B. UN AVENIR À CONSOLIDER
1. Le spectacle vivant face au défi de la sécurité
Les attentats du 13 novembre 2015 ont touché le spectacle vivant en plein coeur, avec des conséquences financières lourdes pour les établissements publics et privés du secteur . Ces derniers ont dû faire face à la fois à des pertes de recettes liées aux chutes de fréquentation et à une hausse de leurs dépenses pour améliorer leurs dispositifs de sécurité avec, d'une part, des frais de fonctionnement accrus pour renforcer les contrôles et, d'autre part, des efforts d'investissement pour la sécurisation des lieux. D'après les informations communiquées par le SYNDEAC à votre rapporteur, le seul impact économique lié au recours à des entreprises de sécurité s'établirait à 900 000 euros pour ses adhérents.
C'est pour prendre en compte cette situation particulière qu'un fonds d'urgence pour le spectacle vivant a été mis en place par la loi de finances rectificative pour 2015 dès le mois de décembre 2015 pour venir en aide aux entreprises privées du spectacle, quelles qu'elles soient (salles de concert, théâtres, festivals, cabarets, cirques).
Géré par le CNV, il soutient les structures selon deux axes : la compensation partielle des pertes de recettes liées à la chute de fréquentation et l'aide à la mise en sécurité des salles . La grande majorité des demandes de soutien (environ 70 %) portent désormais sur les surcoûts liés à la sécurité. Le soutien apporté par le fonds est constitué, pour 93 %, d'aides financières directes et, pour 7 %, d'avances remboursables sur une période maximale de deux ans. Le fonds ne couvre que des dépenses de fonctionnement : il n'intervient pas pour les dépenses d'investissement.
Depuis sa création en décembre 2015, le fonds a été doté de 14 millions d'euros, dont 8 millions d'euros apportés par l'État - 1 million au moment de sa création et 7 millions en juin. Les autres dotations proviennent de plusieurs SPRD, de la Ville de Paris, mais aussi directement du CNV. L'État prévoit un nouvel abondement du fonds à hauteur de 4 millions d'euros , conformément à la décision prise lors du comité interministériel sur le tourisme du 7 novembre dernier, comme l'a indiqué Audrey Azoulay lors de son audition devant votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication le 9 novembre. En contrepartie, l'État espère de nouvelles contributions de la part des entreprises du secteur.
Après près d'un an de fonctionnement, le fonds a fait la preuve de son efficacité : le CNV a instruit 565 demandes d'aides totalisant une somme globale de 32,1 millions d'euros. 10,7 millions d'euros ont été accordés à 444 dossiers, profitant à des entreprises implantées partout en France pour un montant d'aide variant entre 480 euros et 130 000 euros, le montant plafond des aides octroyées par le comité. 76 % des dossiers instruits ont donc obtenu un soutien. D'après les informations communiquées à votre rapporteur pour avis, les aides attribuées ont concerné les différentes familles d'entreprises de spectacles (salles, festivals, producteurs, compagnies) et l'ensemble des disciplines et esthétiques du spectacle vivant.
Les 7 millions d'euros complémentaires accordés avant l'été ont permis d'apporter un soutien précieux aux festivals, comme aux cabarets et aux cirques, les esthétiques les plus durement touchés . Les derniers chiffres révèlent que les cinquante principaux festivals d'été ont enregistré des hausses de fréquentation de l'ordre de 10 à 15 %, preuve que le public a été au rendez-vous grâce aux efforts importants consentis en matière de sécurité.
Reste que la situation est loin d'être réglée : le contexte sécuritaire reste alarmant, rendant toujours plus nécessaire les investissements des structures pour renforcer les dispositifs de sécurité. Même si la baisse de fréquentation apparaît moins significative, les chiffres sont à prendre avec précaution, car ils intègrent les records de fréquentation enregistrés par l'Accorhotels Arena, qui a rouvert ses portes en octobre 2015 après deux ans de travaux et est devenue, en moins d'un an, la deuxième scène au monde après le Madison Square Garden.
Dans ce contexte, deux questions se posent :
- d'une part, celle de l'avenir du fonds d'urgence .
La loi prévoit, à ce stade, qu'il pourra fonctionner jusqu'en 2018. S'il devait se poursuivre au-delà, il conviendrait inévitablement de redéfinir son mode de fonctionnement et ses finalités puisque, comme le relèvent Vincent Eblé et André Gattolin dans la communication qu'ils ont faite devant la commission des finances du Sénat le 1 er juin dernier sur « les conséquences budgétaires des attentats du13 novembre 2015 sur le secteur du spectacle vivant », « il ne s'agira plus réellement d'un outil mis en place dans l'urgence » , mais plutôt d'un nouvel instrument de soutien économique au spectacle vivant, à moins d'en circonscrire l'utilisation à la mise en place de mesures de sécurité clairement définies, quitte à l'élargir aux dépenses d'investissement.
Votre rapporteur pour avis constate que le fonds d'urgence, aussi efficace soit-il, ne peut pas tout, ne serait-ce que parce qu'il ne couvre justement pas les dépenses d'investissement. Pour aider davantage les entreprises du secteur, une réflexion pourrait être engagée sur l' opportunité de compléter ce dispositif par des mesures d'étalements fiscaux ou diverses mesures sociales très demandées par les représentants du secteur du spectacle vivant ;
- d'autre part, celle du soutien aux scènes subventionnées .
Les établissements subventionnés ne sont pas éligibles au fonds d'urgence, qui concerne les seules entreprises redevables de la taxe fiscale sur les spectacles de variétés. Même si le retour de la fréquentation dans les lieux subventionnés a été plus rapide et massif que dans le secteur privé, ces établissements doivent faire face à une problématique identique à celle qu'affrontent les structures privées. En 2017, une enveloppe de 4,3 millions d'euros est prévue pour la sécurisation des établissements publics, dont 2,3 millions d'euros pour les opérateurs de l'État et 2 millions d'euros en crédits déconcentrés destinés à aider les labels à reconstituer leurs marges artistiques, ce qui permet d'indemniser d'éventuelles pertes de recettes et surcoûts liés aux mesures de sécurité. Dès 2016, 1 million d'euros de crédits déconcentrés avaient été dégelés pour venir en aide aux structures labellisées sur le territoire rencontrant des difficultés particulières. D'après les informations communiquées par la direction générale de la création artistique à votre rapporteur pour avis, aucun dégel ne serait en revanche intervenu pour les opérateurs parisiens.
Lors de son audition le 9 novembre dernier devant votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, la ministre chargée de la culture a annoncé qu'une mesure supplémentaire de 5 millions d'euros ne figurant pas dans les documents budgétaires a été décidée lors du comité interministériel sur le tourisme du 7 novembre pour contribuer à la sécurisation des principaux établissements publics du ministère de la culture et de la communication : une partie de ces crédits, qui seront financés par le fonds interministériel de prévention de la délinquance, devraient donc être destinés à des opérateurs relevant du programme 131 .
Les crédits consacrés à la mise en sécurité des opérateurs et lieux labellisés sont certes inférieurs à ceux mis à disposition dans le cadre du fonds d'urgence, mais ils profitent à un nombre d'acteurs moins nombreux et permettent de financer des dépenses d'investissement. Votre rapporteur pour avis insiste sur l' importance qui s'attache à ce que les crédits de ces différentes enveloppes soient intégralement mis à disposition et en appelle au Gouvernement, compte tenu de l'enjeu, pour qu'il accepte d'accorder des dégels de crédits si l'enveloppe se révélait insuffisante pour faire face aux besoins des établissements.
2. L'incompréhensible maintien du plafond du Centre national de la chanson, des variétés et du jazz
Pour soutenir le spectacle vivant de musiques actuelles et de variétés, le CNV perçoit une taxe assise à hauteur de 3,5 % sur les recettes des représentations de spectacles de variétés et de musiques actuelles - à savoir tous les spectacles de musique, à l'exception de la musique classique, et les spectacles d'humour. Cette taxe représente 94 % des ressources du CNV.
Les fonds collectés sont redistribués aux acteurs de la filière selon une clé de répartition clairement définie :
- 65 % sous la forme de droit de tirage pour contribuer, dans un délai de trois ans, à la production d'un nouveau spectacle, ce qui assure au redevable, sous réserve d'être affilié au CNV, de récupérer 65 % des sommes qu'il a versées au titre de la taxe ;
- 35 % en aides sélectives , remboursables ou non remboursables, afin de soutenir les différents aspects de la vie du secteur des variétés et des musiques actuelles : les salles de spectacle, les projets de production et de diffusion de spectacle ou de festivals, le développement à l'international de carrière d'artistes, de création et de diffusion de spectacles, l'équipement de salles de spectacles ou encore diverses actions d'intérêt général du secteur, en particulier la structuration professionnelle.
Votre rapporteur pour avis a déjà eu l'occasion de souligner, par le passé, le rôle essentiel joué par le CNV dans la vitalité du secteur économique des spectacles de variétés et de musiques actuelles . L'ensemble des acteurs défend le système de la taxe, considéré comme vertueux puisqu'il profite à tous : aux plus grosses entreprises du secteur par le biais du droit de tirage, mais surtout aux structures les plus fragiles via les aides sélectives, qui leur sont majoritairement attribuées. Vertueux, ce système l'est aussi parce qu' il n'est pas financé par le biais de subventions publiques : c'est la solidarité des entrepreneurs de spectacle vivant qui finance les aides distribuées aux entreprises de la filière.
Les ressources du CNV ont augmenté mécaniquement ces dernières années sous l'effet d'une plus grande efficacité des opérations de perception et d'une augmentation des recettes de billetterie, passant de 13 millions d'euros en 2004 à près de 25 millions d'euros en 2012, jusqu'à près de 31 millions d'euros en 2015. Les prévisions laissent à penser qu'elles pourraient s'établir entre 31 et 32 millions d'euros en 2016, et probablement s'élever à 35 millions d'euros en 2017, sous l'effet de l'élargissement du périmètre du CNV aux musiques électroniques et aux arts du cirque.
Or, l'article 46 de la loi de finances pour 2012 a posé le principe d'un plafonnement des taxes affectées , ce qui signifie que tout excédent au-delà des plafonds doit être automatiquement versé au budget général de l'État. Il a alors fixé le plafond de la taxe affectée au CNV à 27 millions d'euros, avant qu'il ne soit réduit à 24 millions d'euros en 2013, puis rehaussé à 28 millions d'euros en 2014 et enfin à 30 millions d'euros en 2015.
Évolution des ressources du CNV provenant de la taxe fiscale entre 2013 et 2015
(en euros)
2013 |
2014 |
2015 |
|
Perception de la taxe |
26 889 157 |
28 733 809 |
29 176 138 |
Reprises de crédits d'années antérieures non affectés |
1 138 647 |
1 232 198 |
1 803 352 |
Total |
28 430 614 |
30 361 020 |
30 979 490 |
Source : Ministère de la culture et de la communication
Votre rapporteur pour avis observe que plusieurs arguments plaident contre le plafonnement de cette taxe .
D'une part, le plafonnement est susceptible d'avoir des effets désastreux sur la santé financière du CNV . En effet, lorsque le secteur est en croissance, le plafond se traduit mécaniquement par des pertes pour le CNV , contraint de verser les 65 % de l'écrêtement en droit de tirage : autrement dit, tout dépassement du plafond d'1 million d'euros engendre 1,65 million d'euros de dépenses supplémentaires pour le CNV, avec des conséquences inévitables sur le montant des aides sélectives octroyées .
D'autre part, le plafonnement conduit à sanctionner le CNV pour les efforts qu'il a entrepris ces dernières années pour améliorer la perception de la taxe.
Compte tenu du niveau attendu des recettes, il conviendrait de supprimer le plafond applicable à cette taxe ou d'instaurer, tout au moins, un « plafond glissant » . C'était d'ailleurs un engagement du Gouvernement : Fleur Pellerin, alors ministre de la culture et de la communication, avait indiqué, lors d'une audition devant le Sénat le 12 novembre 2014, qu'un arbitrage interministériel avait été rendu pour permettre que le plafond de la taxe soit désormais déterminé chaque année en fonction du rendement de celle-ci.
Or, l'Assemblée nationale a rejeté, lors de l'examen du présent projet de loi, conformément à l'avis négatif du Gouvernement, deux amendements portant sur le plafond de cette taxe fiscale : l'un proposant son déplafonnement et l'autre, porté par le président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, Patrick Bloche, proposant de rehausser le plafond à 35 millions d'euros.
Compte tenu de l'engagement pris par le Gouvernement en 2014, votre rapporteur pour avis juge incompréhensible qu'aucun de ces deux amendements n'ait été adopté dans les circonstances actuelles, alors que le CNV a déjà puisé dans ses réserves pour alimenter le fonds d'urgence pour le spectacle vivant, et que son périmètre pourrait être élargi aux musiques électroniques et aux arts du cirque, ce qui entraînerait mécaniquement une croissance de la taxe collectée, mais supposerait aussi de soutenir ces nouvelles esthétiques par le biais des mécanismes de redistribution.
Votre rapporteur pour avis se félicite d'apprendre qu' à la faveur d'un nouvel arbitrage interministériel, le Gouvernement devrait, en fin de compte, proposer le relèvement du plafond de la taxe pour éviter que le CNV puisse se retrouver en défaut. C'est en tout cas ce qu'a annoncé la ministre chargé de la culture lors de son audition devant votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Votre rapporteur se réserve la possibilité de proposer le déplafonnement de la taxe ou, à défaut, le relèvement du plafond, si un tel amendement n'était finalement pas déposé.