II. DES FINANCEMENTS SUR PROJETS QUI NE COMPENSENT QUE PARTIELLEMENT LA DIMINUTION DE LA DOTATION DE BASE DES ORGANISMES DANS LE TEMPS
A. LES FINANCEMENTS SUR PROJETS, DES RESSOURCES COMPLÉMENTAIRES DEVENUES INDISPENSABLES
La part des crédits incitatifs 64 ( * ) dans le budget des opérateurs de recherche est variable selon les années. Pour autant, ces crédits constituent désormais des ressources complémentaires indispensables.
Part des crédits incitatifs (en %) dans le budget des opérateurs de recherche
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
|
INRA |
8,5 |
6,9 |
10,5 |
13,3 |
7,7 |
IRSTEA |
12,4 |
20,4 |
18,2 |
18,4 |
20,3 |
INRIA |
18,3 |
15,5 |
14,9 |
15,9 |
17,9 |
CNRS |
17,9 |
15,7 |
16,7 |
15,7 |
15,9 |
INED |
20,4 |
19,6 |
26,1 |
15,4 |
16,2 |
IRD |
5,6 |
6,3 |
10,3 |
9,3 |
8,7 |
IFREMER |
8,8 |
10,9 |
9,7 |
12,1 |
18,6 |
CEA |
10,8 |
11,9 |
16,5 |
11,2 |
11,9 |
CNES |
5,6 |
12,3 |
10,7 |
4 |
3,1 |
BRGM |
6,3 |
18,8 |
19,8 |
16,8 |
10,1 |
Source : direction de la recherche et de l'innovation
Les menaces pesant sur les établissements de
recherche
Les établissements publics à caractère scientifique et technologique n'ont pas le monopole de la recherche. Certains instituts prestigieux tels que l'Institut Curie - établissement de santé privé d'intérêt collectif - ou encore l'Institut Pasteur - fondation reconnue d'utilité publique - ont développé des modèles économiques originaux, dans lesquels la générosité publique occupe une place considérable. Celle-ci représente 25 % du financement des activités de recherche à l'Institut Curie et 27 % du budget de l'Institut Pasteur. Or, les dispositions fiscales mises en oeuvre par la loi de finances pour 2018 ont eu un impact négatif important sur la générosité des contribuables en faveur de ces institutions. Ainsi, le remplacement de l'impôt de solidarité sur la fortune par l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) a fait passer le nombre d'assujettis à cet impôt de 358 000 à 120 000 foyers (soit 66 % de foyers en moins), supprimant l'incitation qu'avaient de nombreux contribuables à faire preuve de générosité envers les fondations reconnues d'utilité publique. En 2018, la baisse des sommes collectées par l'Institut Pasteur attribuable aux réformes fiscales devrait s'élever à 3,5 millions d'euros sur douze mois, soit une diminution de 16 % sur un an (la collecte réalisée auprès des particuliers en 2017 avait permis de recueillir 21 millions d'euros au total). Cette baisse de la collecte auprès des particuliers fortunés doit être replacée dans le contexte d'une baisse générale de la collecte grand public en raison de la réévaluation du taux de contribution sociale généralisée (CSG) - qui touche également les retraités, donateurs traditionnels - et les inquiétudes soulevées par la mise en oeuvre du prélèvement à la source à partir de 2019. Paradoxalement, le mécénat est plus que jamais sollicité pour soutenir l'action des pouvoirs publics. Votre rapporteur pour avis exhorte donc le gouvernement à clarifier sa stratégie en direction du mécénat des particuliers afin d'éviter une déstabilisation des organismes de recherche qui en dépendent pour la pérennité de leurs activités. |
1. La poursuite de la réévaluation des crédits de l'Agence nationale pour la recherche
Source : direction générale de la recherche et de l'innovation, réponse au questionnaire budgétaire
L'augmentation du budget de l'ANR, mise en oeuvre à partir du printemps 2016, a permis à l'agence d'obtenir une hausse du taux moyen de sélection de son appel à projet générique à hauteur de 13,3 % en 2017 (il était tombé en dessous de 10 % en 2014). 965 projets ont été retenus en 2017 contre 833 en 2016, soit une augmentation du nombre de projets sélectionnés de +15,2 %, alors même que le nombre de dossiers soumis a augmenté de +12,9 % (7 120 en 2016 contre 8 037 en 2017).
En revanche, le montant moyen de subventions accordées par dossier sélectionné a légèrement diminué entre 2016 et 2017, comme en témoigne le tableau ci-après.
Évolution du montant moyen des subventions accordées par dossier sélectionné
2016 |
2017 |
2018 |
|
Montant moyen par projet AAPG global |
411 k€ |
396 k€ |
402 k€** |
Montant moyen alloué par projet JCJC |
247 k€ |
241 k€ |
246 k€** |
Montant moyen alloué par projet PRC |
483 k€ |
465 k€ |
455 k€** |
Montant moyen alloué par projet PRCE |
589 k€ |
550 k€ |
559 k€** |
Montant moyen alloué par projet PRCI |
267 k€ |
287 k€ |
Non connu |
** sur la base des projets sélectionnés en juillet 2018 (ces chiffres seront consolidés en décembre 2018).
AAPG : appel à projet générique
JCJC : projets de recherche individuelle portés par des jeunes chercheuses ou des jeunes chercheurs
PRC : projets de recherche collaborative entre entités publiques dans un contexte national
PRCI : projets de recherche collaborative entre entités publiques dans un contexte international
PRCE : projets de recherche collaborative entre entités publiques et privées pouvant présenter une ouverture vers le monde de l'entreprise
Source : direction de la recherche et de l'innovation
En 2018, le nombre de dossiers soumis éligibles a diminué de 6,4 % par rapport à 2017 (soit 516 dossiers en moins, ce qui correspond à l'objectif que s'était fixé le ministère chargé de la recherche l'année dernière) à la suite de l'introduction de mécanismes de régulation au moment de la soumission mis en oeuvre en 2018. Désormais, chaque chercheur ne peut soumettre qu'un seul projet en tant que coordinateur et ne peut être impliqué dans plus de trois projets soumis. De même, un chercheur sélectionné en 2018 comme coordinateur ne peut pas soumettre un nouveau projet en tant que coordinateur pour l'édition 2019. Enfin, un coordinateur ne peut pas postuler pour un autre projet pendant toute la durée de son projet de recherche jeunes chercheurs/jeunes chercheuses.
La réorientation à la hausse du budget de l'ANR devra néanmoins être poursuivie et accentuée si le gouvernement souhaite atteindre un taux de sélection de 20 à 25 % , taux a minima défendu par la communauté scientifique et qui correspond au taux appliqué globalement par les agences de recherche étrangères 65 ( * ) .
Par ailleurs, les coûts induits par les contrats devront être mieux pris en compte.
Actuellement, les frais de gestion et le préciput correspondent à un taux de couverture de 20,7 %. Une analyse est en cours pour proposer des modalités qui permettraient, sans trop affaiblir la priorité donnée à l'augmentation du taux de sélection, de porter progressivement ce taux de recouvrement à 25 %, taux qui correspond à celui retenu dans le cadre des appels à projets européens.
Néanmoins, la restauration d'un équilibre acceptable entre financement de base et financement sur projets nécessiterait une prise en compte du coût complet des projets financés sur appels d'offres, et par conséquent des coûts directs (tels que les salaires des personnels permanents) et indirects (coût de fonctionnement et de structure, amortissement des investissements).
2. Une participation aux appels à projets européens en-deçà du potentiel de recherche de la France
Avec 10,6 % des financements obtenus, la France se situe en troisième position des États bénéficiaires des fonds Horizon 2020 derrière l'Allemagne (15,3 %) et la Grande-Bretagne (14,4 %). La performance de la France est en baisse depuis 1998 principalement en raison d'une participation plus active d'autres États bénéficiaires.
Même si cela reste encore à confirmer avec les chiffres définitifs pour l'année 2017, un effet « Brexit » important semble se faire sentir sur la participation du Royaume-Uni, qui passe de 16,2 % des financements obtenus en 2015 à 14,1 % en 2016 (et 10,3 % provisoires pour 2017). Cette chute du Royaume-Uni paraît bénéficier à la France et à l'Italie dont les parts de financement obtenus bondissent provisoirement de près d'un point sur l'année 2017 par rapport à 2016 (10,9 % contre 10,1 % pour la France, 9,5 % contre 8,8 % pour l'Italie). Le Royaume-Uni semble également entraîner avec lui les Pays-Bas qui réalisent en 2017 leur plus mauvais score depuis 2009.
L'Espagne et l'Italie ont consolidé leurs positions de quatrième et cinquième pays bénéficiaires du programme, distançant les Pays-Bas. L'Allemagne reste le premier pays bénéficiaire avec une part de financement obtenu relativement stable (14,4 % en 2016 et 14,3 % en 2017).
Si la France présente un taux de succès de 14,3 %, soit le plus élevé de l'Union, celui-ci ne compense pas la faiblesse relative des dépôts (seulement 8,4 %). Néanmoins, la marge de manoeuvre pour améliorer son positionnement parmi les bénéficiaires est relativement forte au regard du poids de la France dans la recherche publique et privée en Europe (16,5 % en 2015).
Une comparaison de la performance française par pilier fait ressortir un déficit généralisé aux trois piliers, même s'il est encore plus prononcé pour le pilier 3 (défis sociétaux).
En détail, plusieurs évolutions peuvent être notées par rapport à la performance de la France sous le 7 e PCRD :
- la baisse de la performance sur les appels à projet du conseil européen de la recherche (12 % contre 12,6 %) ;
- la hausse de la performance sur les appels à projets « Technologies futures et émergentes (11,4 % contre 10,5 %);
- l'augmentation de la performance sur le programme Espace (18,5 % de part de financement contre 16,9 % pour l'ensemble du 7 e PCRD) ;
- le recul sur le programme Santé (9,7 % contre 11,3 %), qui peut s'expliquer par l'élargissement au domaine eSanté (30 % du budget du défi), qui faisait partie du programme « technologies de l'information et de la communication » sous le 7 e PCRD et auquel les équipes françaises ne participent historiquement que de manière marginale ;
- la situation préoccupante de la performance nationale au défi « Sociétés inclusives, innovantes et réflexives » (5,6 % contre 6,4 %), qui s'explique par une participation toujours très faible de la communauté des sciences humaines et sociales aux appels de ce défi.
Les trois piliers du programme de recherche européen Horizon2020 1. L' « Excellence scientifique » L'Excellence scientifique comprend quatre programmes : - soutenir les chercheurs les plus créatifs et talentueux dans leurs travaux de recherche exploratoire, en s'appuyant sur le succès de la démarche du Conseil européen de la recherche ; - ouvrir des voies nouvelles vers les Technologies futures et émergentes (FET), en soutenant une recherche collaborative, interdisciplinaire, tout en suivant des modes de pensée novateurs ; - donner aux chercheurs des possibilités de formation et d'évolution de carrière dans le cadre des actions Marie Skodowska-Curie ; - doter l'Europe d'infrastructures de recherche d'envergure mondiale, accessibles à tous les chercheurs d'Europe et d'ailleurs. 2. La « Primauté industrielle » La Primauté industrielle recouvre trois grands types d'activité : - la recherche et l'innovation dans des domaines technologiques clés dans une logique de politique industrielle sectorielle (TIC, nanotechnologies, matériaux, procédés de fabrication, espace). L'ensemble de la chaîne de l'innovation sera couverte , jusqu'aux dernières étapes avant la mise sur le marché, mais excluant celle-ci ; - des instruments financiers en soutien aux investissements privés en recherche et innovation, mais sans discipline ou technologie pré-identifiée (prêts, garanties de prêts, investissement en capital-risque) ; - l'innovation dans les PME, au travers du programme EUROSTARS, mais également d'un nouveau programme soutenant les trois étapes de développement des PME (faisabilité du projet de recherche et d'innovation, financement de la recherche et de l'innovation, puis accompagnement vers la commercialisation), faisant de la PME le pilote du projet et permettant de financer des PME individuelles. 3. Les « Défis sociétaux » Cette priorité traite des principaux problèmes de société qui préoccupent la population en Europe et dans le monde. Elle consiste à mettre en oeuvre une approche axée sur les défis à relever en mobilisant des ressources et des connaissances qui intègrent plusieurs domaines, technologies et disciplines scientifiques. Elle englobe toute la chaîne de l'innovation jusqu'aux dernières étapes avant la mise sur le marché - mais excluant celle-ci. Sont donc incluses les activités liées à l'innovation, telles que les projets pilotes, la démonstration, les bancs d'essai, le soutien aux procédures de passation de marché public et l'accompagnement vers la commercialisation des innovations. Les grands enjeux de cette priorité sont regroupés comme suit : - la santé, l'évolution démographique et le bien-être ; - les défis européens en matière de bioéconomie : la sécurité alimentaire, l'agriculture et la sylviculture durables, la recherche marine et maritime et la recherche sur les voies de navigation intérieure ; - les énergies sûres, propres et efficaces ; - les transports intelligents, verts et intégrés ; - la lutte contre le changement climatique, l'utilisation efficace des ressources et les matières premières ; - l'Europe dans un monde en évolution : des sociétés ouvertes à tous, innovantes et réflexives ; - des sociétés sûres pour protéger la liberté et la sécurité de l'Europe et de ses citoyens. Source : ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation |
En février 2016 ont été rendues les conclusions de l'étude confiée par le Premier ministre à l'inspection générale des finances, à l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche et au conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies sur le diagnostic de la participation française au 7 e PCRD et aux premiers appels à projets d'Horizon 2020.
Le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, en lien avec l'ensemble de la communauté française de recherche et innovation, a proposé un plan d'action en trois axes :
- inciter davantage d'acteurs à participer au programme cadre de recherche et d'innovation ;
- restructurer l'accompagnement au niveau national, régional et local ;
- renforcer les capacités d'influence française sur le programme cadre de recherche et innovation et sa mise en oeuvre.
Ce plan d'action d'amélioration de la participation française aux dispositifs européens de financement de la recherche et de l'innovation a été lancé officiellement par la ministre chargée de la recherche le 18 septembre 2018. À l'occasion du Forum Horizon Europe, qui se tiendra le 5 décembre au Quai Branly, tous les acteurs de la communauté seront invités à préciser les actions qu'ils s'engagent à mettre en oeuvre pour soutenir ce plan d'action.
Au cours de ses déplacements, votre rapporteur pour avis a constaté une forte professionnalisation des procédures d'accompagnement des projets de recherche collaborative européens.
Ainsi, depuis 2011, INRA Transferts met à la disposition des chercheurs de l'INRA et des industriels, des spécialistes du montage et de la gestion de projets. Les résultats sont particulièrement prometteurs puisque le taux moyen de succès de l'INRA sur les appels à projet s européen s varie entre 40 et 50 %.
Le CEA a également mis en place des procédures d'accompagnement des chercheurs dans la préparation des appels à projets européens qui s'articulent autour de quatre axes : la formation des chercheurs, des ingénieurs, des personnels administratifs et gestionnaires ; la coopération avec cinq cabinets de conseil, l'animation d'un réseau Europe en interne et la participation au réseau national d'accompagnement au programme H2020 qui s'articule notamment autour des points de contact nationaux.
Parmi les formations mises en place, la formation de trois jours, intitulée « Building Successfull proposals for H2020 » et dispensée par un consultant extérieur en anglais apparaît particulièrement efficace. Elle cible les chercheurs ou ingénieurs afin de les sensibiliser aux étapes et aux pratiques auxquelles doivent répondre les projets H2020 dans le processus de sélection. Quinze sessions de formation ont été organisées depuis 2013 à Saclay et Grenoble qui ont permis de former 178 salariés du CEA. Le taux de succès des salariés ainsi formés est proche de 50 % (depuis 2016), comparé au taux de succès moyen des projets auxquels le CEA participe qui s'élève à 22 % et à la moyenne européenne qui se situe entre 10 et 12 %.
La capacité des opérateurs de recherche français à se qualifier dans le cadre d'appels à projets très sélectifs n'est donc pas remise en cause.
Par ailleurs, les mêmes opérateurs de recherche justifient le caractère relativement réduit du nombre de dépôts par la tendance de la commission européenne à privilégier les appels à projets liés à la recherche appliquée aux dépens de ceux qui reposeraient sur la recherche fondamentale, ce qui privilégierait les start up et certains types d'organismes de recherche. C'est la raison pour laquelle lors des réunions préparatoires à l'élaboration du nouveau programme cadre européen de recherche 2021-2027, la France a souligné l'importance d'accompagner financièrement le développement de la recherche fondamentale.
Le 7 juin 2018, la Commission européenne a formulé sa proposition de budget détaillé, qui précise la ventilation des financements du programme Horizon Europe et leur répartition au sein de chaque pilier. Le budget global devrait s'élever à 100 milliards d'euros, dont 94,1 milliards d'euros pour les trois piliers « Excellence scientifique », « Primauté industrielle », « Défis sociétaux » et le programme « Espace européen de la recherche ». Plus de la moitié des financements seraient néanmoins consacrés au deuxième pilier, ce qui confirme la tendance de la commission européenne à privilégier la recherche finalisée.
Compte tenu des sommes en jeu, il est indispensable que l'ensemble des partie prenantes se coordonnent afin d'augmenter la participation française aux appels à projets européens.
Car il n'y a pas de fatalisme dans la situation actuelle, comme en témoignent les très bons résultats de l'INRA au niveau européen avec 30 % des chercheurs impliqués dans des projets européens et une participation de l'INRA plus soutenue sur H2020 que sur le 7 e PCRD (+75 % de la moyenne annuelle des projets déposés entre les 2 programmes).
En 2017, les projets financés au niveau européen représentent 25 millions d'euros pour l'INRA. 50 % des projets acceptés sont dans le défi sociétal 2 « Sécurité alimentaire, Agriculture et Foresterie durables, recherches marine, maritimes et sur les eaux continentales, et Bioéconomie », alors même que ce défi représente 5 % des financements d'H2020 (et 13 % de l'ensemble des défis sociétaux).
De même, l'INRIA profite largement des financements européens puisque près de 50 % de ses crédits incitatifs viennent de l'Europe (20,4 millions d'euros en 2017, contre 9,3 millions d'euros en provenance de l'ANR et 4,4 millions d'euros en provenance des PIA). Outre une politique d'accompagnement efficace, l'INRIA, dès le démarrage d'Horizon 2020 en 2014, a choisi de renforcer ses actions d'influence au niveau européen pour garantir une bonne visibilité de ses priorités scientifiques et contribuer à la programmation européenne.
3. L'intérêt du soutien à la recherche et à l'innovation à travers le PIA 3 en dépit d'une moindre lisibilité
Avec un total de 10 milliards d'euros sur dix ans, le troisième plan d'investissements d'avenir adopté en 2017 répond à trois priorités : soutenir les progrès de l'enseignement et la recherche, valoriser la recherche et accélérer la modernisation des entreprises. 5,9 milliards d'euros sont consacrés à l'enseignement supérieur, à la recherche et à sa valorisation.
Le programme 421 « Soutien des progrès de l'enseignement et de la recherche » devrait bénéficier de 212,5 millions d'euros de crédits en 2019, contre 142,5 millions d'euros en 2018.
Parmi les actions soutenant la recherche dans ce programme, on peut citer :
- l'action 2 « Programmes prioritaires de recherche » : elle est créditée de 35 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2019 afin de financer le programme national sur l'intelligence artificielle annoncé par le Président de la République. Selon le projet annuel de performances sur la mission « Investissements d'avenir », deux autres programmes prioritaires de la recherche devraient être consacrés aux alternatives aux produits phytosanitaires et à la recherche dans le domaine du sport ;
- l'action 3 « Équipements structurants de recherche » : elle est créditée de 40 millions d'euros pour 2019 et vise à soutenir de nouveaux équipements dont la vocation principale est la recherche scientifique ;
- l'action 4 « Soutien des grandes universités de recherche » : elle est dotée de 35 millions d'euros pour 2019 et a pour objectif de consolider le développement des dix IDEX et des neuf I-SITE déjà existants par le biais de démarches incitatives plus ciblées ;
- l'action 5 « Constitution d'écoles universitaires de recherche » : elle est créditée de 20 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2019. À la suite du premier appel à projet lancé en 2017, deux types d'écoles universitaires sont apparues : les unes, portées par des universités de taille moyenne, visent à renforcer l'attractivité de ces dernières en valorisant leurs atouts et en développant un ou deux pôle(s) d'excellence thématique(s) ; les autres, portées notamment par les IDEX/I-SITE, visent davantage à structurer les universités cibles en cours de création aux niveaux master et doctorat. Afin de répondre à ces besoins, deux appels à projet sont organisés : le premier, qui a été lancé en octobre 2018, sera réservé aux universités non labellisées IDEX/I-SITE ; le second soutiendra en 2019 le déploiement des écoles universitaires de recherche dans le cadre de l'action « Grandes universités de recherche ». À cette occasion, les soumissionnaires seront invités à déposer un projet global de structuration de la formation par la recherche rassemblant leurs différents projets d'école universitaire de recherche.
433 millions d'euros sont inscrits sur le programme 422 « Valorisation de la recherche » pour 2019, contre 227 millions d'euros en 2018. Le but est de poursuivre l'accompagnement des projets de valorisation financés par les PIA 1 et PIA 2.
Enfin, le programme 423 « Accélération de la modernisation des entreprises » , doté de 404 millions d'euros pour 2019, a vocation à accompagner les entreprises dans leurs réponses aux grands défis économiques auxquels elles sont confrontées : innovation, investissement, évolution des modèles d'affaires, structuration des filières, internationalisation, renforcement de la qualification des salariés, etc.
Les programmes d'investissement d'avenir ne sont pas exempts de toute critique.
D'abord, une partie des crédits du PIA continue de financer des dépenses qui devraient été prises en charge par les ministères. C'est le cas, par exemple, du plan Nano 2022, qui s'apparente à un plan de soutien à la filière de la nanoélectronique. Ce sera également le cas si une partie des crédits de l'action 9 « Grands défis » du programme 423 servent à financer les travaux de réhabilitation du Grand Palais.
Ensuite, les PIA ont généré une manne financière considérable dans des politiques dont l'efficacité n'est pas toujours garantie . La Cour des comptes s'est intéressée récemment aux outils de valorisation des PIA 66 ( * ) dont elle a dressé un bilan mitigé.
Les grandes lignes du rapport de la Cour des
comptes
Afin de combler les retards de la France en matière de valorisation de la recherche publique, l'État a décidé en 2009, par le biais du PIA 1, de créer des structures nouvelles généreusement dotées. Huit instituts de recherche technologique (IRT), neuf instituts pour la transition écologique, quatorze sociétés d'accélération du transfert technologique (SATT), six consortiums de valorisation thématique (CVT), six instituts hospitalo-universitaires et France Brevets ont été créés. 5,4 milliards de dotation consommable et non consommable leur sont dédiés sur dix ans. Comme le constate la Cour des comptes, « les ambitions fortes assignées aux nouveaux instruments [...] se sont, dès le départ, heurtées à un certain nombre de handicaps structurels » : |
- leur redondance et leur concurrence avec certaines structures existantes, notamment les structures de valorisation des organismes de recherche, des universités et des grandes écoles ; |
- des injonctions contradictoires entre les ambitions d'excellence et les préoccupations de maillage territorial ; |
- des difficultés dans la définition et la mise en place d'un pilotage efficace ; |
- un réel dilemme entre l'exigence de rentabilité économique à moyen terme imposée par les pouvoirs publics à ces structures et la nécessité pour elles de financer des projets risqués et qui ne rapportent pas d'argent immédiatement. À l'issue de son étude, la Cour des compte juge les résultats de ces nouveaux outils de valorisation « inégaux et jusqu'ici décevants. » Elle s'inquiète de leur insertion trop partielle dans l'écosystème de la valorisation et s'interroge sur la soutenabilité de leur modèle économique. Afin d'améliorer l'efficacité de ces structures, la Cour des comptes a émis onze recommandations, parmi lesquelles : |
- rationaliser le dispositif des SATT et redéfinir leur modèle ; |
- resserrer le dispositif des IRT autour d'un modèle économique viable ; |
- supprimer les CVT ; |
- adosser France Brevets à BPI France ; |
- introduire des indicateurs d'impact socio-économiques pour évaluer les dispositifs. Source : commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, d'après le rapport de la Cour des comptes sur les outils du PIA consacrés à la valorisation de la recherche publique |
Plusieurs recommandations de la Cour des comptes ont été reprises par le gouvernement. Ainsi, l'extinction de la SATT Grand Centre a été décidée. En revanche, le ministère de la recherche et de l'enseignement supérieur ne semble pas partager les mêmes inquiétudes que la Cour des comptes sur les SATT IdF Innov, Nord, AXLR, Pulsalys, Lisksum et Paris Saclay.
En ce qui concerne les CVT, il a été décidé d'arrêter le financement du CVT ANCRE et de suspendre le financement des CVT Aviesan et Athena. Par ailleurs, le financement du CVT Valo Sud a également été suspendu, même si un accompagnement spécifique doit être mis en place pour aider le consortium à se restructurer en un nouvel outil de soutien à la valorisation vers les pays du Sud.
Les IRT vont être évalués en 2019, à la fois par le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES), et l'ANR. Au regard de ces évaluations, l'Etat décidera de la poursuite éventuelle de son soutien financier au cours de la période 2020-2025 avec le reliquat des crédits de dotations consommables de l'action du PIA 1. Il a d'ores et déjà été annoncé que la part de l'Etat dans le financement des IRT se limiterait à 30 % de leur budget.
Dans ce contexte, votre rapporteur pour avis se félicite que le Premier ministre ait doté le secrétariat général pour l'investissement d'un conseil de surveillance chargé de conduire un bilan exhaustif des actions du PIA menées depuis 2010.
Une autre critique qui peut être adressée aux PIA porte sur le manque de visibilité du dispositif à la fois au niveau des actions financées et de leur montant, en raison de l'imbrication des plans successifs, de la création continue de nouvelles actions et de la coexistence de dotations consommables et de dotations non consommables.
Enfin, l'articulation des PIA avec les autres plans annoncés régulièrement par le gouvernement reste peu compréhensible.
Le PIA 3 est désormais une composante du Grand Plan d'Investissement (GPI) de 57 milliards d'euros lancé par le gouvernement pour la période 2018-2022 et fondé sur quatre priorités : accélérer la transition écologique (20 milliards d'euros), édifier une société de compétences (15 milliards d'euros), ancrer la compétitivité sur l'innovation (13 milliards d'euros) et construire l'État numérique (9 milliards d'euros).
En ce qui concerne la recherche et l'innovation, le GPI prévoit 3,5 milliards d'euros pour soutenir l'excellence scientifique française et 4,6 milliards d'euros pour renforcer la compétitivité dans les secteurs de l'intelligence artificielle, l'exploitation des mégadonnées, les nanotechnologies et la cybersécurité.
Par ailleurs, le gouvernement a créé, en janvier dernier, le Fonds pour l'innovation et l'industrie doté d'un montant global de 10 milliards d'euros.
Le Fonds pour l'innovation et l'industrie C'est un fonds non consomptible placé auprès de l'établissement public industriel et commercial BpiFrance. Le rendement prévu du fonds est de 2,5 % à terme, ce qui permettrait de générer 250 millions d'euros par an. Les revenus ont vocation à être employés au financement de l'innovation de rupture, afin de garantir la souveraineté scientifique et technologique de notre pays et son développement économique. Le conseil de l'innovation, coprésidé par la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et le ministre de l'économie et des finances, définit les orientations stratégiques de l'utilisation de ce fonds. Conformément aux recommandations de la mission sur les aides à l'innovation dont le rapport a été rendu public en juillet 2018, le conseil de l'innovation a décidé que les revenus du fonds seraient consacrés aux priorités suivantes : |
- 70 millions d'aides individuelles dans le cadre du plan en faveur des start up à forte intensité technologique porté par Bpifrance (10 millions d'euros seront consacrés à la revalorisation des bourses French Tech Emergence, 15 millions d'euros serviront à augmenter la dotation du concours i-lab, 45 millions d'euros renforceront les aides individuelles à R&D pour les entreprises fortement technologiques) ; |
- 150 millions d'euros pour financer des grands défis, qui permettront de créer ou d'orienter les filières vers des secteurs à forts enjeux technologiques et sociétaux (intelligence artificielle, mobilité, santé, cyber-sécurité), dont 100 millions d'euros sur trois ans sur des sujets touchant à l'intelligence artificielle ; |
- 25 millions d'euros pour le soutien à la filière de la nanoélectronique ; |
- 5 millions d'euros à affecter chaque année par le conseil de l'innovation. Dans le cadre du fonctionnement du Fonds, chaque action donnera lieu à une convention spécifique, signée entre BpiFrance et l'opérateur en charge de la mise en oeuvre. Source : ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation |
Comme il est indiqué dans l'encadré ci-dessus, ce fonds a également vocation à soutenir la filière nanoélectronique et l'intelligence artificielle.
La coexistence de ces dispositifs et la multiplication des annonces ne permettent pas d'évaluer le soutien financier réel de l'État aux domaines de recherche jugés prioritaires ou à l'innovation, d'autant que la plupart des dotations dédiées à ces actions ne relèvent pas des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».
Malgré ces critiques, les crédits en provenance des plans d'investissement constituent des ressources devenues indispensables pour les opérateurs de recherche dans la mesure où elles ont permis à la fois la mise à niveau des équipements, la création de nouveaux outils innovants et mutualisés ainsi que le lancement de nouveaux programmes de recherche que les budgets des organismes ne permettaient pas de prendre en charge.
En 2017, ils représentent 27,4 % des crédits incitatifs du CNRS (soit 83 millions d'euros), 22 % des crédits incitatifs de l'INRA (14,6 millions d'euros), 22,5 % des crédits incitatifs pour l'INSERM (39 millions d'euros) et 48 % des crédits incitatifs du CEA (176 millions d'euros).
Par ailleurs, les crédits du PIA permettent à tous leurs bénéficiaires de se projeter dans le temps et de mettre en place une action à long terme en raison de la pluriannualité desdits crédits et de leur exonération de la réserve de précaution.
Ils ont également contribué à une plus grande structuration et visibilité de l'enseignement supérieur et de la recherche français . Ils ont renforcé l'exigence de rigueur dans la sélection des projets à travers la définition de critères fondés sur une notion large mais rigoureuse de l'investissement, l'excellence des projets et leur effet structurant, la constitution de jurys indépendants et l'instauration d'une évaluation systématique des projets financés.
Ils ont enfin renforcé l'articulation entre la recherche et la valorisation et soutenu l'innovation à travers le développement d'outils de valorisation et la mise en place d'un écosystème favorable à la création de start up .
En réalité, c'est moins l'existence des PIA que leur éventuelle extinction qui soulève des inquiétudes.
Ainsi, les appels à projet labex et equipex ont permis une mise à niveau des équipements de recherche de la France par rapport à la concurrence internationale. Toutefois, l'instrumentalisation scientifique évolue en permanence et le recours massif de la science aux outils numériques exige une rénovation régulière des instruments scientifiques que le budget du ministère en charge de la recherche à l'heure actuelle est incapable d'assumer.
De même, le lancement régulier de grands projets de recherche pluridisciplinaires nécessite des moyens considérables que ni les dotations de base des opérateurs de recherche ni les crédits de l'ANR ne sont capables de prendre en charge.
La relance d'un PIA vers 2021 - qui peut d'ailleurs prendre une autre forme, comme en témoigne le fonds pour l'innovation et l'industrie - ou la transformation de certains crédits des PIA en dotations pérennes, est donc indispensable sous peine d'un affaiblissement brutal de l'effort de recherche de la France. À la fin du quinquennat précédent, l'idée d'une loi de programmation pluriannuelle de la recherche avait commencé à s'imposer. Celle-ci continue d'être d'autant plus d'actualité que les opérateurs de recherche restent soumis à des contraintes budgétaires fortes.
* 64 Ils comprennent les appels à projet de l'ANR, les appels à projet des PIA, les financements européens, les financements à caractère industriel ainsi que d'autres financements sur projet ou programme de recherche.
* 65 23 % pour la National Science Fondation aux Etats-Unis, 35 % pour la Deutsche Forschungsgemeinschaft en Allemagne et 40 % pour le fonds national suisse.
* 66 Les outils du PIA consacrés à la valorisation de la recherche publique, rapport public thématique, mars 2018.