B. DES CHOIX SÉMANTIQUES SUSCEPTIBLES D'OUVRIR UNE BRÈCHE JURIDIQUE ET POTENTIELLEMENT SOURCE D'INCOHÉRENCE DANS NOTRE TEXTE FONDAMENTAL
Les dispositions constitutionnelles innervent l'ensemble de notre droit : pour cette raison, il convient d'être particulièrement rigoureux au moment d'y intégrer de nouvelles dispositions. Dans son avis sur le projet de réforme, le Conseil d'État a rappelé la nécessité de veiller à ce que « la plume du constituant soit limpide, concise et précise (...) et ne soit pas source de difficultés d'interprétation ». Le Sénat est particulièrement attaché à la qualité rédactionnelle de la norme suprême , de manière à ce qu'elle soit comprise de tous, juridictions, pouvoirs publics, mais aussi citoyens.
Le droit constitutionnel repose fondamentalement sur la conciliation des principes à valeur constitutionnelle et l'absence de hiérarchisation . La Constitution forme un ensemble de principes et d'objectifs indissociables, que le juge constitutionnel interprète au regard de leur cohérence interne et de leur articulation, en s'efforçant, le cas échéant, de concilier les normes constitutionnelles en cas de conflit.
L'article 6 de la Charte de l'environnement pose ainsi le principe de la promotion du développement durable par les pouvoirs publics , selon lequel est opérée une conciliation entre la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social. La phrase proposée par la révision constitutionnelle n'y fait pas mention, ce qui pourrait conduire le juge constitutionnel à glisser d'une conciliation -- par définition pragmatique -- à une hiérarchisation -- par définition figée .
Il importe de ne pas rompre l'équilibre constitutionnel de la protection des droits et libertés que garantit la Constitution. Le texte constitutionnel permet d'assurer la protection de l'environnement en l'état du droit en vigueur . Les juridictions ont pris la mesure de l'importance des questions environnementales et appliquent le principe posé par l'article 1 er de la charte, à savoir « le droit à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».
Les choix sémantiques de l'exécutif, notamment l'usage du verbe « garantir », portent en germe des contraintes juridiques dont il est difficile de mesurer la portée. Dans son avis précité, le Conseil d'État indique à cet égard que le verbe garantir « imposerait aux pouvoirs publics une quasi-obligation de résultat dont les conséquences sur leur action et leur responsabilité risquent d'être plus lourdes et imprévisibles que celles issues du devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement ».
Cette formulation présente le risque de déséquilibrer notre système normatif , au regard tant de sa conciliation avec d'autres dispositions constitutionnelles que de l'emploi du terme « garantit », qui peut renvoyer aussi bien à un objectif constitutionnel qu'à un droit subjectif. L'utilisation du terme « garantit » implique, à défaut d'une obligation de résultat, une obligation d'agir : les pouvoirs publics risqueraient de voir leur responsabilité engagée pour n'avoir pas employé les moyens nécessaires à cette fin. Cette responsabilité pourrait avoir une portée plus large que celle résultant du non-respect du principe de précaution. La commission est attentive à ne pas fragiliser les pouvoirs publics, les collectivités territoriales et les entreprises par des risques contentieux inutiles, tout particulièrement dans le contexte actuel de crise sanitaire.
C'est au juge constitutionnel qu'il reviendrait de déterminer la portée du principe de garantie de la préservation de l'environnement et de la diversité biologique. L'articulation de cette nouvelle rédaction avec la Charte de l'environnement serait ainsi laissée à son appréciation. On peut craindre un accroissement du pouvoir d'appréciation des juges ayant à connaître des contentieux environnementaux , qui détermineraient la portée et l'invocabilité des verbes choisis. Il est conceptuellement et politiquement dangereux qu'un texte constitutionnel manque de cohérence et de clarté et qu'à ce niveau de la hiérarchie des normes puisse poindre une forme d'insécurité juridique .