B. UNE POLITIQUE EN MATIÈRE DE RECHERCHE AGRICOLE APPLIQUÉE ILLISIBLE

D'autres faits, ces dernières années, démontrent cette tendance regrettable à ne pas mettre la recherche appliquée au coeur des priorités gouvernementales.

1. Une stratégie par à-coups sur le CASDAR qui retardent des projets essentiels pour accélérer la transition agro-écologique

D'une part, en 2019, les recettes encaissées se sont élevées à 143 millions d'euros, soit près de 7 millions au-dessus du plafond de recettes fixé en loi de finances initiale. Dès lors, et très concrètement, l'intégralité des taxes payées par les agriculteurs spécifiquement affectées à la recherche n'ont pas été dépensées à cette fin. Ce même phénomène devrait atteindre 4 millions d'euros en 2020 selon les prévisions gouvernementales 3 ( * ) .

Si on y ajoute les 10 millions de baisse de plafond en 2021, ce sont près de 21 millions d'euros dont a été privée la recherche agricole appliquée en 3 ans.

En outre, la gestion du CASDAR n'est pas assez active depuis des années, aboutissant à un total de crédits non consommés à la fin de 2019 de près de 65 millions d'euros.

Par conséquent, après avoir écarté les projets les moins urgents, les instituts techniques dénombrent déjà 47 projets prioritaires n'ayant pas pu être financés par des appels à projets . Sans présager de leur probabilité de réussite, parmi eux figurent certains projets essentiels comme :

• le phénotypage de la vigueur du colza à l'automne pour proposer des variétés adaptées à des conduites agroécologiques (projet VIGO de Terres Inovia) ;

• l'étude des insectes vecteurs de viroses en grandes cultures afin d'aider au pilotage de la lutte contre ces derniers et à l'émergence de solutions de protection des plantes basées sur les principes de l'agro-écologie (projet VIRAGE sous l'égide d'Arvalis) ;

• l'étude du stress hydrique (derrière l'IFV), le renforcement de la biosécurité afin d'aider la filière volailles à se doter de moyens pour réduire la pression en Campylobacter (projet ITAVI).

Refuser de financer ces projets aujourd'hui à des fins budgétaires alors même que les financements prévus par le législateur existent, c'est prendre le risque de passer à côté de projets essentiels dans le but de ne pas accumuler de retard et se retrouver, à terme, dans des impasses.

À cet égard, plusieurs projets ont été portés dès 2018 par les instituts techniques compétents pour chercher des alternatives aux néonicotinoïdes sur certaines filières, notamment l'orge. Toutefois, trois projets ont été refusés. Sans remettre en cause le choix des jurys des appels à projets, ces programmes auraient pu être menés par des instituts techniques avec des capacités financières justement calibrées en fonction des recettes réelles du CASDAR. L'actualité a prouvé que les retards pris dans ses recherches exposaient des filières à des virus et, plus généralement, pouvaient contraindre à retarder les transitions écologiques déjà engagées.

Au total, toutes ces mesures budgétaires pensées dans un seul intérêt de court terme, et à défaut de réelles réflexions stratégiques sur les priorités financières du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, aboutissent à réduire la visibilité donnée aux acteurs de la recherche appliquée agricole.

Surtout, les réductions de financement du CASDAR réduisent la mutualisation de la recherche agricole au sein du plan grand nombre de filières agricoles , y compris les plus petites : l'institut technique du houblon est par exemple financé à plus de 70 % par des crédits du CASDAR, profitant ainsi d'une péréquation depuis d'autres filières. En réduisant les crédits du compte d'affectation spéciale, le risque est de mettre à mal cette répartition horizontale des crédits de la recherche au détriment de la diversité des productions françaises.

Enfin, le CASDAR permet, en pratique, aux instituts techniques de disposer d'un effet de levier dans la recherche d'autres cofinancements, notamment européen.

2. Une absence de politique globale de recherche appliquée agricole en France

Pour aller plus loin, au-delà de cette politique budgétaire par à-coups, il n'existe aujourd'hui aucune vision claire de la stratégie de recherche agricole appliquée en France. Entre les interventions des établissements de recherche publics spécialisés et généralistes, certains financements budgétaires sur le périmètre de la MAAFAR 4 ( * ) , le périmètre des appels à projets nationaux et européens, le fléchage des crédits CASDAR et, bien entendu, l'initiative privée, la profusion nuit à la cohérence d'ensemble.

Le ministre a récemment annoncé deux plans spécifiques de recherche d'alternatives aux produits phytopharmaceutiques, avec des participations publiques significatives de 7 millions d'euros pour la recherche d'alternatives aux néonicotinoïdes pour la filière betterave et de 7 millions d'euros pour la recherche d'alternatives au glyphosate. Ces crédits ne sont, à ce stade, pas inscrits dans le budget pour 2021, ce qu'il faut regretter en matière de sincérité budgétaire.

Plus généralement, ces « plans sectoriels » répondent à un besoin clair des filières, mais, cette succession d'annonces pose plusieurs difficultés :

• certaines filières se sentent oubliées, alors qu'elles sont placées dans des impasses techniques comme d'autres, lesquelles ont le droit à des soutiens publics pour accélérer la recherche ;

• ces plans sectoriels échappent, pour une grande part, à un contrôle parlementaire, notamment budgétaire - ainsi, à défaut de trouver des alternatives dans les temps, ce qui ne peut jamais être certain, la recherche s'inscrivant dans le temps long, il n'y a aucune certitude sur le financement durable de ces projets ;

• il est enfin difficile de retrouver la cohérence d'ensemble des dispositifs ainsi empilés.

3. La commission estime que le CASDAR doit demeurer le coeur du financement de la recherche agricole appliquée

Les rapporteurs estiment que la recherche agricole appliquée mérite plus de lisibilité et de visibilité pour la recherche comme pour les acteurs agricoles.

C'est pourquoi les rapporteurs appellent à la production d'un document synthétisant l'ensemble des dépenses publiques produites en faveur de la recherche publique agricole , recensant l'intégralité des projets de recherche financés et rappelant, chaque année, leur avancement.

Le CASDAR va faire l'objet, avec le nouveau PNDAR, de rapports de missions d'inspection interministérielles afin d'évaluer la pertinence du dispositif et proposer des scenarii d'évolution. Si la lettre de cadrage de cette mission a été signée le 13 février 2020, la crise sanitaire de la Covid-19 a retardé son démarrage jusqu'au mois de juin et un rapport de mission est attendu pour la fin de l'année 2020.

Sa probable réforme à venir doit être l'occasion de rappeler l'importance du CASDAR pour le monde agricole : cet instrument des agriculteurs pour les agriculteurs doit être confirmé et sanctuarisé, avec un fonctionnement amélioré.

Son financement ne doit pas être réduit : la réduction de l'usage des intrants est un défi de long terme qui ne sera pas relevé par des plans conjoncturels et ciblés sur quelques cultures. Il est nécessaire d'avoir une vision globale au travers d'un outil unique et au pilotage centralisé associant tous les acteurs, garantissant une mutualisation entre les filières pour ne pas laisser de côté les plus petites, et permettant d'assurer un suivi performant de l'efficacité de ces outils, en bonne association avec un contrôle parlementaire sur cette priorité de politique publique.

En outre, compte tenu de la recrudescence du nombre de questions d'actualité, une ligne dédiée à des financements ciblés de programmes de recherche pourrait être prévue dans le budget de la MAAFAR. Ce fonds annuel serait fixé annuellement et reportable dans le CASDAR, par le biais des transferts du budget général au compte d'affectation spéciale prévue à l'article 21 de la LOLF.

Sa dotation initiale pourrait être fixée à un niveau de 21 millions d'euros, afin de rendre aux agriculteurs les cotisations payées en 2019 et 2020 mais qui n'ont pas été dépensées en faveur de la recherche agricole en raison des écrêtements réalisés.

Pour l'année 2021, cette ligne permettrait, par exemple, de porter les crédits de recherche annoncés en faveur de la recherche d'alternatives au glyphosate et aux néonicotinoïdes (pour la seule betterave sucrière). Les montants restants pourraient être affectés à de la recherche ciblée pour d'autres filières dans des impasses techniques, comme la noisette face au balanin ou la carotte de Créances face au nématode par exemple. Enfin, une ligne pourrait être dédiée au financement d'outils de recherche favorisant la réalisation d'un diagnostic des sols, par exemple par le biais des chambres d'agriculture, au regard de l'intérêt agronomique de ces informations pour les exploitants.

Par conséquent, le ministre lui ayant confirmé, lors de son audition le 18 novembre, qu'il ne reviendrait pas sur la baisse des moyens du CASDAR, la commission des affaires économiques a rendu un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Agriculture, Alimentation, Forêt et Affaires rurales » et au compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ».

Elle proposera deux amendements d'appel en séance publique afin de proposer un rétablissement des crédits du CASDAR à hauteur des montants n'ayant pas pu être utilisés depuis 2019 et de proposer une aide de crise ciblée sur l'amont de la chaîne agricole, très touché par la baisse de la demande due au confinement dans certaines filières.


* 3 Source : questionnaires budgétaires

* 4 C'est le cas d'une enveloppe de 425 000 € sur le programme 206 au titre des analyses de recherche du nématode Heterodera présent dans a zone de production des carottes de Créance par exemple.

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