EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du 22 novembre 2017, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2018.

M. Pascal Allizard, rapporteur. - Le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » est doté pour 2018 de 1,4 milliard d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, soit 3 % des crédits prévus pour la mission « Défense » l'année prochaine. Ce programme est en effet modeste par le volume financier, mais il constitue le coeur de la fonction « connaissance et anticipation » de notre outil de défense, et donc de la préparation de son avenir.

Par rapport à la prévision pour 2017, on note une augmentation de 4,5 % en crédits de paiement (+60 millions d'euros), mais une diminution de près de 6 % en autorisations d'engagement (-89 millions). Cette évolution globale est liée aux différents cycles d'investissements en cause ; elle masque des évolutions différentes dans le détail des actions du programme.

Ces crédits pour 2018 devront couvrir le report de charges du programme, issu de l'exécution budgétaire 2017. Ce report est estimé à 205 millions d'euros, sous la condition, bien sûr, du maintien en fin d'année de l'ensemble des crédits prévus, ce que tend à confirmer le projet de loi de finances rectificatives déposé à l'Assemblée nationale. Il s'agirait d'une baisse de 13 % par rapport au report de charges de fin 2016.

Les priorités du programme 144 sont, conformément au Livre blanc de 2013 et à la loi de programmation militaire en vigueur, d'une part, la réaffirmation du rôle central du renseignement - dont parlera, tout à l'heure, Michel Boutant, d'autre part, la consolidation des efforts de recherche de défense et le maintien de la capacité d'influence de la France ; ce sera l'objet de mes propos.

Je commencerai par ce qui concerne la recherche de défense.

Les études amont font l'objet pour 2018 d'une prévision de 723 millions d'euros en crédits de paiement. C'est plus de la moitié des crédits du programme 144. Ce montant est stable par rapport à la prévision pour 2017 ; il reste en ligne avec l'objectif fixé en matière d'études amont par la LPM actuelle, soit 730 millions d'euros en moyenne annuelle sur la période 2014-2019.

En prenant en compte les exécutions passées et les prévisions pour 2017 et 2018, le budget effectivement consacré aux études amont s'avère en moyenne de 727 millions d'euros par an depuis 2014.

À la suite du rapport d'information sur les moyens de la défense nationale adopté en mai dernier par notre commission, les rapporteurs que nous sommes appellent de leurs voeux le rehaussement, dans la prochaine LPM, de ce budget, à hauteur d'un milliard d'euros en moyenne annuelle : il s'agit d'assurer une préparation adéquate de l'avenir de notre défense. La ministre des armées, que nous avons interrogée ici même, nous a assuré de son ambition en ce sens ; il nous reviendra donc de veiller à la mise en oeuvre !

L'analyse stratégique, de son côté, doit bénéficier en 2018 de plus de 9 millions d'euros, soit un doublement des autorisations d'engagement et une hausse de 50 % des crédits de paiement. Cette évolution traduit, au plan budgétaire, la réforme du dispositif de soutien à la recherche stratégique appliquée depuis 2015.

Le ministère de la défense, en effet, pour donner plus de prévisibilité et donc améliorer le pilotage des études, a mis en place des contrats-cadres et a accru les études de type « observatoire ». Il a également développé des relations plus étroites avec l'université. L'ensemble vise à remédier à la relative fragilité de notre recherche stratégique, comparée notamment aux « war studies » anglo-saxonnes.

Tous programmes confondus, le budget consacré à la recherche et développement (R&D) de défense devrait atteindre, en 2018, 4,7 milliards d'euros. C'est une baisse de 5 % par rapport à 2017, mais cela reste supérieur de près de 30 % à l'enveloppe moyenne sur la période 2014-2016. Malgré les contraintes financières, la France est ainsi le pays d'Europe qui consacre le plus gros effort budgétaire à sa R&D de défense : cette R&D constitue 11 % de notre budget de défense en 2017.

À cet égard, il faut saluer la création - officiellement annoncée la semaine dernière - de « Definvest », fonds d'investissement pour soutenir le développement des PME stratégiques pour la défense. Ce nouvel outil, lancé en partenariat avec BPI France, vient compléter les dispositifs de soutien à l'innovation déjà mis en oeuvre par la DGA.

Dans ce contexte globalement positif, on reste préoccupé par la situation de l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) - situation qui s'améliore, mais avec une certaine lenteur.

Certes, la gouvernance de l'ONERA se trouve à présent entièrement rénovée. En particulier, le contrat d'objectifs et de performance de l'établissement, longtemps attendu, a été signé en décembre 2016, et une réorganisation interne est effective depuis mars dernier. Sur ce plan, les critiques que la Cour des comptes avait formulées en 2015 apparaissent levées.

Cependant, une stratégie reste à arrêter pour les infrastructures. Un plan général de rénovation est nécessaire pour maintenir au meilleur niveau le parc des souffleries de l'ONERA - pièce maîtresse de nos grands moyens technologiques -, et ceci au-delà des travaux urgents de consolidation conduits, depuis deux ans, pour la soufflerie du site de Modane (travaux entrepris, d'ailleurs sous « l'aiguillon » de notre commission). D'autre part, il reste à organiser une rationalisation des implantations franciliennes de l'ONERA, aujourd'hui présent à Palaiseau, Meudon et Châtillon. Dans ces deux dossiers majeurs pour le bon fonctionnement de l'établissement, les arbitrages financiers demeurent en attente.

Par ailleurs, la situation financière de l'ONERA s'avère encore fragile, indépendamment du maintien, assuré jusqu'en 2019, de la subvention de l'État au niveau actuel. Au demeurant, cette subvention, fixée à 105 millions d'euros, ne représente que les deux tiers de la masse salariale de l'Office. L'évolution des prévisions de prises de commandes de l'industrie confirme que, pour développer ses ressources propres, l'ONERA doit poursuive l'adaptation de son offre aux besoins industriels et s'efforcer de mieux valoriser sa recherche.

Notre commission doit marquer son attachement à la pérennité de cet outil essentiel pour la filière aéronautique et spatiale, qui contribue à faire de la France un des très grands acteurs mondiaux du domaine. Compte tenu notamment de la structure actuelle du marché sur lequel s'inscrit l'ONERA, on peut être inquiet de voir le pilotage de cet établissement déterminé, peu ou prou, par les économies. L'ONERA s'expose ainsi à un risque de perte d'attractivité pour recruter et fidéliser son personnel ; or il s'agit là, précisément, de sa richesse vive.

J'en viens pour finir, rapidement, aux crédits du programme 144 dédiés à la capacité d'influence internationale de la France. Ces crédits financent notamment le fonctionnement du réseau de nos attachés de défense en ambassade.

Pour l'ensemble des actions de coopération et de diplomatie en cause, que pilote la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), près de 43 millions d'euros sont prévus en 2018. 60 % de ces crédits (26 millions d'euros) tiennent à l'aide versée à la République de Djibouti, au titre de l'implantation des forces françaises, en application du traité bilatéral de 2011. C'est l'occasion d'appeler à ne pas laisser notre influence décroître dans cette zone stratégique, alors que la Chine dispose aujourd'hui à Djibouti de sa première base militaire à l'étranger.

On notera également que le programme 144 porte les crédits de la contribution française au budget de l'Agence européenne de défense (AED), soit 5,2 millions d'euros l'an prochain. Cette prévision couvre l'augmentation de budget de l'Agence décidée la semaine dernière par l'Union européenne, orientation que soutenait la France et que justifie, notamment, le rôle que l'AED est appelée à jouer dans la mise en oeuvre du nouveau Fonds européen de défense.

Sous le bénéfice de ces observations, et avant de laisser, pour la suite, la parole à Michel Boutant, j'indique d'ores et déjà que j'émets une appréciation positive sur les crédits inscrits au programme 144 dans le projet de loi de finances pour 2018.

M. Michel Boutant, rapporteur. - La revue stratégique de la défense a exposé clairement les menaces auxquelles notre pays est confronté. Dans un monde plus incertain et plus dangereux, la France doit poursuivre ses efforts dans le domaine du renseignement, car celui-ci est une condition clef de son autonomie stratégique. Le projet de loi de finances pour 2018 s'inscrit dans ces objectifs pour ce qui concerne les crédits inscrits au programme 144, poursuivant ainsi les efforts engagés depuis plusieurs années. Je formulerai trois observations.

Première observation : ce programme porte les crédits hors titre 2 alloués aux services de renseignement relevant du ministère des armées, c'est-à-dire la DGSE et la DRSD (direction du renseignement et de la sécurité de la défense). Ceux de la DRM qui dépend de l'État-Major des Armées figurent au programme 178.

J'inclurai également dans mon analyse les crédits de titre 2, qui figurent au programme 212, car on ne peut comprendre l'évolution des crédits du programme 144 sans prendre en compte l'accroissement des effectifs.

Seconde observation : hors titre 2, les crédits attribués à la DGSE constituent la masse la plus importante, 295,6 millions d'euros dont 251 destinés aux investissements. Les crédits de la DRSD ne représentent que 13,9 millions d'euros.

Les crédits de paiements sont en hausse sous l'effet conjugué de l'augmentation des crédits de fonctionnement liée à l'intensification de l'activité opérationnelle des services notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et à l'étranger (+ 8 % pour la DGSE à 45,6 millions d'euros et + 11,8 % pour la DRSD à 3,2 millions d'euros) et de celle des investissements, conséquence de la consommation progressive des importantes autorisations d'engagement antérieures finançant les programmes d'investissements techniques et les travaux d'infrastructures de la DGSE (+ 23,9 %, soit 251 millions d'euros), ceux de la DRSD étant stables (+ 0,5 % à 10,7 millions d'euros). En autorisations d'engagement, à l'inverse, les crédits diminuent légèrement, conséquence du ralentissement cyclique des investissements de la DGSE.

La DGSE s'est engagée depuis 2015 sur un programme immobilier de l'ordre de 150 millions d'euros pour accueillir sur ses sites des effectifs plus nombreux et héberger ces moyens techniques de recueil, d'exploitation, et de cyberdéfense. Elle prépare un nouveau schéma directeur et elle a, comme l'avait encouragée votre commission, mis en place un véritable service des affaires immobilières et procéder au recrutement d'experts pour professionnaliser ces fonctions.

La DRSD bénéficie, elle, jusqu'en 2019 d'un programme de l'ordre de 9,2 millions d'euros inscrit au programme 212 et envisage pour la prochaine LPM un regroupement de ses infrastructures.

Troisième observation : cette évolution, significative, accompagne le renforcement des effectifs.

La DGSE bénéficie sur la période 2014-2019 de 822 créations d'emplois, 410 ont été réalisées. Le solde devrait s'échelonner à raison de 215 en 2018 et 197 en 2019. L'effort principal reste à conduire au cours de ces deux dernières années.

Hors service action, elle emploie plus de 5 255 agents. Le montant des crédits de titre 2 progressent en conséquence de 426,6 millions d'euros en 2017 à 445,5 pour 2018. Les tendances observées se poursuivent : la part des militaires continue son érosion, comme la progression du nombre des contractuels au sein des personnels civils et une tendance affirmée à recruter davantage de personnels officiers ou de catégorie A. Tendances que l'on retrouvera à la DRSD également.

La difficulté de recrutement et de maintien des personnes au sein du service, globalement surmontée à la DGSE, tient à la spécificité de certains profils recherchés et à la faiblesse des viviers. Deux missions d'audits ont été déclenchées en 2017 au sein du ministère des armées, et des mesures mises en oeuvre en matière de parcours professionnels, de mobilités interservices et d'échanges sur les questions RH.

Confrontée à l'évolution des métiers, à l'intensification des missions, et à l'accroissement sensible des effectifs à recruter, former et intégrer, la DGSE, - comme la DRSD, d'ailleurs,- devront professionnaliser les fonctions de soutiens et notamment leur DRH. Elles sont souvent les moins bien loties en raison de la priorité donnée au coeur opérationnel des services, mais leur modernisation est indispensable à la réussite de l'action de transformation à conduire et conditionne les succès à venir. Un nouveau mode de gouvernance et de pilotage de la fonction RH a été mis en place à la DGSE en mai dernier.

La DRSD connaît cette année encore un renforcement significatif de ses effectifs. Son plafond d'emplois est fixé à 1 525 pour 2018 (1 328 en 2017). Les crédits de paiement du titre 2 progressent de 15 % (105,5 millions d'euros en 2017 à 121,4 en 2018). La DRSD est confrontée à une véritable transformation de son organisation et de sa structure d'emplois. Elle doit gérer un « turnover » de ses effectifs de l'ordre de 12 %, leur montée en puissance, mais aussi l'évolution des métiers. Or par manque de visibilité, mais aussi de capacités à proposer des niveaux de rémunération suffisants et parce qu'elle est sous-dimensionnée dans ses fonctions de soutien, elle éprouve de sérieuses difficultés à assurer la montée en puissance de ces effectifs. Elle est en retard de 60 emplois sur son objectif cible de la fin d'année 2017. Nous estimons que la fonction RH devrait être confortée et des solutions apportées par le ministère des armées pour lui permettre de recruter dans de meilleures conditions. Des améliorations, notamment dans la suite des missions d'audit, sont en cours mais elles restent timides par rapport aux enjeux.

Ce renforcement des effectifs est bienvenu dans le domaine du renseignement mais aussi dans ses activités traditionnelles de sécurité et de protection. Les décisions prises suite aux attentats terroristes ont conduit à devoir gérer avec difficulté des demandes d'habilitation et d'avis de sécurité plus nombreux (+ 70 % depuis 2015). Le ratio d'instruction dans les délais qui avait chuté est remonté grâce à l'optimisation des processus et au renforcement des effectifs, notamment par l'appel à la réserve opérationnelle. En matière d'inspections de sites, le respect des programmes de visites, pour identifier leurs vulnérabilités, s'avère compliqué avec l'accroissement du nombre de sites à inspecter (+ 15 % en 2017). Le ratio s'est effondré en 2016 (62 %), à peine redressé en 2017 (70 %), la priorité donnée au point d'importance vitale a été néanmoins respectée. Le centre d'inspections a amorcé sa remontée en puissance par des recrutements et le recours à des réservistes, mais le temps de formation est long et les résultats se font attendre. Surtout, il faudrait que les préconisations soient effectivement mises en oeuvre, ce qui n'est pas toujours le cas dans les délais requis. Votre commission demande la mise en place d'un indicateur de performance spécifique. Espérons qu'elle sera enfin entendue.

Sous le bénéfice de ces observations, et pour ce qui concerne spécifiquement le programme 144, mon appréciation est favorable à l'adoption des crédits de la mission Défense.

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À l'issue de cette réunion, la commission, tout en considérant indispensable le déblocage rapide des 700 millions d'euros encore gelés sur le programme 146 pour l'exercice 2017, a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Défense » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2018, le groupe CRCE s'abstenant.

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