- EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du 21 novembre 2018, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 212 « Soutien de la politique de défense » de la mission « Défense » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2019.
M. Joël Guerriau, co-rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers Collègues, pour 2019, les crédits de personnel inscrits au programme 212 s'établissent à 20,55 milliards d'euros, en augmentation de 1,3% (+265 millions d'euros), soit une progression nettement plus modérée qu'en 2018 (+608 millions d'euros).
Outre une hausse mécanique des crédits destinés aux pensions, cette augmentation de la masse salariale recouvre, pour 130,3 millions d'euros, une augmentation des dépenses de rémunérations liée à la fois au schéma d'emploi et à l'application de mesures catégorielles.
S'agissant du schéma d'emploi, les 450 créations nettes prévues en 2019, conformément à la trajectoire arrêtée par la LPM, résulteront d'environ 4 250 créations de postes et de 3 800 suppressions, dans le cadre de la poursuite de la transformation de nos armées. Les nouveaux postes permettront de répondre notamment aux besoins en matière de renseignement et de cyberdéfense (+240 équivalents temps plein ou ETP), d'accompagner la montée en puissance de la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) créée en 2018 et l'arrivée de nouveaux équipements au sein des forces armées (FREMM, MRTT, capacités de surveillance aérienne...), sans oublier le soutien aux exportations. Les suppressions de postes, quant à elles, seront permises notamment par la poursuite de la rationalisation du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (MCO terrestre), la rationalisation de la carte des bases de défense (dans le cadre de la réforme des soutiens) et le retrait d'anciens équipements, notamment deux frégates et un sous-marin nucléaire d'attaque.
En termes de catégorie d'emploi, l'effort se portera sur les officiers et les civils de catégorie A, compte tenu des besoins importants en termes d'encadrement et d'expertise.
Bien sûr, comme nous l'avons souligné à maintes reprises lors de l'examen du projet de LPM, ces efforts restent insuffisants au regard des besoins : 6 000 ETP supplémentaires obtenus sur la programmation, dont les ¾ après 2022, alors que 17 000 ETP étaient demandés. Et cela indépendamment de l'éventuelle contribution des armées au futur SNU, que notre commission a bien veillé à séparer de la trajectoire de la LPM.
Pour dégager des marges de manoeuvre, il sera donc nécessaire de redéployer. C'est tout l'objet du « plan d'audit en organisation » (PAO) qui est actuellement réalisé par la direction des ressources humaines du ministère, et des 16 chantiers de transformations conduits sur son périmètre.
Pour autant, les effectifs apportés en 2019, et il faut s'en réjouir, desserreront quand même un peu la contrainte qui pèse sur l'activité opérationnelle. C'est ainsi que la Marine sera en mesure, en 2019, de développer le double équipage sur les FREMM (frégates multi-fonctions) et les patrouilleurs, qui sont les navires les plus sollicités.
Outre l'augmentation des effectifs, il faut signaler, l'impact des mesures catégorielles, pour un montant total de 131 millions d'euros. Il s'agit principalement de mettre en oeuvre la deuxième annuité du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR), dont la transposition aux militaires avait été suspendue à l'automne de l'année dernière par mesure d'économie. Par ailleurs, de nouvelles mesures sont prévues pour répondre au défi de la fidélisation. Il s'agit, en effet, de répondre à la concurrence très forte du secteur privé dans de nombreux métiers (mécaniciens aéronautiques, atomiciens, spécialistes des systèmes d'information...) et de prévenir les départs prématurés qui empêchent l'institution d'amortir ses coûts de formation et mettent en danger son fonctionnement. C'est ainsi que sera créée prochainement une nouvelle « prime de lien au service » dotée de 12 millions d'euros, en remplacement de cinq primes existantes. Des mesures indemnitaires sont aussi prévues en faveur des praticiens des armées, corps qui connaît un réel problème d'attractivité.
Les dépenses non directement liées à la rémunération - dites dépenses hors socle - enregistrent une baisse de 33,5 millions d'euros, qui traduit plusieurs évolutions, notamment une diminution des dépenses de chômage des militaires (-11,8 millions d'euros) et d'aides au départ (-7,2 millions d'euros), compte tenu de la réduction des besoins. Néanmoins, le dispositif des aides au départ, qui court jusqu'à la fin de l'année 2019, devrait être maintenu, dans la mesure où il est nécessaire pour piloter le modèle « à flux » sur lequel sont bâties nos armées. Nous serons donc particulièrement attentifs à ce que la publication de l'ordonnance intervienne en temps utile.
L'enveloppe destinée aux réserves est stable à 177,7 millions d'euros (+0,2%). En revanche, la dotation de titre 2 destinée aux opérations intérieures-missions intérieures est réévaluée (+64 millions d'euros, cela concerne surtout les MISSINT cette année), conformément la LPM, dans un souci de rapprochement avec le montant constaté de la dépense.
Après ce rapide tableau des crédits de titre 2 pour 2019, je voudrais insister sur trois enjeux majeurs pour l'année à venir dans le champ des RH :
- le premier est celui de l'attractivité des armées, c'est-à-dire leur capacité à recruter à la hauteur de leurs besoins, en quantité (25 300 recrutements à réaliser en 2019, je le rappelle, dont plus de 3 000 civils) mais aussi en qualité, avec la problématique des compétences rares ou critiques, et à conserver leurs ressources, en d'autres termes à les fidéliser. C'est un défi majeur, sur lequel ont insisté tous les responsables d'armées et de services que nous avons entendus. Et c'est aussi une question non neutre au plan budgétaire, comme nous venons de le voir avec cette fin de gestion 2018, les départs prématurés et la difficulté à recruter contribuant à la sous-consommation du titre 2. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, la réponse à ce défi ne peut être que multi-factorielle. La LPM apporte des outils, à travers l'expérimentation de recrutements sans concours et l'assouplissement du recours à des personnels contractuels pour pourvoir certains postes présentant des vacances d'emploi dans des spécialités bien identifiées (génie civil, systèmes d'information..). Le présent PLF prévoit, quant à lui, le financement de la nouvelle prime dite « de lien au service » qui devrait être attribuée par chaque armée selon ses besoins. Contribuent aussi à l'attractivité et la fidélisation une gestion plus dynamique et cohérente des carrières, de même que les mesures susceptibles de diversifier l'activité dans les métiers réputés monotones, ou à réduire l'usure générée par la suractivité, par exemple en étoffant les équipes. Il faut, bien sûr, citer aussi le « plan familles », qui vise à apporter des améliorations à la vie quotidienne en termes de gardes d'enfants, d'accompagnement du conjoint vers l'emploi, de prévisibilité de l'activité et des permissions, de mobilité... et plus largement, l'attention portée à la condition du personnel.
- Le deuxième défi concerne la rémunération des militaires, avec plusieurs rendez-vous à risque. En premier lieu, le prélèvement à la source, qui ne devra pas conduite à soumettre à l'impôt certaines primes et indemnités non fiscalisables, comme celles que les militaires perçoivent lorsqu'ils partent en OPEX. En second lieu, la bascule de Louvois à Source Solde, qui devrait intervenir au printemps 2019 pour la Marine nationale, sous réserve que les pré-soldes conduites en double dans un premier temps donnent satisfaction, avant d'être étendue aux autres armées. Le désastre Louvois ne doit pas se reproduire ! Enfin, la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM), réforme de grande ampleur (puisque quelque 300 000 agents sous statut sont concernés) sera engagée dès 2019. Les objectifs de ce vaste chantier, l'une des priorités du ministère au cours de la prochaine programmation, sont multiples. Il s'agit de simplifier un système indemnitaire comprenant 174 primes pour en améliorer la lisibilité et réduire les coûts de gestion, mais aussi assurer l'attractivité des emplois et des carrières, favoriser une gestion différenciée du personnel et la maîtrise de la masse salariale. Selon la méthodologie adoptée, la nouvelle rémunération devrait prendre en compte huit paramètres différents tels que les sujétions statutaires, l'exercice de responsabilités, l'engagement opérationnel, les activités spécifiques à haut niveau d'exigence, la mobilité...480 millions d'euros sont prévus dans la LPM 2019-2025 pour mener à bien cette réforme techniquement délicate et sensible et compenser les pertes de revenus. Pour autant, la perspective de sa mise en oeuvre, à compter de 2021, est un motif d'inquiétude pour les militaires.
- Enfin, le troisième défi, qui vient s'ajouter aux précédents, est celui de la réforme des retraites, qui vise à remplacer l'actuel système actuel par répartition par un système dits « à points ». Cette réforme permettra-t-elle de conserver la singularité militaire, qui se traduit par des bonifications spécifiques et par des limites d'âges et un dispositif de décote adaptés à des carrières courtes ? Le 13 juillet 2018, le Président de la République a donné des assurances en ce sens, mais l'économie du projet n'est pas encore connue et devra être examinée attentivement le moment venu, dans le courant de l'année 2019.
Je cède maintenant la parole à mon collègue Gilbert Roger.
M. Gilbert Roger, co-rapporteur. - Mes chers collègues, le programme 212 hors titre 2 est le programme « support » du ministère, correspondant aux missions portées par le Secrétariat général de l'administration, notamment en matière de politique immobilière, de systèmes d'information, de ressources humaines et de restructurations.
Ce programme 212 hors titre 2 a connu l'an dernier une forte hausse, de près de 20%.
Cette année, les crédits s'élèvent à 2,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE), en baisse de 1 %, et à 2,6 milliards d'euros en crédits de paiement, en hausse de 3%.
Après une forte hausse, les crédits sont donc stabilisés.
Ceci reflète l'évolution des crédits de la politique immobilière, qui représentent les deux tiers du programme soit 2,1 milliards d'euros en AE et 1,8 milliards d'euros en CP, en légère hausse, mais seulement pour les crédits de paiement, après une augmentation exceptionnelle de plus de 400 millions d'euros l'an dernier.
Ce budget doit permettre la poursuite des opérations d'infrastructure d'importance stratégique, qui sont prioritaires. Certains d'entre nous ont vu par exemple le nouveau hangar du MRTT à Istres, qui est impressionnant. Ces opérations d'infrastructures entraîneront des pics de paiement entre 2020 et 2022, ce qui conduit au ralentissement d'autres opérations. C'est le cas par exemple du programme d'adaptation de certains espaces d'entraînement de l'armée de terre. Il ne faudrait pas que les équipements majeurs soient mieux logés que les soldats... c'est le risque qu'a pointé devant nous le chef d'état-major de l'armée de terre.
L'effort réalisé en faveur des conditions de vie du personnel se poursuit avec une hausse de 3% en AE et de 7% en CP.
Par ailleurs, l'offre de logements doit augmenter de 660 unités en métropole d'ici à 2023, conformément au plan Familles. Les crédits affectés au logement familial en 2019 sont toutefois stables.
Un effort particulier est prévu en faveur des opérations de réhabilitation supérieures à 500 000 euros, c'est-à-dire la maintenance lourde, dont la dotation augmente significativement. Il s'agit d'accélérer la mise à niveau des ensembles d'hébergement et de restauration les plus détériorés. Je rappelle que la loi de programmation militaire ne permet qu'une stabilisation de l'état du patrimoine. Elle prévoit un effort d'investissement de 13,6 milliards d'euros entre 2019 et 2025. Mais des arbitrages ont conduit à reporter 1,5 milliard d'euros d'investissements après 2025.
Nous avions indiqué, lors de la discussion de la LPM, que la soutenabilité de l'effort à réaliser était incertaine, en l'absence de renforcement des services de soutien. La stratégie d'efficience accrue a ses limites. Le Secrétaire général de l'administration nous a confirmé des difficultés à dépenser les crédits alloués l'an dernier, à hauteur de 60 millions d'euros environ.
La décentralisation des petits travaux est une réponse encourageante à la saturation des services de soutien. La convention dite « SPIRALE » entre l'armée de Terre et le service des infrastructures de la défense (SID) doit permettre de redonner des leviers d'action aux chefs de corps.
L'externalisation est une autre réponse, mais avec également des limites, en termes de délais et de prise en compte des besoins et de leurs évolutions.
Nous avons auditionné le service des infrastructures de la défense (SID). Ce service comptait 11 500 employés en 2005... Il en compte aujourd'hui 6 700 et cet effectif ne progressera pas sur la durée de la LPM.
Le SID a été bâti depuis 2005 dans la perspective d'un milliard d'euros de dépenses immobilières annuelles. Or la LPM fixe un objectif de plus de 2 milliards d'euros par an. Ce service est donc sous forte tension, d'autant que la moitié de son personnel civil partira à la retraite dans les cinq prochaines années, ce qui signifie que 400 recrutements par an sont nécessaires.
Précisons que les évolutions des soutiens ne remettent pas en cause leur mutualisation dans le cadre des bases de défense (BDD) qui passeront au 1er janvier de 51 à 45. Cette mutualisation était souhaitable, mais peut-être aurait-on pu réfléchir à un réemploi intelligent d'une partie des effectifs plutôt que de les rendre de façon précipitée.
J'en viens aux cessions immobilières.
Vous connaissez les procédures de cession en cours à Paris. La cession d'une fraction de l'Ilot Saint-Germain à la régie immobilière de la ville de Paris a été réalisée le 31 mai 2018 pour un montant de 29 millions d'euros après application de la décote dite « Duflot » à hauteur de 66 % de la valeur du bien. Le ministère des armées devrait récupérer à ce titre 50 logements sociaux. Nous avons dit en LPM que c'était insuffisant. Et nous avons permis, pour l'avenir, la réservation par le ministère des trois quarts des logements sociaux réalisés dans ce type d'opération (article 47 de la LPM). Cela doit permettre de faire beaucoup mieux que ce qui a été fait dans le cadre de la cession de l'Ilot Saint-Germain.
L'avenir du site du Val de Grâce est toujours à l'étude. La cession, estimée à 150 millions d'euros, est envisagée en 2021 et constitue l'essentiel des prévisions d'encaissement du compte d'affectation spéciale à cette échéance.
Je terminerai en évoquant rapidement Source-Solde.
Plus de 99,9% des soldes payées par Louvois le sont désormais sans incident... Mais il va falloir passer à Source-Solde. La bascule était prévue cette année. Elle a été reportée à 2019 pour la marine, puis ce sera le tour de l'armée de terre en 2020. Les crédits augmentent, notamment en raison de l'allongement des tests.
L'expérience passée, la complexité du système de rémunération des militaires et l'introduction concomitante du prélèvement à la source devraient inciter à la plus grande prudence.
Malgré un effort significatif l'an dernier, la politique immobilière est le maillon faible de la LPM. Les orientations sont bonnes mais d'une ampleur insuffisante.
C'est pourquoi je m'abstiendrai sur ce budget, dans une optique qui se veut constructive.
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À l'issue de sa réunion du 21 novembre 2018, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Défense », avec 5 voix pour, du groupe LREM et de M. Robert del Picchia, et l'abstention des autres commissaires présents (38 abstentions). |