II. UN OUTIL UTILE, MAIS SOUS-EMPLOYÉ
A. UNE ACTIVITÉ DÉVELOPPÉE AU GRÉ DES OPPORTUNITÉS
Les réalisations concrètes de France Brevets apparaissent modestes au regard des ambitions initiales, incarnées dans des plans d'affaires. Un indicateur peut illustrer le propos : alors que le premier avant-projet de plan d'affaires de France Brevets établi par la Caisse des dépôts au moment de sa préfiguration envisageait un portefeuille de 4000 familles de brevets fin 2015 (les conclusions des états généraux de l'industrie évoquaient même 10 000 familles de brevets), l'organisme n'est propriétaire que de 169 familles de brevets et dispose, en concession, de 220 familles de brevets.
1. Quelques programmes de monétisation de brevets ont été mis en place
a) Les programmes de monétisation reposent sur la signature de licences avec des contrefacteurs
France Brevets a mis en place des programmes de monétisation de brevets, à travers la concession de sous-licences auprès de contrefacteurs (activité souvent dénommée par le terme « licensing »). Dans ce cadre, France Brevets se voit concéder par l'inventeur une licence exclusive, avec droit de sous-licencier. Elle se charge ensuite, à ses frais, de faire respecter les droits du détenteur du brevet en concluant des sous-licences , afin de générer des redevances dont les gains sont partagés , selon des modalités propres à chaque opération, entre France Brevets et le titulaire du brevet . Ce schéma permet un retour sur investissement pour la recherche, mais suppose l'exposition de France Brevets à des coûts importants.
Ce type d'action donne lieu, d'abord, à l'identification des contrefacteurs potentiels et au rassemblement de preuves de leur usage de la technologie brevetée, puis à des négociations avec des grandes entreprises de niveau international. France Brevets retient, dans ces négociations, une approche graduée , en n'envisageant l'action judiciaire qu'en dernier recours, dans la mesure où le titulaire du brevet ne souhaite pas forcément entretenir des relations conflictuelles avec de potentiels partenaires industriels.
De tels programmes ne conviennent pas à tous les secteurs d'activités ni à toutes les entreprises. Ce type d'initiative n'est intéressante que si l'objectif de l'entité y ayant recours n'est pas d'exploiter l'innovation en propre. Elle présentera également une pertinence accrue dans les secteurs présentant un besoin de normalisation pour se développer, la notion de grappe de brevets étant alors essentielle pour réunir des brevets détenus par plusieurs entités différentes. Enfin, les pratiques concernant la propriété industrielle dépendent également d'une industrie à l'autre : certains industriels préfèrent recourir aux licences croisées, contrats dans lesquels des entreprises se consentent mutuellement un accès à leurs inventions.
France Brevets n'entend pas être qualifié de « chasseur » de brevets Si France Brevets fait indéniablement partie, comme les autres fonds souverains dédiés aux brevets, des « non practising entities », elle entend se distinguer des « chasseurs » de brevets. Certes, son activité consiste également à négocier des sous-licences de brevets, au besoin par la voix contentieuse, et son personnel comporte de nombreux profils issus du domaine juridique. La société n'est cependant pas assimilable à ces structures, pour trois principales raisons. D'abord, alors que ces « chasseurs » de brevets sont mus par la recherche de gains importants à très court terme, France Brevets adopte une stratégie à long terme . Ensuite, elle n'a pas pour objectif de recueillir l'ensemble des gains, mais d'en reverser une part à la recherche . Enfin, elle respecte des critères déontologiques exigeants . La société sélectionne rigoureusement les brevets afin de s'assurer de leur qualité et gère ses concessions de brevets en toute transparence avec l'entreprise détentrice du brevet. Elle négocie avec tout futur licencié en lui apportant toutes les informations nécessaires pour lui permettre de développer des contre-arguments afin que le dialogue conduise à des conditions de licences justes, raisonnables, non discriminatoires et équilibrées. On peut également ajouter que France Brevets ne recourt pas systématiquement à la voie contentieuse mais préfère au contraire s'en passer lorsque des négociations amiables suffisent. Au demeurant, il convient de noter que le recours au contentieux est une pratique du marché. |
b) Un programme « phare » ayant assis la notoriété de France Brevets
Dans ce cadre, France Brevets a étudié de nombreuses opportunités, mais la qualité ou la valeur des brevets a conduit, dans la plupart des cas, à ce qu'il n'y soit pas donné de suite. Sur les neufs programmes lancés, seuls quatre sont aujourd'hui actifs et ont donné lieu à commercialisation .
Son opération « phare » est celle ayant amené France Brevets à constituer, à partir de 2012 et en association avec Orange, Inside Secure (ETI française, basée à Aix-en-Provence) et un industriel étranger du secteur des semi-conducteurs, une grappe de brevets sur les technologies de communication sans contact (NFC, pour « Near-Field Communication » , cette technologie est présente dans la grande majorité des smartphones construits).
Cette opération a conduit à la conclusion d'accords avec LG (en 2014), Sony, Samsung et HTC (en 2016). Avant d'obtenir des accords avec LG, Samsung et HTC, France Brevets les avait assignés en Allemagne et aux États-Unis. En 2015, un tribunal allemand avait interdit à HTC de vendre ses produits sur le territoire allemand. France Brevets avait également assigné Samsung aux États-Unis en 2015. Ce programme l'a également amené à intervenir en défense contre LG en Corée du Sud et au Royaume-Uni, et contre NXP aux États-Unis. L'organisme négocierait actuellement avec « les plus grands de la téléphonie mobile ».
Le programme peut donc être considéré comme un succès. Il a permis aux entreprises concernées d'obtenir un retour sur investissement , et a rendu possible à des entreprises françaises, telles que STMicroelectronics d'entrer sur le marché NFC à des conditions raisonnables . Il a également permis à France Brevets d' asseoir sa réputation et sa crédibilité au niveau international . Ce programme peut également être vu comme ayant une vocation assurantielle, qui offre une garantie contre les attaques en contrefaçon .
Vu de l'extérieur, la focalisation de France Brevets sur ce programme a pu être interprétée comme une trop grande spécialisation dans le domaine des technologies de l'information et de la communication. Une telle spécialisation pourrait inciter les clients potentiels à se détourner de la structure en raison de son manque d'expérience dans leur secteur. Néanmoins, si France Brevets a sciemment décidé d'orienter en priorité ses programmes de monétisation dans ces domaines en raison de la nature transverse et « invasive » de ces technologies, elle ne leur a pas pour autant réservé son soutien. Du reste, il convient de souligner que ses homologues étrangers se concentrent également, pour la plupart, sur les technologies numériques.
2. La « fabrique à brevets » : des réalisations limitées à ce stade
a) Une activité orientée sur le long terme
L'autre modalité principale d'intervention de France Brevets réside dans la « fabrique à brevets ». Elle consiste à créer très en amont des portefeuilles de brevets de très haute valeur autour d'une technologie de rupture afin de rendre incontournable l'obtention de licence d'exploitation pour son utilisation.
Dans ce cadre, l'organisme identifie les inventions brevetables, prend à sa charge l'ensemble des frais afférents à la rédaction, au dépôt de brevets (notamment le recours à des conseils en propriété industrielle) et à leur valorisation (extension à l'étranger, maintenance...) puis reverse les profits dégagés à son inventeur une fois que les brevets font l'objet d'une commercialisation, en retenant la rémunération du risque pris par France Brevets.
Cette activité se situe donc sur le long terme, dans la mesure où il est généralement considéré que, sur une durée de vie de 20 ans, un brevet pertinent et bien géré ne commence à générer des flux importants de redevances que huit à dix ans après son dépôt. L'ancien directeur général de France Brevets décrivait, lors de son audition du 22 avril 2014 à l'Assemblée nationale, un accompagnement selon les étapes suivantes : dépôt du brevet pendant trois ans, communication sur le brevet pendant trois à cinq ans afin que la technologie brevetée s'impose sur le marché et, enfin, plusieurs années pour le développement du marché.
En conséquence, il est nécessaire que France Brevets développe un nombre significatif de « fabriques à brevets » pour obtenir des revenus supérieurs aux frais engagés. Les réalisations de ce type apparaissent néanmoins limitées à ce stade.
b) Vingt premiers programmes ont été lancés
Les vingt premiers programmes de « fabrique à brevets » ont conduit au dépôt de 169 familles de nouveaux brevets , dans neuf grands types d'activités : la sécurité, la 5G, la géolocalisation, les maisons intelligentes, les microsystèmes électromécaniques, le codage d'image, l'acoustique, l'électronique et d'autres secteurs, tels que l'observation par satellite.
Le poids de la recherche publique dans les dépenses de ces premiers programmes était de 58 % en 2017.
Nombre de demandes de dépôts de familles de brevets par an
source : France Brevets
3. Des activités annexes peu ou pas développées
France Brevets a tenté de mettre en place d'autres types d'activités, qui restent à ce jour peu ou pas développées.
Sur son site internet, l'organisme évoque collaborer avec les universités et établissements de recherche en vue de construire des portefeuilles de brevets et de les faire adopter par les organismes de standardisation . Cette activité a notamment été mise en oeuvre avec l'Institut Mines Télécoms en matière de 5G.
Depuis l'année dernière, France Brevets déploie une activité d'influence au niveau européen, dans le cadre de l'initiative IP Europe , qui entend promouvoir, auprès des institutions européennes, le principe d'une juste compensation pour l'innovation, en réponse à l'offensive en cours des grandes entreprises américaines du numérique, qui défendent un assouplissement des conditions de protection de la propriété industrielle.
Le précédent directeur général avait également mentionné, lors de son audition devant les députés, l'activité d'« IP financing », pratiquée par son homologue japonais. Elle avait pour objectif, selon lui, de faciliter l'obtention de financements, en conseillant les entreprises sur l'utilisation de leur portefeuille de brevets comme collatéral. Cet accompagnement pouvait même aller au-delà du conseil, France Brevets pouvant prendre l'engagement de mettre en oeuvre les moyens de commercialiser les licences sur les brevets pris en garantie. A la connaissance de votre rapporteur, cette activité n'a, cependant, pas encore été mise en oeuvre.