C. LES CRÉDITS DU PROGRAMME 123 : « CONDITIONS DE VIE OUTRE-MER »
Concrètement, le programme 123 cible l'accès au logement, à la santé et à l'éducation. L'État contribue ainsi, avec les collectivités territoriales, à l'aménagement des territoires ultramarins et à la mise en oeuvre du principe de continuité territoriale.
La justification de ces crédits rejoint la notion de réduction des écarts qui a fondé la loi EROM. Rappelons ici que le produit intérieur brut moyen par ultramarin reste inférieur de près de 40 % à celui de l'hexagone et que la proportion de bénéficiaires des minima sociaux est quatre fois plus élevée.
Ce programme « Conditions de vie outre-mer », affiche lui aussi, des crédits en augmentation, financés par des prélèvements fiscaux. Le PLF pour 2019 prévoit dans ce programme 123 deux principales hausses :
- 23 millions d'euros en AE et 15 millions d'euros en CP pour la dotation de la politique contractuelle de l'État ;
- 70 millions d'euros en AE et de 30 millions d'euros en CP pour le fonds exceptionnel d'investissement, qui finance des investissements publics structurants dans l'ensemble des territoires d'outre-mer, sera également renforcé. Votre rapporteur pour avis note ici l'écart important entre les AE et les CP de cette dotation supplémentaire au fonds exceptionnel d'investissement, financée par la diminution de l'avantage sur l'impôt sur le revenu.
Évolution des crédits du programme n° 123 « Conditions de vie outre-mer »
Source : documentation budgétaire.
1. Une nécessité : l'activation des crédits logement pour relancer l'effort de construction
Afin de mieux prendre en compte les particularités ultramarines, l'action de l'État dans le domaine du logement et de la résorption de l'habitat insalubre relève, depuis 1997, de la responsabilité du ministère des outre-mer et non plus du ministère en charge du logement. Les crédits de l'action 1 du programme 123 visent à favoriser :
- la construction de logements dans les DROM, par l'intermédiaire de subventions et de prêts à taux zéro ;
- la résorption de l'habitat insalubre, qui concerne près de 110 000 logements ultramarins sur un parc total de 880 000 logements ;
- et l'amélioration de la sécurité du parc social qui subit un vieillissement accéléré par les conditions climatiques et la récurrence de catastrophes naturelles.
Ces crédits de l'action 1 ne concernent que les DROM, puisque, dans les COM et en Nouvelle-Calédonie, le logement relève de la compétence des collectivités. Les politiques locales, dans l'ensemble des outre-mer, sont néanmoins soutenues à travers les contrats de développement (action 2 Aménagement du territoire) et par des dépenses fiscales.
Ce budget propose pour 2019, une stagnation à 225 millions d'euros des AE de l'action Logement et une baisse de 4 millions d'euros des CP qui atteignent 223 millions d'euros. Cette stagnation intervient après la diminution des crédits ouverts pour l'année 2018 (- 8,6 % en AE et - 1,6 % en CP) par rapport à 2017.
Les crédits budgétaires ne sont toutefois pas les seules sources financières publiques en faveur de la politique du logement dans les outre-mer. La dépense fiscale est un outil également utile et efficace qu'il convient de préserver.
Votre rapporteur pour avis rappelle à nouveau que le Sénat a imprimé sa marque de réalisme dans la loi dite EROM en fixant un objectif de 150 000 logements construits ou réhabilités en dix ans. Pour atteindre concrètement ce but, il faut combiner plusieurs outils : les subventions, l'aide fiscale avec des procédures d'agrément efficaces, mais aussi du foncier, des normes de construction adaptées et une programmation astucieuse pour choisir les bonnes cibles et les bons emplacements de construction ou de réhabilitation.
Or, au fil des ans, des crédits constants ou en hausse sont affichés dans les « bleus » budgétaires, tandis que la construction ultramarine recule. Les freins ont été identifiés depuis longtemps et la demande de simplification ainsi que d'acclimatation des normes et des procédures est de plus en plus forte.
De manière sous-jacente, certains blocages révèlent une interrogation sur les coûts de construction mais, là aussi, il convient clarifier la situation réelle : d'une part, les normes interdisent bien souvent le recours à des matériaux locaux moins chers et, d'autre part, les catastrophes naturelles démontrent l'utilité de constructions résistantes.
Quant à la simplification du dédale administratif , elle éviterait une sous-consommation des crédits, cette dernière s'expliquant aussi par la difficulté pour les opérateurs de faire face à des demandes imprévues de justificatifs pour les dossiers de financement.
2. La hausse du financement des contrats de plan avec l'État
L'action n° 2 Aménagement du territoire soutient l'investissement public et l'action des collectivités territoriales.
Pour 2019, 179 millions d'euros sont prévus en AE (contre 161,2 en 2018), dont 55 millions d'euros pour les DROM et 124 millions d'euros pour les collectivités d'outre-mer et la Nouvelle-Calédonie. En CP, 156 millions d'euros (contre 166 en 2018) sont destinés au règlement de ces opérations, principalement au titre des années antérieures, dont 50 millions d'euros pour les DROM et 106 millions d'euros pour les autres collectivités d'outre-mer.
Ces crédits cofinancent la génération de contrats de plan État-régions (CPER) 2015-2020 qui visent financer des priorités comme l'amélioration des infrastructures ultramarines, la transition énergétique, l'innovation et la cohésion sociale. Ces contrats doivent désormais être articulés avec les plans de convergence introduits par la loi EROM. Pour sa part, la nouvelle génération de contrats de projets entre l'État et la Polynésie française bénéficie d'une enveloppe totale de 360 millions d'euros sur 6 ans, de 2015 à 2020, à parité entre l'État et le Pays.
Une partie des économies réalisées par la suppression de la TVA NPR et la baisse du plafond de la réfaction d'impôt sur le revenu dans les DROM serait réallouée à cette action 2, pour des montants de 26 millions d'euros en AE et 16 millions d'euros en CP.
3. Les crédits en faveur de la
continuité territoriale sont stables
et leur « pouvoir
d'achat » dépend du niveau des tarifs aériens.
La politique nationale de continuité territoriale est définie par l'article L. 1803-1 du code des transports : elle tend « à rapprocher les conditions d'accès de la population aux services publics de transport, de formation, de santé et de communication de celles de la métropole, en tenant compte de la situation géographique, économique et sociale particulière de chaque collectivité territoriale d'outre-mer ».
Pour 2019, les crédits de cette action 3 s'établissent à 42 millions d'euros en AE et en CP, soit une hausse d'un million d'euros.
L'efficacité de ces crédits repose en partie sur les conditions tarifaires négociées avec les voyagistes. L'entrée d'opérateurs « low cost » (Frenchblue, Norwegian) permet également d'espérer une diminution des coûts aériens.
4. Une stabilisation des moyens alloués aux collectivités territoriales d'outre-mer.
L'action n° 6 Collectivités territoriales, qui représente presque le tiers des crédits du programme, répond à trois objectifs : donner aux collectivités les moyens de favoriser l'égal accès aux services publics locaux des ultramarins, financer les secours d'urgence lors des catastrophes naturelles, et enfin soutenir la sécurité et la défense civiles.
En 2017, la très forte hausse apparente de cette action reposait, en réalité, sur le transfert entrant lié à des constructions scolaires en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte, rétrocédé par la suite à la mission Éducation nationale. Puis la dotation a progressé en 2018 d'environ 20 % à périmètre constant pour atteindre 261,9 millions d'euros en AE et 225,6 millions d'euros en CP. Le PLF pour 2019 propose une stabilisation des autorisations d'engagement à 261,6 millions d'euros et une augmentation des crédits de paiement avec 236,4 millions d'euros (+ 15,3 millions d'euros).
L'année dernière a été marquée par le renforcement exceptionnel des crédits alloués aux constructions scolaires de Guyane, pour 55 millions d'euros en AE conformément aux accords de Cayenne.
Pour 2019, l'effort principal concerne l'aide à la reconversion de l'économie polynésienne avec une dotation stable à 150,9 millions d'euros en AE mais des CP en légère baisse à 153,8 millions (- 4,1 millions d'euros).
Le montant de la dotation globale d'autonomie (DGA) est, comme l'an dernier, sanctuarisé à hauteur de 90,5 millions d'euros.
5.
Le fonds exceptionnel d'investissement (FEI - action
8) :
une priorité accordée à l'amélioration
des infrastructures.
Créé par l'article 31 de la loi pour le développement économique des outre-mer, le Fonds exceptionnel d'investissement (FEI) finance le plan de rattrapage en matière d'équipements publics outre-mer sous la forme d'une aide aux personnes publiques qui investissent pour le développement local et l'emploi.
Concrètement, un appel à projets est lancé chaque année. Il permet aux collectivités publiques de proposer une liste d'opérations qu'ils souhaiteraient voir subventionnées, dans le domaine, par exemple, des opérations d'adduction d'eau potable, de gestion des déchets, de désenclavement et de création d'infrastructures numériques.
Votre rapporteur pour avis souligne l'importance des crédits du fonds exceptionnel d'investissement (FEI) qui ont un effet de levier considérable pour l'investissement dans nos outre-mer. Il convient également de préciser que ce fonds s'ajoute aux priorités du Grand plan d'investissement (GPI) de 57 milliards pour l'ensemble du quinquennat dont un milliard pour les outre-mer.
Le budget pour 2019, prévoit une nette progression des crédits du FEI surtout en autorisations d'engagement (+ 70 millions d'euros) et dans une moindre mesure en crédits de paiements (+ 29 millions d'euros) ce qui porte l'enveloppe globale à 110 millions d'euros en AE et 65 millions d'euros en CP.
Certes, cette augmentation est conforme aux préconisations du livre bleu des assises des outre-mer et il est indéniable que les économies ultramarines ont absolument besoin d'un renforcement des infrastructures. L'urgence des besoins en rénovation des infrastructures portuaires a été mentionnée à plusieurs reprises pendant les auditions et la documentation budgétaire précise les autres priorités à financer :
- les opérations en matière d'eau et d'assainissement, en particulier à Saint-Martin, où le réseau a été endommagé par l'ouragan Irma et en Guadeloupe, pour le rénover ;
- le traitement des déchets, le désenclavement physique et numérique des territoires, la prévention des risques naturels ;
- les équipements de proximité dans les domaines sanitaire et social, avec un effort particulier pour les équipements sportifs de 7 millions d'euros, à parité avec le ministère des sports ;
- les infrastructures d'accueil des entreprises ; les constructions scolaires et le tourisme.
Cet affichage prometteur suscite toutefois trois interrogations ( cf . en complément l'analyse du « recyclage » dans la deuxième partie du présent rapport.).
- Tout d'abord, on peut se demander si, en volume, cette augmentation du FEI pourra contrebalancer l'effet récessif de ses contreparties fiscales : la baisse du plafond de l'avantage d'impôt sur le revenu dans les DROM (70 millions d'euros) et la suppression de la TVA NPR (100 millions d'euros).
- En particulier, la TVA non perçue récupérable a un effet direct et immédiat sur l'investissement, alors que la montée en charge du FEI ne peut se faire que progressivement. Approfondissant ce point essentiel, votre rapporteur a insisté au cours des auditions sur l'obstacle que pourrait représenter les délais de traitement des dossiers : il lui a été affirmé que de nombreux projets d'ores et déjà présentés par acteurs publics peuvent être instruits très rapidement par le ministère en charge des outre-mer.
- De plus les prélèvements fiscaux pèseront sur les seuls contribuables des collectivités de l'article 73 de la Constitution tandis que le FEI finance des opérations dans l'ensemble des outre-mer, c'est-à-dire dans les collectivités des articles 73 et 74 de la Constitution ainsi qu'en Nouvelle-Calédonie. Cela soulève non seulement comme l'ont opportunément souligné les députés une question d'équité mais également un risque de fragilisation économique de certains territoires puisque la clientèle locale est fondamentale pour bon nombre d'entreprises.