Avis n° 140 (2020-2021) de MM. Jean-Pierre GRAND et André GATTOLIN , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 19 novembre 2020
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Synthèse du rapport (1,1 Moctet)
N° 140 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021 |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2020 |
AVIS PRÉSENTÉ au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2021 , |
TOME I ACTION EXTÉRIEURE DE L'ÉTAT : Action de la France en Europe et dans le monde (Programme 105) |
Par MM. Jean-Pierre GRAND et André GATTOLIN, Sénateurs |
(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Olivier Cigolotti, Robert del Picchia, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Cédric Perrin, Gilbert Roger, Jean-Marc Todeschini, vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Philippe Paul, Hugues Saury, secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mme Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Ludovic Haye, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, Gérard Poadja, Mme Isabelle Raimond-Pavero, MM. Stéphane Ravier, Bruno Sido, Rachid Temal, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard, Richard Yung. |
Voir les numéros : Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 3360 , 3398 , 3399 , 3400 , 3403 , 3404 , 3459 , 3465 , 3488 et T.A. 500 Sénat : 137 et 138 à 144 (2020-2021) |
SÉCURITÉ DES AMBASSADES ET SOUTIEN DU MULTILATÉRALISME : DES PRIORITÉS À RENFORCER
Avec une augmentation de crédits de 3,65 % en 2021, le budget du quai d'Orsay est-il à la hauteur des enjeux ? La violence fanatique ayant frappé à plusieurs reprises les emprises et symboles français à l'étranger, la loi de finances pour 2021 donne-t-elle au ministère les moyens de sécuriser personnels, biens et intérêts français ? Le positionnement de la France en faveur du multilatéralisme pour garantir la stabilité internationale, permettre le règlement des conflits par le droit, agir en faveur du climat, trouve-t-il assez de traduction concrète au sein d'un programme dont plus de 70 % des crédits sont déjà « fléchés » ? C'est à ces questions que répond le rapport pour avis de la commission des affaires étrangères et de la défense.
I. PRIORITÉ ABSOLUE À LA SÉCURISATION DES EMPRISES FRANÇAISES À L'ÉTRANGER
Les défis sont majeurs en matière de sécurisation du réseau français à l'étranger, 3 ème réseau diplomatique et consulaire au monde , après ceux des Etats-Unis et de la Chine, 1 er réseau culturel, avec près de 1 000 sites , instituts culturels, instituts français de recherche, alliances françaises, et 1 er réseau scolaire, avec 500 établissements . Les représentations de la France à l'étranger, tant diplomatiques que consulaires ou culturelles, et les personnels qui y travaillent, font l'objet de menaces ou de passages à l'acte qui impliquent de continuer et affiner la veille sécuritaire, et de poursuivre la politique de sécurisation des implantations françaises à l'étranger.
Source des photos : Sirpa sur le site du Ministère des Armées
Outre l'importance du réseau déployé à travers le monde (voir les deux cartes ci-contre et ci-dessous, les points rouges représentent les ambassades et les points verts les consulats généraux.) la politique étrangère de la France, en cohérence avec sa politique de défense , qui se traduit par les interventions militaires au Sahel ou au Levant, expose les intérêts français à l'étranger et fait de la France une cible privilégiée .
La Direction de la sécurité diplomatique en charge de la doctrine de sécurité du réseau diplomatique depuis 2017 a été auditionnée par vos rapporteurs le 17 novembre 2020.
Il en ressort que les moyens affectés à chaque poste s'appuient sur une classification des pays en 5 catégories en fonction du niveau de menace. Cette doctrine prévoit un socle minimal à partir duquel des mesures de protection additionnelles sont ajoutées en fonction des niveaux croissants de menaces, et conditionne la programmation des travaux de sécurité ainsi que le déploiement des effectifs de gardes de sécurité diplomatique, (soit 475 ETP policiers et gendarmes français dont la rémunération est prise en charge par le MEAE).
Les crédits affectés à la sécurisation des emprises à l'étranger sont ceux dits de « sécurité passive » , soit 204 millions depuis 2015 ainsi répartis : 26 millions, sur les années 2015 et 2016, 44 millions en 2017, 45 millions en 2018, 49 millions en 2019 pour un effort porté en priorité sur la bande sahélo-saharienne et les pays voisins , 43 millions en 2020 et 42,4 millions en 2021 (16 millions d'euros au titre du P105 auxquels s'ajoutera le dernier versement de 26,4 millions d'euros, financement exceptionnel issu du compte d'affectation spéciale-CAS 723, c'est-à-dire de la vente des biens immobiliers à l'étranger).
Pour des raisons de sécurité évidentes, le détail des travaux et des crédits ne sera pas ici détaillé. Après le plan 2008-2015, largement dépassé par l'accroissement des menaces et l'extension de son champ d'action à l'ensemble du réseau français, un plan quadriennal exceptionnel de 179 M€ a été établi pour la période 2017-2020, étendu à 2021 en raison de la pandémie de Covid. Son avancement est encourageant, puisqu'en en 2021, la totalité des emprises dans les pays à risque sera sécurisée . Deux points d'attention doivent faire l'objet du suivi attentif de la commission dans les années à venir : le financement de la sécurité passive et son champ d'application .
Ce financement a subi les contraintes budgétaires et a bénéficié d'un montage permettant à la fois de maintenir le budget du P105 dans l'enveloppe budgétaire contrainte qui été la sienne et d'accélérer le rythme des investissements de sécurisation des emprises à l'étranger :
Le financement par avance du CAS a permis de répondre à l'urgence, mais présentait trois inconvénients majeurs :
- le P105 a bénéficié de 64,6 M€ au titre du CAS, le reste devant permettre de sécuriser les établissements scolaires. Mais, la charte de gestion du CAS ne permet de financer que les dépenses relatives à l'immobiliser d'État , ce qui a rendu quasiment impossible l'utilisation des crédits dédiés à l'AEFE,
- cette charte de gestion limite les engagements aux seules dépenses d'immobilier . Les dépenses éligibles ne comprenaient notamment pas les systèmes de vidéo-surveillance , ou autre outil numérique , pourtant essentiels à la mise en sécurité des emprises à l'étranger,
- enfin, et ce n'était pas le moindre défaut, il gageait ces crédits, qui n'étaient qu'une avance, au remboursement par versement du produit des cessions immobilières . Le mécanisme était encore plus désavantageux, puisque le produit d'une vente ne pouvait être affecté en globalité au remboursement, mais seulement pour moitié .
Le ministère bénéficie de la reconduction sur 2021-2025 des droits de retour à 100% sur le produit de ses cessions, décidée en 2017. Dès l'année prochaine, le remboursement devrait se dérouler de la manière suivante : sur la totalité des encaissements relatifs aux cessions, 50% seront dédiés au CAS723 pour le remboursement de l'avance tandis que l'autre moitié reviendra au P105 au titre des droits de tirage, afin de financer d'autres projets immobiliers.
Afin de consolider la mise en place de ce mécanisme de remboursement, le MEAE a transmis à titre de garantie à Bercy, une liste de futures cessions évaluée à 143 M€ (par le MEAE). Cette liste déjà conséquente ne couvre pas l'avance de 100 M€. Ceci fera l'objet d'un développement ultérieur.
Sur 64,9 M€ dédiés à la sécurité en 2021 au titre du P105, 12,7 M€ bénéficient à la sécurisation des emprises en France (Quai d'Orsay et site nantais) et 52,2 M€ à la sécurisation des emprises à l'étranger. Dans cette enveloppe , les crédits de sécurité passive ne représentent que 20 M€ dont 15,9 M€ d'investissement grâce à une mesure nouvelle allouant 7,4 M€ à ce poste en 2021 (les autres dépenses sont dédiées au gardiennage 19 M€, à l'achat de véhicules blindés et à la mission d'audit pour respectivement 5,3 et 5,1 M€, et les frais de déménagement des gendarmes pour 2,4 M€).
Ce « rebasage » budgétaire semble très modeste aux regards des enjeux de sécurité. Le niveau de crédits budgétaires consacrés à la sécurité n'a pas retrouvé son niveau de 2018, soit 78 M€, soit un écart de 13,1 millions d'euros. La rebudgétisation des crédits de sécurisation était indispensable, vu les inconvénients du financement par le CAS, mais le niveau des crédits budgétaires devra augmenter au rythme des besoins, « hors enveloppe » du ministère. La sécurité du réseau est indispensable à la crédibilité de la politique étrangère et ne dépend pas que du MEAE.
Enfin, le champ d'application des travaux de sécurisation des emprises ne doit pas se limiter aux plus hauts degrés de menaces identifiées par la doctrine de la sécurité diplomatique . En Grèce, de multiples atteintes contre nos emprises ont été recensées, tant des dégradations mineures (tags, jets de pavés, ...) que des attaques majeures : en 2016, un attentat à la grenade à l'ambassade à Athènes, en 2017, des incendies criminels à l'école française d'Athènes et à l'Institut français de Grèce ainsi que des dégradations à l'Institut français de Thessalonique, et, en 2018, un repérage hostile des protections de notre ambassade. Les atteintes subies, comme les attentats récents à Vienne, rappellent la nécessité de ne pas négliger la sûreté de nos emprises et de nos personnels en Europe et dans le monde occidental en général .
II. LES DANGEREUSES IMPASSES DE LA POLITIQUE IMMOBILIÈRE
Les crédits pour l'immobilier à l'étranger sont portés à 80,3 M€ et augmentent de 26,9 M€ (+33%) en 2021 . L'essentiel de cette hausse concerne l'immobilier à l'étranger (+25,8 M€) et plus particulièrement une mesure nouvelle de 24,2 M€ qui doit notamment permettre au titre de l'entretien lourd la rénovation des ambassades en Italie et en Grèce et le remplacement des systèmes de climatisation à Riyad et Djeddah.
Les crédits d'entretien lourd atteignent 41,6 M€ en 2021 , alors que les besoins annuels du MEAE dans ce seul domaine sont compris entre 60 et 80 millions d'euros par an vu l'étendue du patrimoine concerné.
La dotation d'entretien et maintenance des implantations à l'étranger est passée de 2 M€ en 2015, à 7 M€ en 2016, 12 M€ en 2017, 8 M€ en 2018, à 9 M€ en 2019, puis 5 M€ en 2020, à 9 M€ en 2021. Les besoins dans ce domaine peuvent varier naturellement, mais la variabilité de la dotation semble tenir plutôt des contraintes budgétaires pesant sur le budget du ministère que de l'adéquation avec les besoins constatés .
La politique immobilière à l'étranger est à réinventer de toute urgence . Elle est grevée par le choix qui a été fait pendant plusieurs années de faire dépendre l'entretien normal des bâtiments des recettes exceptionnelles de cessions d'immeubles .
Ce système qui revient à appauvrir l'État a en outre été en partie capté par le désendettement de l'État jusqu'en 2017 à hauteur de 207 M€. Il est en voie d'essoufflement au point qu'il est désormais nécessaire , pour pallier le manque à financer dû aux cessions non réalisées , d'augmenter les crédits budgétaires.
Le système de financement des dépenses de sécurisation par avance des crédits du CAS pose un réel défi : pour rembourser les 100 M€ prévus, vu le mécanisme mis en oeuvre, ce ne sont pas 143 M€ qui sont nécessaires et correspondent au plan de cessions présenté par le MEAE mais 200 M€ de produits de cessions qui seraient nécessaires, sous réserve que le retour à 100 % au MEAE de ces ventes reste garanti, ce que la commission soutient vivement.
Or les plus belles cessions ont déjà été réalisées. De 2006 à 2014, 194 ventes ont été signées pour un montant total de 503,12 M€ . Le rythme annuel de ventes s'est ralenti après 2015, et la vente d'une partie du vaste campus diplomatique en Malaisie, à Kuala Lumpur, amenant le produit de cessions, cette année-là, à un peu plus de 230 M€.
L'encours espéré était de 45,5 M€ en 2020, mais dans le contexte de crise sanitaire internationale 1,4 M€ seulement a pour l'heure été enregistré (vente de l'ex-trésorerie à Dakar et de la villa des Affaires maritimes à Abidjan). La vente du Terrain des Marchands de légumes à Beyrouth pour 19,7 M€ est remise en cause du fait de la pandémie, tout comme la vente de l'ancienne ambassade d'Assomption initialement estimée à 3,3 M€ pour laquelle une offre à 1,5 M€ avait finalement été proposée. Trois ventes sont toutefois en cours de réalisation (vente du CEMCA au Mexique, vente de l'ancienne résidence à Nairobi, et vente de terrains en Jamaïque) et pourraient aboutir d'ici la fin de l'année 2020. Leur montant estimé s'élève à 12,6 M€.
En 2021 , les produits de cessions escomptés pourraient permettre de rapporter près de 26 M€. Cette prévision s'appuie pour plus de la moitié sur la vente d'un immeuble de logements à New York (14 M€) qui aurait dû être vendu cette année mais dont la procédure de vente a été annulée du fait de la crise sanitaire. Les autres ventes envisagées concernent notamment l'immeuble du Consulat à Séville (1,7 M€), un immeuble à Berne (2,6 M€), l'ancienne section consulaire à Athènes, l'ancienne Ambassade de Namibie et des logements de fonction à Copenhague (3,2 M€), Rome et Nairobi (1,6 M€).
La commission s'est déjà prononcée contre le principe de la vente des biens immobilier du quai d'Orsay. Sa faisabilité est en outre aujourd'hui en cause.
Le plan de cession de 140 M€ soumis en gage par le MEAE à Bercy a déjà pris du retard. Il est essentiel que les remboursements de l'avance pour dépenses de sécurisation ne soient réalisés qu'au fur et à mesure des cessions . Si la pandémie devait retarder les ventes, le remboursement devrait également être reporté.
Faire face à ce besoin de financement de la politique immobilière implique de l'imagination . La piste des mutualisations et les colocalisations , a été explorée. C'est avec le Service européen d'action extérieure que les projets sont les plus aboutis au Timor oriental, au Rwanda, au Soudan du Sud, au Honduras, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, au Canada (Assomption au Québec), et en Turquie (Gaziantep), et au Nigéria. Les colocalisations avec l'Allemagne sont effectives en Chine, en République du Congo, en Corée du Nord, au Brésil, en Érythrée, au Brunei, au Koweït, au Bangladesh (à venir : Khartoum).
D'autres pistes doivent être explorées et les services sont interrogés avec précision sur la possibilité de mettre en oeuvre des financements innovants, comme les collectivités territoriales ont su le faire.
Enfin, le projet immobilier relatif à la rénovation du Quai d'Orsay, dit QO21 semble en meilleure voie qu'il n'était. Il a été adapté à la décision de la ville de Paris de fermer le restaurant administratif qui accueillait les personnels et intègre un restaurant administratif sur l'emprise . Le projet a été validé en comité stratégique interministériel au mois de juillet, l'avant-projet définitif est attendu pour mars 2021, la fin des travaux interviendrait en 2024 pour les bâtiments et 2025 pour la nouvelle tranche du restaurant. Selon les informations communiquées, l'enveloppe budgétaire du projet global n'aurait pas augmenté, ce qui fera l'objet d'un suivi attentif tout au long de l'exécution des travaux .
III. POUR UNE POLITIQUE VOLONTARISTE EN FAVEUR DU MULTILATÉRALISME
Le programme 105 est le programme support du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Il regroupe toutes les dépenses de fonctionnement des services en administration centrale et des implantations à l'étranger ainsi que les contributions obligatoires de la France aux organisations européennes et internationales et aux opérations de maintien de la paix (CI-OMP). Cette structure budgétaire, illustrée ci-contre, laisse très peu de marge de manoeuvre pour piloter la politique mise en oeuvre dans le cadre du P105.
Sur les 676,2 M€ dédiés aux CI-OMP, les 15 principales contributions représentent 605,68 M€ des crédits du P105. Ces CI-OMP auxquels sont ajoutés les 40,5 M€ du Conseil de l'Europe sont présentées dans le tableau ci-après.
Alors que les deux tiers de ses dépenses sont déjà « fléchées », le P105, instrument de pilotage de la diplomatie française, se déploie dans un environnement de plus en plus imprévisible et instable . La pandémie de COVID est un accélérateur de cette imprévisibilité dont les germes sont plantés depuis quelques années déjà, qu'il s'agisse de l'affaiblissement du multilatéralisme ou de l'exacerbation des revendications nationalistes. Les élections américaines ne constitueront vraisemblablement pas un remède au désengagement américain de notre environnement de sécurité. L'affirmation de la politique de puissance de la Chine, en Asie mais aussi en Afrique notamment, pose de vrais défis aux intérêts européens. Enfin, les crises touchent notre voisinage immédiat que ce soit en méditerranée orientale ou dans le Haut-Karabagh.
Le 22 octobre 2020, les informations transmises par le secrétariat de l'ONU sur la place de la France dans le triennium 2017 -2019 sont alarmantes. La somme des contributions volontaires et obligatoires françaises la place au 10ème rang des contributeurs des agences onusiennes, avec une participation annuelle de 1,1 milliard d'euros, dix fois inférieure à la contribution américaine, 1 er contributeur avec 10,5 milliards d'euros par an. Arrivent ensuite l'Allemagne, au deuxième rang, avec une contribution 4 fois supérieure à la nôtre, de 4,1 milliards, et le Royaume-Uni, au 3 ème rang, avec 3,6 milliards, puis, le Japon, la Suède, la Chine, la Norvège, le Canada, et les Pays-Bas (avec 1,2 milliard par an). Notre classement en tant que contributeur dans le triennium 2018-2020, devrait être moins bon.
La quote-part de la France au budget de l'ONU se réduit peu à peu, en raison de nos résultats économiques, passant de 6,03% sur la période 2004-2006 à 4,43% sur 2019-2021 . Pour rester dans le classement des 10 premiers contributeurs à l'ONU, il faudrait fournir un effort de plusieurs centaines de millions d'euros .
Parallèlement à l'érosion de notre rang de contributeur, plusieurs États manifestent leur volonté d'augmenter leurs contributions dans les organisations internationales , souvent avec l'ambition, affichée ou non, d'obtenir en contrepartie des postes de responsabilités. Le poste du Secrétaire général adjoint aux opérations de paix sera renouvelé en 2022. Il est traditionnellement occupé par un Français, Jean-Pierre Lacroix en l'occurrence, mais la concurrence s'affirme.
Ces évolutions risquent d'avoir un impact négatif sur la capacité de la France à peser à l'avenir sur les orientations des organisations internationales . Un certain décalage a pu être observé en raison de l'écart entre l'activisme diplomatique français et notre contribution réelle. Notre pays, à la manoeuvre politique et diplomatique, s'est retrouvé dans la gestion de certaines crises humanitaires 10 fois moins disant que nos partenaires européens. Notre capacité d'entrainement vis-à-vis de nos partenaires européens pourrait s'en ressentir cruellement . Ce serait d'autant plus regrettable que nos OPEX requièrent la participation de ces partenaire s et des organisations internationales, pour que l'action militaire puisse aboutir à des solutions politiques et de développement économique durables.
C'est dans ce contexte qu'en 2021 les contributions obligatoires de la France aux organismes internationaux diminueront de 16 M€ , grâce à un renforcement de l'euro face au dollar, qui réduira le coût des contributions versées en devises en 2021. Le MEAE a négocié de haute lutte avec Bercy une mesure nouvelle de 17,2 M€ au bénéficie des contributions volontaires du P105 . Elle sera principalement consacrée au renforcement de l'influence de la France dans les organisations dédiées à la sécurité internationale .
La contribution à l'AIEA (agence internationale à l'énergie atomique) bénéficiera au financement de missions de vérifications supplémentaires en Iran prévues par l'accord, et au renforcement de la sécurité contre le terrorisme nucléaire dans des pays tiers. Le concours supplémentaire à l'OIAC (Organisation pour l'interdiction des armes chimiques) sera dédié en priorité au fonds spécial pour les missions en Syrie en vue de la destruction complète du programme chimique syrien, et au fonds spécial pour la cybersécurité de l'OIAC. Enfin, les crédits dédiés à l' OSCE financeront la participation française aux missions d'observations électorales, notamment en Ukraine. Le fonds de consolidation de la paix de l'ONU bénéficiera de crédits supplémentaires au profit d'interventions flexibles et ciblées en fonction des besoins du terrain, dans le Sahel notamment, et dans les Balkans.
Le programme des jeunes experts associés (JEA) de l'ONU financera de jeunes chercheurs français ou de jeunes professionnels français pour les mettre à disposition des institutions onusiennes. Enfin, les moyens supplémentaires alloués aux organes juridiques des Nations-unies permettront de promouvoir la conception française du droit .
Grâce au travail de priorisation du MEAE, les crédits supplémentaires sont orientés vers des actions phares porteuses d'un réel sens politique et d'un effet de levier efficace en termes d'influence .
La commission dressera un bilan de l'impact de ces contributions supplémentaires , s'il est à la hauteur des promesses, il plaidera pour le renforcement et l'inscription dans la durée de cette politique de contribution volontaire supplémentaire dans le champ du P105 .
C'est un levier d'influence , conforme à l'ambition de rayonnement porté par la commission, c'est également un signal à l'usage de nos partenaires, comme de nos concurrents stratégiques.
IV. LES LEÇONS À TIRER DE LA PANDÉMIE : DES PERSONNELS REMARQUABLES, À L'INVESTISSEMENT EXCEPTIONNEL
La fin de la déflation des effectifs du P105 pour la première fois depuis 20 ans doit être saluée et doit se poursuivre . Les 13 563 agent s du Quai ne représentent que 0,55% de la fonction publique d'État et animent le 3ème réseau diplomatique mondial .
Les efforts exceptionnels dans leur ampleur et leur durée fournis par les personnels du réseau diplomatique (dont le rapatriement des 370 000 Français à l'étranger lors de la première vague de la pandémie) sont la preuve de l'engagement, du dévouement et de l'efficacité des femmes et des hommes qui oeuvrent pour la diplomatie française et pour nos concitoyens, expatriés ou de passage, à l'étranger .
Ils sont aussi la preuve la politique de réduction des effectifs a désormais atteint ses limites. Le gouvernement a entendu l'inquiétude de la commission exprimée à de nombreuses reprises et a décidé de suspendre l'application de la réforme de mutualisation des effectifs des ministères à l'étranger « AP22 », appliquée à 80%. Ce sont ainsi 400 ETP qui n'ont pas été supprimés. Dans le contexte actuel, la commission considère que cette décision doit être considérée comme définitive .
La pandémie a mis en évidence la fragilité des « Postes à présence diplomatique » (PPD) qui reposent sur l'appui des services régionaux . Ce modèle a démontré ses limites lorsque les connexions aériennes ont été fermées pendant plusieurs mois .
Sur la base de ce constat, il ne saurait être envisagé de transformer de nouveau des ambassades en PPD , sans fragiliser gravement l'universalité du réseau français , alors même que Le Royaume-Uni et l'Allemagne développent leurs réseaux diplomatiques, augmentent leurs crédits et leurs effectifs.
La pandémie a démontré également l'importance des agents de droit local qui sont devenus plus nombreux au fur et à mesure que les effectifs du ministère diminuaient. Leur investissement pendant la crise a été exemplaire , et l'ouverture à leur destination d'un concours de troisième voix de niveau adjoint doit être saluée . Leur exposition aux risques alors que la réimpression des caricatures a été l'occasion d'une nouvelle flambée d'agressivité et de violence contre les personnels et les emprises françaises, ne peut être ignorée . Les services interrogés sur ce sujet, notamment après l'agression qui a eu lieu à Djeddah, ont apporté les réponses suivantes : des salles de sûreté sont aménagées en tenant compte des effectifs d'ADL, les autorités locales, lorsque leur aide s'avère nécessaire, sont sensibilisées à la question de la protection des ADL.
Enfin, la crise sanitaire a montré que le réseau diplomatique, habitué à travailler ensemble et à distance à la fois a pu compter sur son réseau numérique .
Son renforcement est une priorité pour améliorer les performances, pour offrir, notamment lorsque les déplacements ne sont pas possibles, de plus larges services en ligne et enfin pour renforcer la sécurité du réseau.
Sont ainsi prévus 8,8 M€ supplémentaires , soit une augmentation de 22% des crédits dédiés à la numérisation. La dotation de la Direction numérique atteindra ainsi 40,5 M€ en 2021. Un plan pluriannuel de 13 M€ est engagé.
EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 25 novembre 2020, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » de la mission « Action extérieure de l'Etat ».
Après l'exposé des rapporteurs, un débat s'est engagé.
M. Christian Cambon, président. - Je suis étonné de voir que nous augmentons notre contribution à l'AIEA pour mener à bien des missions de contrôle en Iran, alors que le traité est mal en point.
M. Olivier Cadic. - Je souhaite appeler à la plus grande vigilance lorsque nous posons un diagnostic sur les modalités de communication à l'égard des Français à l'étranger lorsque des attaques se produisent, comme cela a été le cas à Djeddah. Dans la boucle des Français à l'étranger, l'information a circulé tôt car une élue française était présente sur les lieux, dans le cimetière où a eu lieu l'attentat. Les ressortissants américains qui vivent en Arabie saoudite ont reçu en très peu de temps, moins d'une heure, un message sur l'application WhatsApp donnant des informations précises sur l'évènement. Une heure plus tard un tweet de l'ambassadeur américain précisait les lieux à éviter. Nos ressortissants n'ont pas eu d'information. Une information est passée dans les médias et ensuite, il a été diffusé un avis de vigilance « urbi et orbi » dans le monde entier. J'ai proposé lors de la réunion du bureau de notre commission que nous nous penchions sur ce sujet. Chaque rapporteur peut se pencher sur cette question. Pour ma part, dans mon champ de compétence, je m'interroge sur les moyens techniques de communication choisis. Pourquoi précédons-nous par SMS, au lieu d'utiliser des applications ? Nous devrions nous pencher sur les procédures américaines qui gèrent depuis longtemps un niveau de menace très élevé, pour favoriser la mise en oeuvre d'une solution d'alerte mieux construite et plus efficace. Les différents rapporteurs des programmes budgétaires peuvent travailler à cette solution. Il est intéressant de partir de l'expérience vécue par les Français sur le terrain et de ne pas se limiter aux discours tenus depuis Paris.
M. Christian Cambon, président. - C'est un point tout à fait important et rien n'empêcherait d'ailleurs à terme qu'il y ait une étude plus approfondie sur ce sujet.
M. Joël Guerriau. - Nos rapporteurs ont-ils connaissance du rang de la Turquie au titre de ses contributions aux institutions onusiennes ? Je me pose pour ma part des questions sur l'efficacité de l'ONU dans la gestion des crises contemporaines dramatiques, notamment celle du Haut Karabagh. Nous devons nous interroger sur le niveau de nos contributions à l'ONU, mais aussi sur l'efficacité des efforts ainsi consentis.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Il me semble qu'un rapport sur les milliards investis dans l'aide au développement et dans les contributions internationales de la France et la façon dont ils sont dépensés serait utile. Ce pourrait être sous la forme d'une étude courte et rapide. On a souvent l'impression, sur le terrain, que l'action de la France n'est pas assez visible. La France intervient par le biais de l'AFD, avec les questions de pilotage qui ont été soulevées plus tôt dans notre réunion. Dans le multilatéral, l'apport français est peu lisible, nous avons là une réflexion à mener. J'aimerais savoir si une mission sur ce sujet est possible.
M. Christian Cambon, président. - Il faudra en saisir le bureau de la commission. Les missions où le Sénat va vérifier sur place la situation se multiplient et sont très intéressantes. On voit que sur la sécurité des Français à l'étranger, les sénateurs français de l'étranger sont en suffisamment grand nombre pour faire les déplacements, lorsque cela sera de nouveau possible, et mesurer comment les choses se passent. J'ai eu, pour ma part, l'occasion de voir, lorsque j'ai accompagné Jean-Yves Le Drian récemment, aussi bien en Égypte qu'au Maroc, que lorsqu'une crise se produit, telle que celle consécutive à la publication des caricatures, les Français de l'étranger et nos agents consulaires sont les premiers visés. La tension ne diminue pas dans ces pays sur cette affaire. Il y a sans doute des choses à faire pour améliorer la rapidité de la transmission de l'information lorsqu'il se passe quelque chose intéressant la sécurité des Français.
M. Jean-Pierre Grand, co-rapporteur. - Sur ce sujet, nous sommes satisfaits de la qualité de l'échange avec la direction de la sécurité diplomatique, mais nous ne nous sommes pas prononcés sur les procédures d'information mises en oeuvre. Il nous a été dit que les Français inscrits sur Ariane avaient reçu des messages d'information.
M. Olivier Cadic. - Cela concerne les Français en voyage, pas ceux qui sont installés à l'étranger.
M. Jean-Pierre Grand, co-rapporteur. - Il me semble qu'il serait intéressant que la commission visite le centre de crise et de soutien pour travailler sur ces sujets.
M. André Gattolin, co-rapporteur. - La question du délai et des modalités d'information des ressortissants français en cas d'attaque a été posée. Nous avons soulevé ce problème lors de nos auditions. Je défends pour ma part la mise en oeuvre d'une technique de « pushing », c'est-à-dire d'envoi actif d'information. La publication de communiqué de presse n'est pas satisfaisante, elle ne saurait suffire.
Nous allons également creuser la question du classement de la France en tant que contributeur aux organisations internationales. On a parfois des surprises, j'ai découvert il y a quelques années que la France était le premier contributeur au Conseil de l'Europe. En ce qui concerne les instances onusiennes, les contributions obligatoires sont fonction du PIB par habitant. Le développement des pays émergents diminue mécaniquement la contribution de la France. Il nous a été précisé que pour maintenir le dixième rang de contributeur lors des prochains triennats, il faudrait consentir un effort qui se chiffre en centaine de millions d'euros. Pour autant, je dois dire que je m'interroge lorsque je constate que la France est classée après les Pays-Bas.
Il faut bien sûr regarder de près, comment sont utilisées les participations de la France, en distinguant les contributions obligatoires du programme 105, des contributions volontaires du programme 209 et l'aide au développement. Décider cette année de verser des contributions volontaires au titre du programme 105, c'est mettre en oeuvre une politique d'influence. Je rappelle qu'en 2022, le mandat de chef des opérations de paix des Nations Unies traditionnellement dévolu à la France arrivera à échéance. Augmenter notre contribution volontaire permet de prouver notre volonté de rester engagés dans ce domaine qui aiguise les appétits.
M. Christian Cambon, président. - Il faut que soient intégrées dans ces calculs comparatifs les dépenses supportées par la France au titre de nos OPEX qui contribuent à la sécurité collective. Leur prise en compte change singulièrement les résultats.
M. André Gattolin, co-rapporteur. - Nous avons souligné ce point, mais les services nous ont parlé d'un décalage perçu entre nos activités extérieures et nos contributions internationales qui pourrait nuire à notre capacité de mobilisation, notamment de nos partenaires européens. Je souscris à votre remarque, il faut voir les OPEX et les contributions internationales comme un ensemble.
M. Christian Cambon, président. - C'est un message essentiel qu'il nous faut porter, chaque fois que la commission se déplace à l'ONU.
À l'issue de sa réunion du 25 novembre, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l'État ».
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
En commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées :
Mardi 3 novembre :
- Jean-Yves Le Drian , ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur le projet de loi de finances pour 2021
Mercredi 4 novembre :
- François Delattre , secrétaire général du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, sur le projet de loi de finances pour 2021
Auditions des rapporteurs :
Mardi 10 novembre 2020 :
- Philippe Blanchot , directeur des relations institutionnelles de la CDC, et Eric Flamarion , conseiller du directeur de la Gestion d'actifs de la Caisse des dépôts
- Alain Resplandy-Bernard , directeur de l'immobilier de l'État et Reponsable du Compte d'affectation spéciale 723, Béatrice Bellier-Ganière , son adjointe, et les sous-directrices Agnès Teyssier d'Orfeuil et Christine Weisrock
Jeudi 12 novembre 2020 :
- Hélène Duchêne , directrice générale de l'administration et de la modernisation, Claire Bodonyi , directrice des affaires financières, Gilles Bourbao , sous-directeur du budget et Stéphane Baumgarth , directeur adjoint de la sécurité diplomatique.
- Philippe Errera , directeur général des affaires politiques et de la sécurité, responsable du P105
Mardi 17 novembre 2020 :
- Eric Gérard , directeur de la sécurité diplomatique
- Myriam Achari , directrice des immeubles et de la logistique