TRAVAUX DE LA COMMISSION

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I. AUDITION DE MME ÉLISABETH BORNE,
MINISTRE DU TRAVAIL, DE L'EMPLOI ET DE L'INSERTION

Mme Catherine Deroche , présidente . - Mes chers collègues, nous accueillons cet après-midi Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, pour la présentation des crédits de la mission « Travail et emploi » du projet de loi de finances (PLF) pour 2021, que nous examinerons en commission la semaine prochaine et en séance publique le vendredi 4 décembre. Je salue les commissaires qui assistent à cette réunion à distance.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo diffusée en direct sur le site du Sénat qui sera disponible en vidéo à la demande.

Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion . - Dans cette période difficile, le ministère du travail a un rôle fondamental à jouer. Je souhaite à cet égard saluer l'engagement des agents du ministère et de ses opérateurs, très mobilisés sur le terrain.

Pour les secteurs en difficulté ou concernés par les fermetures administratives, nous amplifions les mesures exceptionnelles de soutien aux emplois et aux entreprises. C'est pourquoi le 4 e projet de loi de finances rectificative (PLFR) ouvre 20 milliards d'euros supplémentaires pour 2020, dont plus de 2 milliards d'euros sur l'activité partielle. Notre objectif est de maintenir des conditions très protectrices pour les entreprises et les salariés dont l'activité est partiellement ou totalement arrêtée.

La situation sanitaire, loin de remettre en cause les dispositifs du plan de relance, en montre au contraire toute la pertinence. Comme l'a rappelé le Premier ministre le 20 octobre dernier, la territorialisation du plan de relance est un gage d'efficacité et de cohésion et sera l'un des facteurs de sa réussite. Comme je l'ai indiqué dans une circulaire du 18 septembre dernier, les politiques de l'emploi et de l'insertion doivent donc, plus que jamais, faire l'objet d'une coopération renforcée avec chaque niveau de collectivité. C'est pourquoi les élus locaux ont été associés à l'élaboration des objectifs territoriaux partagés du plan « 1 jeune, 1 solution ».

Le budget de relance porté par le PLF pour 2021 est un budget ambitieux, qui mobilise des moyens sans précédent, pour à la fois donner à chacun les armes permettant d'accéder à l'emploi et de s'y maintenir durablement et donner à nos entreprises les compétences nécessaires aux métiers de demain, afin qu'elles soient plus résilientes et plus compétitives.

Pour 2021, les crédits alloués au ministère du travail, de l'emploi et de l'insertion se décomposent en deux volets.

D'une part, les crédits de la mission « Travail et emploi », qui constituent le budget « socle » de mon ministère : ce budget est en augmentation de plus de 400 millions d'euros et s'élève à 13,2 milliards pour 2021, conformément aux trajectoires prévues avant la crise. En outre, dans le cadre du renforcement de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, nous avons proposé de nouvelles mesures dans le cadre du 4 e PLFR pour 2020.

D'autre part, les crédits exceptionnels de la mission « Plan de relance » viennent s'ajouter à cet effort : 10 milliards d'euros de crédits de paiement sont alloués à mon ministère sur les 22 milliards d'euros de « France relance » pour 2021. Ce budget « de relance » permet ainsi de renforcer considérablement le budget « socle » du ministère et donc l'efficacité de son action d'insertion et de maintien de tous dans l'emploi. Cette action consiste à déployer quatre priorités, que j'aborderai successivement.

Premièrement, face à la crise, nous déployons une réponse massive, un véritable « bouclier anti-licenciements », pour sauvegarder et développer les emplois.

Dans le cadre de la relance, nous mobilisons un effort substantiel de 7,6 milliards d'euros, dont 2,2 milliards d'euros financés par l'Unedic, pour prendre en charge l'activité partielle et la formation des salariés pendant leur temps non travaillé. L'objectif est de réarmer nos entreprises pour qu'elles sortent de la crise plus compétitives grâce à des salariés qui seront montés en compétences, et, en même temps, de rendre aux salariés la maîtrise de leur parcours en leur donnant des perspectives crédibles de reconversion.

Sur ces fonds, 500 millions d'euros seront alloués au dispositif « Transitions collectives », présenté en Conférence du dialogue social il y a deux semaines et qui vise à favoriser les transitions professionnelles interbranches. Celui-ci consiste à prendre en charge tout ou partie de la rémunération et de la formation des salariés dont l'emploi est menacé de disparition pour qu'ils se reconvertissent dans des métiers porteurs présents sur le même territoire. Un appel à manifestation d'intérêt sera prochainement lancé pour déployer ce dispositif auprès de bassins d'emplois pilotes.

Deuxième priorité : veiller à donner à tous les jeunes, quelle que soit leur situation, des solutions d'insertion dans l'emploi. Le ministère du travail pilote ainsi la plus grande partie des 6,7 milliards d'euros du plan « 1 jeune, 1 solution », soit 5,7 milliards d'euros dont 3,6 milliards en 2021.

D'une part, nous faisons le pari du soutien à l'embauche : depuis l'été, nous avons mis en place des primes exceptionnelles pour encourager les embauches de jeunes et les signatures de contrats en alternance.

D'autre part, tous les dispositifs existants d'accompagnement et d'inclusion des jeunes dans l'emploi sont renforcés. Grâce aux crédits du plan de relance, nous ouvrons ainsi 300 000 places supplémentaires en accompagnement et inclusion à destination des jeunes : 50 000 nouvelles places en Garantie jeunes, soit une augmentation de 50 % ; 80 000 nouvelles places en parcours contractualisés d'accompagnement adapté vers l'emploi et l'autonomie (PACEA) pour 22 millions d'euros, en plus des places déjà prévues dans le budget « socle », soit un objectif total de 420 000 jeunes accompagnés en 2021 ; 140 000 places supplémentaires en Accompagnement intensif jeunes (AIJ) par Pôle emploi. Enfin, nous renforçons fortement le budget des missions locales en leur attribuant 100 millions d'euros supplémentaires, ce qui porte leur enveloppe à 472 millions d'euros.

Troisième priorité : nous renforçons tous les dispositifs d'insertion « sur mesure », destinés aux publics les plus fragiles et les plus éloignés de l'emploi.

Nous attribuons aux emplois francs 93 millions d'euros supplémentaires d'autorisations d'engagement pour 2021, ce qui correspond à plus de 33 000 nouvelles entrées. Nous mettons en place pour les jeunes 60 000 nouveaux parcours emplois compétences (PEC) en 2021, qui s'ajoutent aux 20 000 PEC supplémentaires déjà prévus dans le budget « socle ». Nous avons proposé, dans le 4 e PLFR pour 2020, d'augmenter leur budget de 120 millions d'euros.

En plus de cet effort en faveur des jeunes, la Stratégie pauvreté renforce le dispositif en faveur des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et des zones de revitalisation rurale (ZRR) en doublant la cible en nombre de places, avec 12 000 places supplémentaires, et en augmentant à 80 % le taux de prise en charge de ces PEC. J'ai bien entendu l'alerte des maires sur la situation dans les QPV ; dans la crise que l'on traverse, les territoires fragiles doivent recueillir la plus grande attention.

Ensuite, nous augmentons de plus de 204 millions d'euros au total les crédits alloués aux dispositifs d'insertion par l'activité économique (IAE), dont 62 millions d'euros issus du plan de relance. Ces crédits permettront notamment la priorisation de 35 000 places dans l'IAE au bénéfice des jeunes et l'attribution de 25 000 aides à la création d'entreprises. En outre, nous avons proposé d'ouvrir 30 000 places supplémentaires et d'augmenter les crédits de 150 millions d'euros dans le cadre du 4 e PLFR. En effet, tout doit être fait pour prévenir les risques de bascule de nos concitoyens dans la pauvreté.

Nous augmentons également de 23 millions d'euros le budget alloué aux entreprises adaptées pour les personnes en situation de handicap, en favorisant les passerelles vers les entreprises de droit commun.

Nous dotons l'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » de 11 millions d'euros supplémentaires par rapport à l'exécution 2020 afin d'en financer la deuxième phase. Je remercie d'ailleurs madame la rapporteure ainsi que les parlementaires de tous les groupes investis sur la proposition de loi autorisant la prolongation de l'expérimentation, qui a abouti à une commission mixte paritaire (CMP) conclusive.

Enfin, le service public de l'insertion et de l'emploi (SPIE), devrait se déployer à titre expérimental dans 30 territoires en 2021, puis dans 35 supplémentaires en 2022. Nous avons proposé d'y consacrer 30 millions d'euros dès 2020 dans le cadre du 4 e PLFR. Cette mise en oeuvre de l'expérimentation du SPIE repose sur la pleine association des conseils départementaux.

Quatrièmement, nous déployons un effort substantiel de formation à tous les moments de la vie professionnelle. Dans le cadre du budget « socle », le plan d'investissement dans les compétences (PIC) bénéficie d'un nouvel engagement de 3,3 milliards d'euros en 2021. Dans le cadre de la relance, nous investissons plus de 1,7 milliard d'euros, dont 1 milliard dès 2021, dans les formations aux métiers porteurs ou en tension, et 500 millions d'euros dès 2021 pour ouvrir 100 000 formations aux métiers d'avenir s'adressant aux jeunes. Dans les prochaines semaines, cet engagement supplémentaire dans la formation se matérialisera par la signature des avenants aux pactes régionaux d'investissement dans les compétences (PRIC). Nous engageons également près de 500 millions d'euros pour financer un vaste plan de digitalisation de l'offre de formation continue.

Ce budget 2021 présente de solides garanties d'efficacité.

Tout d'abord, les services déconcentrés du ministère du travail sont pleinement mobilisés pour faire connaître aux entreprises les outils de relance et les orienter vers les dispositifs qui leur sont le plus adaptés. Je compte également sur le haut-commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises, Thibaut Guilluy, pour accompagner l'appropriation des mesures par les entreprises.

Ensuite, les conditions d'exécution de ce budget seront souples. Certes, le ministère contribue à l'effort de maîtrise des finances publiques, mais, compte tenu de la hausse de charge de travail liée à la crise, j'ai veillé à ce que des recrutements soient possibles en contrat à durée déterminée (CDD) dans les services déconcentrés du ministère et à Pôle emploi.

Les conditions d'exécution seront également ajustées à la maille des territoires. Un comité régional de pilotage et de suivi du plan de relance est institué dans chacune des régions, sous la co-présidence du préfet de région et du président du conseil régional, comprenant notamment les représentants des collectivités locales. Leurs travaux permettront d'apprécier les éventuels redéploiements à effectuer, au fur et à mesure de la réalisation des projets locaux, pour obtenir une efficacité maximale des crédits. À cette fin, les préfets de département seront consultés dans le cadre d'un comité départemental du plan de relance comprenant notamment les présidents d'intercommunalités. Évidemment, les parlementaires doivent être associés à ces instances de pilotage.

Comme vous le voyez, tous les niveaux de collectivités sont donc associés à l'exécution du plan de relance. C'est la raison pour laquelle j'ai choisi d'intensifier mes rencontres avec les présidents de région et avec Régions de France. Ainsi, j'ai installé le Comité emploi-formation État-régions le 6 novembre dernier. Très prochainement, nous nous appuierons également sur les nombreuses initiatives portées par le bloc communal afin d'illustrer de manière concrète les dispositifs du plan « 1 jeune, 1 solution » grâce à des territoires pilotes.

Déjà, des signaux positifs de mobilisation nous remontent du terrain.

En août et septembre, nous enregistrons près de 700 000 embauches de jeunes de moins de 26 ans recrutés en CDD de plus de 3 mois ou en contrat à durée indéterminée (CDI), soit une hausse de + 1,3 % par rapport à 2019.

Les primes à l'embauche de jeunes montent en charge. Les premiers chiffres montrent que la dynamique est engagée, avec plus de 100 000 demandes de prime à date. Il nous appartient collectivement d'accompagner leur montée en charge.

Les perspectives de l'apprentissage sont également positives : les demandes de prime à l'embauche d'un apprenti ont, elles aussi, dépassé la barre des 100 000. On observe en outre une dynamique très positive des signatures de contrats, avec 314 000 contrats signés à mi-octobre, ce qui nous permettra d'atteindre le niveau historique de 2019, voire de le dépasser.

Pour amplifier ces résultats, je m'assurerai que les secteurs bénéficiaires de « France relance » s'engagent pour l'emploi, notamment à travers des clauses de marchés publics en faveur de l'apprentissage et de l'insertion.

La crise a rendu ce budget plus que jamais nécessaire. Face aux défis qui sont devant nous, nous devons être collectivement au rendez-vous de l'augmentation des moyens de formation et d'inclusion de tous dans l'emploi, redonner à nos concitoyens des perspectives d'avenir et conforter l'évolution vers une économie plus compétitive et plus solidaire.

Mme Frédérique Puissat . - La commission des finances a nommé deux rapporteurs sur cette mission, qui ont des points de vue diamétralement opposés : l'un a recommandé d'adopter ces crédits, l'autre de les refuser...

Vous avez dit, madame la ministre, qu'au budget socle s'ajoutaient les crédits du plan de relance. Le montant de ces derniers est intéressant, mais cela rend ce budget difficile à lire. La véritable gageure reste toutefois le pilotage de ces actions, notamment avec l'arrivée des nouveaux sous-préfets à la relance, qui percutent la gouvernance existante dans nos territoires.

Le budget de la mission « travail et emploi » est stable par rapport à 2020 et est même inférieur à ce qui sera consommé en 2020, compte tenu des lois de finances rectificatives. En revanche, de nombreux dispositifs relevant de la politique de l'emploi sont financés par le plan de relance. Si cela permet certainement d'afficher un plan de relance plus important, cela nuit à la lisibilité du budget par le Parlement, certains financements étant fragmentés entre deux missions. Faut-il en déduire que les dispositifs relevant du plan de relance en 2021 en faveur, notamment, des jeunes ou des publics en difficultés, sont exceptionnels et n'auraient pas été nécessaires si nous n'avions pas connu une crise sanitaire ?

Chaque année, nous constatons que le plan d'investissement dans les compétences (PIC) regroupe d'une part des crédits destinés à financer des dispositifs qui n'ont rien d'exceptionnel - je rends hommage à l'analyse qu'en faisait déjà Michel Forissier -, comme la garantie jeunes, et d'autre part des crédits dont l'utilisation est faiblement documentée, ce que la Cour des comptes a critiqué. Pouvez-vous faire le point sur l'utilisation des crédits du PIC en 2020 et en 2021, ainsi que sur les nouvelles modalités de gouvernance, sur lesquelles les partenaires sociaux nous ont alerté ?

L'article 56 du projet de loi modifie substantiellement l'esprit de la loi de 2018, en faisant du financement des contrats d'apprentissage une variable d'ajustement du budget de France compétences, alors que ses autres dépenses sont largement déterminées par l'État. Pouvez-vous nous rassurer sur la soutenabilité à court et à moyen terme de la politique de formation professionnelle et d'apprentissage, sur laquelle l'Igas et l'IGF ont émis des doutes ?

Pouvez-vous faire le point sur la situation de l'apprentissage et présenter les perspectives pour 2021 ? Quelle sera l'enveloppe accordée en 2021 aux régions au titre du soutien aux CFA, dont certains pourraient ne pas accueillir assez d'apprentis pour boucler leur budget de fonctionnement ?

Ce budget fait appel à certains outils de la politique de l'emploi que le Gouvernement avait abandonnés, les jugeant inefficaces pour lutter durablement contre le chômage. Je pense notamment au recours aux contrats aidés ou aux différentes aides à l'embauche, parmi lesquelles je classe les emplois francs. S'agit-il d'un choix pragmatique uniquement lié à la situation actuelle ou d'un revirement dans la politique du Gouvernement ?

La crise sanitaire a entraîné une explosion sans précédent de la dette de l'Unedic. Cette dette semble soutenable à court terme mais expose fortement notre régime d'assurance chômage à un risque de remontée des taux d'intérêt. Or une partie importante de la dégradation des comptes de l'Unedic résulte de décisions qui ont été prises par l'État - certes, pas seulement par votre gouvernement. Envisagez-vous de soulager l'Unedic d'une partie de sa dette ou de lui affecter des recettes supplémentaires ? Enfin, où en est la réflexion sur la réforme de l'assurance chômage ?

Mme Élisabeth Borne, ministre . - J'ai bien conscience que la coexistence du budget socle et du plan de relance, sans parler des dispositions du quatrième projet de loi de finances rectificative correspondant à des annonces récentes, complique la lisibilité de l'exercice. Nous nous efforcerons de vous en rendre compte le plus clairement possible.

Un certain nombre de dispositifs ne sont pas pérennes, telles les primes à l'embauche, activées déjà lors de précédentes périodes de crise. La prime de 4 000 euros, par exemple, est destinée à des entreprises poursuivant leur activité mais qui, confrontées à une grande incertitude, hésitent à embaucher. De tels dispositifs s'éteindront au début de l'année 2021. D'autres actions seront mises en oeuvre en 2021 et 2022.

Les emplois aidés sont bien adaptés à certaines situations, mais nous avons souhaité depuis le début du quinquennat en revoir le mécanisme, en en faisant non pas un outil de traitement statistique du chômage mais de véritables parcours d'accompagnement des jeunes vers l'emploi, ce qui suppose de les utiliser de façon modérée. C'est ce que nous faisons dans le cadre du plan « un jeune, une solution ».

Au-delà des dispositifs d'urgence, nous devrons réfléchir aux actions structurelles qui seront nécessaires. Qu'il s'agisse de l'accompagnement intensif des jeunes, du PACEA ou de la garantie jeunes, nous devrons simplifier l'accès de tous à ces dispositifs. Sans parler des trous dans la raquette identifiés lors des échanges avec les associations de jeunes ou de lutte contre la pauvreté - des jeunes diplômés par exemple. Je suis convaincu que nous devons nous doter d'un continuum de solutions d'accompagnement des jeunes, avec une gradation entre l'accompagnement vers l'emploi et l'accompagnement plus social, adaptable en fonction du profil du jeune.

S'agissant de l'utilisation des crédits du PIC, nous n'avons pas eu beaucoup de retours, ni même d'échanges, avec les partenaires sociaux sur un dispositif qui pourtant fonctionne bien. Le PIC disposait de près de 3 milliards d'euros d'autorisations d'engagements et de 2,6 milliards d'euros de crédits de paiement dans la loi de finances initiale pour 2020. Son utilisation est satisfaisante, puisque nous en sommes à 2,7 milliards d'euros engagés et 2,4 milliards d'euros de crédits de paiement. Les programmes de formation des personnes en recherche d'emploi pas ou peu qualifiés s'amplifient au travers des pactes régionaux : une trentaine de programmes de formation et d'accompagnement au niveau national, notamment sous la forme d'appels à projets d'innovation, sont en cours. Le PIC a connu une légère sous-exécution en raison de la période de confinement, mais nous en avons profité pour digitaliser notre appareil de formation, ce qui sera poursuivi dans le cadre du plan de relance. Nous devrons mieux faire connaître le PIC auprès des partenaires sociaux.

Cela montre que France compétences, avec sa gouvernance quadripartite, doit monter en puissance et prendre toute sa place dans le pilotage des différents fonds ; cette instance est encore jeune. La question de la soutenabilité de son budget devra être abordée en deux étapes. Des dispositions devront être prises dès 2021, sur lesquelles nous devrons consulter le conseil d'administration de France compétences, pour recaler à bon niveau les coûts de contrats. Leur augmentation de 11 % entre la fin 2018 et la fin 2019 montre que des ajustements sont possibles sans pour autant freiner la dynamique de l'apprentissage - il ne saurait en être question. En effet, caler ces coûts sur les besoins déclarés des CFA - qui par ailleurs n'ont pas toujours de comptabilité analytique - sans les inviter à remettre ces coûts en question a eu un effet inflationniste. Nous aurons à travailler sur un objectif de bonne gestion, en gardant cette volonté de poursuivre la dynamique de l'apprentissage. Une règle d'or est ainsi prévue dans le PLF pour France compétences.

Nous aurons tout autant besoin de la promotion par alternance (Pro-A) pour gérer la transformation des métiers dans les branches. Nous aurons aussi besoin d'accompagner les transitions individuelles comme le fait le CPF de transition, d'encourager la mutualisation au profit des plus petites entreprises... Nous devrons prendre le temps de regarder les choses, alors que nous avons plus que jamais besoin de mécanismes de formation tout au long de la vie. Dans le cadre du plan de relance, des crédits de l'État abondent la Pro-A, le CPF, ou le FNE-formation, qui sera très mobilisé pour former des salariés en activité partielle, en activité partielle de longue durée ou pour accompagner ce nouveau dispositif de transition collective. Nous devrons garder en tête l'importance de conserver tous ces outils assurant des parcours professionnels plus fluides pour nos concitoyens.

Je vous confirme que, comme pour l'ensemble des comptes sociaux, nous aurons à isoler l'impact de la crise sanitaire sur la dette de l'Unedic. Ces travaux sur la dette covid devront démarrer prochainement. Il s'agit de ne pas faire porter par l'assurance chômage des dettes exogènes à leur activité, comme cela avait été fait pour l'assurance maladie.

M. Philippe Mouiller . - Cette audition intervient pendant la semaine européenne de l'emploi des personnes handicapées. Quel bilan dressez-vous de la réforme engagée en 2018 et quelles sont les perspectives pour 2021 ? Je souligne l'augmentation des crédits dédiés à cette politique dans votre budget.

Pendant la crise, les entreprises adaptées ont vu leur chiffre d'affaires diminuer. Comment se traduisent dans le PLF les mesures annoncées à l'été dernier dans le cadre du plan de soutien aux entreprises ?

Nous avons constaté lors de la première évaluation de la réforme de l'obligation d'emploi des personnes handicapées, avec l'abandon de la notion de lourdeur du handicap, que les personnes les plus lourdement handicapées sont souvent laissées à côté du chemin de l'emploi. J'attire votre attention sur ce point de vigilance.

Mme Florence Lassarade . - Le travail étudiant a été affecté par la crise sanitaire, notamment dans un secteur comme la restauration. Quelles sont les mesures spécifiques envisagées en direction de ce public ?

Mme Victoire Jasmin . - Vous avez évoqué, et c'est positif, des « parcours d'accompagnement des jeunes vers l'emploi » et la notion de « continuum ».

En Guadeloupe, le site de la préfecture propose à 600 jeunes de 18 à 25 ans et même jusqu'à 30 ans des contrats en service civique pour 6 à 9 mois, rémunérés à hauteur de 500 à 600 euros, par exemple dans l'éducation nationale, sans condition de diplôme. Est-ce cela le « continuum » ? Peut-être est-ce une solution à court terme pour aider ces jeunes mais pensez-vous qu'il puisse s'agir d'une perspective pérenne de développement des emplois dans des territoires durement frappés par le chômage ? J'aurais souhaité une politique volontariste dans ces territoires dans le droit fil de la logique d'accompagnement des jeunes que vous mettez en avant, pour leur donner des perspectives sur le long terme.

J'attire par ailleurs votre attention sur la situation de cadres guadeloupéens diplômés ne trouvant pas d'emploi dans leurs territoires en raison d'un certain entre-soi en matière de recrutement, y compris dans les services de l'État. Nombre de personnes originaires des outre-mer se retrouvent ainsi exclues des postes à responsabilité alors qu'elles ont les compétences et les titres nécessaires. Je souhaiterais que cela cesse.

Mme Pascale Gruny . - Nous sommes sollicités par des jeunes se destinant à des métiers - comme la coiffure, l'esthétique ou la restauration - comportant une part importante de formation pratique, dont le déroulement est empêché par la crise sanitaire. Quelles mesures d'accompagnement sont prises pour eux ?

S'agissant du compte personnel de formation, vous avez souligné un nombre important de téléchargements mais seulement 136 000 formations sont acceptées. J'attire par ailleurs votre attention sur le fait que les opérateurs de compétences (OPCO) cofinancent de moins en moins depuis la réforme de la formation professionnelle.

Sur le programme 111, je regrette la diminution des crédits de l'ANACT (Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail) alors que les besoins en prévention sont énormes, que ce soit pour la prise en charge des troubles musculo-squelettiques, qui ne sont pas évoqués dans le projet annuel de performance, ou encore pour l'accompagnement des très petites entreprises dans l'élaboration du document unique de prévention des risques professionnels.

Je regrette enfin qu'il ne soit jamais question des seniors. Alors que l'on parle de l'allongement du temps travaillé, à 50 ans, quand on est au chômage, on est vieux aux yeux des recruteurs et on ne trouve pas d'emploi.

M. Olivier Henno . - Il est sans doute encore tôt pour faire le bilan de la douzième réforme de la formation professionnelle engagée depuis 1971. Quelle part de formation revient aux salariés des ETI (entreprises de taille intermédiaire) ? Est-elle suffisante pour accompagner les besoins de montée en compétences, très importants pour la compétitivité française ? Les enjeux de gouvernance de France compétences et de régulation ont été relevés en effet dans un rapport des inspections générales.

Mme Laurence Cohen . - Les primes à l'embauche pour certains publics (apprentis, jeunes, travailleurs handicapés) prennent fin normalement en mars 2021. Que va-t-il se passer au-delà de cette date pour ces publics ? Je pense notamment aux jeunes frappés durement par la crise actuelle. Que pensez-vous d'étendre le bénéfice du RSA aux jeunes de 18 à 25 ans ?

Alors que 800 000 suppressions d'emplois seraient dues à la crise selon l'Insee, la réforme de l'assurance chômage expose les demandeurs d'emploi à un risque de diminution de leur indemnisation. Allez-vous enfin abandonner cette réforme ?

Les moyens de Pôle emploi dépendent de plus en plus en plus des ressources de l'assurance chômage, ce qui accroît les difficultés de ce service public : que comptez-vous faire pour y remédier ?

Les moyens de fonctionnement de votre administration diminuent ces dernières années avec environ 200 suppressions de postes au ministère et dans les Direccte. Ces coupes dans les effectifs ne conduisent-elles pas à fragiliser ces acteurs dans l'exercice de leurs missions ? Je pense notamment à l'inspection du travail dont le rôle est essentiel mais pour laquelle il est de plus en plus difficile d'assurer le respect des droits des salariés.

Mme Élisabeth Borne, ministre. - Concernant l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés (OETH), je vous rappelle que cette réforme est entrée en vigueur au 1 er juin 2020 mais les déclarations des entreprises relatives à l'emploi des travailleurs handicapés pour l'année 2020 ne seront établies qu'au premier trimestre 2021. Nous ne sommes donc pas encore en mesure de connaître la situation pour cette année. Beaucoup de choses ne changent pas, telles que l'obligation d'emploi qui reste fixée à 6 %, la déduction pour adapter les moyens compensatoires au handicap pour le maintien dans l'emploi ou encore l'aide liée à la reconnaissance de la lourdeur du handicap. Ce qui change avec la réforme, c'est qu'il y a une responsabilisation de toutes les entreprises et une simplification des démarches déclaratives qui s'effectueront via la déclaration sociale nominative à compter du 1 er janvier 2021. En outre, on prend dorénavant en compte toutes les formes d'emploi, on valorise les bénéficiaires de l'OETH de plus de 50 ans ainsi que le recours à la sous-traitance auprès d'entreprises adaptées et d'établissements et services d'aide par le travail (ESAT). Dans le même temps, nous maintenons nos engagements en faveur des entreprises adaptées, qui bénéficient d'aides destinées à prendre en compte leurs éventuelles pertes de chiffre d'affaires. Ces aides exceptionnelles ont pu être mobilisées par les entreprises inclusives. En outre, l'appel à projets destiné à soutenir les structures d'insertion par l'activité économique et les entreprises adaptées a permis de faire émerger des projets intéressants et innovants. Nous avons pour objectif de passer de 40 000 à 80 000 personnes accompagnées par les entreprises adaptées et je crois que nous disposons des leviers pour y parvenir, notamment grâce aux moyens du fonds d'accompagnement à la transformation des entreprises adaptées. Le Haut-commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises y veille particulièrement.

Concernant la disparition des emplois étudiants, je rappelle que nous avons mis en place des mesures d'accompagnement pour les étudiants, dont les tickets pour les restaurants universitaires à 1 euro, même si leur fréquentation est en baisse. Je mentionne aussi l'aide exceptionnelle de 150 euros qui sera versée aux étudiants boursiers et aux jeunes bénéficiaires des aides au logement. Les dispositifs du plan jeunes et le service civique peuvent aussi être adaptés. Par ailleurs, il existe aussi le dispositif des volontaires territoriaux en entreprises (VTE), en particulier les « VTE verts », qui soutiennent l'embauche des jeunes dans les entreprises qui accompagnent la transition écologique. Pour autant, nous poursuivons le travail d'accompagnement des jeunes avec ma collègue Frédérique Vidal, notamment pour que les jeunes puissent renouveler leurs emplois étudiants. Nous menons aussi une réflexion sur le caractère complet de nos dispositifs d'accompagnement. Il en existe quel que soit le niveau de diplôme, par Pôle emploi et par les missions locales. Nous avons aussi mobilisé l'association pour l'emploi des cadres (APEC) pour les plus diplômés, pour lesquels la Garantie jeunes n'est pas un dispositif adapté. Je signale que nous avons eu près de 700 000 embauches de jeunes sur les mois d'août et de septembre soit plus qu'en 2019 sur la même période.

Madame Jasmin, je ne peux pas laisser dire qu'on fait du traitement statistique du chômage. Cela pu se faire par le passé avec le recours aux contrats aidés mais aujourd'hui je veille surtout à mettre en oeuvre des aides à l'embauches et des aides aux contrats d'apprentissage. Nous avons fait le choix de réactiver le recours aux contrats aidés mais à un niveau très modeste par rapport aux dernières années. Le service civique n'entre pas dans ce champ, il répond à des souhaits d'engagement de jeunes en faveur de l'intérêt général, pas de faire des petits jobs à bon compte ! Cela ne sert pas à masquer le chômage, ce n'est pas l'objectif.
Que le service civique réponde au souhait des jeunes de s'engager me paraît très important. C'est d'ailleurs très valorisé et cela favorise leur embauche.

J'entends ce que vous dites sur les discriminations à l'embauche. Nous allons continuer à lutter contre ces discriminations car on sait que les périodes de crise peuvent les exacerber. Nous sommes très mobilisés sur le sujet et nous avons prévu de relancer des opérations de testing pour les évaluer. N'hésitez pas à nous signaler les situations dont vous auriez connaissance ou à en faire part à la Défenseure des droits.

Madame Gruny, il y a effectivement un certain nombre de jeunes qui ont signé un contrat d'apprentissage dans des entreprises qui rencontrent des difficultés. Dans ce cas il est prévu que l'apprenti bénéficie de l'activité partielle et qu'il puisse continuer sa formation dans son centre de formation si l'entreprise est fermée. Dans cette situation, contrairement à ce que l'on a pu entendre, il n'y a pas de problème d'assurance.

Le CPF a permis de financer 1 million de formations. Compte tenu de la période que nous vivons, je pense que le dispositif monte bien en régime. Nous partagerons avec vous les statistiques à ce sujet.

Nous ne négligeons pas la question de l'emploi des seniors. Tous les dispositifs que nous mettons en place permettent, je crois, de faciliter le maintien en emploi, en tenant compte de l'évolution des technologies, par l'actualisation permanente des compétences tout au long de la vie.

Monsieur Henno, concernant la formation professionnelle, je sais que les partenaires sociaux étaient dans l'attente de l'installation de la gouvernance de France compétences, qui a été perturbée par la crise. Nous avons partagé avec les partenaires sociaux un premier retour sur la mise en oeuvre de la réforme, en s'accordant sur le fait que la régulation ne doit pas affaiblir des dispositifs importants, tels que le CPF, la reconversion par l'alternance dite « Pro-A » ou les fonds mutualisés au profit des petites entreprises. Dans le cadre des concertations de notre agenda social, l'un des thèmes qui a émergé est la situation des entreprises de 50 à 250 salariés qui n'ont plus accès à ces financements mutualisés. Nous n'avons pas de réponse pour le moment mais cela fait partie de nos chantiers avec les partenaires sociaux.

Pour répondre à Mme Cohen, les dispositifs que nous mettons en place sont spécifiquement destinés à répondre à la crise. Il faut éviter que les jeunes entrants sur le marché du travail ne soient une génération sacrifiée. Espérons que notre économie rebondisse après la crise, comme elle l'a fait au troisième trimestre. L'Insee a parlé de 650 000 destructions d'emplois dans le privé au premier semestre et de 340 000 créations d'emplois sur le même périmètre au troisième trimestre. La situation de l'emploi n'est certes pas formidable mais ce ne sont pas 800 000 mais 300 000 destructions nettes d'emploi que nous avons connues. La priorité est de soutenir les entreprises pour qu'elles traversent la crise et, ensuite, le plan de relance a pour objectif de faire repartir l'économie. Je suis convaincue que l'activité partielle a permis d'éviter de nombreuses suppressions d'emplois.

Nous avons dégagé des moyens supplémentaires pour Pôle emploi. 250 millions d'euros serviront au recrutement d'agents pour accompagner les demandeurs d'emploi. Une enveloppe de 70 millions d'euros financera l'accompagnement des jeunes par le dispositif « accompagnement intensif des jeunes ». Ces recrutements sont nécessaires pour ne pas faire exploser la taille des portefeuilles des conseillers de Pôle emploi.

Nous veillons par ailleurs à ce que Pôle Emploi puisse faire des recrutements nécessaires et avoir les moyens pour continuer à produire un accompagnement de qualité.

Dans ce contexte, la réforme de l'assurance chômage fait l'objet de concertations avec les partenaires sociaux. La crise n'invalide pas, au contraire, les fondamentaux de cette réforme. Nous devons inciter les employeurs à avoir des emplois de meilleure qualité. Quand nous voyons aujourd'hui les difficultés de ceux dont le modèle de vie est d'enchaîner les contrats courts et les périodes de bénéfice d'allocations chômage, je pense que cet objectif d'un emploi de meilleure qualité, et donc d'une meilleure rémunération, est un bon objectif. Nous devons adapter les différents paramètres, que ce soit sur la période d'ouverture des droits, sur le système de bonus/malus, sur les modalités de calcul de l'allocation ou sur la dégressivité. C'est le sens de la concertation que nous menons avec les partenaires sociaux. Nous allons essayer de trouver les meilleurs réglages sur ces différents paramètres pour mener cette réforme de l'assurance chômage dont les objectifs ne sont pas invalidés par la crise.

Mme Corinne Féret . - Ma première question concerne l'activité partielle. Dans mon département, le Calvados, un grand quotidien de l'ouest a titré : « activité partielle sans modération pour Carrefour. 78 000 salariés seraient concernés par un recours à l'activité partielle ». Serait-il possible d'avoir un bilan actualisé des contrôles et des fraudes à l'activité partielle ? Je sais que votre ministère est particulièrement vigilant, mais cet article m'a interpellée.

Je souhaite également vous interroger sur l'assurance chômage. Vous avez déjà répondu à ma collègue Laurence Cohen sur ce sujet. Si la mise en oeuvre de la réforme a été repoussée, cette fois au 1 er avril 2021, je pense que, maintenant plus que jamais, l'abandon de cette réforme apparaît nécessaire. Malgré la reprise amorcée au troisième trimestre, je ne sais pas si notre économie sera en meilleure forme au deuxième trimestre 2021. La deuxième vague de l'épidémie, avec ses conséquences économiques, a amplifié la fragilité d'un certain nombre de nos entreprises et fragilisé plus encore un certain nombre de travailleurs qui n'ont pu avoir d'activité. Je pense aux saisonniers et intérimaires ou encore aux secteurs du tourisme, de l'hôtellerie et de la restauration. C'est pourquoi je serais favorable, avec mon groupe, à l'abandon de cette réforme.

Enfin, ma collègue Pascale Gruny a évoqué la question de la santé au travail. Une grande loi sur la santé au travail avait été annoncée en 2018. Est-ce toujours d'actualité ? Je pense que oui. Compte tenu des conditions de travail qui évoluent aussi, je pense à la hausse du télétravail, aux nouvelles organisations du travail dues à la situation que nous subissons depuis plusieurs mois. Une loi est-elle envisagée dans les mois à venir ?

M. Martin Lévrier . - Un service public d'insertion par l'emploi fonctionnera dans 30 territoires à partir de 2021. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce dispositif universel qui tend à offrir des solutions personnalisées, modulables et de proximité aux entreprises qui en auront besoin ? Par ailleurs, si vous connaissez les 30 territoires, nous serions intéressés...

En outre, y aura-t-il des possibilités de synergies ou d'incitation entre les mesures de formation au service de la préservation de l'emploi et l'utilisation de « mon compte formation » ?

Mme Élisabeth Doineau . - Une aide exceptionnelle en faveur des contrats en alternance a été prévue. C'est une très bonne nouvelle, pour les jeunes, pour les entreprises et l'activité économique de nos territoires.

Cette prime exceptionnelle est ouverte pour l'embauche d'un apprenti préparant un diplôme jusqu'au bac+5 et son montant passe à 5 000 euros pour les mineurs et 8 000 euros pour les majeurs. Mais il reste une limite, et c'est sur ce point que je veux vous interroger : la taille de l'entreprise. Pour les entreprises de plus de 250 salariés, un quota de 5 % d'alternants doit être respecté dans les effectifs, quota qui peut être réduit à 3 % en cas d'augmentation d'au moins 10 % d'alternants.

Il se trouve que, parfois, des entreprises ont une maison mère ou sont éparpillées sur plusieurs territoires. Je trouve injuste que certaines entreprises qui n'ont que 50 salariés dans un territoire mais dépendent d'une plus grande, doivent respecter ce quota. Dans cette période difficile, peut-être serait-il utile de lever cette barrière. Cela pourrait permettre à des jeunes de bénéficier de l'alternance. Je rejoins ma collègue Laurence Cohen : le 28 février 2021 est sans doute une échéance bien trop rapide pour interrompre cette évolution qui me semble importante. Je pense que dans ce pays, nous n'avons jamais accompagné réellement les jeunes dans l'alternance qui est une vraie voie de l'excellence.

M. Daniel Chasseing . - Les crédits annoncés dans la mission et le plan de relance sont très importants et nous saluons cette hausse. Ils bénéficieront aux publics les plus fragiles frappés par cette crise sanitaire et économique. Nous approuvons l'augmentation des crédits des dispositifs d'insertion par l'emploi. C'est par l'emploi, par l'apprentissage, c'est par l'entreprise que nous pourrons avoir après la crise un rebond et des recettes pour la sécurité sociale, la retraite et l'Unedic.

Comment seront employés les crédits de la mission et du plan de relance ? Les seniors seront-ils intégrés dans les formations ? Peut-être par des emplois à temps partiel, en tant que tuteurs, pour la transmission du savoir-faire. Les entreprises adaptées ne sont pas accessibles aux travailleurs handicapés à partir du moment où ils ont pu travailler en milieu ordinaire. Je m'associe enfin à ce qui a été dit concernant les filiales des grandes entreprises, très importantes dans les territoires, qui devraient pouvoir davantage bénéficier de l'alternance.

Mme Marie-Pierre Richer . - Je souhaiterais formuler deux alertes. La première concerne l'industrie mécanique de précision qui travaille pour les secteurs de l'aéronautique et de l'automobile. Le département du Cher est particulièrement impacté et c'est le cas de ma commune, Dun-sur-Auron, avec une entreprise familiale, en pleine expansion, qui formait des jeunes du territoire. Ces PME ont aujourd'hui l'impression d'être laissées pour compte. Le chômage partiel tel qu'il est proposé ne répond pas à leur problématique. Elles n'ont plus de carnet de commande et sont conduites à licencier. Je pense à l'entreprise de ma commune mais il y en a d'autres. Qu'est-il prévu pour ces PME ? Y a-t-il un déficit de communication ? Je rencontre des entrepreneurs qui ont réduit leur salaire et essayent de sauver leur entreprise. Ils ont l'impression d'être face à un mur, et ce alors que des groupes passent des commandes à des fournisseurs étrangers.

Ma deuxième question concerne le télétravail. Cela peut être un plus, en effet. Mais je suis également alertée par des entreprises qui m'indiquent que cinq jours sur cinq, c'est aujourd'hui compliqué pour leurs salariés. Après le confinement, certaines personnes se sont retrouvées en situation difficile, il ne faut pas occulter cela. Je le dis, le télétravail est une opportunité, c'est une très bonne chose aussi pour nos territoires ruraux, mais il serait opportun de garantir une couverture numérique sur tout le territoire : il ne faut pas attendre 2025.

Mme Monique Lubin . - Je voudrais revenir sur les jeunes. Vous avez annoncé des mesures intéressantes : 100 millions d'euros supplémentaires pour les missions locales, l'extension de la Garantie jeunes qui est à mes yeux un excellent dispositif. Est-ce que ces mesures et budgets supplémentaires seront maintenus sur plusieurs années ? Même si l'emploi repart à la hausse, ce que nous souhaitons tous, nous le savons, cette crise aura des répercussions sur plusieurs années et des jeunes risquent de se retrouver en difficulté de manière assez durable. Je pense à des jeunes aujourd'hui lycéens qui ne peuvent pas suivre leur scolarité de manière sereine. Nous avons tous des exemples dans nos entourages. Certains rateront la sortie du lycée, auront des difficultés à trouver une orientation car ils n'auront pas fait un bon parcours. Ils seront des « clients directs » pour les missions locales. Je pense aussi à ces structures, qui vivent au gré des budgets, avec des crédits en plus et en moins et ont du mal à gérer leurs équipes. Comme pour Pôle emploi, ces équipes ont besoin, elles aussi, de sécurité.

J'avais également une question sur l'assurance chômage, qui a déjà été posée et vous y avez répondu.

Ma dernière question concerne les CDDU, des contrats précaires. Dans mon territoire, le département des Landes, l'emploi vient en majorité de trois secteurs : le thermalisme, le tourisme et l'agroalimentaire. Les trois secteurs sont aujourd'hui lourdement impactés. Le tourisme, comme dans d'autres territoires, le thermalisme car aucun établissement ne fonctionne. L'agroalimentaire, notamment du fait de la fermeture des restaurants et la menace d'une grippe aviaire qui serait la troisième en cinq ans... Je vous laisse imaginer les catastrophes économiques que cela pourrait engendrer. Vous avez dit plus tôt que l'un de vos objectifs était d'emmener les gens vers un emploi de meilleure qualité et donc, qu'il n'y ait pas quelques mois de travail puis du chômage. Je partage cet objectif. Mais dans certaines zones, nous avons autour de nous des gens qui vivent correctement, sans rien demander à personne, d'emplois intérimaires ou de courte durée. Ils font des saisons à la montagne, puis à la mer, puis vont dans l'agroalimentaire. Cette situation existe, j'imagine, partout en France. Ces gens vont d'un contrat à un autre, au gré des saisons, certains en vivent bien, ils ne demandent rien d'autre. Mais ils sont aujourd'hui sans rien, à la rue, sans possibilité de travailler et sans capacité donc de recharger des droits au chômage. Nous sommes dans l'impasse. Et je ne parle pas de l'événementiel ou des guides touristiques. Je renouvelle ma demande d'une année blanche pour ceux qui avaient des droits ouverts ou d'un dispositif qui permette permettre de vivre décemment en attendant que ces activités puissent repartir normalement.

Mme Brigitte Micouleau . - La crise sanitaire fait prendre conscience aux responsables politiques du rôle indispensable des services d'aide et d'accompagnement à domicile.

L'État a décidé de pérenniser une enveloppe financière de 200 millions d'euros dans le cadre du PLFSS.

Toutefois, il n'est pas compréhensible que ce soutien soit réservé à certains salariés ou à certains services. Il est nécessaire d'aligner le montant de la PCH dans cas de l'emploi direct d'un salarié ou du recours à un mandataire sur celui applicable dans le cas du recours à un service prestataire. Il est primordial que la prime « covid » soit étendue à tous les assistants de vie.

Par ailleurs, je connais une jeune personne qui a eu le courage d'ouvrir son salon de coiffure quelques jours avant le second confinement. Malgré la possibilité de recourir à l'activité partielle, elle se trouve dans une situation très difficile.

Mme Colette Mélot . - La multiplication des dispositifs peut nuire à leur lisibilité. Il faut que les services administratifs, et notamment les sous-préfets qui seront nommés pour mettre en oeuvre le plan de relance veillent à ne pas complexifier davantage le travail des artisans, commerçants et chefs de petites entreprises.

Mme Élisabeth Borne, ministre . - J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur les demandes de recours à l'activité partielle formulées par les entreprises du secteur de la grande distribution. Sur le principe, la fermeture d'un certain nombre de rayons peut entrainer une baisse de l'activité et donc le recours à ce dispositif.

Néanmoins, les demandes doivent être strictement proportionnées. J'ai donné des instructions en ce sens.

Nous poursuivons par ailleurs les contrôles, aussi bien a priori qu'a posteriori. Nous avons réalisé 357 000 contrôles, dont environ 300 000 a priori. Ces contrôles ont mis en évidence 11 500 suspicions de fraude. Je ne parle pas là des erreurs de bonne fois mais de vraies tentatives d'escroquerie. Nous travaillons en étroite collaboration avec les services fiscaux. L'activité partielle représente une masse de plusieurs dizaines de milliards d'euros, et il est important que cet argent public soit utilisé à bon droit.

- Présidence de M. Olivier Henno, vice-président -

Mme Élisabeth Borne, ministre . - Les principes de la réforme de l'assurance chômage me semblent toujours pertinents. Pour autant, il est vrai que la crise a créé des difficultés notamment pour les personnes qui avaient l'habitude d'enchaîner les contrats courts. Cette problématique n'est pas propre à tel ou tel secteur, il faut donc une réponse transversale.

J'ai incité les employeurs du secteur de la montagne qui recourent à des contrats saisonniers renouvelables chaque année en application de dispositions législatives ou de conventions de branche à signer ces contrats pour la saison à venir, quitte à recourir à l'activité partielle.

Sur la santé au travail comme sur le télétravail, des négociations sont en cours entre les partenaires sociaux. Il me semble nécessaire de respecter ce temps de la concertation. Nous pourrons le cas échéant traduire les résultats de cette concertation dans la loi.

Les enquêtes montrent qu'une majorité de salariés qui sont passés en télétravail intégral souhaiteraient revenir dans leur entreprise au moins une journée par semaine. Nous allons probablement devoir maintenir une part de télétravail exceptionnellement élevée au début de l'année 2021, mais il nous faudra tenir compte de ces retours.

Nous avons une ambition forte s'agissant de l'expérimentation du service public de l'insertion et de l'emploi (SPIE) dans 30 départements volontaires. Nous allons lancer un appel à manifestation d'intérêt. Il s'agit de coordonner les acteurs de terrain, de mettre en place un référent unique et de mettre en place un diagnostic social et professionnel ainsi qu'un suivi du parcours dans la durée. J'attends beaucoup de ce chantier que je porte avec Brigitte Klinkert.

S'agissant du CPF et des mesures que nous mettons en place pour faciliter le retour à l'emploi, je pense que tout s'articule bien. Le CPF donne accès à toutes les formations mises en place dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences (PIC) ; il est ainsi possible de localiser toutes les formations, gratuites, accessibles autour de soi. En outre, dans le cadre du plan de relance, le Gouvernement a prévu des abondements du CPF pour des formations de base dans le domaine du numérique ou d'autres secteurs stratégiques. Le CPF devrait monter en puissance, notamment au travers de l'abondement par les entreprises, qui est désormais possible, et par les régions d'ici la fin de l'année. Pôle emploi en fait également un outil d'accompagnement des demandeurs d'emploi ayant des besoins en formation. Ce sera donc de plus en plus un outil universel en matière de formation.

S'agissant des interrogations de Madame Doineau, je ne pense pas que les critères que nous avons prévus pour le bénéfice de la prime exceptionnelle soient trop restrictifs. D'ailleurs, les chiffres sur l'apprentissage me donnent confiance. À cet égard, la communication sur les primes a été efficace, le coût d'un apprenti devenant quasiment nul pour l'employeur la première année, ce qui a amené de nouveaux employeurs à s'y intéresser.

J'ai entendu les questions sur les prêts garantis par l'État. Les dossiers individuels méritent sans doute un examen particulier mais j'ai prévu de faire un point plus général sur les dispositifs d'aide dont bénéficie le secteur de l'aéronautique avec le groupement des industries françaises aéronautiques (Gifas). Il est important que cela ruisselle des grands vers les moins grands. Bien sûr, toutes ces entreprises sont très percutées par la crise actuelle, avec des perspectives de reprise qui restent floues, au moins sur les vols long courrier.

Madame Lubin, en ce qui concerne la garantie jeunes, le Gouvernement n'a pas tout misé sur un seul dispositif mais dispose plutôt d'une palette de dispositifs qui s'inscrivent dans la durée. Notre idée est qu'à partir de 18 ans, tout jeune qui suit une formation qualifiante pour aller vers l'emploi dispose d'une rémunération de l'ordre de 500 euros par mois, quel que soit son parcours - et ces parcours sont très divers. Le Gouvernement compte d'ailleurs amender l'un des textes financiers en cours d'examen par le Parlement afin de combler les quelques « trous dans la raquette » qui subsistent.

Je suis par ailleurs consciente du décrochage de certains lycéens à l'occasion de la crise actuelle. C'est pourquoi nous avons conçu avec l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) un dispositif spécifique pour les 16-18 ans. Il s'agit d'un accompagnement de 35 000 décrocheurs - dont une première promotion de mille jeunes d'ici quelques jours - dans lequel ces jeunes qui n'ont pas encore bâti un projet professionnel pourront découvrir différents métiers pendant quatre mois. Ils pourront ensuite s'orienter vers l'apprentissage ou vers un autre dispositif qui complètera leur qualification.

S'agissant des aides à domicile, Madame Micouleau, le sujet relève davantage de la compétence d'Olivier Véran et de Brigitte Bourguignon, au ministère des solidarités et de la santé. Mais je pense qu'il y a dans ce domaine un gisement d'emplois, bien au-delà de la crise actuelle. Le rapport de Myriam El Khomri a mis en lumière ce qui reste à faire en termes de revalorisation, de parcours professionnel ou de validation des acquis d'expérience pour les personnels concernés. C'est un chantier que nous devons prendre à bras-le-corps entre le ministère chargé de l'enseignement supérieur, le ministère des solidarités et de la santé et mon ministère.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

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