B. UNE GOUVERNANCE DE LA RECHERCHE QUI DOIT ÊTRE PLUS STRATÉGIQUE
À travers la création du conseil stratégique de la recherche chargé de définir la stratégie nationale de la recherche et l'élaboration de cette dernière en cohérence avec le programme européen Horizon 2020, la loi du 22 juillet 2013 sur l'enseignement supérieur et la recherche s'était attachée à affirmer le rôle de stratège de l'État en matière d'orientation et de programmation de la recherche.
Trois ans après son adoption, les objectifs qu'elle avait fixés en matière de gouvernance restent à atteindre.
1. De nombreux obstacles à surmonter
Depuis 2013, de nombreux facteurs à la fois structurels et conjoncturels n'ont pas joué en faveur d'une gouvernance stratégique de la recherche.
Ainsi, le financement croissant de la recherche à travers les programmes d'investissement d'avenir a dessaisi partiellement le ministère chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche de sa mission au profit du commissariat général aux investissements qui pilote ces programmes et supervise l'action des opérateurs. En effet, bien que la mise en oeuvre opérationnelle des PIA se fasse en étroite collaboration avec les ministères concernés, ces derniers ont été consultés mais n'ont pas été décideurs.
Or, si la stratégie nationale de la recherche intègre l'objectif d'excellence défendu par le commissariat général à l'investissement, sa vision est beaucoup plus large. Elle doit également définir les défis scientifiques, technologiques, environnementaux et sociétaux auxquels la France devra faire face dans les décennies à venir et définir en conséquence un nombre arrêté de priorités scientifiques et technologiques. Les objectifs de la stratégie nationale de la recherche ont donc pu être brouillés en raison de l'interférence avec ceux du programme d'investissement d'avenir.
La difficulté pour le ministère chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche à peser sur les décisions relevant de son champ de compétence a encore été accrue par la hiérarchie ministérielle existant depuis 2014 : l'enseignement supérieur et la recherche sont défendus par un secrétaire d'État, dont, en dépit de son grand mérite reconnu et salué par tous et du soutien continu de la ministre de l'éducation nationale pour son action, on constate la difficulté à s'imposer dans les arbitrages interministériels face à des ministres de plein exercice (qui plus est, plus haut dans le tableau gouvernemental).
La loi du 22 juillet 2013 sur l'enseignement supérieur et la recherche a créé le conseil stratégique de la recherche censé proposer les grandes orientations de la stratégie nationale de recherche et participer à l'évaluation de leur mise en oeuvre. Cette loi prévoit que ledit conseil stratégique est présidé par le Premier ministre ou, par délégation, par le ministre chargé de la recherche. En réalité, ni le Premier ministre ni le secrétaire d'État ne l'a présidé et il ne s'est pas encore réuni en 2016.
2. Des conséquences sur la structuration et la valorisation de la recherche
La loi du 22 juillet 2013 a bâti un ensemble cohérent dans lequel la mission de chacun est bien définie : le rôle de stratège de l'État en matière d'orientation et de programmation de la recherche est clairement posé, sous l'impulsion du conseil stratégique de la recherche et en concertation avec les alliances. Quant à l'ANR, elle a vocation à mettre en oeuvre la programmation arrêtée par le ministre chargé de la recherche.
Toutefois, faute d'un pilotage serré par l'État, cette construction n'est pas optimisée, ce qui engendre des tensions entre différents acteurs de la recherche dont les fonctions ne sont pas clairement rappelées.
Votre rapporteure pour avis a senti d'importantes tensions entre l'ANR d'une part, et certains organismes de recherche, voire certaines communautés scientifiques d'autre part, que la démission du comité d'évaluation scientifique en mathématiques et en informatique au cours de l'année 2016 avait mise en exergue. Certes, les taux de sélection très élevés des appels à projets observés ces dernières années ont engendré des frustrations et expliquent en grande partie ces tensions, mais d'autres facteurs contribuent aux relations tendues entre l'ANR et de nombreux chercheurs. Il lui est reproché une répartition peu transparente des budgets entre les différents comités d'évaluation scientifique , qui serait établie plus « sous la pression » du nombre de dossiers déposés, favorisant ainsi les disciplines qui regrouperaient le plus grand nombre de chercheurs, que sur la qualité intrinsèque des dossiers. Certains regrettent également que l'ANR ne prenne pas assez en considération les remarques des alliances dans l'élaboration de son plan d'action et qu'elle privilégie ses propres thématiques au détriment de celles arrêtées par la stratégie nationale de la recherche.
Pour sa défense, l'ANR fait remarquer que ses statuts prévoient explicitement qu'elle met en oeuvre la politique de recherche de l'État et non pas celle des organismes de recherche. Toutefois, en l'absence de directives, il lui faut prendre des décisions qui dépassent quelquefois son champ de compétences...
La nomination d'un nouveau directeur général de la recherche et de l'innovation après trois mois de vacance et la conclusion d'un contrat d'objectifs et de performance entre l'ANR et l'État devraient apporter remède.
L'évaluation mitigée de l'IDEX « Université Paris Saclay » s'explique également par la difficulté pour l'État d'assumer l'arbitrage nécessaire à son rôle de stratège en matière de structuration de la recherche. La création d'un pôle universitaire d'envergure internationale constitue un enjeu majeur pour la visibilité et l'attractivité de l'enseignement supérieur et de la recherche en France. Elle implique néanmoins un bouleversement de mentalités pour des institutions prestigieuses et fortement attachées à leur indépendance qu'il ne faut pas sous-estimer. Il est toutefois regrettable, alors même que ce projet a été validé au plus haut niveau, que plusieurs ministères ne « jouent pas le jeu » et mettent ledit projet en péril en soutenant les revendications des écoles sous leur tutelle. Il semblerait que le Premier ministre se soit saisi du dossier pour le sortir de l'impasse dans lequel il se trouve. Votre rapporteure pour avis espère que la solution qui sera proposée sera conforme à l'ambition initiale des concepteurs du projet.
L'apparente difficulté pour l'État de conduire une stratégie cohérente de la recherche est illustrée par le foisonnement des dispositifs de valorisation qui se sont accumulés au fur et à mesure des réformes, sans qu'une étude d'impact ait été menée sur leur complémentarité ou, au contraire, leur redondance. S'il faut se féliciter que de nombreuses coopérations soient nées entre les structures de valorisation, le dispositif reste complexe pour les entreprises, et notamment pour les plus petites.