D. PERSPECTIVES POUR UNE STRATÉGIE DE PRÉVENTION ET DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ : QUELQUES MESURES ÉPARSES MAIS PEU DE VISION
1. Les éléments de la stratégie
Le Président de la République a annoncé, le 13 septembre 2018, une stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté qui guidera l'action du Gouvernement pour les quatre années à venir.
La stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté a été élaborée à l'issue d'une très large concertation . Cette première phase a permis la rencontre de près de 2 000 acteurs et la visite de plus de 40 structures, dans le cadre d'une dizaine de journées de concertation en territoires. Une consultation en ligne a par ailleurs permis de recueillir 7 200 contributions, dont 3 200 de personnes ayant vécu ou vivant une situation de pauvreté. Entre janvier et mars 2018, six groupes de travail thématiques présidés par des élus et des responsables associatifs se sont réunis.
La « stratégie pauvreté » porte deux ambitions majeures :
- « l'investissement social, l'éducation et la formation », pour « rompre avec le déterminisme de la pauvreté » ;
- « l'accompagnement et l'émancipation sociale par l'emploi ».
Elle repose sur cinq engagements , étagés selon les différents âges de survenance de la pauvreté :
- l' égalité des chances dès les premiers pas pour rompre avec la reproduction de la pauvreté . En particulier sera mis en place un plan de formation et un nouveau référentiel pour 600 000 professionnels de la petite enfance afin de favoriser le développement de l'enfant et l'apprentissage du langage avant l'école maternelle. 300 crèches à vocation d'insertion professionnelle seront créées d'ici 2020 ;
- la garantie des droits fondamentaux des enfants : la stratégie a pour objectif de diviser par deux d'ici à 2022 le taux de privation matérielle des enfants pauvres. À cette fin, la stratégie promeut une alimentation équilibrée pour tous (petit-déjeuner pour tous dans les écoles et tarification sociale des cantines), le déploiement de maraudes mobilisant des services de l'aide sociale à l'enfance et des services chargés de la mise à abri des familles et des enfants ;
- un parcours de formation garanti pour tous les jeunes : à cette fin, le Gouvernement instaurera une obligation de formation pour tous les jeunes jusqu'à 18 ans. En outre, 500 000 jeunes seront accompagnés en « garantie jeunes » ;
- des droits sociaux plus accessibles, plus équitables et plus incitatifs à l'activité . Cet engagement vise à moderniser la délivrance des prestations sociales en favorisant les échanges d'information entre les acteurs. Par ailleurs, le montant des prestations sociales (prime d'activité, aide au paiement d'une complémentaire santé) doit connaître une revalorisation importante ;
- enfin, l' accompagnement de tous vers l'emploi : une « garantie d'activité », combinant accompagnement social renforcé et insertion dans l'emploi, sera proposée à 300 000 allocataires par an. 100 000 salariés supplémentaires seront accueillis dans le service de l'insertion par l'activité économique. Pour généraliser l'accompagnement vers l'emploi, l'État sera garant du service public de l'insertion.
La traduction budgétaire de ces engagements dépasse largement les stricts contours de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » et s'inscrit dans une vision résolument interministérielle .
Perspectives budgétaires pour la stratégie pauvreté sur le quinquennat
(en millions d'euros)
Ministère |
Montant |
|
Rupture de la reproduction de la pauvreté |
Solidarités/Travail |
1 239 |
Garantie des droits fondamentaux des enfants |
Solidarités |
271 |
Parcours de formation garanti pour tous les jeunes |
Solidarités/Travail |
439 |
Prestations sociales plus accessibles et plus incitatives |
Solidarités |
4 968 |
Accompagnement de tous vers l'emploi |
Solidarités/Travail |
1 034 |
Autres actions |
Solidarités |
117 |
Fonds d'investissement social |
Travail |
100 |
Programme d'investissement compétences « formation, insertion par l'activité économique » |
Travail |
240 |
Programme d'investissement compétences « repérage des invisibles » |
Travail |
100 |
Total |
8 508 |
Source : Questionnaire budgétaire
Présenté autrement, le Gouvernement annonce trois principaux leviers budgétaires :
- 3,9 milliards d'euros de revalorisation de la prime d'activité ;
- 2,5 milliards d'euros d'accompagnement vers l'emploi ;
- 2,1 milliards d'euros consacrés à la prévention de la pauvreté.
La traçabilité de ces montants au sein du budget de l'État n'est pas toujours aisée. La création d'une nouvelle action budgétaire n° 19 au sein du programme 304 ne résume pas l'intégralité des mesures entreprises, dont de nombreuses se retrouvent au programme 102 de la mission « Travail et emploi » - sans pour autant qu'une action budgétaire y ait été dédiée.
Cette action n° 19 reçoit en 2019 une dotation de 171 millions d'euros.
Votre rapporteur pour avis identifie, à l'examen de cette stratégie, deux risques principaux :
- compte tenu des incidences encore mal maîtrisées de la prime d'activité en termes d'incitation financière au retour à l'emploi, il paraît imprudent d'investir près de la moitié du budget total de la « stratégie pauvreté » du quinquennat dans l'augmentation de cette prestation . Une étude affinée de ses impacts aurait dû précéder un tel investissement ;
- de façon plus générale, votre rapporteur pour avis craint que les arbitrages budgétaires de la « stratégie pauvreté » soient excessivement consacrés à l'incitation à la reprise d'activité, et insuffisamment à la lutte réelle contre la pauvreté. Le RSA n'a pour l'heure fait l'objet d'aucune annonce de revalorisation particulière, et la concentration sur la prime d'activité des efforts de lutte contre la pauvreté monétaire risque de privilégier les personnes touchant des revenus d'activité autour du Smic au détriment de ceux touchant des revenus inférieurs .
2. Les risques du revenu universel d'activité
Parallèlement à la « stratégie pauvreté », qui porte l'essentiel des mesures budgétaires de lutte contre la pauvreté, une réforme essentiellement paramétrique, mais aux impacts cruciaux, est engagée à l'horizon 2020 : le rapprochement de diverses allocations de solidarités sous la forme d'un « revenu universel d'activité ».
De nombreux travaux récents ont démontré l'intérêt d'une rationalisation de la distribution des différents minima sociaux et se sont tous faits les défenseurs d'une allocation unique ou, au moins, d'un socle commun de versement. Les prestations concernées par le rapprochement envisagé par le Gouvernement seraient notamment le RSA, la prime d'activité, l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et les aides personnalisées pour le logement (APL).
Bien que défenseur de la simplification de l'attribution des minima sociaux, votre rapporteur pour avis souhaite avertir sur un point. Le rapprochement du droit commun de différents minima, initialement conçus pour répondre aux besoins de publics spécifiques, peut poser d'importantes difficultés.
Le droit commun des minima sociaux, qui rend la solidarité nationale subsidiaire par rapport à la solidarité familiale, repose sur le postulat d'une économie d'échelle importante engendrée par la conjugalité . Ce postulat n'est pas transposable, pour des raisons évidentes, aux situations où l'une des personnes du couple présente un handicap. Votre rapporteur pour avis tient à ce titre à rappeler que les plus fervents défenseurs d'une allocation de solidarité unique se sont toujours montrés favorables à ce que soit maintenue, autrement que par de simples modulations de montant, la spécificité des bénéficiaires atteints de handicap.
3. La lutte contre la pauvreté dans un cadre décentralisé
Un autre risque identifié par votre rapporteur pour avis relatif au succès de la « stratégie pauvreté » concerne les acteurs de son pilotage . Contrairement à la stratégie menée par le Gouvernement précédent, qui avait notamment porté l'effort sur les allocations individuelles de solidarité en partenariat avec les conseils départementaux, cette nouvelle stratégie se concentre presque exclusivement sur les leviers d'action de l'État .
Deux indices sont, pour votre rapporteur pour avis, révélateurs de cette inflexion :
- la récupération annoncée par l'État du service public de l'insertion ;
- sur les 171 millions d'euros de l'action budgétaire n° 19, 135 millions d'euros financeront un fonds de lutte contre la pauvreté et d'accès à l'emploi à destination des conseils départementaux, mais dont les crédits ne leur seront accessibles qu'à condition d'une contractualisation préalable.
Le résultat de cette nouvelle « stratégie pauvreté » dépendra assurément de la coordination des acteurs publics concernés. Il convient d'en définir dès maintenant les termes stratégiques afin d'éviter les risques de blocage.