EXAMEN EN COMMISSION
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Réunie le mercredi 20 novembre 2019, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission procède à l'examen du rapport pour avis de M. Bruno Gilles sur la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » du projet de loi de finances pour 2020.
M. Bruno Gilles , rapporteur pour avis sur la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». - Les crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » visent principalement à financer les prestations de réparation, c'est-à-dire notamment les pensions militaires d'invalidité, les prestations de reconnaissance, notamment la retraite du combattant, l'indemnisation des victimes de persécutions antisémites et d'actes de barbarie, de manière plus marginale, un certain nombre d'actions mémorielles et de commémorations et les actions concourant à renforcer les liens entre la Nation et son armée.
Le temps faisant son effet, le nombre de bénéficiaires des dispositifs financés par cette mission décroît chaque année, entraînant une baisse mécanique des dépenses.
Les crédits demandés pour 2020 s'élèvent ainsi à un peu plus de 2 milliards d'euros, ce qui représente une baisse de 6 % par rapport aux crédits que nous avions votés l'année dernière.
Les marges de manoeuvre ainsi dégagées permettent au Gouvernement de donner satisfaction à certaines revendications du monde combattant. Cela a été le cas l'année dernière avec l'attribution de la carte du combattant aux militaires ayant servi en Algérie entre 1962 et 1964, demande qui avait été relayée par le Sénat. Le Gouvernement prévoyait que 35 000 demandes seraient formulées à ce titre en 2019, et il semble que cette prévision sera dépassée, en raison de la forte mobilisation des associations et de la réactivité des services instructeurs que nous pouvons saluer.
Cette année, un geste est fait en faveur des conjoints survivants de grands invalides de guerre, qui verraient leur pension revalorisée d'environ 1 300 euros par an en moyenne. Cette mesure ne concernerait toutefois que 461 personnes, pour un coût limité à 600 000 euros.
L'année 2020 devrait enfin voir la constitution d'une commission tripartite réunissant associations d'anciens combattants, parlementaires et représentants du Gouvernement afin d'envisager une revalorisation du point d'indice des pensions militaires d'invalidité, qui a évolué moins vite que l'inflation sur la période récente. Une telle revalorisation aurait un effet pour tous les bénéficiaires d'une pension militaire d'invalidité ou de la retraite du combattant. Nous suivrons donc avec intérêt les travaux de cette commission.
La baisse du nombre d'anciens combattants a par ailleurs un impact sur l'activité de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG). Comme nombre d'entre vous, je suis très attaché au maintien du maillage territorial permis par le réseau des offices départementaux. Si des inquiétudes ont pu naître à ce sujet, je dois dire que j'ai été rassuré par le discours de la nouvelle directrice générale de l'ONACVG, Mme Peaucelle-Delelis, qui a fait du maintien de la proximité l'un des axes de son projet, et il me semble que le Gouvernement, ou du moins Mme Darrieussecq, est sur la même ligne. Un nouveau contrat d'objectifs et de performance doit être conclu en 2020, qui traduira, je l'espère, cette orientation.
L'ONACVG verrait les crédits budgétaires qui lui sont attribués par l'État baisser de plus de 23 millions d'euros et cette baisse appelle des explications. Elle correspond à des efforts de rationalisation des dépenses et à une baisse des effectifs, des efforts cohérents avec ce qui est demandé à l'ensemble des opérateurs de l'État.
Par ailleurs, la baisse des dotations de l'État serait compensée par un prélèvement sur la trésorerie de l'opérateur, à hauteur de 17,5 millions d'euros. Cette mesure peut paraître acceptable en 2020, mais suscite des inquiétudes pour les années suivantes.
En effet, l'excédent de trésorerie de l'ONACVG s'élèvera en 2019 à 36 millions d'euros, soit environ 35 % de ses dépenses annuelles. Il ne m'apparaît donc pas déraisonnable que cet excédent soit apuré. Toutefois, cette mesure de gestion ne pourra pas être rééditée chaque année. Il faudra donc l'année prochaine et les années suivantes que la secrétaire d'État se batte pour obtenir à nouveau les crédits dont elle se prive cette année.
J'évoquerai à présent la politique de mémoire. Chacun sait combien cette politique est nécessaire, aujourd'hui plus que jamais, et la disparition progressive des témoins des grands événements de notre histoire ne doit surtout pas conduire à un oubli collectif. Les crédits qui lui sont consacrés baissent de 5 millions d'euros, soit plus de 30 %, mais cette baisse doit être nuancée, car elle s'explique en grande partie par des facteurs conjoncturels.
L'année 2019 a en effet été marquée par les célébrations du 75 e anniversaire des Débarquements et de la Libération, par l'achèvement attendu depuis longtemps du monument aux morts en Opex et par la dissolution du groupement d'intérêt public (GIP) « Mission du centenaire ».
Par ailleurs, une partie du prélèvement sur la trésorerie de l'ONACVG, soit 4,5 millions d'euros, sera consacrée à la rénovation, à l'entretien et à la valorisation des sépultures de guerre et des hauts lieux de mémoire. Si la baisse des crédits dédiés au soutien aux projets mémoriels et pédagogiques me paraît regrettable, elle ne représente en fait que quelques centaines de milliers d'euros.
La transmission de la mémoire passe également par la journée défense et citoyenneté (JDC), qui continue à être organisée chaque année pour plus de 760 000 jeunes avant d'être peut-être un jour intégrée dans le service national universel (SNU). J'approuve la mesure annoncée par le Gouvernement tendant à majorer l'indemnité de transport versée aux jeunes qui se rendent à leur JDC : celle-ci passerait de 8 euros à 10 ou 20 euros en fonction de la distance séparant le lieu du stage du domicile.
Il n'y a qu'un seul article rattaché à la mission sur laquelle nous nous penchons aujourd'hui. Il s'agit de l'article 73 E, issu d'un amendement du Gouvernement, qui vise à maintenir la réduction dont bénéficient les pensionnés du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre sur les tarifs des transports ferroviaires. En effet, les dispositions actuelles, qui ont vocation à être abrogées à la fin de l'année, mentionnent la SNCF, qui perdra bientôt son monopole pour le transport ferroviaire de voyageurs. Cet amendement n'a pas de conséquence budgétaire dans la mesure où les crédits nécessaires étaient déjà inscrits dans le projet de loi de finances.
Je souhaiterais enfin vous signaler un article non rattaché à la mission, qui a été inséré par l'Assemblée nationale, sur proposition de son rapporteur. L'article 58 quinquies tend à accorder la demi-part fiscale dont bénéficient les anciens combattants âgés d'au moins 74 ans aux veuves du même âge dont le défunt conjoint bénéficiait de la retraite du combattant. Cette mesure entrera en vigueur en 2021 et coûterait tout de même 30 millions d'euros par an. Je note que, si certaines associations d'anciens combattants réclamaient une mesure en ce sens, ce n'était pas l'une des plus importantes. Par ailleurs, cette mesure ne fait que déplacer la borne d'âge qui était critiquée par le monde combattant, et nous serons peut-être saisis dans quelques années de demandes de veuves dont le conjoint est mort à 64 ans, juste avant de bénéficier de la retraite du combattant.
En conclusion, malgré mon regret relatif à l'insuffisance des crédits de la politique de mémoire et ma vigilance quant aux crédits alloués à l'ONACVG, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».
Mme Sabine Van Heghe . - Ce rapport appelle plusieurs remarques de notre part notamment sur la baisse des crédits de 142 millions d'euros.
Le programme 167 consacré au financement de la journée défense et citoyenneté et aux actions de mémoire enregistre un repli de 12,8 %. Sur la politique de mémoire, on revient à l'étiage une fois les commémorations de la Grande Guerre terminées. Nous ne pouvons admettre que les crédits de la politique de mémoire soient aussi dépendantes des commémorations exceptionnelles.
Le programme 158 relatif aux indemnités accordées aux victimes d'actes de barbarie et de persécutions commis pendant l'occupation voit ses crédits baisser de 11,7 %. Cela pose un problème. L'an dernier, le Sénat avait voté l'extension de l'indemnisation des orphelins victimes d'actes de barbarie. Le projet de budget pour 2020 ne le permet pas.
Le programme 169 regroupe la plupart des crédits de la mission avec 2 milliards d'euros et enregistre une baisse de 5,8 %. En conséquence, les ressources prévues pour financer les pensions militaires d'invalidité et la retraite du combattant notamment sont réduites.
En outre, il n'y a pas de revalorisation des pensions militaires d'invalidité. Du fait des évolutions démographiques, la mission dégage des économies importantes. Cette sous-indexation des allocations des anciens combattants nous semble donc mesquine et injuste.
Les moyens de l'ONACVG, rattachés au programme 169, diminuent. On enregistrera 42 emplois supprimés en 2020, dont 25 dans les services départementaux. Il est pourtant impératif de conserver le maillage territorial de l'ONACVG afin de maintenir proximité et qualité de service. La dématérialisation ne doit pas servir de prétexte pour faire des économies au détriment de l'accompagnement du monde combattant.
L'argument de la baisse du nombre de ressortissants pour comprimer le budget de l'ONACVG n'est pas le bon. Entre 2012 et 2017, la majorité de gauche a augmenté chaque année de 1 million d'euros le budget de l'action sociale de l'ONACVG, pour le porter à 26 millions d'euros.
Enfin, la prise en charge psychologique et financière des victimes de terrorisme est l'une des nouvelles missions de l'ONACVG, et elle va malheureusement monter en charge. Cela nécessite d'augmenter le budget et non d'effectuer toutes ces coupes.
Mme Brigitte Micouleau . - Après avoir rencontré M. Serge Amorich, délégué de la Fédération nationale des rapatriés basé sur mon département, je souhaite revenir sur la légitime indemnisation des supplétifs civils de droit commun durant la guerre d'Algérie, car elle n'a toujours pas été acceptée par le Gouvernement : ce geste demandé est une aide unique et exceptionnelle de 4 106 euros par personne. À ce jour, ils ne sont plus que 25 et la somme totale nécessaire s'élèverait à 106 834 euros. M. Gireaud, rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale a déposé un amendement, qui a été adopté en commission, puis retiré après les promesses de la secrétaire d'État. Or, les arguments de Mme Darrieussecq ne sont pas convaincants et il faut apporter une reconnaissance aux anciens supplétifs civils de droit commun.
M. Philippe Mouiller . -Nous déplorons la baisse des crédits consacrés à l'ONACVG. Le Gouvernement va puiser dans les réserves qui sont limitées.
Derrière la départementalisation se pose la question du désengagement de l'État, qui pourrait conduire à un transfert vers les conseils départementaux. J'aimerais avoir votre sentiment sur ce sujet.
Concernant la commission tripartite sur l'évolution du point d'indice PMI, avez-vous des informations relatives au calendrier ?
Nous sommes également inquiets au sujet du devoir de mémoire. Certains événements justifient les baisses de crédits, mais, dans cette période où il est important de se souvenir du passé, il aurait été intéressant de consentir un effort.
Enfin, lorsque l'on évoque les budgets consacrés aux indemnités ou aux allocations des conjoints survivants, il est important de ne pas oublier les interventions en opérations extérieures (OPEX).
M. Jean-Marie Morisset . - Vous nous avez rassurés, monsieur le rapporteur, sur le maintien des offices départementaux des anciens combattants (ODAC) dans nos départements, mais je vois se dessiner une transformation en service de l'État dans les préfectures. Il faut être vigilant.
Tous les ans, nous constatons une diminution des effectifs, mais il faudra que Bercy accepte, au moins une fois, de conserver un petit reliquat pour augmenter la retraite du combattant.
Mme Darrieussecq, lorsqu'elle a pris ses fonctions, nous avait rassurés, mais elle doit toutefois nous communiquer des informations plus précises sur la commission tripartite.
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Le projet de budget pour l'an prochain perd 142 millions d'euros. Il s'établit à 2,16 milliards d'euros et seule une modique revalorisation de 600 000 euros est envisagée pour les anciens combattants. Elle permettra de revaloriser les pensions de 641 conjoints survivants de grands invalides. Ainsi, 125 millions d'euros seront économisés cette année sur le programme « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant ». Les associations d'anciens combattants et notamment la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc, Tunisie de Paris (FNACA) nous ont interpellés sur le droit à réparation des anciens combattants et notamment sur la question de la demi-part des veuves d'anciens combattants.
Mme Pascale Gruny . - Nous devons être vigilants, car, chaque année, le budget baisse, et on nous dit que cela est lié à la diminution du nombre de ressortissants. Les commémorations de l'an dernier ont permis d'attirer beaucoup de jeunes autour des monuments et de transmettre cette mémoire. Il conviendrait de maintenir ce budget notamment pour les commémorations de la Seconde Guerre mondiale.
La directrice de l'ONACVG nous a rassurés. Elle souhaite conserver le maillage territorial. Nous n'ignorons toutefois pas que ce n'est pas elle qui décidera.
La retraite du combattant devrait aussi pouvoir être augmentée, car il s'agit d'un montant très faible.
M. Bruno Gilles , rapporteur pour avis . - Sur le programme 158, la baisse est cohérente avec la disparition du nombre de victimes. C'est la même chose pour le programme 169.
La revalorisation du point d'indice, et donc de toutes les prestations servies aux anciens combattants, sera l'objet de la commission tripartite dont nous espérons la mise en place dès 2020. Les parlementaires y siégeront et ce sera à nous de fixer des règles de revalorisation satisfaisantes. Il faudra tenter d'obtenir en séance la date de sa mise en place.
Sur les supplétifs civils de droit commun, la réponse de la ministre clôt le débat, car les cas ont été traités de manière personnalisée.
La nouvelle directrice générale de l'ONACVG nous a tous rassurés et affirmé son souhait de maintenir le maillage départemental des ODAC.
La revalorisation de la pension des veuves de grands invalides ne représentera en 2020 que 600 000 euros, mais l'Assemblée nationale a adopté un amendement concernant la demi-part des veuves qui coûterait 30 millions d'euros à partir de 2021.
Les crédits dédiés à la politique de mémoire s'élèveraient à un peu moins de 11 millions d'euros en 2020, soit une baisse de 5 millions par rapport à 2019. Elle s'explique par plusieurs facteurs conjoncturels. L'année 2019 a été marquée par le 75 e anniversaire des débarquements et de la libération du territoire national. Les commémorations prévues en 2020 seraient nettement moins coûteuses. Un demi-million d'euros avait été versé au GIP « mission du centenaire », désormais dissout : cette subvention n'est naturellement pas renouvelée en 2020. Enfin, en 2019, le monument aux morts en OPEX a été achevé.
L'ONACVG participera à hauteur de 4,4 millions d'euros au financement de la politique de mémoire au titre de la rénovation, de l'entretien et de la valorisation des sépultures de guerre et des hauts lieux de la mémoire nationale.
Ainsi, les crédits dédiés à la politique de la mémoire seraient en hausse. Il demeure cependant vrai que la diminution des crédits dédiés au soutien de projets mémoriels de toute nature est regrettable, mais cette baisse serait de l'ordre de 500 000 euros, qu'il convient de comparer aux 2,16 milliards de crédits de la mission.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » et de l'article 73 E rattaché.