B. UN PROJET DE LOI DE PROGRAMMATION DIFFICILEMENT LISIBLE
Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d'État relève que ce dernier présente un caractère mixte : « il est pour partie, dans ses premiers articles, un texte de « programmation déterminant les objectifs de l'action de l'État » au sens du vingtième alinéa de l'article 34 de la Constitution dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Vème République. Il est, d'autre part, pour les autres mesures du projet un texte comportant des dispositions proprement normatives lesquelles relèvent du régime juridique des lois ordinaires. »
Si le Conseil d'État estime que cette dualité ne présente pas de difficulté d'ordre juridique, votre rapporteur pour avis estime qu'elle ne concourt pas à la lisibilité de la loi .
En effet, les lois de programmation, qui ont succédé aux lois dites de « programme » par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, déterminent les objectifs de l'action de l'État, dans un domaine déterminé pour une durée de plusieurs années et les moyens financiers qu'il envisage d'y consacrer, les crédits correspondants ne pouvant être ouverts que par une loi de finances. D'une certaine manière, les lois de programmation n'ont ainsi pas de valeur normative.
En l'espèce, la mixité des dispositions contenues dans le projet de loi est source de confusions, surtout après l'examen du texte par l'Assemblée nationale. Le projet de loi apparaît comme l'un des moyens d'une stratégie méthodologique plus large de mise en oeuvre de l'égalité réelle outre-mer : une loi de programmation ; des mesures législatives introduites notamment dans les projets de loi de finances ou les projets de loi de financement de la sécurité sociale, une veille législative consistant à introduire, chaque fois que nécessaire, des mesures en faveur de l'égalité réelle des outre-mer dans les textes de lois en préparation ou en discussion, des mesures réglementaires et des instructions adressées aux services de l'État, des plans de convergence au niveau territorial. Toutefois, les dispositions programmatiques, censées constituer le coeur du texte, sont aujourd'hui marginales compte tenu du nombre effarant d'articles additionnels introduits par la chambre basse, et ne sont pas accompagnées de moyens financiers.
Le titre I er du projet de loi , seul titre programmatique , comporte désormais onze articles, dont cinq concernent des demandes de rapport, sur un total de 116 articles ! La grande majorité des dispositions introduites dans le projet de loi ont une portée normative bien faible , et semblent davantage tenir de l'incantation que de l'obligation. La constitutionnalité de disposition peu claires, peu intelligibles et en somme peu normatives pose question mais, surtout, ce texte devenu fleuve apparaît comme une tentative de la majorité parlementaire de l'Assemblée nationale de masquer ses échecs , en tentant maladroitement et grossièrement de convaincre nos concitoyens ultramarins qu'elle travaille enfin à l'amélioration de leurs conditions de vie. Aux yeux de votre rapporteur pour avis, le titre ronflant du projet de loi constitue son programme : une illusion sémantique . Le présent projet de loi, devenu encore moins lisible après son examen par l'Assemblée nationale, ne comporte que peu de dispositions efficaces ; au mieux il sera vite oublié, au pire il ne changera rien à la situation sur les territoires.
1. Le projet de loi initial
Le projet de loi déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale comportait quatre titres et 15 articles .
Le titre I er , « Stratégie en faveur de l'égalité réelle outre-mer » , comptait trois articles.
Le premier fait de l'égalité réelle entre les outre-mer et la France hexagonale une priorité de la Nation, et définit les objectifs des politiques publiques mises en oeuvre pour atteindre l'égalité réelle : la réduction des écarts de développement entre les territoires ultramarins et l'Hexagone d'une part, et la réduction des écarts de développement et des inégalités internes au sein de chaque outre-mer d'autre part.
Les articles 2 et 3 définissent quant à eux les modalités de mise en oeuvre de l'égalité réelle selon une approche adaptée tenant compte de la diversité des réalités des territoires ultramarins pour atteindre cet objectif d'égalité réelle. Le champ d'application du concept d'égalité réelle et les modalités de prise en compte des spécificités diffèrent nécessairement pour les collectivités relevant de l'article 73 de la Constitution, d'une part, et pour les collectivités relevant de l'article 74 de la Constitution ainsi que pour la Nouvelle-Calédonie, d'autre part. S'agissant des premières collectivités, les politiques publiques reposeront sur trois leviers institutionnels : les adaptations, les expérimentations et les habilitations prévues aux articles 37-1, 72 et 73 de la Constitution. Concernant les collectivités relevant de l'article 74, la Nouvelle-Calédonie et les collectivités qui la composent, l'État veillera à la cohérence de ses actions en faveur de l'égalité réelle avec la répartition des compétences telle que prévue par la Constitution et les textes statutaires de chacune de ces collectivités.
Le titre II, « Dispositions en faveur de la convergence » , prévoit l'élaboration d'un plan de convergence , élaboré de manière partenariale entre l'État, les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution et leurs établissements publics. Instrument de planification transverse d'une durée de 10 à 20 ans, ce plan doit comprendre une stratégie de développement, permettant de fixer un horizon commun à l'ensemble des politiques publiques menées dans les outre-mer conjointement par l'État et les collectivités, ainsi qu'un suivi rigoureux mesurant la contribution de chacune de leurs interventions à la réduction des écarts de développement, dans une logique de solidarité nationale. Chaque collectivité régie par l'article 74 de la Constitution et la Nouvelle-Calédonie se verra par ailleurs proposer par l'État de conclure un plan de convergence.
Le titre III, « Dispositions sociales en faveur de l'égalité réelle », concerne le département de Mayotte afin de renforcer, de manière significative, les droits dont bénéficient les Français de Mayotte en matière de prestations familiales et d'assurance vieillesse.
Le titre IV, « Dispositions économiques en faveur de l'égalité réelle », comporte des mesures visant à favoriser l'égalité réelle en matière d'accès aux opportunités économiques et à l'initiative entrepreneuriale. Il contient également des dispositions en faveur du renforcement de la concurrence, de l'investissement dans le capital humain, de l'accès aux droits économiques et à la lutte contre la vie chère. Ainsi, un dispositif « cadres avenir » est créé à Mayotte, permettant une allocation d'installation, une aide mensuelle et une aide à l'insertion professionnelle dans le département de Mayotte. De même, l'article 12 définit un nouveau dispositif de continuité territoriale financé par le fonds de continuité territoriale géré par l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) : une aide nouvelle pour accompagner les élèves et les étudiants qui se trouvent dans l'obligation d'effectuer un stage à l'extérieur de la collectivité de leur établissement d'enseignement.
2. Le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale
À l'Assemblée nationale, le projet de loi a été renvoyé au fond à la commission des lois , qui a substantiellement enrichi le texte en lui ajoutant 76 articles , portant leur nombre à 91. À l'issue de la séance publique, le projet de loi de programmation tel qu'il a été transmis au Sénat comporte 116 articles .
Les principaux apports de l'Assemblée nationale ont été les suivants :
- à l'article 1 er , est reconnu aux populations des outre-mer le droit d'adopter un modèle propre de développement durable et est rappelée la nécessité d'accélérer les efforts d'équipement, de favoriser « l'inclusion » des territoires d'outre-mer dans leur environnement régional et de lutter contre toutes les formes de discriminations ;
- à l'article 2, concernant les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution, a été précisée l'importance d'adopter une démarche de convergence adaptée à chacun des territoires ;
- à l'article 3, concernant les collectivités régies par l'article 74 de la Constitution et la Nouvelle-Calédonie, la même nécessité est soulignée d'adapter les politiques publiques aux spécificités des collectivités concernées et la possibilité a été donnée de recourir aux expérimentations prévues par les articles 37-1 et 72 de la Constitution ;
- un nouvel article 3 bis a été introduit par la commission des lois visant à inscrire dans la loi que le principe de continuité territoriale constitue un enjeu de souveraineté et une priorité de l'action de l'État ;
- un article 3 ter a été ajouté fixant un objectif de construction de 150 000 logements dans les territoires d'outre-mer ;
- un nouvel article 3 sexies prévoit la remise d'un rapport du Gouvernement au Parlement « présentant la situation des populations d'outre-mer par rapport à celles de l'hexagone ainsi que les moyens nécessaires pour leur garantir l'effectivité des mêmes droits dans les domaines des transports et des déplacements », dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi. Il appartient à une série d'articles insérés à l'initiative du Gouvernement, qui prévoient des rapports sur les sujets suivants : l'accès à l'énergie, au commerce électronique, l'attractivité fiscale, l'accès aux prestations familiales des travailleurs indépendants, l'éducation et la formation, les connaissances statistiques, et le domaine social et la santé ;
- à l'article 4 relatif aux plans de convergence, des amendements renforçant le contenu de ces plans ont été adoptés. Ces derniers devront comprendre un diagnostic économique, social, financier, environnemental, un diagnostic portant sur les inégalités de revenus, de patrimoines, les discriminations et les inégalités entre les femmes et les hommes, des actions opérationnelles en matière de lutte contre l'illettrisme et un volet relatif aux contrats de convergence ;
- le nouvel article 5 bis crée la faculté de signer des contrats de convergence pour des durées plus courtes (six ans maximum) ;
- le nouvel article 7 bis crée un grand conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinenguées ;
- les dispositions du volet social ont été renforcées, notamment pour Mayotte ;
- la commission des lois a par ailleurs créé plusieurs nouveaux titres : un titre consacré à la mobilité et à la continuité territoriale , un titre consacré à l'école et à la formation, un titre relatif aux dispositions économiques, commerciales et bancaires, un titre consacré à la culture, un titre relatif au développement durable qui comprend notamment un article visant à s'assurer des conditions pour chaque collectivité et département d'outre-mer d'atteindre les objectifs nationaux d'orienter 75 % des déchets d'emballages ménagers et des papiers vers les filières de recyclage , un titre consacré à la fonction publique, un titre consacré aux dispositions juridiques, institutionnelles et judiciaires, qui prévoit notamment l'extension du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) aux régions ultramarines et l'abandon progressif du schéma d'aménagement régional (SAR) ainsi qu'un renforcement de la lutte contre l'orpaillage illégal , un titre relatif aux droits des femmes, un titre contenant diverses dispositions de nature fiscale et un titre consacré à la statistique et à la collecte de données.