B. UNE CONTRAINTE BUDGÉTAIRE FORTE
1. Des subventions pour charges de service public largement obérées par l'augmentation de la masse salariale
Les organismes de recherche ont contribué à l'effort de maîtrise des dépenses publiques sous l'ancien quinquennat, les subventions pour charges de service public atteignant un plancher en 2016 avant d'augmenter légèrement à partir de 2017 en raison principalement du financement des mesures « fonction publique ».
Évolution des crédits récurrents de l'Etat
(millions d'euros)
Évolution des crédits du CNRS de 2016 à 2017 : Le niveau de subvention exécutée en 2017 par le CNRS est majoré de 145M€ correspondant à un pilotage de CP en fin 2016. Le versement de ces CP a été reporté de fin 2016 à début 2017 introduisant de fait un biais.
La forte hausse des crédits du CEA en 2017 correspond à l'abondement reconductible de 740 millions d'euros pour le financement du démantèlement des installations nucléaires du CEA.
Source : direction générale de la recherche et de l'innovation
Les comptes financiers pour 2018 ne sont pas arrêtés et la plupart des organismes de recherche n'avaient pas encore reçu notification de leurs crédits pour 2019 au moment où votre rapporteur pour avis les a auditionnés. Toutefois, selon les informations obtenues auprès de la direction générale de la recherche et de l'innovation, les budgets des opérateurs de recherche se caractérisent par une stabilité nominale de la subvention pour charges de service public hors mesures salariales transversales et mesure de soutien globale de 25 millions introduite en 2018 et reconduite en 2019.
En revanche, la subvention pour charges de service public ne prend pas en compte le coût du « glissement vieillesse-technicité » (GVT) évalué entre 34 millions d'euros (estimations chiffrées du ministère en charge de la recherche) et 50 millions d'euros 67 ( * ) . Afin de faire face à cette charge à budget constant, voire en diminution, les organismes de recherche sont obligés de réduire leurs effectifs, sans pour autant parvenir à la contenir complètement.
L'exemple du CNRS illustre cet effet de ciseaux.
Chaque année, l'absence de financement du GVT consomme un peu plus de 1,1 % de la masse salariale sur subvention d'Etat.
Avec une dotation de masse salariale restée inchangée (hors mesures salariales) depuis de nombreuses années, pour rester à l'équilibre, le CNRS a donc réduit ses effectifs dans des proportions équivalentes (1,3 %) puisqu'il dispose de moins d'argent pour les payer. Sur la période 2012-2017, la baisse des effectifs s'est élevée à 2 110 équivalents temps plein travaillés, soit 7,8 % des effectifs.
Pourtant, sur la même période, en exécution, la masse salariale a augmenté de 68 millions d'euros, soit +3,3 %, essentiellement en 2016 et 2017 du fait de la relance de la politique salariale 68 ( * ) .
Depuis 2012, l'effort de compensation du GVT a été essentiellement porté par une réduction du nombre de contractuels du CNRS sur subvention d'Etat, les effectifs passant de 3 000 à moins de 1 000. Aujourd'hui, le niveau de contractuels au CNRS est l'un des plus bas de la fonction publique (le taux de contractuels sur subvention d'Etat est passé en dessous de 4 %, ce qui permet à peine aux services et unités de pouvoir remplacer une absence temporaire, un congé maladie ou un agent en attendant l'organisation d'un concours. Il est en moyenne de 14 % dans les ministères et de 22 % dans les collectivités territoriales). Lors de son audition, Antoine Petit, président du CNRS, a estimé que le CNRS ne disposait plus de marge de manoeuvre pour autofinancer le GVT.
Le budget de l'INRA est également sous tension du fait d'un GVT solde fortement positif (environ 8 millions d'euros) non financé par l'Etat. Afin de maintenir sa masse salariale sous contrôle, l'INRA a fait un effort majeur sur les effectifs : entre 2011 et 2020, la réduction des effectifs de titulaires atteindra 10 %. À l'occasion de son audition, Philippe Mauguin, président de l'INRA, a estimé qu'une poursuite de ces réductions d'effectifs au-delà de fin 2020 ne serait pas réalisable sans porter atteinte au projet scientifique du nouvel établissement unique résultant de la fusion de l'INRA et de l'IRSTEA (voir infra ).
La particularité du CEA :
Le nombre d'emplois sous plafond n'est pas un indicateur pertinent pour la plupart des EPST qui, faute d'une compensation du GVT par l'Etat, doivent réduire leur masse salariale et dont les effectifs sont bien en-dessous dudit plafond. La baisse des effectifs de soutien est également marquée au CEA si on exclut la direction de la recherche technologique financée aux ¾ par des recettes externes et le renforcement de la protection physique des sites civils à compter de 2018. À cet égard, il convient de remarquer que le schéma d'emplois des forces locales de sécurité (FLS) et des services de radioprotection est imposé par des plans d'armement et des normes réglementaires, ce qui limite les marges de manoeuvre en matière de réduction d'emplois de soutien général. Pour autant, le plafond d'emplois du CEA (fixé à 16 149 ETPT) est sous-estimé par rapport à l'évolution de ces besoins. Jusqu'en 2014, les effectifs de la direction des applications militaires (DAM) n'étaient pas intégrés dans le plafond d'emplois du CEA rattaché au programme 172, dont le périmètre était limité au CEA civil. À partir du projet de loi de finances pour 2015, les effectifs de la DAM ont été pris en compte dans le plafond d'emplois du CEA, qui a bénéficié à ce titre d'une correction technique à hauteur de +4 530 ETPT. Or, compte tenu de l'augmentation des effectifs des forces locales de sécurité nécessaires pour renforcer la protection physique des centres (+31 ETPT entre 2018 et 2019) et de l'augmentation des effectifs de la direction des applications militaires (+39 ETPT entre 2018 et 2019 pour les programmes de la dissuasion), le reste des effectifs du CEA civils doit mécaniquement décroître d'au moins 70 ETPT entre 2018 et 2019. Pourtant, il n'y a aucune raison rationnelle pour que l'évolution des effectifs du CEA civil soit la variable d'ajustement des variations d'effectifs de la DAM, sans considération des missions qui lui sont confiées en propre. Source : direction de la recherche et de l'innovation |
En outre, le poids prépondérant de la masse salariale dans les budgets des organismes de recherche les empêche de dégager les financements nécessaires pour permettre à leurs équipes de développer des projets de recherche autonomes d'envergure.
L'exemple du CNRS est une nouvelle fois caractéristique. Sa masse salariale représente 72,4 % de son budget et 83,4 % de la subvention pour charges de service public.
Par conséquent, pour une dotation de 2,58 milliards d'euros en 2018, seuls 429,2 millions d'euros sont consacrés aux dépenses de fonctionnement, d'équipement et d'investissement. Cette somme est à rapprocher des 559 millions d'euros de crédits incitatifs 69 ( * ) perçus par le CNRS en 2017.
Le déséquilibre entre la part de la subvention de l'Etat destinée à la recherche hors dépenses de personnels et les ressources propres est encore plus flagrant pour l'INRA.
En 2017, la subvention pour charges de service public s'est élevée à 684,5 millions d'euros. Elle a été consacrée à plus de 84 % aux dépenses de masse salariale. Par conséquent, seuls 107,5 millions d'euros ont été consacrés aux dépenses de fonctionnement, d'équipement et d'investissement, à rapprocher des 273 millions de ressources propres dégagés par l'INRA.
2. Des règles budgétaires qui réduisent encore la marge de manoeuvre des opérateurs de recherche
Les exemples précédents permettent de comprendre l'articulation entre la subvention pour charges de service public et les financements sur appels à projet.
La subvention pour charges de service public reste indispensable pour financer la masse salariale des organismes de recherche. Toutefois, en raison de la part de plus en plus congrue de ladite subvention pouvant être consacrée aux dépenses de recherche hors masse salariale, la dépendance des opérateurs de recherche vis-à-vis des financements sur appels à projets - par le biais de l'ANR, de l'Europe, des crédits du PIA ou des contrats avec les entreprises ou les collectivités locales - augmente. Or, ces derniers sont par définition difficilement prévisibles et restent aléatoires. En revanche, les grandes avancées scientifiques sont souvent le résultat de stratégies de recherche de longue haleine qui ont bénéficié de financements récurrents sur une longue période. Les ressources contractuelles peuvent efficacement soutenir un projet de recherche en renforçant les moyens d'action du laboratoire mais elles ne peuvent se substituer aux dotations de base.
En outre, ces ressources contractuelles ne financent les projets qu'à leur coût marginal. Concrètement, ne sont inclus que les moyens complémentaires nécessaires à la réalisation du projet. Les coûts indirects (comme les coûts de fonctionnement et de structure, ou l'amortissement des investissements) ne sont que partiellement pris en compte. La restauration d'un bon équilibre entre financement de base et financement sur projet nécessiterait une prise en compte du coût complet des projets financés sur appels d'offres compétitifs, incluant les coûts directs et indirects.
L'application d'un taux de réserve à l'ensemble des crédits réduit également la marge de manoeuvre et la visibilité des opérateurs de recherche.
L'existence d'un taux de réserve s'explique par la nécessité de respecter l'équilibre financier voté par le Parlement tout en donnant au gouvernement une marge de manoeuvre afin de faire face à des dépenses imprévues et urgentes en cours de gestion.
Pour autant, l'application d'un taux de réserve de précaution à des dépenses obligatoires telles que la contribution française aux organisations scientifiques internationales conduit soit à empêcher la France d'honorer entièrement ses engagements, soit oblige le ministère chargé de la recherche à redéployer des crédits destinés à d'autres dispositifs ou d'autres opérateurs de recherche.
De même, l'application d'un taux de réserve aux crédits liés au démantèlement des installations nucléaires du CEA ou au renforcement de la protection physique des centres civils de ce dernier est une manière détournée de réduire sa subvention pour charges de service public dans la mesure où ces dépenses sont en réalité obligatoires.
Jusqu'en 2018, les taux de mise en réserve s'élevaient à 0,5 % sur les dépenses de personnel et à 8 % pour les autres dépenses. Un taux réduit était appliqué aux crédits alloués aux opérateurs de recherche (0,35 % pour les dépenses de personnel et 4,85 % pour les autres dépenses).
Dans le projet de loi de finances pour 2018 70 ( * ) , il a été décidé d'abaisser le taux de réserve sur les dépenses hors personnel à 3 %. Toutefois, la ministre en charge de la recherche a maintenu le taux de réserve de 4,85 % afin de disposer d'une marge de manoeuvre correspondant à la différence entre le taux de réserve de 3 % et l'application du taux de réserve de 4,85 % sur le programme 172, soit 60 millions d'euros. Ce choix est reconduit pour 2019. Parmi les mesures financées sur cette marge de manoeuvre 71 ( * ) récupérée aux dépens de la transparence budgétaire figure l'augmentation de la dotation de base de 25 millions d'euros, des opérateurs de recherche, qui est également reconduite pour 2019.
Le souci du ministère d'augmenter ses marges de manoeuvre dans un contexte budgétaire restreint est compréhensible. Néanmoins, la portée de cette mesure reste limitée en raison de la stabilité des subventions pour charges de service public dont bénéficient les opérateurs de recherche. Ainsi, le taux de réserve appliqué aux programmes 172 et 193 représente 140 millions d'euros.
3. Une politique salariale qui n'est plus soutenable à moyen terme
La faiblesse des salaires des chercheurs est reconnue par tous depuis de nombreuses années, sans que ce problème soit pour autant pris à bras le corps par les gouvernements successifs.
Cet état de fait constitue certainement l'un des facteurs d'explication de la faible valorisation du doctorat, notamment auprès des entreprises, ainsi que de la désaffection des jeunes envers les carrières scientifiques.
En outre, cette situation n'est pas tenable à moyen terme si la France souhaite maintenir une recherche de qualité. Certes, le taux de couverture moyen des postes ouverts au recrutement externe est proche de 100 %, mais la concurrence, à la fois avec les organismes de recherche étrangers et les entreprises privées, en particulier dans les secteurs liés au numérique et à l'intelligence artificielle, doit être prise extrêmement au sérieux.
Au CNRS, reflet de l'ensemble des EPST, les jeunes chercheurs sont recrutés dans le corps des chargés de recherche qui est classé dans la catégorie A+ de la fonction publique. Pour être admis à concourir pour l'accès au grade de chargé de recherche de classe normale, le candidat doit être titulaire du doctorat ou d'un diplôme de docteur ingénieur, c'est-à-dire d'une qualification de niveau bac +8.
En moyenne, au moment de leur recrutement, les jeunes chercheurs sont âgés de 35 ans et disposent déjà d'une expérience professionnelle de sept ans.
Or, le traitement indiciaire brut (TIB) annuel d'un jeune chercheur est de 2 572,63 euros par mois. Au bout de dix ans, il s'élève à 3 411,43 € par mois.
Les chargés de recherche perçoivent une prime de recherche dont le taux annuel est fixé à 930 euros brut ainsi qu'une indemnité aux personnels enseignants d'un montant annuel de 42,72 € brut. Ces éléments font l'objet d'un abattement de 167 euros brut par an. Le régime indemnitaire des jeunes chercheurs s'élève donc à 805,72 euros brut par an, soit 67,14 euros brut par mois . Il représente entre 1,97 % et 2,6 % du TIB, contre 37,4 % en moyenne pour les corps de catégorie A+ de la fonction publique.
En définitive, la rémunération nette mensuelle d'un jeune chercheur au moment de son recrutement est égale à 2 191,20 euros, soit 1,87 fois le SMIC. Après dix ans d'ancienneté en qualité de chargé de recherche, soit 17 ans d'expérience dans les métiers de la recherche, la rémunération nette mensuelle du chercheur est portée à 2 885,34 euros.
À titre de comparaison, les fonctionnaires appartenant à un corps de catégorie A+ de la fonction publique bénéficient d'une rémunération moyenne de 5 776 euros nets par mois.
Lors de son audition, le nouveau président du CNRS a soulevé la question de la rémunération des chercheurs et a constaté que « le régime indemnitaire des chercheurs est sans doute le régime le plus vétuste, le plus bas et le plus mal distribué de catégorie A+ de la fonction publique de l'Etat ».
* 67 En utilisant les données de l'outil de projection budgétaire du CNRS, OSCAR, qui se fonde en tenant compte des effectifs et des grilles, sur l'exécution réelle de la masse salariale N-1, le GVT du CNRS s'établit à 24,8 millions d'euros pour 2018, 25,3 millions d'euros pour 2019 et 25,8 millions d'euros pour 2020. Le CNRS représentant la moitié environ des effectifs de l'ensemble des opérateurs de recherche, il convient de multiplier par 2 le montant de son GVT pour connaître celui de l'ensemble des organismes de recherche.
* 68 Le GVT solde est en augmentation essentiellement du fait des nouvelles grilles PPCR qui ouvrent de nouveaux espaces indiciaires pour les agents afin de dynamiser leurs carrières. Si le coût de PPCR la première année de mise en oeuvre a été correctement financé par le gouvernement, les conséquences de ces nouvelles grilles sur le plus long terme restent en discussion. Or, les enjeux ne sont pas négligeables compte tenu de la pyramide inversée du CNRS (beaucoup de cadres A et A+ et peu de cadres B ou C). À titre d'exemple, plus de 1 200 directeurs de recherche vont accéder à la hors échelle B. Le coût du premier chevron est financé (41 points à 115 euros, soit 4 715 euros de dépense salariale supplémentaire par agent). En revanche, le nouveau chevron qu'ils atteindront au bout d'un an ne l'est pas à ce jour (44 points à 115 euros, soit 5 060 euros par agent et plus de 6 millions d'euros de dépenses supplémentaires pour le CNRS).
* 69 Il s'agit de crédits en provenance de l'ANR, des plans d'investissement d'avenir, de l'Europe et d'autres financements sur projet.
* 70 Cette mesure est reconduite dans le projet de budget pour 2019.
* 71 Cette mesure renforce l'opacité budgétaire puisqu'elle vise à priver les opérateurs de recherche dans leur ensemble de 60 millions d'euros que le projet de loi de finances prévoyaient de leur verser pour ensuite leur en redistribuer 25 millions d'euros, les 35 millions d'euros faisant l'objet d'une nouvelle répartition qui correspond aux priorités du ministère en charge de la recherche, ce qui conduit logiquement à privilégier tel opérateur de recherche au détriment d'un autre.