II. LA MUSIQUE ET LE JEU VIDÉO : UN DISCRET SOUTIEN

La sous-action 2 du programme 334 « livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » est consacrée aux industries culturelles . Elle affiche, pour 2018, avec 15,1 millions d'euros contre 16,4 millions d'euros l'année précédente, une légère diminution de son enveloppe, qui doit toutefois être relativisée . En effet, 2,6 millions d'euros de crédits déconcentrés destinés au soutien du cinéma en régions seront désormais financés par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), ce qui conduit en réalité à une croissance de la sous-action 2. Réduite des 9 millions d'euros de subvention de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), l'enveloppe de crédits consacrée aux industries culturelles - musique enregistrée et jeu vidéo -, en augmentation, s'élèvera à 6,1 millions d'euros en 2018.

A. L'INDUSTRIE MUSICALE POURSUIT SA MUE

1. Un marché qui se réinvente entre technologie et vintage
a) La musique serait-elle sortie d'affaire ?

Après les États-Unis et la Grande-Bretagne et pour la première fois depuis 2002, année de la déflagration Napster et des échanges de morceaux gratuits en peer to peer , le marché français de la musique enregistrée est, en 2016, reparti à la hausse (+ 5,4 %) à près de 450 millions d'euros (570 millions d'euros avec les droits voisins), loin encore cependant des revenus enregistrés en 2002 (1,3 milliard d'euros).

Le marché de la musique

Source : Ministère de la culture

Selon un sondage réalisé par l'Ifop pour l'association Tous pour la musique et publié en février dernier, 61 % des Français écouteraient de la musique tous les jours et 71 % plus de quatre fois par semaine tout en faisant profondément évoluer leurs usages : la croissance observée est portée par le marché numérique (183 millions d'euros de chiffre d'affaires), et notamment le streaming (+ 37 %) , qui représente en 2016 41 % du chiffre d'affaires de la musique enregistrée , soit la proportion la plus élevée des industries culturelles après le jeu vidéo. Le Syndicat national des éditeurs de phonogrammes (SNEP) estime à vingt-huit milliards le nombre de titres « streamés » en 2016, contre dix-huit milliards en 2018.

Un marché porté par le numérique

Source : Snep
Enjeux économiques, sociaux et culturels 2017

Le marché de la musique dématérialisée est majoritairement porté par les abonnements aux plateformes de streaming audio, en augmentation de 42 %. Ils représentent environ 26 % des utilisateurs des plateformes mais génèrent 82 % de leurs revenus. A contrario , le téléchargement sur des plateformes comme ITunes poursuit son repli.

Le marché de la musique dématérialisée

(1) Titres, albums, vidéos musicales, autres ; hors abonnements (2) Sonneries, titres, vidéo musicales, autres (3) Abonnement audio et vidéo (4) streaming audio et vidéo financé par la publicité

Source : Ministère de la culture

Au niveau mondial, Spotify recense 60 millions d'abonnés payants, quand Apple Music en totalise 20 millions et Deezer 10 millions. S'agissant de la France, les chiffres publiés par EY sur les pratiques culturelles font état de près de 4 millions de Français abonnés à des offres de musique payantes (Deezer, Spotify, Apple, Napster, etc.) parfois subventionnées par leur opérateur mobile (90 % des utilisateurs de ces plateformes utilisent le service sur leur mobile).

Selon le Panorama 2017 publié en septembre dernier par la Fédération internationale de l'industrie phonographique (IFPI), l'usage des services d'accès légal au streaming progresse avec 45 % d'écoute (85 % chez les 13-15 ans) contre 37 % en 2016. Si les jeunes générations constituent le plus fort contingent de « streameurs », le phénomène concerne l'ensemble de la population et les plus de 50 ans représentent désormais 25 % des utilisateurs.

Le streaming, un usage de plus en plus populaire

Source : Snep
Enjeux économiques, sociaux et culturels 2017

En outre, une proportion non négligeable des revenus de YouTube sur le territoire national (37 millions de visiteurs uniques tous supports confondus selon Médiamétrie) est généré par la musique, soit 143,6 millions d'euros en 2016.

L'essor du numérique dans l'écosystème musical offre des perspectives nouvelles aux labels indépendants , particulièrement malmenés par la crise qui a balayée l'industrie à partir de 2002. On se souvient d'Atmosphériques, qui comptait parmi ses artistes Louise Attaque et Louis Chedid, mis en redressement judiciaire puis racheté par BMG ou de Naïve repris par le distributeur numérique Believe. Internet modifiant en profondeur les pratiques de production et de promotion, dont les coûts diminuent sensiblement, des parts de marché se libèrent pour de nouveaux entrants, à l'instar du label Six et Sept créé par Pascal Nègre, anciennement à la tête d'Universal Music France, la principal major française.

Dans le segment des ventes physiques, en recul de 2,5 % pour une part de marché à 59 % en 2016, le marché du vinyle se démarque : il atteint 1,7 million d'exemplaires vendus en 2016, soit une augmentation de 72 % en un an et un triplement en cinq ans. Les ventes de vinyle, longtemps limitées à l'engouement discret de passionnés, représentent, en 2016, 8 % du marché de la musique. 93 % de ces ventes s'opèrent auprès de disquaires indépendants , dont les créations enregistrent une légère augmentation. Objet musical à part entière, le vinyle s'impose chez les mélomanes avertis, avec des différences de genres marquées selon la génération des acheteurs : les plus de soixante ans sont consommateurs d'albums de jazz, tandis que les moins de trente ans, qui représentent 48 % du chiffre d'affaires du vinyle, préfèrent les musiques afro-cubaines ou africaines, ainsi que le reggae et l'ambient. Pour autant, le rock continue à générer l'essentiel des ventes : chaque année, les rééditions de titres de groupes mythiques ont autant de succès que les artistes contemporains. Sony, qui avait cessé de fabriquer des vinyles depuis trente ans, a même décidé de reprendre sa production en mars 2018.

Dans ce contexte de croissance, les productions françaises continuent à attirer le public . On comptait ainsi, en 2016, dix-huit chansons françaises ou francophones, dont trois issues d'un premier album, dans les vingt titres les plus écoutés, tous supports confondus, le podium étant occupé par Renaud (Renaud), Encore un soir (Céline Dion) et Un monde meilleur (Kids United). 75 % des deux-cent meilleures ventes sont des productions françaises. 496 artistes français se trouvent au catalogue des majors , dont 125 nouvellement signés en 2016.

La chanson française s'assure également un joli succès à l'étranger avec des artistes comme Maître Gims, Christine and The Queens ou Kings (+ 30 % pour les ventes d'albums en 2016) ; le seuil des 100 000 exemplaires vendus à l'export a été franchi par dix albums en 2016, soit le double de l'année précédente.

Ce tableau enthousiasmant pourrait toutefois être de courte durée. En effet, selon les chiffres rendus publics par le SNEP en juillet dernier, les ventes de musiques enregistrées sont en baisse de 2,3 % au premier semestre 2017, ralenties par l'effondrement des ventes de CD (- 18 %) tirées à la hausse en 2016 par l'immense succès de l'album de Renaud (730 000 exemplaires vendus). Pourtant, au cours de la même période, les revenus du streaming ont crû de 27 %, conduisant pour la première fois à ce que le numérique représente plus de la moitié (55 %) du chiffre d'affaires de l'industrie musicale, et sur ce marché la poursuite du recul des téléchargements (- 20 %).

b) La face cachée du streaming
(1) Le piratage va plus vite que la musique

Si le succès des offres légales de streaming contribue à limiter le piratage musical, reste que, selon le rapport annuel de l'IFPI, 40 % des consommateurs accèdent à la musique en piratant . Le stream ripping , consistant à réaliser une copie pérenne de contenus diffusés en streaming , représente désormais l'usage illicite dominant et concerne jusqu'à 53 % des internautes de seize à vingt-quatre ans.

Les moteurs de recherche comme YouTube ou Google jouent un rôle déterminant dans la diffusion de cette pratique. Toujours d'après l'IFPI, 54 % des stream rippers utilisent Google pour trouver des fichiers illicites de musique.

Selon une étude de l'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle, l'industrie musicale perdrait en France 3,7 % de sa valeur à cause du piratage, quand la moyenne européenne s'établirait à 5,2 % (4,5 % au Royaume-Uni, 7,4 % en Suède et 8 % en Espagne). Cette étude a été réalisée en 2015, alors que le développement du streaming était encore frémissant : compte tenu de l'essor des pratiques de stream ripping , il apparaît plus que probable que ces proportions aient augmenté.

(2) Un partage incertain de la valeur

En mai dernier, l'Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI) signait un livre blanc en faveur d' un changement du mode de répartition des revenus issus du streaming . Y est dénoncée l'opacité des pratiques des plateformes, selon lesquelles la rémunération est déterminée en fonction du nombre d'écoutes d'un titre rapporté à l'ensemble des écoutes par pays et par mois, ce qui tend « à écraser la rémunération de la plupart des titres qui ne figurent pas dans le sommet de la pyramide (...) et pourrait asphyxier à terme la production locale du fait de cette concentration » . La plateforme française Deezer s'est également déclarée en faveur d'un changement radical des modalités de rémunération des ayants droit. L'algorithme actuel est en effet particulièrement favorable aux musiques urbaines au détriment du jazz et de la musique classique.

Un calcul basé sur la consommation de chaque abonnement permettrait un rééquilibrage du partage des recettes, une diversité de l'offre et une lutte plus efficace contre les fraudeurs, qui utilisent des logiciels pour augmenter artificiellement le nombre d'écoutes de certains titres.

L'industrie musicale a été secouée, ces derniers mois, par une polémique portant sur de possibles tricheries , qui gonflerait artificiellement le nombre d'écoutes de certains artistes. Le SNEP a alerté, en novembre 2016, sur des anomalies au bénéfice d'artistes de rap hip-hop, qui cumulaient des scores d'écoute démesurés sur les plateformes de streaming audio. Certains étaient ainsi écoutés bien plus que les suivants au classement pendant plusieurs mois d'affilée et sur l'ensemble des titres d'un album, disproportion amplifiée lors des sorties d'albums. Or, soulignait le SNEP, dans le même temps « les performance de ces artistes sur les plateformes de streaming audio sont loin d'être atteintes sur les autres canaux de distribution ou de diffusion de musique digitale » , comme les téléchargements ou les visionnages sur YouTube. Les producteurs émettent alors la possibilité que des batteries d'ordinateurs équipés de logiciels ad hoc tournent en boucle pour augmenter artificiellement les scores d'écoute . Des entreprises offrent d'ailleurs ce service : 500 000 écoutes sur Spotify sont ainsi monnayées 1 500 euros.

Si les plateformes ont depuis indiqué qu'elles disposaient de strictes procédures de contrôle , le doute demeure parmi les producteurs et les artistes, d'autant que de telles disproportions dans le nombre de streams a des conséquences sur les revenus des ayants droit : ceux issus du streaming bien sûr, mais également des autres canaux d'écoute et de vente puisque qu'un succès sur une plateforme enclenche une dynamique sur la programmation des radios, qui demeurent un vecteur efficace de prescription.

Par ailleurs, s'agissant des niveaux de rémunération eux-mêmes et bien que les plateformes, toutes encore déficitaires, reversent plus de 70 % de leur chiffre d'affaires aux producteurs, éditeurs et artistes, les revenus perçus sont en proportion nettement moins élevés que ceux issus des ventes physiques .

Revenu producteur annuel par visiteur unique en 2016

Source : Snep - Enjeux économiques, sociaux et culturels 2017

Alors que les droits d'un artiste sur un CD oscillent entre 1 euro et 80 centimes, le streaming lui rapporte 0,001 euro par écoute. Geoff Barrow, membre fondateur du groupe Portishead, indiquait ainsi récemment que pour trente-quatre millions de titres écoutés en ligne, il percevait 2 370 euros. Eddie Schwartz, qui a écrit pour Donna Summer, Pat Benatar ou Joe Cocker, affirme quant à lui que là où il gagnait 45 000 dollars par an pour un disque vendu à un million d'exemplaire, il ne perçoit plus que 35 dollars pour un titre écouté par un million d'internautes.

Votre rapporteure pour avis se félicite dans ce contexte de l'accord intervenu le 7 juillet dernier entre les représentants des artistes et des producteurs pour faire bénéficier les artistes interprètes sous contrat d'exclusivité d'une rémunération minimale brute de 13 %, au lieu des 10,6 % prévus dans l'actuelle convention collective nationale de l'édition phonographique. En outre, pour les fonds de catalogue, l'artiste touchera 12 % de royalties quand un album de plus de vingt-quatre mois sera diffusé en streaming. Il est cependant regrettable que les représentants des artistes-interprètes aient choisi de retirer leur signature de l'accord, malgré l'intervention d'une mission de médiation.

Cet accord ne règle par ailleurs nullement la question des rémunérations dans le cadre du streaming vidéo . Dans son rapport annuel rendu public le 19 septembre dernier, l'IFPI rappelle que cette pratique, notamment sur YouTube dont 85 % des utilisateurs déclarent s'y connecter pour la musique, représente plus de la moitié du temps d'écoute en streaming , alors que les créateurs et les producteurs ne sont pas rémunérés en conséquence. En France, la plateforme a ainsi seulement reversé 12 millions d'euros aux ayants droit, là où Deezer, Spotify, Apple Music et, dans une moindre mesure, Tidal et Qobuz se sont acquittés de 132 millions d'euros.

Au-delà d'une taxation spécifique à ces diffuseurs, le point d'équilibre en termes de partage de la valeur entre plateformes audio et ayants droit ne pourra être trouvé, de l'opinion de votre rapporteure pour avis, qu'à l'aune de la révision à venir de la législation européenne en matière de droit d'auteur qui prévoit de requalifier leur statut.

(3) Une nouvelle concurrence pour les radios

Né avec le streaming , le phénomène des playlists bouleverse les usages des amateurs de musique . On estime ainsi que 62 % des abonnés à une plateforme audio utilisent les playlists mises à leur disposition ; on en compte cent millions sur Deezer et près de deux milliards sur Spotify, créés en interne - une équipe de quatre-vingt-dix personnes y est dédiée chez Spotify - par les abonnés eux-mêmes. Aux États-Unis, neuf dixièmes des abonnés à Apple Music et à Spotify ont déjà réalisé leur propre sélection. Sur Spotify toujours, la sélection Hits du moment (ou Today top hits ) regroupe seize millions d'abonnés et la playlist RapCaviar sept millions. D'autres, comme Capsule temporelle ou, chez Deezer, Coeur brisé , demeurent plus iconoclastes.

De nombreux artistes se font ainsi connaître via les playlists , comme le Français Petit Biscuit, phénomène de la musique électronique, ou la chanteuse Lorde et son titre Royals plébiscité dans la sélection International Hits .

Alors que les playlists deviennent une norme d'écoute , le média radiophonique subit une désaffection , notamment de la part des jeunes générations. En France, 922 000 jeunes de treize à vingt-quatre ans ont déserté le média traditionnel ces quatre dernières années. Le choix presque infini de morceaux, l'absence de limite territoriale pour la diffusion et la liberté de programmation au regard des quotas obligatoires de chansons francophones prévus par la loi n° 94-88 du 1 er février 2014 modifiant la loi n° 86-1067 du 30 décembre 1986 relative à la liberté de communication, et modifiés à plusieurs reprises depuis lors : autant de raisons qui expliquent le succès des webradios.

La riposte s'organise cependant. À titre d'illustration, le groupe NRJ a développé un bouquet de cent-cinquante radios digitales (deux-cent-cinquante en comptant les stations pour adultes) proposant chacune un univers différent et générant entre quarante et cinquante millions d'écoutes mensuelles.

En application du principe de neutralité technologique, l'article 13 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine a consacré l'extension de la rémunération équitable au webcasting musical . La licence légale s'applique désormais aux radios diffusées sur Internet en flux continu, par le biais du simulcasting (diffusion en ligne simultanée et sans changement de programmes de radios hertziennes) ou du webcasting linéaire (diffusion en continu de programmes propres, créés spécifiquement pour une diffusion en ligne). Le nouvel article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle couvre les services de radio qui diffusent leurs programmes uniquement sur Internet, ce qui devrait leur offrir un accès facilité aux catalogues des producteurs de phonogrammes et permettre un développement significatif de ce marché.

L'arrêté de la ministre de la culture portant composition de la commission « rémunération équitable », prévue à l'article L. 214-4 du code de la propriété intellectuelle pour fixer le barème applicable aux services de webcasting , a été publié le 13 février 2017. Cet acte réglementaire a fait l'objet d'un recours pour excès de pouvoir de la part des sociétés de gestion collective des producteurs phonographiques , assorti d'une question prioritaire de constitutionnalité déposée devant le Conseil d'État le 23 mars dernier. Les requérants estimaient que le dispositif constituait une privation de leur droit de propriété ou, à tout le moins, y portait une atteinte disproportionnée, et limitait leur liberté contractuelle et d'entreprendre en les empêchant de déterminer et de négocier le montant de leur rémunération.

En l'espèce, le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision du 4 août 2017, les dispositions permettant l'extension de la rémunération équitable aux radios sur Internet non-interactives conformes à la Constitution car, favorisant la diversification de l'offre culturelle proposée au public tant quantitativement que qualitativement, elles poursuivent un objectif d'intérêt général .

2. Un soutien public pianissimo
a) Le crédit d'impôt pour les dépenses de production phonographique : l'indispensable prorogation

Depuis 2002, la crise de l'industrie musicale - diminution de 65 % du chiffre d'affaires en dix ans, disparition de 50 % des emplois et production locale divisée par deux - a conduit les pouvoirs publics à renforcer leurs interventions, à la fois pour des raisons sociales, économiques et culturelles : limitation des conséquences sociales de la crise, maintien de la capacité des entreprises à investir, renouvellement des talents et sauvegarde de la diversité des répertoires physiques et en ligne.

À cet effet, l'article 36 de la loi n°2006-961 du 1 er août 2006 relative aux droits d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, dite DADVSI, codifié aux articles 220 octies , 220 Q et 223 O du code général des impôts (CGI), a instauré un crédit d'impôt au titre des dépenses de production et de développement d'oeuvres phonographiques au bénéfice de productions concernant des nouveaux talents , entré en application le 1 er janvier 2006. Lorsque l'album est chanté, s'impose également une condition de francophonie.

Le dispositif a pour objectifs le maintien, voire le renforcement, de la diversité musicale des enregistrements produits et le soutien structurel aux entreprises, au premier rang desquelles les plus modestes en taille, particulièrement fragilisées par la mutation du secteur. Dans un contexte où les revenus des producteurs ont reculé de 41 % entre 2007 et 2015 (de 712,8 à 426 millions d'euros hors droits voisins), obérant d'autant leur capacité d'investissement, notamment au profit des nouveaux talents sur lesquels le risque financier est élevé (les espérances de vente d'albums se situent autour de 15 000 unités).

Dans sa version initiale, relativement restrictive, le crédit d'impôt phonographique représentait 20 % du montant total des dépenses de production et/ou de postproduction d'un disque et des dépenses liées au développement de ces productions (scène, émissions de télévision ou de radio, création de site Internet, base de données numérisées, etc.). Les dépenses de développement éligibles au crédit d'impôt étaient plafonnées à 350 000 euros par enregistrement mais, dans tous les cas, la somme des crédits d'impôt ne pouvait excéder 700 000 euros par entreprise et par exercice.

Unanimement saluée par les professionnels et après une première prolongation de trois ans entre 2009 et 2012, la mesure fut maintenue et renforcée par l'article 28 de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013. La nouvelle version du crédit d'impôt phonographique a été autorisée par la Commission européenne au titre des aides d'État le 14 février 2013 pour une durée de quatre ans, soit jusqu'au 31 décembre 2016.

Le renforcement du dispositif s'est alors traduit par :

- la revalorisation du taux de crédit d'impôt (de 20 à 30 % du montant total des dépenses éligibles) en faveur des entreprises qui répondent à la définition de la PME européenne ;

- la création d'un plafond unique (somme des crédits d'impôt calculés au titre des dépenses éligibles par entreprise et par exercice) à hauteur de 800 000 euros, contre 700 000 euros précédemment.

Puis la mesure, décidément utile, a obtenu une prolongation de trois ans supplémentaires, ainsi qu'un renforcement dans le cadre de la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014. Aux termes du décret n° 2015-704 du 19 juin 2015, plusieurs modifications ont à nouveau été apportées au dispositif :

- une réduction du critère d'ancienneté de trois ans à un an des entreprises de production phonographiques éligibles ;

- une augmentation du plafond de crédit d'impôt de 800 000 euros à 1,1 million d'euros par an et par entreprise ;

- pour les petites et moyennes entreprises, la prise en compte de la rémunération des dirigeants dans l'assiette des dépenses éligibles , au prorata du temps passé sur l'oeuvre et dans la limite d'un plafond de 45 000 euros par dirigeant ;

- pour les autres labels, la suppression de la « décote » 3 ( * ) dans la comptabilisation des projets éligibles, en contrepartie d'un abaissement du taux de crédit d'impôt de 20 % à 15 %.

Sur la période du 1 er janvier 2006 au 31 décembre 2016, le coût total de la dépense fiscale associée au crédit d'impôt s'est élevé à environ 47 millions d'euros. L'augmentation du nombre de projets éligibles, concernant notamment les petites et moyennes entreprises, témoigne de l'utilité du dispositif pour soutenir les investissements de la filière dans un contexte économique toujours difficile . Le nombre moyen d'entreprises demandant à bénéficier du crédit d'impôt croit d'ailleurs de manière régulière et soutenue (multiplication par 2,5 du nombre de sociétés bénéficiaires depuis 2009).

Évolution de la consommation du CIPP et du nombre d'agréments délivrés

Source : SNEP

En 2016, le CIPP a bénéficié à 128 entreprises pour une dépense fiscale de 9 millions d'euros. Cette somme devrait s'établir à 8 millions d'euros en 2017 et rester stable en 2018 , selon les données du projet annuel de performances de la mission « Médias, livres et industries culturelles » figurant en annexe du projet de loi de finances pour 2018.

Selon les annonces du ministère de la culture, une prorogation anticipée de trois ans de la mesure, soit jusqu'au 31 décembre 2021 , pourrait être proposée à l'occasion d'un projet de loi de finances rectificative pour 2017, dans le cadre du règlement général d'exemption par catégorie (RGEC) de la Commission européenne (article 53) et donc en conformité avec le droit communautaire de la concurrence .

Si le crédit d'impôt présente un très grand intérêt pour l'industrie musicale, par ailleurs peu dispendieuse des deniers publics, il est regrettable que les dispositifs d'aide demeurent très majoritairement destinés à la production et trop peu à la distribution. Envisagé un temps pour 2017, l'élargissement de l'assiette des dépenses éligibles en prenant en compte les dépenses promotionnelles liées à la publication de l'enregistrement phonographique constituera, avec le niveau du plafond et le maintien du système de « décote » pour les grands labels, un enjeu de périmètre important lors de la prochaine prolongation. Il est à cet égard dommage que l'étude de bilan du dispositif, réalisée en lien avec les professionnels, ne puisse déboucher sur des conclusions avant la fin de l'année 2018, soit un an après la définition des critères de prorogation.

La prorogation anticipée du dispositif apparaît en tout état de cause indispensable, afin de sécuriser les investissements des producteurs phonographiques , qui s'engagent généralement pour deux albums avec un même artiste, et le maintien des emplois grâce à la prise en compte, dans les dépenses éligibles, d'une large part de la masse salariale 4 ( * ) .

b) Des crédits centraux au compte-gouttes

En 2018, 5,7 millions d'euros inscrits au programme « Livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles », contre 5,3 millions d'euros en 2017, seront destinés au renouvellement de la création et à la promotion de nouveaux talents, via essentiellement la participation de l'État au financement de structures et manifestations réunissant les acteurs de la filière : les Allumés du Jazz, les Victoires de la musique et, surtout :

- le fonds pour la création musicale (FCM), association loi 1901 créée en 1984 dont l'objet social est de « susciter et soutenir des actions d'intérêt général dans le domaine de la création, de la production et de la diffusion sonores et plus particulièrement dans le domaine musical » . Le FCM dispose d'un budget alimenté par les sociétés civiles de perception et de répartition de droits (SPRD), dont les fonds sont issus des sommes prélevées sur les 25 % de la copie privée et les montants non répartissables de la rémunération équitable. Il est par ailleurs soutenu par le ministère de la culture, dans le cadre d'une convention qui l'engage à « assurer le soutien, dans le secteur de la musique enregistrée, notamment par des aides financières sélectives, de la production phonographique, vidéographique et audiovisuelle, de la production de spectacle vivant musical, de l'édition musicale et de la distribution physique et numérique » . Traditionnellement, la subvention versée au FCM sur les crédits du programme 334 s'élève à 262 200 euros , soit environ 5 % du budget global de la structure ;

- le Club action des labels indépendants français (CALIF), association loi 1901 créée en 2002 dont la mission consiste à contribuer à la diffusion du disque et de la culture musicale, à développer et défendre la production et la distribution indépendantes à travers des actions professionnelles, promotionnelles et commerciales et à assurer la pérennité et le développement des disquaires en leur apportant un soutien technique et financier. Le CALIF finance depuis 2005 un dispositif de soutien au loyer des disquaires dans les cas de création d'une activité ou de reprise d'une boutique. Il organise également, depuis 2011, le Disquaire Day , déclinaison française du Record Store Day créé aux États-Unis en 2009, où des disques sont vendus en édition limitée et où des concerts sont donnés chez plus de 200 disquaires de proximité. Cette structure est soutenue par une subvention annuelle de 250 000 euros , dont le montant est fixé par une convention triennale pour la période 2017-2019. Cette somme, bien que modeste, est essentielle au soutien d' une profession particulièrement malmenée par la crise du disque , comme l'a montré l'étude confiée en 2017 au cabinet Rise Conseil par le ministère de la culture ;

- le fonds de soutien à l'innovation et à la transition numérique de la musique , instauré par le décret n° 2016-1422 du 21 octobre 2016 instituant une aide à l'innovation et à la transition numérique de la musique enregistrée, afin de soutenir l'investissement des petits labels et plateformes de musique en ligne qui contribuent à la diversité du répertoire numérique. Y sont éligibles les dépenses d'investissement ainsi que, sous conditions, les dépenses de fonctionnement. Les 2 millions d'euros inscrits pour ce dispositif en loi de finances initiale 2017 sont reconduits dans le projet de loi de finances pour 2018 et permettront de soutenir une quarantaine de projets ;

- enfin, le Bureau export de la musique française (Burex) , association créée en 1993 à l'initiative des producteurs phonographiques, des pouvoirs publics et des SPRD, pour faciliter et renforcer les initiatives des professionnels de la musique française à l'étranger. Le Burex assure une mission d'information, de conseil et de mise en relation auprès des opérateurs français et étrangers. Il anime un réseau de bureaux et de correspondants à l'étranger (Royaume-Uni, Brésil, Allemagne, États-Unis), chargé de faciliter la pénétration des productions françaises sur ces marchés. Il met également en oeuvre des actions collectives de promotion de la musique française : présence dans des salons professionnels, invitations de professionnels étrangers, compilations par répertoire. Enfin, il développe des programmes de soutien financier à l'export. Organisme reconnu d'intérêt général, il est cofinancé par les ministères de la culture et des affaires étrangères et européennes et par les professionnels (SPDR et Centre national de la chanson, des variétés et du jazz - CNV). Dans le cadre du présent projet de loi de finances, cet organisme bénéficie d'une mesure nouvelle de 800 000 euros , portant la dotation du ministère de la culture à 2,2 millions d'euros, conformément à l'engagement pris par la ministre en juin dernier au MIDEM de faire du rayonnement international de la filière musicale l'un de ses objectifs prioritaires. Par ailleurs, l'Assemblée nationale a transféré 500 000 euros du programme 224 vers le programme 334 pour augmenter d'autant les crédits du Burex, qui s'établiront ainsi à 2,7 millions d'euros , une somme qui se rapproche de celle que consacre le Royaume-Uni à la promotion de ses artistes à l'étranger.

c) Et heureusement intervient l'IFCIC

L'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) contribue au développement de l'industrie musicale en facilitant l'accès des entreprises au financement bancaire grâce à une garantie de 50 à 70 % des emprunts , et, depuis 2005, à travers un dispositif d'avances remboursables, le fonds d'avances remboursables pour l'industrie musicale (FAIM), créé et abondé à trois reprises - en 2006, 2007 et 2009 - par le ministère de la culture et la Caisse des dépôts et consignations (CDC) pour un total de 19,9 millions d'euros.

Le FAIM octroie des avances à des entreprises indépendantes de la filière musicale pour des projets de développement structurel d'un montant maximum de 1,5 million d'euros, voire 2,5 millions d'euros pour des petites et moyennes entreprises répondant à certains critères. À l'appui de certains investissements ou au bénéfice de certaines entreprises, les avances peuvent prendre un caractère participatif (quasi fonds propres) et voir leurs modalités de remboursement adaptées. L'accès au crédit des petites entreprises du secteur musical est facilité depuis 2014 grâce à une procédure simplifiée applicable aux demandes de prêts inférieures à 50 000 euros faites auprès du FAIM.

En 2016, dix prêts ont été accordés pour un total de 2,3 millions d'euros , contre 6 millions d'euros au bénéfice de dix-sept entreprises en 2015 soit une baisse de 62,4 % , en appui de 7 millions d'euros d'investissement, concernant à 70 % une activité de production. Depuis sa création, le FAIM a prêté 36,7 millions d'euros à 107 entreprises de l'industrie musicale, complétant ainsi de façon indispensable les aides publiques en faveur du secteur.

3. Producteurs, plateformes et artistes : un rapprochement semé d'embûches

La question du partage de la valeur dans le secteur de la musique en ligne fait l'objet depuis plusieurs années de réflexions consignées dans de multiples rapports, qui tous ont souligné l'absence de diagnostic partagé et révélé les tensions entre artistes, plateformes et producteurs générées par un manque de transparence dans les relations économiques. Le rapport de Christian Phéline intitulé « Musique en ligne et partage de la valeur » dressait ainsi déjà en 2013 un état des lieux des pratiques contractuelles et formulait diverses propositions pour une meilleure régulation des relations économiques.

Dans cette perspective, la mission de médiation confiée en mai 2015 à Marc Schwartz, concomitamment aux débats parlementaires sur le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, avait pour objectif de faire converger les positions des parties et d'aboutir à un accord équilibré s'agissant de la répartition des revenus issus des exploitations numériques . Le 2 octobre de la même année, un protocole d'accord « pour un développement équitable de la musique en ligne » était signé par dix-huit organisations. Il prévoyait notamment :

- la promotion d'une plus grande transparence de l'économie de la filière musicale, avec notamment la création d'un Observatoire de l'économie de la musique, auquel contribueront l'ensemble des parties à l'accord ;

- l'amélioration de l'exposition de la musique et de la d iversité culturelle ;

- la promotion des bonnes pratiques contractuelles entre producteurs de phonogrammes et plateformes de musique en ligne ;

- la garantie aux artistes-interprètes d'une juste rémunération .

Ces mesures de régulation de la filière musicale à l'ère numérique ont été complétées et consolidées par les dispositions de la loi précitée du 7 juillet 2016, qui poursuivent un triple objectif pour l'industrie musicale :

- replacer les artistes-interprètes au centre de la régulation en assurant une plus grande protection de leurs droits dans leurs relations contractuelles avec les producteurs de phonogrammes. La loi garantit aux artistes-interprètes une juste rémunération des fruits de l'exploitation numérique de leurs prestations sur la base d'une garantie de rémunération minimale, dont le montant a été fixé par l'accord professionnel précité du 7 juillet 2017. Ils percevront en outre une rémunération distincte pour chaque mode d'exploitation ;

- introduire plus de transparence et normaliser les relations entre les producteurs de phonogrammes et les artistes-interprètes mais également entre les producteurs de phonogrammes et les plateformes de musique en ligne, via des contrats plus précis, l'interdiction des cessions de créances lorsqu'elles intègrent les rémunérations équitables et pour copie privée, le renforcement de l'obligation d'exploitation des oeuvres et la régularité de la reddition de comptes. L'objectif de transparence sera renforcé par la constitution de l'Observatoire de l'économie de la filière musicale auprès du Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV), afin de pallier le déficit de données économiques. Le décret d'application n° 2017-255 du 27 février 2017 définit les missions respectives de l'Observatoire et de son comité d'orientation ;

- réguler les relations contractuelles dans le secteur de la musique en ligne avec la mise en place d'une procédure de médiation spécialisée pour traiter les différends entre acteurs de la filière musicale. L'article L. 214-6 du code de la propriété intellectuelle institue donc un médiateur de la musique, dont les missions ont été précisées par le décret n° 2017-338 du 15 mars 2017. À compter du 1 er avril 2007 et pour une durée de trois ans renouvelable, cette mission a été confiée à Denis Berthomier, conseiller maître à la Cour des comptes.

Poursuivant sa réflexion relative aux dispositifs de soutien et de régulation de la filière musicale, le ministère de la culture a confié à Roch-Olivier Maistre une mission relative à la création d'une « maison commune de la musique » , afin d'accompagner les mutations de l'industrie musicale et de mutualiser les moyens disponibles . Ses conclusions seront rendues publiques à l'automne 2017. Dans cette attente, n'a pas été publié l'arrêté portant nomination des membres de l'Observatoire de l'économie de la filière musicale.


* 3 Une clause d'effort était demandée aux entreprises les plus importantes, consistant à ne prendre en compte, dans la base de calcul du crédit d'impôt, que les dépenses pour les seules productions qui excédaient la moyenne, après application d'une décote de 70 %, des productions au titre des deux derniers exercices.

* 4 Le SNEP estime que le crédit d'impôt a permis le maintien de 1 275 emplois entre 2006 et 2015 sur la base d'un projet financé équivaut à dix emplois.

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