N° 634

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 26 mai 2021

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ,

Par M. Stéphane LE RUDULIER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Jacky Deromedi, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Ludovic Haye, Loïc Hervé, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

3875 rect. , 3995 et T.A. 602

Sénat :

551 (2020-2021)

ESSENTIEL

Réunie le mercredi 26 mai 2021 sous la présidence de François-Noël Buffet (Les Républicains - Rhône), la commission des lois a examiné l' avis de Stéphane Le Rudulier (Les Républicains - Bouches-du-Rhône) sur le projet de loi n° 551 (2020-2021) portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets .

Ce projet de loi protéiforme compte 218 articles traitant de sujets variés. Il traduit pour partie les propositions de nature législative issues des travaux de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) qui a travaillé entre octobre 2019 et juin 2020. La commission des lois s'est saisie pour avis de trente-trois articles, relatifs, en particulier, à la protection judiciaire de l'environnement (articles 67 et suivants), aux critères environnementaux dans le droit de la commande publique (article 15), à la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane (articles 20 ter à 20 quinquies et 20 decies ) et aux transports (articles 26 ter, 27, 29 et 32) et à l'artificialisation des sols (articles 47 et suivants).

Le texte est trop souvent d'une facture décevante, comportant beaucoup de dispositions non normatives ou juridiquement peu abouties, alors que l'enjeu majeur de la lutte contre le dérèglement climatique appelle une action des pouvoirs publics menée avec rigueur et détermination. Comme elle l'a fait récemment lors de l'examen de la proposition de loi constitutionnelle complétant l'article 1 er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement, la commission s'est donc attachée à améliorer la qualité juridique des dispositions qui lui étaient soumises, notamment en matière pénale où l'exigence de clarté et de précision s'accommode mal des approximations.

Mais la commission a également été attentive à ce que la protection de l'environnement soit conciliée avec les nécessités de la vie économique , notamment en ce qui concerne les petites et moyennes entreprises, et à ce que la volonté d'imposer de nouvelles politiques environnementales respecte le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales . De multiples initiatives sont prises dans les territoires pour protéger l'environnement et il convient de faire confiance à cette intelligence du terrain plutôt que d'imposer d'en haut des politiques trop uniformisées.

Suivant l'avis de son rapporteur, la commission des lois a adopté 31 amendements qui répondent à ces différents objectifs.

I. LA PROTECTION JUDICIAIRE DE L'ENVIRONNEMENT : DES DISPOSITIONS SUR L'ÉCOCIDE PEU CONVAINCANTES

Le volet relatif à la protection judiciaire de l'environnement vise à rendre l'arsenal pénal plus dissuasif par la création de nouvelles incriminations, dont un délit d'écocide, et l'alourdissement de certaines peines d'amende. La rédaction retenue n'est cependant pas toujours satisfaisante, ce qui a conduit la commission à adopter plusieurs amendements afin de tenter d'y remédier.

A. DES DISPOSITIONS PÉNALES INABOUTIES

Les articles 67 et 68 du projet de loi visent à renforcer la répression pénale des atteintes graves et durables à l'environnement en introduisant dans le code de l'environnement de nouvelles incriminations.

1. Une volonté affichée de sanctionner plus sévèrement les atteintes graves et durables à l'environnement

L'article 67 propose, sur le modèle du délit de mise en danger de la vie d'autrui, de sanctionner la mise en danger de l'environnement : le fait d'exposer directement la flore, la faune ou la qualité de l'eau à un risque immédiat d'atteinte grave et durable serait puni de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende. Pour s'assurer que le montant de l'amende est toujours dissuasif, il pourrait être porté au triple de l'avantage tiré de la commission de l'infraction.

L'article 68 vise ensuite à sanctionner les atteintes graves et durables à l'environnement qui se sont effectivement produites. À cette fin, quatre nouveaux articles seraient introduits dans le code de l'environnement : pour sanctionner les atteintes non intentionnelles causées à l'air et à l'eau, punies de cinq ans d'emprisonnement ; pour sanctionner les atteintes intentionnelles résultant du non-respect d'une procédure d'autorisation ou d'une mise en demeure ou du non-respect des règles relatives à la gestion des déchets, également punies de cinq ans d'emprisonnement ; enfin, seraient qualifiées d'écocide et punies de dix ans d'emprisonnement les atteintes à l'air et à l'eau commises intentionnellement, ainsi que les atteintes résultant du non-respect d'une procédure d'autorisation, d'une mise en demeure ou d'une mauvaise gestion des déchets si l'auteur des faits avait connaissance du caractère grave et durable des dommages susceptibles d'être induits par son comportement.

L'article 69 autorise les tribunaux à ordonner la restauration du milieu naturel dans le cadre d'une procédure d'ajournement de la peine, tandis que l'article 70 alourdit le quantum de nombreuses peines d'amende.

2. Des infractions difficiles à caractériser en pratique

La plupart des personnes entendues par le rapporteur ont estimé que les nouvelles infractions seraient difficiles à caractériser. L'avocat spécialisé en droit de l'environnement Arnaud Gossement est allé jusqu'à estimer que l'écocide constituait plus un « slogan publicitaire » qu'une mesure sérieuse.

Pour que l'infraction soit constituée, il faudrait tout d'abord que l'auteur des faits ait violé une norme administrative prévue par le droit de l'environnement : par exemple, qu'il ne se soit pas conformé à une procédure d'autorisation ou qu'il ait dépassé des normes d'émission. Les associations de protection de l'environnement souhaiteraient que les dispositions pénales soient détachées des normes administratives mais cela paraît difficilement envisageable : le droit pénal doit être prévisible, et autoriser des poursuites alors que la personne mise en cause se serait conformée à ses obligations réglementaires serait source d'une sérieuse insécurité juridique.

Une deuxième condition exigeante tient à la définition de la notion d'atteinte durable à l'environnement : seraient considérées comme durables les atteintes susceptibles de durer au moins dix ans . De l'avis des spécialistes, peu de pollutions font sentir leurs effets sur une si longue période : les pollutions dans l'air ou dans l'eau se dispersent, et même une catastrophe spectaculaire comme le naufrage du pétrolier Ericka en 1999 n'a pas entraîné de dommages sur les écosystèmes au-delà de quelques années. Des rejets persistants dans le sol, le comblement d'un marais peuvent en revanche durer plus de dix ans et pourraient donc constituer l'élément matériel de l'infraction, à condition d'être également jugés graves par la juridiction. Une atteinte durable mais d'une étendue minime pourra ainsi difficilement être qualifiée d'écocide.

Les représentants des entreprises expriment néanmoins leur inquiétude que la crainte de poursuites judiciaires décourage la prise de risques et dissuade les investisseurs de s'implanter en France.

3. Une nécessaire réécriture pour remédier à un risque réel d'inconstitutionnalité

La commission a considéré que le projet de loi procédait à une conciliation équilibrée entre la volonté de sanctionner plus sévèrement les atteintes les plus graves à l'environnement et les réalités de la vie économique, les activités de production ayant nécessairement un impact sur le milieu naturel. Elle a cependant adopté l'amendement COM-818 de son rapporteur qui s'efforce de remédier aux difficultés soulevées par le Conseil d'État afin de garantir la sécurité juridique de ces dispositions.

Afin de de simplifier la rédaction du texte, la commission a souhaité introduire dans le code de l'environnement deux articles, le premier pour sanctionner les atteintes non intentionnelles à l'air, à l'eau et au sol, le second pour punir les mêmes atteintes lorsqu'elles sont commises intentionnellement. Les pollutions des sols seraient mieux couvertes puisque le champ de l'infraction ne serait pas limité aux pollutions causées par les déchets.

Concernant le délai de prescription, serait conservée la disposition adoptée à l'Assemblée nationale qui fait partir le délai de la découverte de l'infraction, et non de la commission de l'infraction comme c'est le cas en droit commun ; mais le délai ne pourrait excéder douze ans à compter de la commission de l'infraction, comme le prévoit le code de procédure pénale pour les infractions occultes et dissimulées.

La commission propose enfin de ne pas conserver le terme d'écocide , qui ajoute de la confusion : dans la littérature juridique, l'écocide renvoie à un crime, qui pourrait être reconnu à l'échelle internationale. Or le terme serait ici utilisé pour désigner un délit reconnu en droit interne. Pour plus de clarté, il est donc préférable de le supprimer, l'écocide semblant avoir été mentionné uniquement à des fins politiques, pour donner l'impression que le projet de loi répondait à la demande formulée par la Convention citoyenne à ce sujet.

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