motorisations diesel.
L'avitaillement reste un vrai problème. Au 1 er mai dernier, notre territoire comptait 38 700 points de recharge ouverts au public, nous sommes loin d'atteindre les 100 000 points pour lequel le gouvernement s'est engagé pour l'an prochain - l'État a sa part de responsabilité, en n'ayant pas pris à temps les textes nécessaires. Les nouvelles contraintes sur les réseaux de transport et de distribution électrique n'ont, malheureusement, pas encore été modélisées. L'étude la plus récente réalisée par RTE date de 2019. Les hypothèses retenues pour cette étude reposent sur un déploiement marginal des bornes ultra-rapides, qui sont pourtant nécessaires à l'usage courant des véhicules électriques. L'actualisation de l'étude est prévue en septembre 2021. C'est dommage de légiférer avant que l'étude d'impact sur le réseau électrique ait été réalisée. Pour rattraper notre retard, il va être nécessaire de faciliter les installations de points de recharge dans les immeubles résidentiels collectifs et de déployer un réseau de recharge ultra rapide sur les grands axes routiers pour sécuriser et rassurer les automobilistes sur leurs capacités à faire de plus longs trajets. Mais cet équipement a un coût élevé et une rentabilité économique à très long terme, les responsables de Total Énergie nous l'ont confirmé.
Il faut également prendre en compte l'enjeu de la recharge et de l'avitaillement en zone rurale. Or, la première étape de la task force « camions propres » n'a pas fourni d'analyse approfondie de l'offre des solutions de recharge et d'avitaillement, c'est regrettable. Il est nécessaire également d'assurer la maintenance des bornes, c'est un coût non pris en compte dans la durée.
De quels outils d'accompagnement disposons-nous et qu'apporte ce texte ?
Dans l'aérien, le secteur a pris des engagements dans le cadre de la feuille de route « destination 2050 » qui propose une trajectoire pour atteindre la neutralité carbone du transport aérien européen en 2050. Il y a le suramortissement pour accélérer le verdissement du parc d'engins de pistes aéroportuaires, ou encore l'enveloppe de 1,5 milliard d'euros dans le plan de relance pour encourager le développement d'avions « verts ». Cependant, les carburants verts sont encore trois à cinq fois plus chers que le kérosène. Aussi les incitations mises en place pour le biocarburant ne peuvent pas avoir d'effet immédiat, mais plutôt à long terme.
Pour les véhicules lourds et les utilitaires, il y a le bonus écologique, la prime à la conversion, le micro crédit, et une prime au « rétrofit », pour changer sa motorisation. Un bonus pour l'achat de camions « propres » a été inclus dans le plan de relance, plafonné à 50 000 euros : un seul dossier de demande a été déposé, c'est dire l'intérêt qu'il a suscité...
Le gouvernement prévoit un durcissement du malus automobile, à compter de 2022 un malus poids va être instauré ; une majoration dès 2021 du bonus à l'achat des véhicules lourds à faibles émissions équipés de détecteurs d'angles morts mais, dans le même temps, une diminution programmée du bonus en juillet 2021 puis janvier 2022, alors même que l'écart reste significatif à l'achat. Une étude du cabinet Bloomberg estime que la parité des prix entre moteurs thermiques et électriques interviendrait entre 2025 et 2027 pour les véhicules légers.
Ce texte propose d'étendre le périmètre de l'actuelle prime à la conversion. Elle pourrait financer de nouvelles formes de mobilités vertueuses d'un point de vue environnemental, par exemple l'achat de vélos à assistance électrique (VAE), de vélos cargos, d'abonnements aux transports en commun, de services d'autopartage ou encore de covoiturage. Aujourd'hui, le bonus vélo n'est ouvert qu'à la condition d'un engagement conjoint d'une collectivité territoriale.
Je vous proposerai en conséquence quatre amendements pour accompagner la transition écologique du secteur des transports - ils ne concernent pas le secteur aérien, qui sort très fragilisé de la crise sanitaire.
L'amendement COM-1929 crée un prêt à taux zéro (PTZ) pour les véhicules particuliers et utilitaires légers émettant moins de 50 grammes de dioxyde de carbone par kilomètre ; l'amendement COM-1934 crée aussi un PTZ, pour les poids lourds équipés de motorisation alternative. L'amendement COM-1931 prolonge le suramortissement pour l'acquisition de véhicules lourds dotés de motorisations alternatives. L'amendement COM-1930 conditionne la suppression d'exonération partielle de TICPE, à la disponibilité effective et attestée d'une offre de véhicules lourds et d'un réseau d'infrastructures d'avitaillement suffisant.
En matière agricole, ensuite, nous nous sommes intéressés aux articles 62 et 63, portant sur les engrais minéraux.
La France est le premier consommateur d'azote minéral de l'Union européenne en valeur absolue ; rapporté à la surface agricole, elle occupe cependant la dixième position. La transformation de l'azote dans l'air émet un gaz à effet de serre, le protoxyde d'azote, avec des effets négatifs sur l'environnement, quand elle se combine avec des polluants atmosphériques. 94 % des émissions d'ammoniac sont d'origine agricole : la France est le deuxième pays le plus émetteur après la Turquie ; la fertilisation représente 46 % des émissions, dont 20 % pour l'épandage de matières organiques et 26 % pour la fertilisation minérale.
La directive NEC - pour National Emission Ceiling , c'est-à-dire les plafonds d'émission nationaux - de 2016 fixe des objectifs pluriannuels de réduction pour l'ammoniac : pour 2020, une réduction de 4 % à atteindre chaque année par rapport à 2005 et, une réduction de 13 % à atteindre chaque année à partir de 2030 par rapport à 2005 ; s'y ajoute, en France, le plan PREPA - pour Plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques -qui reprend ces objectifs européens et fixe un objectif intermédiaire de réduction de 8 % en 2025.
En revanche, le droit européen ne fixe aucun objectif pour le protoxyde d'azote, qui entre dans l'objectif portant sur les gaz à effet de serre (GES) en général. En France, la stratégie nationale bas carbone décline les objectifs de diminution des GES par secteur. Pour l'agriculture, l'objectif est une baisse de 15 % pour les émissions de protoxyde en 2030 par rapport à 2015.
L'article 63 de ce texte propose de définir par décret une trajectoire annuelle de réduction des émissions pour atteindre les objectifs à horizon 2030. L'article 62 propose la mise en oeuvre d'une redevance si ces objectifs annuels ne sont pas atteints pendant deux années consécutives, sous réserve que le droit européen n'a pas adopté de mesures équivalentes.
Le rapport de la Convention citoyenne ne fournit aucune analyse de l'impact de la redevance sur l'efficacité environnementale ni sur la productivité de l'agriculture française. L'annonce de cette redevance s'accompagne donc de la demande d'un rapport décrivant les modalités de mise en oeuvre et les dispositifs d'accompagnement des agriculteurs.
C'est pourquoi je vous proposerai deux amendements.
L'amendement COM-1933 supprime un rapport prévu à l'article 63, dès lors que, faute de données, le ministère ne disposera pas des données pour remettre un rapport au Parlement chaque année ; cet amendement rétablit le caractère pluriannuel de la trajectoire de réduction des émissions, en l'assortissant d'objectifs annuels.
L'amendement COM-1932 définit un plan « Eco Azote », afin d'accompagner les agriculteurs dans la réduction des émissions provenant des engrais azotés. La redevance sur les engrais minéraux azotés ne saurait être établie utilement que dans le cadre européen, ce qui est indispensable à l'efficacité d'une telle redevance mais aussi à la préservation des conditions de concurrence au sein de l'Union européenne.
Toutes ces mesures, en réalité, nécessitent une coordination avec nos partenaires européens.
Dans le domaine agricole, certains pays avaient commencé à taxer les apports azotés - mais ils ont arrêté, par exemple lorsqu'ils ont rejoint l'Union européenne, pour préserver la compétitivité de leur agriculture. Une taxe à 0,02 centimes par kilogramme d'azote représenterait en moyenne une baisse de l'excédent brut d'exploitation de 0,2 % et du résultat courant avant impôts de 0,5 %. Les systèmes de cultures les plus impactés seraient les céréales et oléo-protéagineux qui verraient une baisse de l'excédent brut d'exploitation de 0,6 % et du résultat courant avant impôts de 1,3 %.
Sur l'interdiction de vente des véhicules polluants, la France avance seule, en réalité. Sur la fiscalité des carburants, une harmonisation européenne est nécessaire. Aujourd'hui le niveau de fiscalité français est supérieur à la moyenne européenne. Chez nos voisins, seule l'Allemagne a une fiscalité plus élevée. Le Gouvernement s'engage à mettre le sujet de l'harmonisation fiscale à l'ordre du jour de la présidence française de l'UE : encore un sujet, me direz-vous, pour six mois de présidence dont la moitié sera perturbée par le calendrier électoral. Vous remarquerez également que le gouvernement s'est engagé à ce que la trajectoire de suppression progressive du remboursement de TICPE au bénéfice du transport routier de marchandises ne débute qu'après 2022, c'est bien entendu sans rapport avec le calendrier électoral...
Autre hiatus avec le droit européen : on envisage une contribution régionale sur le transport routier de marchandises, alors que la directive « Eurovignette » de 1999 est en cours de révision.
Dans le domaine aérien, le texte dispose que l'objectif doit être atteint « en privilégiant la mise en place d'un dispositif européen ». La solution de la Convention citoyenne qui repose sur une multiplication par 20 de la TSBA n'est pas soutenable, parce qu'elle pose un évident problème de compétitivité. La solution est nécessairement européenne, avec une hausse de la fiscalité sur le kérosène sur les vols intra européens ou la fin des quotas gratuits.
Un mot sur le « chèque alimentation durable », prévu à l'article 60 bis - encore un dispositif flou, issu de la Convention citoyenne, que le Gouvernement n'avait pas retenu dans le projet de loi initial mais qui est revenu par un amendement de Mounir Mahjoubi, adopté par la commission spéciale de l'Assemblée nationale. Cet article fait reposer la mise en oeuvre du dispositif sur deux rapports : le premier, dans un délai de deux mois après la promulgation de la loi, sur les modalités et délais d'instauration de ce chèque ; le second, dans un délai de six mois après la promulgation de la loi, sur les conditions de sa mise en oeuvre, notamment les personnes bénéficiaires, les produits éligibles, la valeur faciale, la durée et le financement de ce dispositif. Le Gouvernement entend faire de ce chèque « un moyen de structurer les filières sur les territoires, d'améliorer l'impact de l'agriculture sur l'environnement et de réduire les inégalités sociales et nutritionnelles ». Le chèque ne pourra donc pas être réservé à certains types de commerces par exemple, ni aux produits spécifiquement d'origine française.
En d'autres termes, on ne sait rien du public cible, ni des modalités de distribution, ni des produits éligibles... et donc rien non plus du coût de ce nouveau chèque. Nos collègues de la commission des affaires économiques ont décidé de mettre le Gouvernement devant ses contradictions, avec ce dispositif d'un coût qui pourrait s'élever jusqu'à 1 milliard d'euros. D'après ce que le ministère de l'agriculture et de l'alimentation nous a dit, l'une des options serait que l'État mette en place une plateforme pour cibler les produits locaux, à distribuer dans des points pas encore définis. Une autre option de distribution du chèque pourrait être les centres communaux d'action sociale (CCAS) - et on imagine ce que des étudiants qui vivent dans une chambre feront d'aliments « sains » qui leur seront livrés bruts, à cuisiner...
Je ne nie pas les besoins de transition écologique, mais ce texte ne nous propose que des mesures programmatiques, sans évaluation, le tout renvoyé à des rapports si nombreux que l'administration ne pourrait pas les rédiger dans les délais.
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Merci pour ce tableau complet démontrant l'impréparation de ce texte, qui sert davantage à bavarder qu'à établir des règles nouvelles sur des enjeux pourtant bien identifiés. Je regrette cette improvisation, ce texte ne sert pas la cause écologique, il attrape à la volée telle ou telle idée, sans en donner de traduction concrète. Vous le montrez bien avec le « chèque alimentation durable » : le Gouvernement n'avait pas retenu l'idée issue de la convention citoyenne, elle arrive par un amendement de l'Assemblée nationale, et ce chèque se trouve inscrit dans la loi... sous la forme de deux projets de rapports du Gouvernement. Notre démocratie fait face à de tels défis qu'elle ne peut se contenter de telles réponses, surtout pour prendre des risques de faire davantage de déçus... L'élaboration de la loi, ensuite, ne peut faire l'économie de notre environnement normatif, notamment, comme vous le montrez, avec l'échelon européen. Le cadre européen peut être le plus adapté pour certaines mesures, et il faut éviter que le débat national ne s'engage sur des solutions en porte-à-faux avec la réglementation européenne, notre rapport pour avis appelle avec raison à plus de rigueur dans l'usage de la loi.
M. Vincent Capo-Canellas . - L'article 35 est pour le moins bavard, en énonçant que « l'État se fixe pour objectif que le transport aérien s'acquitte d'un prix du carbone suffisant à partir de 2025, au moins équivalent au prix moyen constaté sur le marché du carbone pertinent, en privilégiant la mise en place d'un dispositif européen » ; cela dit, c'est un moindre mal, quand on le rapporte à la proposition faite par la convention citoyenne de multiplier par vingt la taxe de solidarité sur les billets d'avion. En réalité, le véritable enjeu est dans le développement des éco-carburants et de l'hydrogène. Mais il est paradoxal de faire pression par plus de taxes, alors qu'on demande au secteur d'investir dans la transition écologique, c'est contradictoire.
M. Arnaud Bazin . - Dans la loi de finances pour 2021, quand on a envisagé de taxer le kérosène qui n'incorpore pas de biocarburant, nous avons buté sur la question de l'avitaillement, car si les avions ne peuvent accéder à un tel carburant, la taxe ne serait que de rendement. La question de l'avitaillement est-elle abordée par ce nouveau texte ?
M. Stéphane Sautarel . - Comment peut-on se passer de l'échelle européenne, en particulier pour la compétitivité de nos entreprises ? Ensuite, quel est le réalisme, la faisabilité des trajectoires fixées dans ce texte ? Comment faire pour qu'on traite aussi la question des véhicules d'occasion, en particulier pour les poids lourds ? Enfin, l'article 32 ne comporte-t-il pas un risque de « mitage » de la fiscalité ?
M. Michel Canévet . - Je suis plus que surpris par le nombre rapports demandés par ce texte bavard... Pourquoi ne propose-t-on pas la suppression de l'article 32 ? Car autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnance, cela ne va pas dans le bon sens, en particulier pour le pouvoir du Parlement.
Mme Isabelle Briquet . - Merci de votre exposé très clair, concis et articulé, qui fait comprendre le peu de portée des dispositions floues et programmatiques de ce texte. Je déplore qu'il n'aborde même pas le ferroviaire ni le fluvial, alors qu'ils sont très importants pour la mobilité. Sur l'écotaxe, pourquoi devrait-on s'accommoder d'une législation par ordonnances, surtout dans un délai aussi long que deux ans ?
M. Gérard Longuet . - Je félicite notre rapporteur pour avis, qui sait rendre vivante cette aventure législative pourtant très frustrante. La loi établit ordinairement des droits, mais elle ne fait ici qu'établir des objectifs non évalués, c'est navrant. Le secteur du transport est pourtant riche en emplois, répartis sur tout le territoire : chaque mesure que nous prenons peut compromettre des implantations qui font la vie de nos territoires, et nous devrions le faire alors que les trois premier pollueurs du monde, la Chine, les États-Unis et l'Inde représentent la moitié des émissions de gaz à effet de serre et que la France n'en représente pas 1%... La France a certes porté le flambeau de bien des libérations, mais nous aurons toujours des responsabilités à gérer.
Je rejoins mes collègues : avec l'article 32 peut-on laisser le Gouvernement légiférer par ordonnance pour établir une nouvelle écotaxe ? L'écotaxe poids lourds, à laquelle j'avais travaillé et qui a été abandonnée en rase campagne par Ségolène Royal, met en valeur la diversité des régions françaises : en Bretagne, où les clients sont loin, une telle taxe est un frein au développement, mais en Lorraine ou en Rhône-Alpes, où les flux Nord-Sud européens sont très importants et encombrants, cette écotaxe est perçue comme un juste retour de la part de ceux qui usent les infrastructures routières sans même s'arrêter. Ne faut-il pas supprimer cet article 32, et revendiquer une mesure législative en bonne et due forme, plutôt qu'en passer par l'ordonnance ?
M. Christian Bilhac . - Ce texte est un peu comme les pochettes surprises qu'on offre aux enfants, avec un beau papier, beaucoup de gadgets et rien de consistant. Vous essayez de l'amender, mais il reste en-deçà de nos espérances. Une question d'un habitant de la campagne : nous achetons beaucoup d'engins et de machines, pour jardiner, faire des travaux, et chaque fois les modèles électriques coûtent moins chers que les modèles à moteur thermique - pourquoi est-ce l'inverse pour les voitures ? Cherchez l'erreur... N'est-ce pas qu'on prend un peu les clients pour des pigeons ?
Mme Christine Lavarde , rapporteur pour avis . - Cette dernière question me fait penser que j'ai oublié de mentionner l'étude récente de la direction générale du Trésor, comparant le coût réel pour la collectivité des différents modes de locomotion - et qui démontre que l'électrique coûte plus cher.
Faut-il supprimer l'article 32 visant une nouvelle écotaxe ? La rédaction actuelle m'a convaincue qu'il ne se passerait rien. Les Alsaciens ont leur texte, il entrera en application en Alsace ; les Bretons sont résolument contre une telle taxe, parce qu'ils sont loin de leurs clients et qu'elle serait un frein. Entre les deux, il y a des pour et des contre ; j'ai auditionné la région Ile-de-France, elle n'est pas contre mais demande une interopérabilité entre régions, ce qui suppose un accord entre régions... Au surplus, l'article 32 mentionne une expérimentation sans qu'on sache si elle sera prorogée, donc sans qu'on ne puisse rien savoir du retour sur investissement. Nos collègues de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ont réécrit l'article 32, pour dire qu'à compter de 2028, une écotaxe est créée pour deux ans si les émissions du transport routier n'ont pas diminué : le cadre est national, cela lève des difficultés comme l'interopérabilité.
Il n'y a rien dans ce texte sur les véhicules d'occasion, alors que le marché va être en plein essor. Les véhicules électriques sont déjà éligibles à des aides : j'ai calculé qu'on peut aller jusqu'à 7 500 euros d'aides, pour un véhicule de 8 000 euros, ce qui donne le sentiment que c'est peu onéreux - il est difficile de trouver un véhicule électrique à ce prix, mais ça donne l'idée que son achat peut être peu coûteux à certaines conditions.
Sur le biocarburant aérien, l'enjeu est effectivement du côté de l'innovation, de la recherche. Il y a eu un appel à manifestation d'intérêt en 2020, il y a aussi des moyens mobilisés par le programme d'investissements d'avenir (PIA).
Enfin, je suis bien d'accord avec vous sur le nombre considérable de rapports que ce texte demanderait à l'administration : il y en a huit pour les quatre articles que nous examinons pour avis, ce qui laisse présager de centaines de rapports... que l'administration n'a tout simplement pas les moyens de faire dans les délais impartis.
M. Dominique de Legge . - Juste un mot sur le chapitre II, relatif à l'agroécologie. Je reste choqué par le message de ce chapitre et que nous ayons à délibérer sur le menu des Français dans les cantines sans que le Gouvernement ne dise clairement les choses. Car de deux choses l'une : soit l'alimentation actuelle est mauvaise, dangereuse, et il faut le dire ; soit elle ne l'est pas, et il n'y a pas lieu de légiférer...
Mme Christine Lavarde , rapporteur pour avis . - Sur l'azote, le texte prend le risque de contrarier les projets du ministère de l'agriculture, qui avait un décret en préparation - probablement mieux préparé que ce qu'on nous propose ici.
EXAMEN DES ARTICLES
Article additionnel avant l'article 26
Mme Christine Lavarde , rapporteur pour avis . - Avec l'amendement COM-1929 , je vous propose de créer un prêt à taux zéro pour accompagner l'acquisition de véhicules particuliers et d'utilitaires légers peu polluants. Ce prêt vise les ménages modestes et pourra couvrir l'intégralité du reste à charge, une fois déduites les aides et bonus.
L'amendement COM-1929 est adopté.
Mme Christine Lavarde , rapporteur pour avis . - Cet article énonce l'objectif de supprimer progressivement, d'ici à 2030, le tarif réduit de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) sur le gazole utilisé par les transporteurs routiers de marchandises, en contrepartie d'un soutien renforcé à la transition énergétique du secteur. Avec l'amendement COM-1930 , je vous propose de conditionner cette suppression à la disponibilité d'une offre de véhicules et de réseaux d'avitaillement permettant le renouvellement des poids lourds dans des conditions économiques soutenables. La « task force camion propre » n'est pas parvenue à un consensus, malgré deux rapports, l'un par les professionnels, l'autre par le Gouvernement : c'est dire qu'il y a du chemin à parcourir.
L'amendement COM-1930 est adopté.
Articles additionnels avant l'article 31
Mme Christine Lavarde , rapporteur pour avis . - Avec l'amendement COM-1934 , je vous propose d'instaurer un prêt à taux zéro pour accompagner l'acquisition de poids lourds affectés au transport de marchandises dotés de motorisations alternatives au gazole.
L'amendement COM-1934 est adopté.
Mme Christine Lavarde , rapporteur pour avis . - L'amendement COM-1931 prolonge le suramortissement dédié à l'acquisition de véhicules lourds dotés de motorisations alternatives au gazole.
L'amendement COM-1931 est adopté.
Mme Christine Lavarde , rapporteur pour avis . - Cet article mentionne la possibilité de mise en place d'une redevance sur les engrais azotés minéraux si les objectifs annuels de réduction de ces émissions ne sont pas atteints pendant deux années consécutives et sous réserve de l'absence de dispositions équivalentes dans le droit de l'Union européenne. Avec l'amendement COM-1932 , je vous propose de rédiger différemment l'article, pour prévoir un plan d'action national pour accompagner les agriculteurs dans la poursuite de cet objectif.
L'amendement COM-1932 est adopté.
Mme Christine Lavarde , rapporteur pour avis . - Avec l'amendement COM-1933 , je précise que pour atteindre les objectifs à horizon 2030, le décret définit une trajectoire non plus annuelle mais pluriannuelle de réduction des émissions de protoxyde d'azote et d'ammoniac du secteur agricole déclinée par des objectifs annuels.
L'amendement COM-1933 est adopté.
M. Claude Raynal , président . - Ces amendements seront donc présentés à la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, au nom de notre commission, pour l'élaboration de son texte.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Article 25 |
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Article 25 bis |
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Article additionnel avant Article 26 |
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Auteur |
N° |
Sort de l'amendement |
Mme LAVARDE |
COM-1929 |
Adopté |
Article 30 |
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Auteur |
N° |
Sort de l'amendement |
Mme LAVARDE |
COM-1930 |
Adopté |
Article additionnel avant Article 31 |
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Auteur |
N° |
Sort de l'amendement |
Mme LAVARDE |
COM-1934 |
Adopté |
Mme LAVARDE |
COM-1931 |
Adopté |
Article 32 |
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Article 35 |
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Article 60 bis |
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Article 62 |
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Auteur |
N° |
Sort de l'amendement |
Mme LAVARDE |
COM-1932 |
Adopté |
Article 63 |
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Auteur |
N° |
Sort de l'amendement |
Mme LAVARDE |
COM-1933 |
Adopté |