II. UNE PROPOSITION DE LOI PERFECTIBLE
A. UNE DÉMARCHE AMBITIEUSE, MAIS UNE MÉTHODE CONTESTABLE
1. Le plein soutien de la commission sur la démarche : faire de la France un laboratoire européen et mondial
Le rapporteur salue le fait que le Gouvernement identifie l'échelon national comme l'échelon pertinent de régulation du numérique dans l'attente d'une solution harmonisée au niveau européen , comme pour la taxe sur les services numériques 29 ( * ) . Il s'agit, en quelque sorte, de faire de notre pays un laboratoire européen et mondial sur le sujet.
C'est cette même démarche que la commission des affaires économiques propose également au Gouvernement d'adopter à travers la proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace 30 ( * ) .
C'est d'ailleurs la même approche qui a prévalu en Allemagne avec l'adoption de la loi visant à améliorer l'application de la loi sur les réseaux sociaux, dite « NetzDG » en octobre 2017 et entrée en vigueur en janvier 2018.
2. Le caractère contestable de la méthode
La proposition de loi examinée est issue d'une
réflexion engagée depuis un an et demi
. Le plan national
triennal 2018-2020 de lutte contre racisme et l'antisémitisme
publié en mars 2018 prévoyait de modifier
la
législation nationale en vue de lutter contre la haine en ligne.
En septembre 2018, Karim Amellal, Laëtitia Avia et Gil
Taïeb publiaient leur rapport intitulé «
Renforcer la
lutte contre le racisme et l'antisémitisme sur
Internet
». Le 22 février 2019, le
Président de la République annonçait, au dîner
annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France,
qu'une initiative législative allait bientôt être
débattue.
Parallèlement, le Président de la République était convenu avec le président-directeur général de Facebook Mark Zuckerberg, d'envoyer auprès de l'entreprise un groupe d'experts en charge d'observer ses pratiques de modération et de formuler des propositions de régulation. Le rapport de la « mission Facebook », publié en mai 2019, prend le contrepied de l'approche adoptée par le précédent rapport, en prônant une régulation centrée sur les moyens mis en oeuvre pour lutter contre la haine illicite en ligne plutôt que sur une obligation de résultat de retrait en 24 heures.
Malgré cet important travail préparatoire, la méthode adoptée par le Gouvernement apparaît contestable à plusieurs égards. Il a, une fois de plus, choisi de recourir à une proposition de loi plutôt qu'à un projet de loi. S'il convient de saluer la saisine du Conseil d'État par le président de l'Assemblée nationale - dont les recommandations ont été suivies par les députés -, le véhicule d'une proposition de loi prive le Parlement d'une étude d'impact . Interrogé sur ce point par le rapporteur, le Gouvernement a admis ne pas avoir documenté ni l'ampleur du problème ni les dysfonctionnements liés au droit en vigueur.
De plus, le Gouvernement n'a pas pris le soin de demander l'avis de la Commission européenne préalablement au dépôt du texte.
En somme, alors même que la gestation de cette proposition de loi a été relativement longue, on dénote une certaine précipitation du Gouvernement, qui a préféré soumettre au Parlement un texte inabouti sans que les précautions préalables nécessaires n'aient été prises.
Enfin, plusieurs autres véhicules normatifs - adoptés ou en cours d'adoption - abordent des thématiques proches et pourraient entrer en contradiction avec la proposition de loi ou, à tout le moins, nécessiter un ajustement à court terme. Il en va notamment ainsi de la directive SMA et du règlement européen sur les contenus terroristes déjà évoqués, ainsi que du projet de loi sur la communication audiovisuelle et la souveraineté culturelle à l'ère numérique (ci-après, « projet de loi sur l'audiovisuel ») présenté en Conseil des ministres le 5 décembre dernier.
* 29 Loi n° 2019-759 du 24 juillet 2019 portant création d'une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés.
* 30 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl19-048.html